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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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27 mai 2018 7 27 /05 /mai /2018 14:57
Résumé

 

Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) sont encore fréquemment victimes de stigmatisation, de discrimination et de violations des droits humains partout dans le monde. Ces dernières années, un intérêt croissant s’est porté vers la situation des aîné.e.s LGBT. Le constat est clair : les aîné.e.s LGBT sont presque invisibles, le personnel travaillant auprès des aîné.e.s manque de formation et leurs besoins spécifiques sociaux et de santé  semblent être mis de côté, faute de politique inclusive généralisée ou de moyens financiers. Par ailleurs, les personnes âgées LGBT qui ont reçu un diagnostic de « démence » sont confrontées au défi de résister à une double stigmatisation : celle en lien avec le diagnostic de « démence », et celle associée à leur sexualité. Il y a donc urgence à initier des plans d’actions impliquant les pouvoirs publics, les institutions travaillant en lien avec les personnes âgées, le monde associatif et l’économie privée, avec l’objectif d’identifier ou de préciser les besoins sociaux, de soutien et de santé des aîné.e.s LGBT et de mettre en place des actions ciblées, avec suivi, évaluation et ajustement des pistes d’intervention. Il s’agirait aussi de déterminer et d’appliquer différentes recommandations visant à changer de culture dans la manière qu’ont les professionnel.le.s de l’aide ou des soins d’interagir avec ces personnes.

Enfin, il importe de se pencher sur les fréquents problèmes de santé physique et psychologique, ainsi que sur les facteurs de risque des personnes LGBT (jeunes et âgées), en adoptant une démarche de prévention globale et communautaire, qui prenne tout particulièrement en compte les déterminants sociaux, culturels et environnementaux (LGBT-phobies, stigmatisation, discriminations, violences) des problèmes de santé. Cette prise en compte des problèmes de santé des personnes LGBT apparaît d’autant plus importante que, comme nous l’avons montré dans différentes chroniques de ce blog, plusieurs de ces problèmes de santé et facteurs de risque contribuent au développement d’un vieillissement cérébral et cognitif problématique.

 

Le jeudi 17 mai 2018 s’est tenue la Journée Internationale contre les LGTB-phobies. Cette journée du 17 mai a été organisée pour la première fois en 2005, en référence à la décision prise par l’Organisation Mondiale de la Santé, le 17 mai 1990, de retirer l’homosexualité des maladies mentales. Elle a pour vocation de rassembler toutes les personnes concernées par la stigmatisation, les discriminations, les inégalités et les violations des droits humains dont sont victimes les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres (LGBT) partout dans le monde.

 

Les personnes âgées LGBT

Ces dernières années, un intérêt croissant s’est porté sur la situation des aîné.e.s LGBT. Ainsi, dans le contexte de la Journée Internationale contre les LGTB-phobies, la Ville de Genève, sous l’impulsion de Sandrine Salerno (conseillère administrative en charge de l’Egalité et de la Diversité) et d'Esther Alder (conseillère administrative en charge de la Cohésion sociale et de la Solidarité), a souhaité donner la parole aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées* (LGBTI) de plus de 65 ans, et ainsi « sensibiliser le grand public et les professionnel.le.s travaillant auprès des aîné.e.s sur les enjeux spécifiques associés à cette population. Ainsi, du 9 au 30 mai 2018, six portraits d’aîné.e.s LGBTI sont visibles dans les rues, les parcs et places de Genève. Agées de 58 à 80 ans, ces personnes représentent, dans la singularité de leur parcours, la diversité des aîné.e.s LGBTI, la complexité de leurs besoins spécifiques, la multiplicité de leurs craintes vis-à-vis de la vieillesse, mais aussi leur engagement, leur dynamisme et leur amour de la vie » (voir  https://www.ville-ge.ch/17mai-geneve et affiches dans toute la ville, voir ci-dessous). Outre les affiches, diverses activités ont également été prévues, notamment, le 17 mai, de mettre le Jet d’eau genevois aux couleurs arc-en-ciel emblématiques du mouvement.

Il s’agit de rappeler, selon les termes de Sandrine Salerno, que « ce qui est au cœur, c’est le droit d’aimer ».

* L’intersexuation désigne les personnes nées avec des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux définitions typiques d’homme ou de femme.

Affiches de la campagne de la Ville de Genève 2018

Affiches de la campagne de la Ville de Genève 2018

Par ailleurs, la ville de Genève a mandaté l’Association 360 (« Au service de notre diversité » http://association360.ch/) pour étudier les besoins spécifiques des personnes LGBTI de plus de 55 ans dans le contexte genevois. Ce mandat a donné lieu à un rapport de pré-enquête, à visée exploratoire (« Phase préparatoire en vue d’une enquête-actions sur les besoins des aîné.e.s lesbiennes, gays, bi et trans*, LGBT, à Genève », lien).

 

De ce rapport, il apparaît tout d’abord que les personnes âgées LGBT sont nombreuses à Genève. En effet, selon diverses études (notamment françaises), on peut considérer qu’il y a entre 5% et 10% de LGBT en zone urbaine. Comme le canton de Genève compte actuellement 16.4% de personnes âgées de plus de 65 ans et qu’elles représenteront plus de 23% de la population générale en 2040, le rapport estime qu’il y a actuellement entre 4’000 et 8’000 aîné.e.s LGBT dans le canton de Genève (dont un peu moins de la moitié en ville de Genève), et qu’elles seront entre 7'000 et 15'000 dans le canton à l’horizon 2040 (et entre 2'500 et 5'000 en ville de Genève). Il faut par ailleurs relever que les personnes LGBT ne sont pas encore dans les conditions optimales pour s’affirmer et donc apparaître toutes dans les statistiques.

 

Et pourtant, sur base de leur état des lieux à Genève (et, plus largement, en Suisse), les auteur.e.s du rapport concluent que « les aîné.e.s LGBT sont presque invisibles, le personnel manque de formation et les besoins spécifiques sociaux et de santé des aîné.e.s LGBT semblent être mis de côté, faute de politique inclusive généralisée ou de moyens financiers ». Il faut également noter que les professionnel.le.s LGBT sont aussi susceptibles d’être discriminé.e.s, que ce soit par leurs propres collègues ou par les personnes âgées dont elles s’occupent. Cette  situation n’est évidemment pas spécifique au canton de Genève (ou plus largement à la Suisse). Néanmoins, on a vu émerger une prise de conscience dans différentes villes et pays, s’accompagnant de divers types d’interventions visant à un changement de culture et de pratiques. Dans ce contexte, le rapport mentionne, de façon pertinente, que « la levée des tabous, l’amélioration des pratiques à l’égard des aîné.e.s LGBT bénéficiera à l’ensemble des seniors, quelles que soient leur orientation sexuelle et leur identité de genre, notamment pas une meilleure prise en compte de leurs besoins relationnels et sexuels » (voir notre chronique « La sexualité chez les personnes âgées vivant dans une structure d’hébergement à long terme » [lien]).

 

Le rapport reconnaît que plusieurs questions sont restées sans réponse dans cette pré-enquête, notamment faute de données statistiques. Ainsi, par exemple, certaines études menées en France ou aux Etats-Unis ont mis en évidence que la précarité économique toucherait tout particulièrement les personnes âgées LGBT, ce qui n’a pas pu être exploré dans la pré-enquête. Ce rapport plaide dès lors pour la mise en place d’une recherche-action impliquant les pouvoirs publics, les institutions travaillant en lien avec les personnes âgées, le monde associatif, l’économie privée, avec l’objectif d’identifier ou de préciser les besoins sociaux, de soutien et de santé des aîné.e.s LGBT, et de mettre en place des actions ciblées, avec suivi, évaluation et ajustement des pistes d’intervention. Il s’agirait aussi d’évaluer la pertinence et la faisabilité à Genève de certaines initiatives qui ont vu le jour ailleurs, parmi lesquelles le rapport pointe :

 

* La création d’un label « Ami-e des personnes âgées LGTB » et l’établissement de critères d’obtention de ce label pour les structures d’hébergement et les structures d’aide aux personnes (formation du personnel, cadre favorable à l’expression de sa sexualité et de son orientation sexuelle).

* La mise en place, en lien avec les associations, de modules de formation du personnel des structures d’hébergement et d’aide aux personnes dans le domaine de la sexualité des aîné.e.s (y compris des aîné.e.s LGBT).

* La valorisation et la transmission de la mémoire des aîné.e.s LGBT via, par exemple, un centre d’archivage associatif, les archives étant essentielles pour la construction d’une mémoire collective et communautaire (valorisation du passé militant, mémoire des discriminations vécues, reconnaissance et légitimation d’une histoire commune spécifique dont les générations actuelles de LGBT sont les héritières).

* L’organisation d’assises des aîné.e.s LGBT, afin de sensibiliser les institutions à la nécessité d’organiser des formations et de fédérer les employé.e.s LGBT (lesquel.le.s pourraient constituer des ambassadeur.drice.s essentiel.le.s d’espaces où la parole sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et la sexualité est libérée).

* La création de groupes d’aîné.e.s LGBT et le renforcement des groupes existants.

* L’organisation de moments de convivialité dans les clubs ou associations d’aîné.e.s, afin de libérer la parole des éventuelles personnes LGBT présentes ou d’amener de nouvelles personnes à fréquenter ces lieux.

* La création d’un lieu ouvert, de type permanence de jour, destiné aux aîné.e.s LGBT ou d’une permanence dédiée dans un lieu non spécifiquement LGBT

* Le lancement d’une permanence téléphonique de soutien et d’aide et la création d’un réseau d’échanges, éventuellement intergénérationnel, entre personnes LGBT.

Le Jet d'eau aux couleurs LGBT

Le Jet d'eau aux couleurs LGBT

Les personnes âgées LGBT présentant une « démence »

 

Plusieurs études qualitatives récentes se sont plus spécifiquement penchées sur le vécu des personnes âgées LGBT présentant une « démence » (voir p. ex. McGovern, 2014 ; Barrett et al., 2015 ; Fredriksen-Goldsen et al., 2018 ; McParland & Camic, 2018 ; Rosendale & Andrew Josephson, 2015). De façon générale, le défi auquel sont confrontées ces personnes est de résister à une double stigmatisation : celle en lien avec le diagnostic de « démence » et celle associée à leur sexualité. Cette résistance passe par une série de décisions difficiles, impliquant notamment le fait de dévoiler ou non leur sexualité, tout en s’assurant que les meilleurs soins continueront à leur être prodigués, et en tentant de promouvoir leur individualité et celle de leur couple. Dans ce contexte, il apparaît que les partenaires aient un rôle particulièrement important à jouer.

 

Après avoir passé en revue les différentes études consacrées aux personnes âgées LGBT présentant une « démence » (et plus largement aux personnes LGBT ayant eu un problème neurologique), Moreno, Laoch et Zasler (2017) ont proposé différentes recommandations visant à changer de culture dans la manière qu’ont les professionnel.le.s d’interagir avec ces personnes. Nous reprendrons ici celles qui nous apparaissent les plus pertinentes par rapport aux personnes LGBT ayant reçu un diagnostic de « démence » :

 

* L’orientation sexuelle et l’identité de genre ne sont pas des préférences et ne constituent pas une composante du style de vie. Les professionnel.le.s doivent être conscient.e.s du fait que l’orientation sexuelle et l’identité de genre font intrinsèquement partie des caractéristiques de la personne et ils/elles doivent dès lors éviter d’utiliser les termes de « préférence », « style de vie », ou « choix ».

* Explorer, au moyen de questions ouvertes, la manière dont la « démence » affecte la sexualité et demander s’il y a un point que les personnes LGBT souhaiteraient aborder.

* Examiner dans quelle mesure les personnes LGBT souhaitent faire connaître leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, et examiner avec elles les conséquences potentielles de cette révélation.

* Utiliser un langage neutre du point de vue du genre et non hétéronormatif, et ce, afin de transmettre l’acceptation par les professionnel.le.s de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, et ainsi de favoriser le lien avec les personnes LGBT. S’assurer que les supports écrits utilisés dans l’établissement (brochures, textes à des fin d’animation, etc.) adoptent un langage qui reflète l’inclusion des personnes LGBT (p. ex., partenaire ou être cher plutôt que mari ou femme ; parents plutôt que père et mère ; etc.).

* Mettre en question les stéréotypes négatifs que pourraient avoir les professionnel.le.s, en sachant qu’ils/elles peuvent avoir des niveaux variés de compétence culturelle LGBT : accroître la prise de conscience de la diversité sexuelle fait partie intégrante des responsabilités professionnelles et éthiques.

* Réfléchir à la façon dont les valeurs et les perspectives personnelles des professionnel.le.s peuvent avoir un impact sur leur travail auprès de personnes LGTB, et identifier les moyens de modifier ces conceptions et attitudes lorsqu’elles sont préjudiciables.

* Quand un.e partenaire est présent.e (ou tout autre être cher), lui permettre d’être partie prenante du processus de soins (bien entendu avec l’accord des personnes).

* Souvent, les familles biologiques ne constituent pas le groupe de soutien des personnes LGBT et c’est plutôt le cas des familles de choix ou familles sociales. Dans certains cas, les familles biologiques et les familles de choix devront négocier leur implication dans la planification des soins, mais les familles de choix ne devront pas être considérées comme moins importantes ou moins légitimes.

* Fournir aux proches aidants un soutien émotionnel, dénué de tout jugement.

* Fournir des espaces privés dans les structures d’hébergement, afin de permettre aux résidents LGBT d’exprimer librement leur amour, affection et intimité à leur partenaire (ou à tout autre être cher).

* Offrir le choix aux personnes LGBT d’opter pour des soins intimes prodigués par un.e professionnel.le.s du même genre, certaines personnes pouvant en effet considérer les soins intimes comme plus intrusifs s’ils sont prodigués par quelqu’un qui n’est pas du même genre. 

* Fournir des numéros de téléphone ou des aides en ligne permettant aux personnes LGBT et à leurs proches aidants de recevoir un soutien ou des conseils.

* Dans les établissements de soins ou d’hébergement, utiliser des signes permettant d’identifier que ces structures reconnaissent pleinement et acceptent les personnes LGBT (p. ex., un drapeau arc-en-ciel).

* Inclure explicitement la diversité de genre et de l’orientation sexuelle dans les règles et directives institutionnelles ; identifier la manière de dénoncer des pratiques discriminatoires et déterminer une personne ayant la responsabilité de répondre à ces situations, en assurant la confidentialité.  

La santé physique et psychologique des personnes LGBT et le risque de « démence »

 

Les personnes LGTB (qu’elles soient jeunes ou âgées) présentent de façon plus fréquente divers problèmes de santé physique et psychologique. Ainsi, par exemple, plusieurs  enquêtes réalisées entre 2002 et 2011 par l’association genevoise Dialogai (http://www.dialogai.org/), en collaboration avec l’Université de Zurich, montrent que, au-delà des infections sexuellement transmissibles, les hommes gays et bisexuels de Genève sont en plus mauvaise santé physique et psychologique que les hommes de la population générale, et ce, dans la plupart des domaines de la santé (allergies, sinusite, dépression, anxiété, migraine, herpès, tentatives de suicide, etc.). En outre, ils présentent plus souvent divers facteurs de risque, tels que tabagisme, consommation excessive d’alcool, usage de drogues, hypertension artérielle, taux de glucose trop élevé, taux de cholestérol trop élevé (pour une description plus détaillée de ces résultats, voir le pdf Stratégie santé 2030 [lien]). Les auteur.e.s de ces enquêtes en appellent ainsi à une approche holistique et communautaire de la prévention auprès des personnes LGBT, prenant en compte les aspects biologiques, psychologiques, sociaux et spirituels de la santé, et tout particulièrement les déterminants sociaux, culturels et environnementaux (LGBT-phobies, stigmatisation, discriminations, violences) des problèmes de santé.

 

Comme le relèvent Fredriksen et al. (2018), il en va globalement de même pour les personnes âgées LGBT, lesquelles reçoivent fréquemment des soins de santé de moindre qualité du fait de la perception de leur sexualité ou de leur identité de genre. La peur d’accéder à des soins de santé en dehors de leur communauté constitue une autre barrière à des soins adéquats. Elles sont également plus souvent confrontées à l’isolement social et au sentiment de solitude.

 

Cette prise en compte des problèmes de santé physique et psychologique, ainsi que des facteurs de risque, des personnes LGBT (jeunes et âgées), dans une démarche de prévention globale et communautaire, apparaît d’autant plus importante que, comme nous l’avons montré dans différentes chroniques de ce blog, plusieurs de ces problèmes de santé et facteurs de risque contribuent au développement d’un vieillissement cérébral et cognitif problématique (d'une "démence").

Une formidable BD de Thibaut Lambert, qui narre l'histoire d'un couple d'homosexuels dont l'un doit être institutionnalisé en raison de troubles cognitifs. Délicat, tendre, drôle, et très en phase avec le sujet de ce jour !

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Barrett, C., Crameri, P., Lambourne, S., Latham, J. R., & Whyte, C. (2015). Understanding the experiences and need of lesbian, gay, bisexual and trans Australians living with dementia, and their partners. Australasian Journal of Ageing, 34 Supplement, 34-38.

Frediksen-Goldsen, K. I., Jen, S., Bryan, A. E. B., & Goldsen, J. (2018). Cognitive impairment, Alzheimer’s disease, and other dementias in the lives of Lesbians, Gays, Bisexual and Transgender (LGBT) older adults and their caregivers : Needs and competencies. Journal of Applied Gerontology, 37, 545-569.

McGovern, J. (2014). The forgotten : Dementia and the aging LGBT community. Journal of Gerontological Social Work, 57, 845-857.

McParland, J., & Camic, P. M. (2018). How do lesbian and gay people experience dementia ? Dementia, 17, 452-477.

Moreno, A., Laoch, A., & Zasler, N. D. (2017). Changing the culture of neurodisability through language and sensitivity of providers : Creating a safe place for LGTBQIA+. NeuroRehabilitation, 41, 375-393.

Rosendale, N., & Andrew Josephson, S. (2015). The Importance of Lesbian, Gay, Bisexual, and Trasngender Health in Neurology. JAMA Neurology, 72, 855-856.

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20 novembre 2016 7 20 /11 /novembre /2016 19:35

Comme nous l’avons maintes fois mentionné, les consultations mémoire (ou cliniques mémoire ou encore centres de la mémoire), dont le nombre n’a cessé de croître depuis le milieu des années 1990, constituent une structure pivot de l’approche biomédicale dominante de la « démence » ou, plus spécifiquement, de la « maladie d’Alzheimer ». Depuis peu, on a vu apparaître, dans certaines de ces structures, une activité de diagnostic, visant à repérer, au moyen de biomarqueurs, des personnes présentant une « maladie d’Alzheimer » à un stade précoce, voire même « préclinique » (soit sans symptômes objectifs).

Il en va ainsi du nouveau Centre de la Mémoire des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) qui a vu le jour en juin 2016, en remplacement de la Consultation de la Mémoire (voir la page 6 du numéro d’octobre-novembre-décembre 2016 du magazine « Pulsations » des HUG). En résumé, l’objectif principal et explicite de ce centre est de dépister précocement la « maladie d’Alzheimer », en partant du principe que plus les traitements débutent tôt, plus ils seraient efficaces. La prise en charge proposée comporte les éléments suivants :

* un recueil minutieux de l’histoire des troubles cognitifs, et des tests neuropsychologiques ;

* un examen d’imagerie à résonance magnétique (IRM) à haute définition afin de visualiser la diminution de la taille de l’hippocampe ;

* un examen d’imagerie de tomographie par émissions de positons (PET) afin d’évaluer les zones du cerveau présentant une baisse d’activité ;

* un examen d’imagerie de tomographie par émissions de positons (PET amyloïde) afin d’identifier les dépôts de protéines toxiques amyloïde ;

* un examen d’imagerie de tomographie par émissions de positons (PET tau) afin d’identifier les dépôts de protéine toxiques tau ;

* une ponction lombaire dans le but de déterminer la concentration des protéines amyloïde et tau.

Il faut noter que, n’étant pas remboursés par les assurances maladie, les examens PET amyloïde et tau seront « offerts » grâce à des fonds de recherche.... Néanmoins, le coût global des autres examens conduira à une facture importante – de plusieurs milliers de francs pour chaque cas – pour les assurances maladie.

Dans l’article de Pulsations, il est également mentionné que ce centre proposera les médicaments de « dernière génération »...., ainsi que la formation des médecins de ville, et offrira une approche non pharmacologique (des programmes de réhabilitation), dont le contenu n’est pas précisé, mais qui visera, selon le Pr. Frisoni, responsable du centre, « … à travailler sur la résilience, la capacité du cerveau à mobiliser des ressources nerveuses pour contrer la progression de la maladie ». Le Pr. Frisoni ajoute qu’ «.. il faudra former les médecins à annoncer un diagnostic précoce de manière informative et respectueuse de l’émotion du patient et de ses proches ».

Ces différentes annonces laissent donc à penser :

- qu’il existe des techniques de diagnostic précoce valides et fiables,

- qu’il y a ou aura des médicaments efficaces (et qui seront d’autant plus efficaces qu’ils seront pris précocement) et, enfin,

- qu’on peut mobiliser des ressources nerveuses, via la réhabilitation, pour contrer la progression de la maladie.

Or, ces constats ne reposent sur aucun fait établi par les recherches scientifiques !

D’ailleurs, quatre spécialistes des domaines de la gériatrie, de l’épidémiologie et de la santé publique ont clairement mis en question les politiques publiques incitant à un dépistage précoce de la « démence », en indiquant en quoi ces incitations ne reposaient pas sur des données empiriques probantes et ignoraient les méfaits pouvant y être associés (Le Couteur, Doust, Creasey, & Brayne, 2013 ; voir notre chronique « La détection précoce de la "démence" : Halte à la médicalisation du vieillissement ! »). Ils mettent ainsi en avant les différents problèmes liés à l’expansion des consultations-mémoire, à l’adoption du concept catégoriel de « MCI » (« Mild Cognitive Impairment » ou Trouble Cognitif Léger), ainsi qu’à l’utilisation des biomarqueurs et de la neuroimagerie à des fins de diagnostic précoce de la « maladie d’Alzheimer » (à plus forte raison préclinique ou asymptomatique). Par ailleurs, ils indiquent en quoi le recours au concept de « MCI » ou aux biomarqueurs ne peut pas se justifier en invoquant la possibilité offerte aux personnes âgées de planifier leur futur en connaissance de cause, ni en considérant les bénéfices que pourraient tirer ces personnes d’un traitement. Enfin, ils relèvent les risques, effets négatifs et coûts financiers du dépistage et diagnostic précoces, les intérêts économiques et commerciaux considérables qui y sont associés et aussi le fait que les ressources qui y sont consacrées sont autant de ressources qui ne seront pas disponibles pour l’amélioration des soins et de la qualité de vie des personnes présentant une « démence » avancée.

En fait, la démarche adoptée par le Centre de la Mémoire des HUG s’inscrit pleinement dans l’approche biomédicale dominante, qui néglige l’extrême complexité du vieillissement cérébral et cognitif, à savoir les multiples facteurs et mécanismes qui sont impliqués (tout au long de la vie) dans la survenue d’un vieillissement problématique, ainsi que la diversité extrême de ses manifestations et de son évolution, et qui pathologise et stigmatise de plus en plus les personnes âgées  (voir notre article à paraître dans la revue Dementia,  Van der Linden & Juillerat, 2017 ; lien).

L’efficacité diagnostique des biomarqueurs et de l’examen neuropsychologique ?

Comme le relèvent Le Couteur et collaborateurs (2013), il n’existe pas d’étude menée sur une vaste population ayant montré que l’association entre des marqueurs biologiques et la «démence » (ou les anomalies neuropathologiques sous-jacentes) est suffisamment robuste pour justifier leur utilisation dans la pratique clinique.

En fait, il apparaît que les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » présentent très fréquemment plusieurs caractéristiques neuropathologiques, non seulement des plaques séniles (protéine amyloïde) et des dégénérescences neurofibrillaires (protéine tau), mais aussi des corps de Lewy, la protéine TDP-43, une sclérose hippocampique, diverses anomalies vasculaires, etc..

Par ailleurs, les protéines considérées comme étant « anormales » et impliquées dans différents types de « démences » (protéine tau, protéine amyloïde, protéine TDP-43, alpha-synucléine) sont très fréquemment observées chez des personnes âgées ne présentant pas de troubles cognitifs ou de « démence » (pour une étude récente, voir, p. ex., Elobeid et al., 2016).

En outre, plusieurs chercheurs, tels que Castellani et Perry (2012 ; voir également Drachman, 2014), contestent l’approche moléculaire dominante de la « maladie d’Alzheimer » selon laquelle certains mécanismes moléculaires spécifiques (tels que la cascade amyloïde ou la phosphorylation de la protéine tau) constitueraient les facteurs causaux de la maladie d’Alzheimer. Castellani et Perry suggèrent plutôt aux chercheurs et cliniciens de prendre davantage au sérieux l’hypothèse selon laquelle ces modifications constitueraient plutôt un mécanisme adaptatif ou une réponse protectrice du cerveau face à certaines atteintes dont il fait l’objet.

Il faut également relever que les personnes ayant reçu un diagnostic de "maladie d'Alzheimer" montrent des patterns d'atrophie cérébrale très variés, pouvant ne pas affecter les régions hippocampiques  (voir notamment Noh et al., 2014). En outre, le vieillissement dit normal s'accompagne de modifications cérébrales dans les mêmes régions que celles où l'on observe des changements - quoique plus marqués - chez les personnes ayant reçu le diagnostic de "maladie d'Alzheimer" (Fjell et al., 2014).

Notons enfin que l’importante hétérogénéité des symptômes cognitifs et socio-émotionnels des « maladies neurodégénératives » (voir Scheltens et al., 2016, concernant l'hétérogénéité symptomatique de la "maladie d'Alzheimer") et les recouvrements observés entre les différents types de « maladies » rendent globalement peu pertinente l’utilisation de l’examen neuropsychologique à des fins de diagnostic différentiel, à savoir repérer les signes cognitifs distinctifs de ces « maladies », ou dans une fonction prédictive, c.-à-d. prédire l’évolution des difficultés cognitives.

L’efficacité des médicaments ?

Il apparait clairement que les médicaments « anti-Alzheimer » existants (Ebixa®, Aricept®, Exelon®, et Reminyl®) ne sont pas efficaces, même quand ils sont administrés chez des personnes considérées comme étant à un stade précoce de la « maladie d’Alzheimer », en particulier des personnes ayant reçu un diagnostic de  MCI  ((voir nos chroniques « La France va-t-elle arrêter de rembourser les médicaments «anti-Alzheimer ?  » et « Le courage politique de s’opposer à l’empire Alzheimer et de changer d’approche ! » ; voir également Tricco et al., 2013). De plus, ces médicaments peuvent avoir des effets secondaires, parfois graves.

Par ailleurs, au vu de la complexité et de l’hétérogénéité des mécanismes impliqués dans le vieillissement cérébral et cognitif problématique,  il paraît complètement illusoire de penser qu’on découvrira le «médicament miracle » qui empêchera le développement de la « maladie d’Alzheimer » ou qui entravera son évolution. Au contraire, l’objectif devrait être de diversifier et d’individualiser les interventions et traitements. On en est loin et cela nécessitera un changement profond dans l’approche neurobiologique du vieillissement cérébral et cognitif, avec la mise en place de recherches guidées par une perspective systémique, conduisant au développement de modèles dynamiques et interactifs des processus impliqués dans la progression du déclin cognitif chez la personne âgée.

Un objectif plus immédiat devrait être de protéger les neurones âgés et de cibler les facteurs de risque (et les événements initiateurs) environnementaux et de style de vie. Il importe dès lors de prendre clairement le tournant de la prévention, et ce, par des interventions préventives ciblant différents facteurs de risque dont les études épidémiologiques ont montré qu’ils étaient susceptibles de réduire ou de différer les expressions les plus problématiques vieillissement cérébral et cognitif. Parmi ces facteurs, on peut mentionner le fait de pratiquer davantage d’activité physique, d’accroître l’activité cognitive stimulante, de contrôler les facteurs de risque vasculaires (en particulier, l’hypertension), de prévenir l’hyperlipidémie, le diabète, l’obésité et la dépression (tout particulièrement, durant la quarantaine / cinquantaine), de réduire le tabagisme,  etc. (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014b ; Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2017).

En parallèle, il s’agirait également de proposer aux personnes présentant un vieillissement cérébral et cognitif problématique des interventions psychologiques et psychosociales individualisées, axées sur des buts et problèmes spécifiques pertinents dans la vie quotidienne et visant à accroître leur qualité de vie et leur bien-être.

L’efficacité de la réhabilitation cognitive ?

A ce jour, il n’existe aucune étude ayant démontré que la stimulation cognitive ou des programmes généraux d’entraînement cognitif peuvent avoir des effets bénéfiques sur l’évolution des problèmes cognitifs dans la vie quotidienne des personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » ou de MCI (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2016). En outre, on connaît encore très peu de choses sur les capacités compensatoires (la plasticité cérébrale et cognitive) des personnes âgées et sur les facteurs qui modulent cette plasticité et qui contribuent dès lors aux différences interindividuelles.

Par contre, un nombre croissant d’études a mis en évidence l’intérêt d’une approche psychologique individualisée, dans laquelle des buts pertinents pour la personne, en lien avec sa vie quotidienne, sont identifiés, et où l’intervenant élabore avec la personne et ses proches des stratégies visant spécifiquement à atteindre ces buts en exploitant les capacités préservées de la personne, les facteurs d’optimisation et les moyens d’aide externe (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2016).

Dans cette perspective, une étude randomisée multicentrique (ETNA3, impliquant 50 sites cliniques en France et 653 personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer ») a évalué l’efficacité de trois types d’intervention psychologique : la réminiscence, l’entraînement cognitif en groupe et les interventions cognitives personnalisées (Amieva et al., 2016). Dans le programme d’interventions personnalisées (en séances individuelles), il s’agissait tout d’abord de sélectionner avec la personne présentant une démence et un proche des activités signifiantes (de la vie quotidienne ou de loisirs) à optimiser et, ensuite, d’adapter les interventions en fonction des difficultés spécifiques rencontrées par la personne dans la réalisation de ces activités  (avec, p. ex., l’utilisation d’un apprentissage sans erreur). Les résultats ont montré que les interventions « réminiscence » et « entraînement cognitif en groupe» n’ont eu aucun effet bénéfique, en comparaison au « traitement habituel », sur diverses mesures de suivi à 3 et 24 mois (institutionnalisation, détérioration cognitive, statut fonctionnel, symptômes comportementaux, apathie, dépression, qualité de vie, charge pour le proche, utilisation des ressources de soins informels). Seules les « interventions cognitives individualisées » ont conduit à un effet bénéfique significatif à 24 mois sur les capacités fonctionnelles (moins de déclin fonctionnel que dans les trois autres conditions), un effet bénéfique tendanciel (à 24 mois) sur les symptômes comportementaux, un effet bénéfique significatif (à 3 mois) et tendanciel (à 24 mois) pour la charge perçue par le conjoint, un effet tendanciel (24 mois) pour l’utilisation des ressources, et un taux plus bas d’institutionnalisation.

Il faut relever que, dans cette étude, les objectifs des interventions individualisées se limitaient à rendre les personnes avec une démence plus aptes à réaliser certaines activités de la vie quotidienne ou de loisirs, et n’abordaient apparemment pas l’ensemble des dimensions (stigmatisation, estime de soi,  facteurs de stress, sentiment de contrôle, rôle familial et social, etc.) du vécu négatif et des difficultés de ces personnes. Or, il apparaît également essentiel d’envisager des objectifs d’intervention plus directement en lien avec les dimensions d’identité, de qualité de vie et de bien-être. De plus, des actions devraient aussi être entreprises à un niveau social et politique (dans différents domaines : environnement de vie, structures sociales, politiques sociale et de la santé), afin de favoriser l’engagement social des personnes âgées, les relations interpersonnelles – en particulier intergénérationnelles –, l’accès pour tous aux mesures de prévention et aux moyens d’aide, la réduction de l’isolement et de la pauvreté, etc.  

La mise en place de mesures (psychologiques, psychosociales et de prévention), visant à valoriser et renforcer le potentiel des aînés, à prendre en compte leur point de vue et leurs souhaits, à faciliter leur participation citoyenne, à briser leur isolement et à maintenir le plus longtemps possible leur santé, leur autonomie et leur bien-être, doit passer par le développement d’interventions et de structures insérées dans les collectivités locales, en lien direct avec les services communaux, les associations, les structures d’hébergement à long terme, les médecins de famille, etc. Cela suppose la mise en place d’équipes multi- et interdisciplinaires (avec des psychologues, des médecins, des travailleurs/euses sociaux/ales, des infirmiers/infirmières, des médiateurs/trices culturel-le-s, etc., aucune profession n’ayant préséance sur l’autre).

Dans ce contexte,  l’évaluation (neuro)psychologique aura les objectifs suivants : identifier l’apparition de difficultés cognitives, socio-émotionnelles et fonctionnelles chez la personne âgée, en comprendre la nature (dans une perspective multifactorielle et individualisée) et en suivre l’évolution ; explorer le vécu des personnes âgées (et de leurs proches) face à leurs difficultés ; déterminer (avec la personnes âgée et ses proches) des buts spécifiques et concrets  d’intervention psychologique et psychosociale ; déterminer des facteurs de risque pouvant faire l’objet de mesures de prévention (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014a).

Résistons à l’approche biomédicale réductrice du vieillissement cérébral et cognitif !

L’approche de plus en plus neurobiologisante et réductionniste du vieillissement cérébral et cognitif est inquiétante et nous sommes à la croisée des chemins !

Va-t-on continuer à faire croire à la population que le vieillissement cérébral et cognitif problématique est le reflet de « maladies » (comme la « maladie d’Alzheimer ») ayant chacune une cause spécifique et, qu’un jour, le médicament ou traitement médical « miracle » sera découvert (dans 5 ans, 10 ans, 20 ans ou 100 ans) ? Ce serait grave, car cette approche a de nombreuses conséquences néfastes. D’abord, elle extrait les manifestations de la démence du cadre général du vieillissement cérébral et cognitif. Ce faisant, elle contribue à la médicalisation et à la pathologisation du vieillissement et en propage une vision réductrice. Elle suscite également l’attente désespérée d’un traitement médicamenteux ou biologique miracle, mettant ainsi à l’arrière-plan l’ensemble des démarches susceptibles d’optimiser le bien-être, la qualité de vie, le sentiment d’identité, et ce, tant chez la personne démente que chez les proches aidants. En outre, elle favorise une vision du vieillissement en termes de fardeau et de crise, aux plans social et économique. Enfin, elle enferme les personnes âgées présentant des troubles cognitifs dans des étiquettes stigmatisantes et associées à des images apocalyptiques.

Ou va-t-on au contraire – enfin – présenter à la population un autre récit, qui assume la complexité et la diversité des facteurs et mécanismes en jeu dans le vieillissement cérébral et cognitif problématique et qui réintègre ses diverses manifestations dans le contexte plus large du vieillissement ? Un récit qui met en avant que le vieillissement cérébral et cognitif fait partie de l’aventure humaine et qu’il s’accompagne inévitablement de difficultés cognitives (d’attention, de mémoire, etc.) et fonctionnelles qui, dans le grand âge, affectent, de façon importante, de nombreuses personnes. Un récit qui indique également que l’importance des problèmes cognitifs et fonctionnels liés au vieillissement varie considérablement d’une personne âgée à l’autre (ils sont plus légers et n’évoluent que très lentement chez certaines personnes, alors que, chez d’autres, ils sont plus graves et évoluent très rapidement), mais que cette évolution plus ou moins problématique du vieillissement cognitif et fonctionnel dépend de très nombreux facteurs (biologiques, médicaux, psychologiques, liés au style de vie, sociaux, culturels, et environnementaux), en interaction et agissant à tous les âges de la vie, et de nombreux mécanismes (vasculaires, neuro-inflammation, stress, anomalies de la connectivité/activité neuronale, etc.). Un récit qui met en avant l'existence de capacités préservées. Un récit disant qu'on peut encore bien vivre avec des difficultés cognitives, qu'on peut garder une vitalité et un sens à son existence et qu'on peut avoir une place et un rôle dans la société. Un récit qui dira aussi qu'il existe des démarches simples susceptibles d'atténuer  l'impact des difficultés cognitives et fonctionnelles, qu'une de ces démarches est de rester partie prenante dans la société et aussi de continuer à s'engager utilement en fonction de ses moyens, mais aussi que des interventions psychologiques et psychosociales peuvent aider à avoir une meilleure qualité de vie et un meilleur bien-être.

 Il ne s’agit donc en aucun cas de nier l’existence des problèmes cognitifs et fonctionnels pouvant affecter de manière importante les personnes âgées, mais d’en assumer pleinement la complexité et les nuances, tout en considérant que nous partageons tous les vulnérabilités liées au vieillissement cérébral et cognitif. Cela devrait contribuer à créer davantage d’unité entre les générations et à mettre en place des structures sociales dans lesquelles les personnes âgées, quels que soient leurs problèmes, peuvent trouver des buts, avoir un rôle social valorisant, maintenir des relations intergénérationnelles, etc. En ce sens, la « démence » devrait être considérée comme une expérience de vie, qui peut amener des changements dans la perception que la personne a du monde, mais durant laquelle des apprentissages sont possibles, un potentiel de développement personnel existe, et où il s’agit de maintenir le bien-être et l’autonomie par des aides et un environnement individualisés, ainsi que des « partenaires de soin » plutôt que des soignants, qui donnent aux personnes et à leur entourage les outils et le soutien pour faire face aux difficultés rencontrées. En d’autres termes, il s’agit de concevoir une société « personnes âgées admises », y compris quand elles ont des troubles cognitifs importants, et d’amener les membres de cette société à considérer que, même en présence de difficultés cognitives, la personne âgée conserve un potentiel de vitalité, une identité et une place dans la communauté : une société qui serait d’ailleurs bénéfique à chacun d’entre nous, quel que soit notre âge !

Il ne s’agit pas non plus de rejeter la recherche neurobiologique, mais de soutenir une recherche qui s’affranchit de l’approche réductionniste basée sur l’exploration de cascades de petites molécules pour explorer d’autres hypothèses, impliquant en particulier des interactions entre diverses combinaisons de mécanismes neurobiologiques. Cette recherche devrait également considérer le vieillissement cérébral/cognitif en termes de continuum et non plus sur base de catégories de maladies (Walhovd, Fjell, & Epseseth, 2014) et tenter d’identifier, de façon plus précise, les différents facteurs (biologiques, médicaux. psychologiques, sociaux, environnementaux), ainsi que leurs relations, impliqués dans la survenue, plus ou moins progressive et rapide, de déficits affectant certains domaines cognitifs, variables selon les personnes.

On peut espérer que, prenant en compte les arguments susmentionnés, les personnes âgées résisteront à l’approche biomédicale réductrice et trompeuse, qui ne leur apportera aucun bénéfice (tout en ayant un coût financier important), mais qui, au contraire, les enfermera dans un diagnostic de maladie présentée comme « apocalyptique », ce qui contribuera encore davantage à les isoler, à les stigmatiser et dès lors, à accroître leurs difficultés, sans leur donner, ni à leur entourage, de véritables moyens pour y faire face.

Dans ce contexte, nous pensons qu’un grand débat citoyen, impliquant au premier chef les personnes âgées, devrait être organisé, sur les enjeux scientifiques, sociétaux et éthiques des différentes approches du vieillissement cérébral et cognitif.

© istockphoto.com/baranozdemir

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Amieva, H., Robert, P.H., Grandoulier, A.-S., Meillon, C., De Rotrou, J., Andrieu, S., …Dartigues, J.-F. (2016). Group and individual cognitive therapies in Alzheimer’s disease: the ETNA3 randomized trial. International Psychogeriatrics, 28, 707-717.

Castellani, R. J., & Perry, G. (2012). Pathogenesis and disease-modifying therapy in Alzheimer’s disease: The flat line of progress. Archives of Medical Research, 43, 694-698.

Drachman, D. (2014). The amyloid hypothesis, time to move on: Amyloid is the downstream result, not the cause, of Alzheimer’s disease. Alzheimer’s and Dementia, doi:10.1016/j.jalz.2013.11.003.

Elobeid, A., Libard, S., Leino, M., Popova, S. N., & Alafuzoff, I. (2016). Altered proteins in the aging brain. Journal of Neuropathology & Experimental Neurology, 75, 316-325.

Fjell, A. M., McEvoy, L., Holland, D., Dale, A. M., & Walhovd, K. B. (2014). What is normal in normal aging? Effects of aging, amyoid, and Alzheimer's disease on the cerebral cortex and the hippocampus. Progress in Neurobiology, 117, 20-40.

Le Couteur, D. G., Doust, J., Creasey, H., & Brayne, C. (2013). Too much medicine. Political drive to screen for pre-dementia: not evidence based and ignores the harms of diagnosis. British Medical Journal, 347:f5125.

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Scheltens, A. N. E., Galindo-Garre, F., Pijnenburg, Y. A., van der Vlies, A. E., Smits, L. L., Koene, T., ...van der Flier, W. M. (2016). The identification of cognitive subtypes in Alzheimer's disease dementia using latent class analysis. Journal of Neurology, Neurosurgery and Psychiatry, 87, 235-243.

Tricco, A., C., Soobiah, S., Beliner, S., Ho, J. M., Ng, C., H., Ashoor, H. M., …Straus, S. E. (2013). Efficacy and safety of cognitive enhancers for patients with mild cognitive impairment: A systematic review and meta-analysis. Canadian Medical Association Journal, 185, 1393-1401.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2014a). L’évaluation neuropsychologique de la démence: un changement d’approche. In X. Seron & M. Van der Linden (Eds.), Traité de Neuropsychologie Clinique de l’Adulte (deuxième édition), Tome 1. Paris : De Boeck / Solal.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2014b). Penser autrement le vieillissement. Bruxelles : Mardaga.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2016). Les interventions psychologiques et psychosociales chez les personnes présentant une démence légère à modérée. In X. Seron & M. Van der Linden (Eds.), Traité de Neuropsychologie Clinique de l’Adulte (deuxième édition), Tome 2. Paris : De Boeck / Solal.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2017). A life course and multifactorial approach to Alzheimer’s disease: Implications for research, clinical assessment and intervention practices. Dementia, sous presse.

Walhovd, K. B., Fjell, A. M., & Epseseth, T. (2014). Cognitive decline and brain pathology in aging – need for a dimensional, lifespan and systems vulnerability view. Scandinavian Journal of Psychology, 55, 244-254.

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8 novembre 2016 2 08 /11 /novembre /2016 21:06

Dans une lettre que nous avions envoyée en août 2009 à la Présidente de l’association France Alzheimer (voir notre chronique « Madame la Présidente, nous vous faisons une lettre... » ), nous nous étions fortement insurgés contre un clip ignoble réalisé à la demande de cette association et qui était destiné à une diffusion à grande échelle en France (voir ce clip ici). Ce clip  présentait une vision apocalyptique de la "maladie d'Alzheimer" et, ce faisant, contribuait à déshumaniser et marginaliser plus encore les personnes ayant reçu ce diagnostic. Heureusement, un vaste mouvement d’indignation, exprimé sous la forme d’une pétition relayée par internet, avait conduit à l’abandon du projet.

Une campagne de sensibilisation récemment proposée par l’association Suisse Alzheimer et Pro Senectute, via le site memo-info.ch, s’inscrit malheureusement dans la même perspective, même si elle clairement moins violente.  

Cette campagne consiste en de petits clips vidéos qui « … mettent en scène des situations de la vie quotidienne impliquant un élément qui suscite une gêne », telles que ranger des chaussures dans le réfrigérateur, placer des assiettes dans l’armoire à vêtements ou mettre des saucisses de Vienne dans le verre à dents. Voyez donc ici l’extrait de cette campagne en lien avec les saucisses de Vienne (les autres mises en scène, visibles sur ce site, étant du même acabit).

Selon les concepteurs de cette campagne, ces clips « … symbolisent des situations familières à beaucoup de personnes atteintes de démence au stade initial et à leurs proches ». [sic]

Que le vieillissement s’accompagne parfois de distractions consistant à mal placer certaines objets (comme mettre à la poubelle ce qui devrait aller dans le frigo et réciproquement) est un fait bien connu et cela s’observe même chez des personnes âgées ne présentant pas un vieillissement problématique ou une « démence » (cela peut d’ailleurs également arriver chez des personnes jeunes... ). Cependant, mettre à l’avant-plan des erreurs aussi caricaturales et aussi invraisemblables (en particulier, chez des personnes à un stade initial de « démence ») que mettre des saucisses dans un verre à dents ou des chaussures dans le réfrigérateur frise le sensationnalisme et n’est pas acceptable.    

Tous les moyens ne sont pas bons pour sensibiliser ! Que des associations prioritairement chargées (et revendiquant) de défendre les personnes âgées présentant des difficultés cognitives véhiculent de telles caricatures auprès du grand public va clairement à l'encontre de la dignité de ces personnes et renforce leur stigmatisation et leur isolement. Il est grand temps de raconter un autre récit de la « maladie d'Alzheimer » et ces associations devraient y contribuer, notamment en mettant en avant le potentiel de développement de ces personnes, leurs capacités préservées et le maintien de leur identité et de leur humanité

Nous vous suggérons aussi de prendre connaissance de la position soutenue par l'association Suisse Alzheimer sur le site memo-info.ch concernant les médicaments « anti-Alzheimer » [lien]. Elle n’a rien à envier à celle adoptée par l’association Alzheimer France et elle laisse profondément songeur en regard des données actuelles sur l’efficacité de ces traitements... (voir nos deux chroniques précédentes « La France va-t-elle arrêter de rembourser les médicaments anti-Alzheimer ? » et « Le courage politique de s'opposer à l'empire Alzheimer et de changer d'approche »). Cette position démontre une fois de plus que la plupart des associations Alzheimer sont inféodées au modèle biomédical dominant et servent de caution à ce modèle vis-à-vis du grand public et des institutions politiques et sociales.

Affichettes de la campagne "S'informer peut tout changer" sur le site memo-info.ch

Affichettes de la campagne "S'informer peut tout changer" sur le site memo-info.ch

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16 octobre 2016 7 16 /10 /octobre /2016 18:10

Changer le regard que la société adresse aux personnes âgées et celui que les personnes âgées portent sur elles-mêmes

Un nombre croissant d’études confirme que les stéréotypes négatifs liés à l’âge peuvent affecter le fonctionnement cognitif des personnes âgées ; ils peuvent même conduire à des performances traduisant un vieillissement cognitif problématique et aussi prédire la survenue d’atteintes cérébrales et de caractéristiques (neuro)pathologiques qui y sont associées. Ces travaux indiquent en quoi il importe de ne pas réduire les difficultés cognitives d’une personne âgée à des « maladies » caractérisées par des facteurs pathogènes (moléculaires) isolés et spécifiques, mais de prendre en compte la multiplicité des facteurs et mécanismes (biologiques, psychologiques, environnementaux, sociaux et culturels) qui peuvent moduler son fonctionnement cognitif. De ce point de vue, il paraît essentiel de mettre en place des stratégies préventives, dont l’une d’entre elles devrait, de toute évidence, viser à combattre l’âgisme, et ainsi à changer profondément le regard que la société adresse aux personnes âgées et celui que les personnes âgées portent sur elles-mêmes. Cela devrait non seulement passer par une éducation positive sur le vieillissement, mais aussi par des relations intergénérationnelles permettant aux personnes plus jeunes d’avoir des expériences positives et individualisées avec les personnes âgées, dans un contexte de vie sociale réelle, de statut égal, de coopération et de partage d’informations personnelles. Il s’agirait aussi de tenter de contrecarrer la médicalisation du vieillissement (laquelle est associée à la négativité croissante des stéréotypes liés à l’âge) et de modifier les croyances essentialistes (directement impliquées dans les effets néfastes des stéréotypes liés à l'âge), selon lesquelles le vieillissement est déterminé biologiquement et non modifiable. Des interventions psychologiques et des changements dans les pratiques cliniques visant à atténuer/éliminer les stéréotypes ou, encore, à mieux y faire face, devraient également être envisagés.

 

De nombreuses études ont mis en évidence que les personnes âgées qui possèdent des stéréotypes négatifs ou des attentes négatives en lien avec le vieillissement montrent une réduction de leur performance cognitive (voir nos chroniques « Le rôle des stéréotypes négatifs concernant le vieillissement sur le fonctionnement de la mémoire des personnes âgées » et « Le vieillissement en tant que construction sociale : L’influence des stéréotypes » ; voir également Marquet, Missoten, & Adam, 2016). Par ailleurs, Haslam et collaborateurs (2012) ont montré que des personnes âgées ne présentant pas de « démence », et qui ont été amenées par des consignes particulières à se catégoriser comme plus vieilles que d’autres et à considérer que le vieillissement est associé à un déclin cognitif général, ont une probabilité accrue de 400% de recevoir un diagnostic de « démence» sur base de leur score à une échelle d'évaluation des capacités cognitives générales  (voir notre chronique « Les stéréotypes négatifs concernant le vieillissement et les attentes relatives aux déficits cognitifs liés à l’âge : une source dramatique d’erreur diagnostique !»).  

Les implications cliniques de ces études sont importantes. En particulier, les clinicien(ne)s ne peuvent plus ignorer le risque considérable de diagnostic erroné (de « démence » ou de « trouble cognitif léger ») auquel peuvent conduire la catégorisation de soi basée sur l’âge, les attentes particulières concernant le déclin cognitif et, plus généralement, les stéréotypes négatifs liés à l’âge (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014 ; Marquet et al., 2016 ; Régner et al., 2016).

 

De nouvelles données concernant l’impact sur le fonctionnement cognitif des stéréotypes, attentes et croyances négatifs associés à l’âge

Plusieurs recherches récentes ont confirmé, voire amplifié, l’influence des attentes/perceptions/ stéréotypes négatifs sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées. Ainsi, Bouazzaoui et collaborateurs (2016) ont montré que des personnes âgées chez lesquelles on avait activé un stéréotype négatif lié à l’âge (en leur administrant un questionnaire sur les stéréotypes associés au vieillissement, et aussi en insistant sur la composante mnésique de la tâche cognitive qui allait leur être soumise) manifestaient davantage de plaintes mnésiques, avaient un sentiment moindre d’efficacité mnésique et obtenaient des performances moins bonnes à une tâche de mémoire que des personnes âgées chez lesquelles le stéréotype négatif n’avait pas été activé. Par ailleurs, l’effet du stéréotype négatif sur la performance mnésique est médiatisé par les plaintes mnésiques et le sentiment d’efficacité mnésique : en d’autres termes, l’activation du stéréotype avait influencé négativement les croyances sur le fonctionnement de la mémoire des personnes âgées, lesquelles avaient à leur tour perturbé la performance mnésique.

Dans une étude réalisée sur un échantillon de 5 896 participants âgés de plus de 50 ans (âge moyen de 63 ans), Robertson et collaborateurs (2016) ont constaté que la présence de perceptions négatives concernant les conséquences attendues du vieillissement et le niveau de contrôle que l’on peut avoir sur ces conséquences était associée, lors d’un suivi à deux ans, à un déclin de la performance à une tâche de fluence verbale et à un déclin auto-évalué de la mémoire, et ce, après avoir contrôlé l’influence de la santé mentale et physique.

En outre, il existe quelques données suggérant que les stéréotypes négatifs associés à l’âge peuvent affecter la performance cognitive des personnes âgées de façon à ce qu’elle corresponde au critère de « pré-démence », et même qu’ils peuvent prédire la survenue d’atteintes cérébrales et (neuro)pathologiques associées au vieillissement cognitif problématique.

Ainsi, Mazerolle et collaborateurs (2016) ont montré que 40% des personnes âgées, sans troubles cognitifs, chez qui on avait activé les stéréotypes négatifs liés à l’âge (en leur indiquant qu’elles allaient être soumises à une tâche de mémoire et que des personnes jeunes participeraient aussi à l’étude) ont obtenu des scores au Montreal Cognitive Assessment (MoCA) et au Mini Mental State Examination (MMSE) qui correspondent au critère de « pré-démence », alors que c’était seulement le cas pour 10% des personnes chez qui les stéréotypes liés à l’âge n’avaient pas été activés (il leur était dit que les performances attendues à la tâche de mémoire qu’elles allaient effectuer n’étaient pas différentes chez les personnes jeunes et âgées).

Levy et collaborateurs (2016) ont, quant à eux, observé que des personnes âgées qui avaient plus de stéréotypes liés à l’âge (identifiés plusieurs décennies auparavant) avaient ultérieurement et progressivement un déclin significativement plus prononcé du volume hippocampique et une accumulation significativement plus importante de plaques séniles et de dégénérescences neurofibrillaires (lesquelles seraient rappelons-le, selon Castellani et Perry [2012], l’expression d’une réponse protectrice du cerveau face à face à certaines atteintes dont il fait l’objet plutôt que la cause de la dégénérescence neuronale ; voir notre chronique « L'année 2015 : Fédérer les forces pour défendre et installer une autre approche du vieillissement cognitif ». 

Dans la même perspective, Pietrzack et collaborateurs (2016) ont constaté, sur deux cohortes différentes de personnes âgées de plus de 60 ans et présentant des indicateurs de santé mentale et physique variés, que la présence de stéréotypes négatifs liés à l’âge prédisait une longueur plus courte des télomères (une région hautement répétitive, donc a priori non codante, d'ADN à l'extrémité d'un chromosome), laquelle est considérée comme un marqueur de vieillissement cellulaire accéléré.

 

Comment faire face aux effets délétères des stéréotypes négatifs sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées

De façon intéressante, Weiss (2016) a observé, dans une première expérience, que les personnes âgées chez qui on a activé les stéréotypes liés à l’âge (via un questionnaire) et qui, en outre, ont des croyances essentialistes sur le vieillissement (c’est-à-dire qu’elles considèrent que le vieillissement est déterminé biologiquement et non modifiable) obtiennent une performance mnésique plus faible (dans une tâche de rappel libre) que les personnes chez qui les stéréotypes n’ont pas été activés. Par contre, chez les personnes qui ne manifestent pas de croyances essentialistes (et qui considèrent que le vieillissement est relativement flexible et modifiable), l’activation  de stéréotypes négatifs conduit à une réactance psychologique (un mécanisme de défense psychologique mis en œuvre pour tenter de maintenir sa liberté d'action) entraînant une meilleure performance mnésique (comparable à la performance des personnes dont les stéréotypes n’ont pas été activés). En outre, dans une deuxième expérience qui a répliqué les résultats précédents, il a également été observé que les personnes qui adoptaient des croyances essentialistes sur le vieillissement manifestaient une pression artérielle systolique accrue quand les stéréotypes négatifs liés à l’âge étaient activés. Ainsi, changer les croyances essentialistes concernant le vieillissement paraît constituer un moyen de permettre aux personnes âgées de faire face aux stéréotypes négatifs liés à l’âge.

Barber et collaborateurs (2016) ont constaté que des personnes âgées ne présentant pas de vieillissement cognitif problématique obtenaient des performances cognitives plus faibles à diverses tâches cognitives (classiquement utilisées pour évaluer cliniquement le déclin cognitif) quand on activait les stéréotypes négatifs liés à l’âge (en leur faisant lire un texte confirmant l’existence d’un déclin de la mémoire avec l’âge), mais uniquement quand les réponses correctes aux tâches étaient suivies d’un gain monétaire, et pas quand les réponses incorrectes ou les oublis étaient suivies de pertes monétaires. Ces données suggèrent donc les personnes âgées répondent à la menace des stéréotypes en devenant plus attentives à éviter les pertes qui les rendraient encore pires. Ainsi, il serait possible de capitaliser sur ce changement motivationnel visant à éviter les pertes pour tenter d’atténuer ou d’éliminer les effets délétères des stéréotypes négatifs liés à l’âge. Au plan clinique, cela conduirait à privilégier des consignes mettant en avant l’évitement des réponses incorrectes plutôt que le gain de réponses correctes. Des recherches futures devraient explorer plus avant cette suggestion.

 

L’effet positif d’un âge subjectif rajeuni sur le fonctionnement cognitif

Il a été montré que les personnes âgées qui rapportaient subjectivement un âge plus jeune que leur âge réel avaient une meilleure santé, étaient plus heureuses, avaient une estime d’elles-mêmes plus haute et vivaient plus longtemps que les personnes âgées dont l’âge subjectif était plus proche de leur âge chronologique (voir Kotter-Grühn, 2016).

Des travaux récents ont confirmé les effets bénéfiques d’un âge subjectif rajeuni, mais cette fois sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées. Ainsi, dans une étude prospective menée sur 10 années, Stephan et collaborateurs (2014) ont exploré l’effet de l’âge subjectif (obtenu en soustrayant l’âge ressenti de l’âge chronologique réel) sur le fonctionnement cognitif de 1 352 personnes âgées de 50 à 75 ans lors de la première évaluation et ne présentant pas de vieillissement cognitif problématique. Les résultats ont montré qu’un âge subjectif rajeuni (les personnes se sentant plus jeunes que leur âge réel) prédisait l’existence ultérieure d’un meilleur fonctionnement exécutif et mnésique, et ce, après avoir contrôlé l’influence sur le fonctionnement cognitif de l’âge chronologique, du genre, du niveau scolaire, et du nombre de maladies rapportées par les participants. Par ailleurs, cette relation était médiatisée par un style de vie plus actif et une moindre probabilité d’être en surpoids, mais cette médiation était partielle, ce qui suggère que d’autres médiateurs sont également impliqués, tels qu’un sentiment plus élevé d’efficacité personnelle ou encore une meilleure protection par rapport aux stéréotypes négatifs liés à l’âge.

Plus récemment, dans une recherche menée auprès de 5 809 personnes âgées de plus de 50 ans, Stephan et collaborateurs (2016a) ont observé qu’un âge subjectif rajeuni était associé à de meilleures performances dans des tâches de mémoire (rappel libre et rappel différé) et prédisait un déclin plus lent de la mémoire sur une période de 4 ans. De plus, cette association était médiatisée par la présence de symptômes dépressifs moins nombreux.

Par ailleurs, dans une autre étude entreprise auprès de 5 748 personnes âgées de 65 ans et plus, et ne présentant pas de vieillissement cognitif problématique lors de la première évaluation, Stephan et collaborateurs (2016b) ont montré que les personnes s’attribuant un âge subjectif plus élevé avaient une probabilité plus grande d’être classées comme ayant un « trouble cognitif sans démence » (cognitive impairment without dementia) ou comme ayant une « démence » lors d’un suivi à 2 et 4 ans et ce, après avoir pris en compte l’influence de l’âge chronologique, du sexe, de l’appartenance ethnique, du niveau cognitif de base et de la présence de tabagisme et de diabète. L’inactivité physique et l’existence de symptômes dépressifs rendait partiellement compte de ces associations.

Au plan clinique, ces données suggèrent de prêter une attention particulière aux personnes qui se sentent plus vieilles que leur âge chronologique, du fait d’un risque accru de déclin cognitif et d’un style de vie pouvant amplifier ce déclin. Ces personnes pourraient ainsi bénéficier d’interventions (psychologiques et en lien avec l’activité physique) visant à atténuer la présence de cet âge subjectif plus vieux.

De façon intéressante, Diehl et Wahl (2010) indiquent qu’il est important, pour comprendre les effets de l’âge sur la construction de soi, de prendre en compte le niveau de prise de conscience que les personnes âgées ont des changements liés à l’âge. En effet, plus une personne est consciente des changements fonctionnels liés à l’âge (aux plans cognitif, physique et de la santé), plus la notion de devenir vieux/vieille doit être intégrée dans la construction du soi ( self ) vieillissant.

 

Conclusions

Un nombre croissant d’études confirme que les stéréotypes négatifs liés à l’âge affectent le fonctionnement cognitif des personnes âgées ; ils peuvent même conduire à des performances traduisant un vieillissement cognitif problématique et prédire la survenue d’atteintes cérébrales et de caractéristiques (neuro)pathologiques qui y sont associées.

Ces recherches indiquent en quoi il importe de prendre en compte la multiplicité des facteurs et mécanismes (biologiques, psychologiques, environnementaux, sociaux et culturels) qui peuvent moduler le fonctionnement cognitif des personnes âgées. Plus spécifiquement, il apparaît d’ailleurs de plus en plus évident que l’état appelé « maladie d’Alzheimer » et, plus généralement, les maladies dites démentielles, ne constituent pas des entités homogènes (des maladies essentielles) causées par des facteurs pathogènes (moléculaires) spécifiques, mais qu’elles représentent des états hétérogènes, déterminés par des facteurs multiples, en interaction, et intervenant tout au long de la vie (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2016).

Cette conclusion est aussi une celle qu’ont récemment tirée Pistollato et collaborateurs (2016) dans un article intitulé Alzheimer disease in the 21st century: past and current failures, new perspectives and funding priorities et qui synthétise les échanges d’une table ronde organisée sous l’égide du « Comité des Médecins pour une Médecine Responsable » qui s’est tenue en avril 2015 : « En considérant la nature multidimensionnelle de la pathologie associée à la maladie d’Alzheimer, nous croyons que le temps est venu de réévaluer le vieillissement, la cognition et leurs relations avec les variables biologiques, sociales et environnementales. Au lieu d’examiner une variable unique à la fois, comme cela a souvent fait dans le passé, il serait bon de considérer les implications interconnectées de plusieurs facteurs génétiques, épigénétiques, morphologiques, environnementaux, comportementaux et sociaux dans le développement et la consolidation de la maladie d’Alzheimer ». 

L’article de Pistollato et collaborateurs met aussi en avant l’importance qu’il y a à encourager la mise en place de stratégies préventives (voir aussi nos chroniques « Une modélisation de l’impact de la prévention en lien avec le style de vie sur la prévalence de la démence » et  « Des conclusions par trop négatives concernant la prévention du déclin cognitif  ! »). Parmi ces stratégies de prévention, il en est une qui, de toute évidence, devrait viser les stéréotypes négatifs liés à l’âge, à savoir changer profondément le regard que la société adresse aux personnes âgée et celui que les personnes âgées portent sur elles-mêmes.  

Dans cette perspective, Ng et collaborateurs (2015) ont mis en évidence, via une analyse de linguistique computationnelle réalisée aux Etats-Unis sur une base de données de 400 millions de mots dans des sources imprimées entre 1810 à 2009, que les stéréotypes liés à l’âge sont devenus plus négatifs au fil du temps, et ce, de façon linéaire. Par ailleurs, cet accroissement de la négativité est significativement associé à la médicalisation du vieillissement et au nombre croissant de personnes de plus de 65 ans. Ainsi, les auteurs en appellent clairement à une campagne sociale destinée à combattre l’âgisme exprimé à travers ces stéréotypes.

Cela devrait non seulement passer par une éducation positive sur le vieillissement, mais aussi par des relations intergénérationnelles permettant aux personnes plus jeunes d’avoir des expériences positives et individualisées avec les personnes âgées, dans un contexte de vie sociale réelle, de statut égal, de coopération et de partage d’informations personnelles (voir le modèle PEACE, Positive Education about Aging and Contact Experiences ; Levy, 2016). Cette campagne devrait aussi tenter de contrecarrer la médicalisation du vieillissement (laquelle est associée à la négativité croissante des stéréotypes liés à l’âge) et de modifier les croyances essentialistes (directement impliquées dans les effets néfastes des stéréotypes liés à l’âge) selon lesquelles le vieillissement est déterminé biologiquement et non modifiable. Des interventions psychologiques et une modification dans les pratiques cliniques visant à atténuer/éliminer les stéréotypes, ou encore à mieux y faire face, devraient également être envisagées.

 

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Mazerolle, M., Régner, I., Barber, S. J., Paccalin, M., Miazola, A.Ch., Huguet, P., & Rigalleau, F. (2016). Negative aging stereotypes impair performance on brief cognitive tests used to screen for predementia. Journal of Gerontology Series B : Psychological Sciences & Social Sciences, à paraître.  

Ng, R., Allore, H. G., Trentalange, M., Monin, J. K., & Levy, B. R. (2015). Increasing negativity of age stereotypes across 200 years: Evidence from a database of 400 million words. PLoS ONE 10(2): e0117086.

Pietrzack, R. H., Zhu, Y., Slade, M. D., Qiaochu, Q., Krystal.J., H., & Levy, B. R. (2016). Association between negative age stereotypes and accelerated cellular aging: Evidence from two cohorts of older adults. Journal of the American Geriatrics Society, à paraître.

Pistollato, F., Ohayon, E. L., Lam, A., Langley, G. R., Novak, Th. J., Pamies, D., …Chandrasekera, P. Ch. (2016). Alzheimer disease research on the 21st century: past and current failures, new perspectives and funding priorities. Oncotarget, 7, à paraître.

Régner, I., Mazerolle, M., Alescio-Lautier, B., Clarys, D., Michel, B., Paccalin, M., …Huguet, P. (2016). Aging stereotypes must be taken into account for the diagnosis of prodromal and early Alzheimer disease. Alzheimer Disease & Associated Disorders, 30, 77-79.

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Stephan, Y., Sutin, A. R., Luchetti, M., & Terraciano, A. (2016b). Feeling older and the development of cognitive impairment and dementia. Journals of Gerontology: Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, à paraître.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2016). A life course and multifactorial approach to Alzheimer’s disease: Implications for research, clinical assessment and intervention practices. Dementia, à paraître.

Weiss, D. (2016). On the inevitability of aging: Essentialist beliefs moderate the impact of negative age stereotypes on older adults’ memory performance and physiological reactivity. Journals of Gerontology: Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, à paraître.

 

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6 avril 2014 7 06 /04 /avril /2014 15:13

 

Résumé

Un accroissement considérable de l’espérance de vie a été observé chez les personnes handicapées mentales et ce phénomène devrait se poursuivre dans les années futures. Toutefois, à mesure qu’elles vieillissent, les personnes handicapées mentales paraissent avoir un risque accru de « démence », avec une apparition plus précoce que ce qui est observé dans la population générale. L’approche biomédicale dominante, qui considère la « maladie d’Alzheimer » (et les autres « maladies neurodégénératives ») comme des entités homogènes (des « maladies » essentielles) causées par des facteurs pathogènes spécifiques (des protéines anormales) a commencé à envahir le champ de la « démence » dans le handicap mental. Corollairement, on y a également  vu apparaître des objectifs de diagnostic précoce, via l’entité diagnostique « trouble cognitif léger » et l’utilisation de biomarqueurs.

Nous montrerons en quoi les arguments sont nombreux pour défendre aussi une autre approche de la « démence » chez les personnes présentant un handicap mental (y compris celles présentant un syndrome de Down) : une approche qui considère également les aspects problématiques du vieillissement cérébral/cognitif comme étant associés à des réseaux complexes de mécanismes causaux (certains directement liés à l’âge), qui interagissent les uns avec les autres et qui sont influencés par de multiples facteurs de risque intervenant tout au long de la vie.

Un accroissement considérable de l’espérance de vie a été observé chez les personnes handicapées mentales et ce phénomène devrait se poursuivre dans les années futures. Ainsi, par exemple, les personnes présentant un syndrome de Down avaient, en 1949, une espérance de vie de 12 ans, alors qu’elles atteignent maintenant l’âge de 60 ans, voire plus. 

Toutefois, à mesure qu’elles vieillissent, les personnes handicapées mentales paraissent avoir un risque accru de « démence », avec une apparition plus précoce que ce qui est observé dans la population générale. Une étude de Coppus et collaborateurs (2006) montrent ainsi que la prévalence de la « démence » (le nombre de cas de « démence » à un moment donné) est, chez les personnes avec un syndrome de Down, de 8.9% jusqu’à 49 ans, de 17.7% entre 50 et 54 ans, de 32.1% entre 55 et 59 ans, et qu’elle baisse légèrement pour atteindre 25.6% après 60 ans. Cependant, l’incidence de de la « démence » (le risque de contracter une démence pendant une période donnée) continue de s’accroître au-delà de 60 ans. Par ailleurs, la mortalité est significativement associée au statut de « démence » jusqu’à 60 ans, mais pas au-delà, ce qui suggère que les patterns différents de prévalence et d’incidence sont en partie reliés à un taux plus élevé de mortalité chez les personnes dont la « démence » a démarré avant 60 ans. Chez les personnes âgées ayant un autre type de handicap mental que le syndrome de Down, les estimations de prévalence sont plus conflictuelles, mais, elles semblent néanmoins également indiquer un risque plus élevé de « démence » que ce qui est observé dans la population générale (Strydom et al., 2013).

Syndrome de Down et « maladie d’Alzheimer »

Le syndrome de Down est une anomalie congénitale qui est due à la présence d’un chromosome supplémentaire dans la 21e paire de chromosome, laquelle inclut le gène du précurseur de la protéine béta-amyloïde (APP). La présence d’un chromosome 21 supplémentaire, conduisant à une surexpression d’APP, contribuerait à la formation excessive de plaques amyloïdes (de plaques séniles), lesquelles sont généralement considérées comme une caractéristique pathologique centrale et initiale de la « maladie d’Alzheimer ». En fait, il apparaît que des plaques séniles et des dégénérescences neurofibrillaires peuvent être observées dans le cerveau des personnes avec un syndrome de Down dès l’âge de 30 ans et que pratiquement toutes les personnes présentant ce syndrome montrent ces caractéristiques à l’âge de 40 ans (Whalley, 1982). Or, comme, on l’a vu précédemment, même chez les personnes avec un syndrome de Down âgées de plus de 60 ans, les trois quarts d’entre elles ne présentent pas de « démence » ! Il apparaît donc que d’autres facteurs sont impliqués dans la survenue d’une « démence » chez ces personnes.

 

Et pourtant, l’approche biomédicale dominante qui considère la « maladie d’Alzheimer » (et les autres « maladies neurodégénératives ») comme des entités homogènes (des « maladies essentielles ») causées par des facteurs pathogènes spécifiques (des protéines anormales) a commencé à envahir le champ de la « démence » dans le handicap mental. Ainsi, des essais pharmacologiques ont été menés, et sont actuellement en cours, afin de tester l’efficacité de certains médicaments « anti-Alzheimer » (donézépil, mémantine, rivastigmine) chez des personnes avec syndrome de Down présentant une « démence » (et d’ailleurs aussi chez des enfants ! Voir Goodman & Brixner, 2013). Ces essais, qui ont conduit à des résultats peu probants, ont été menés alors que l’on sait actuellement que ces médicaments, administrés à des personnes âgées issues de la population générale et présentant une « maladie d’Alzheimer », ont une efficacité minime et transitoire, ne ralentissent pas l’évolution des troubles et exposent à des effets indésirables graves (voir, p.ex., notre chronique « Les médicaments anti-Alzheimer et les emboles cérébraux spontanés sont associés à un déclin plus rapide chez les personnes avec une maladie d’Alzheimer »). Cela a d’ailleurs amené la revue Prescrire à considérer que ces médicaments devaient être retirés du marché, « pour mieux soigner » (lien). Il faut ajouter que les effets secondaires de ces médicaments pourraient même être amplifiés chez les personnes avec syndrome de Down, du fait de leur interaction possible avec les multiples problèmes de santé que ces personnes présentent (voir infra).

De même, on a vu récemment apparaître un soutien au diagnostic précoce de la « démence » chez les personnes handicapées mentales avec, en particulier, un appel à élaborer des méthodes d’évaluation et des critères d’identification du « Mild Cognitive Impairment (MCI) » ou « Trouble Cognitif Léger » (Krinsky-McHale & Silverman, 2013). On peut aisément comprendre que les multiples problèmes (d’ordre méthodologique, conceptuel et éthique) que nous avons identifiés concernant cette entité diagnostique utilisée dans la population générale se verront multipliés si elle est appliquée aux personnes avec un handicap mental préalable (voir, en particulier, notre chronique « Le Trouble Cogntif Léger ou Mild Cogntive Impairment, MCI : une flagrante myopie intellectuelle »).

Enfin, un appel à un partenariat public-privé a été lancé afin d’établir les biomarqueurs de la « démence » dans le syndrome de Down, en considérant « l’apparent rôle pathogène commun de l’APP » dans le syndrome de Down et la « maladie d’Alzheimer » (Ness et al., 2012 ; voir également l’éditorial de la revue The Lancet Neurology, d’octobre 2013 : « Strengthening connections between Down syndrome and AD »). A nouveau, les critiques que nous avons adressées à l’utilisation des biomarqueurs à des fins de diagnostic précoce dans la population générale s’appliquent avec autant de force à leur utilisation chez les personnes présentant un handicap mental (voir, notamment, notre chronique « La détection précoce de la démence : Halte à la médicalisation du vieillissement »).

Handicap mental et démence : assumer la complexité des facteurs et des mécanismes en jeu

Les arguments sont nombreux pour défendre une autre approche de la « démence » chez les personnes présentant un handicap mental (y compris celles présentent un syndrome de Down) : une approche qui considère les aspects problématiques du vieillissement cérébral/cognitif comme étant associés à des réseaux complexes de mécanismes causaux (certains directement liés à l’âge), qui interagissent les uns avec les autres et qui sont influencés par de multiples facteurs de risque intervenant tout au long de la vie.

Dans une revue de question récente, Evans et al. (2013) montrent en quoi de multiples facteurs de risque (biologiques, médicaux, en lien avec l’éducation et le style de vie, psychologiques) pourraient effectivement être impliqués dans la survenue d’une « démence » et sa prévalence plus importante chez les personnes avec un handicap mental. Les auteurs mentionnent ainsi, outre les facteurs de risque génétiques, la réduction de l’efficience intellectuelle, les opportunités moindres de formation et d’engagement dans des activités stimulantes (à tous les âges de la vie), un réseau social plus restreint, la présence de traumatismes crâniens (plus fréquents chez les personnes avec un handicap mental), la présence de traumatismes émotionnels (les personnes avec un handicap mental étant plus souvent victimes de maltraitance, sous forme d’abus physiques, sexuels, verbaux et psychologiques, ainsi que d’exploitation financière), un régime alimentaire déséquilibré, le manque d’exercice physique et l’obésité (des facteurs fréquents chez les personnes avec un handicap mental).

Les auteurs indiquent également la présence de facteurs de risque médicaux, avec la présence plus fréquente de troubles sensoriels (vision, audition), d’épilepsie, de problèmes gastro-intestinaux, de maladies infectieuses, de problèmes cardiaques, de problèmes respiratoires, de troubles musculo-squelettiques, de diabète ou de troubles psychologiques (p. ex., dépression, anxiété). Hermans et Evenhuis (2014) identifient encore bien d’autres problèmes de santé dans leur étude ayant exploré la « multimorbidité » chez les personnes âgées présentant un handicap mental.

La grande majorité de ces facteurs ont été identifiés comme des facteurs de risque de « démence » chez les personnes âgées de la population générale (de nombreuses chroniques de notre blog ont décrit les études ayant confirmé la contribution de ces facteurs). Parmi les facteurs de risque en lien avec la santé qui semblent jouer un rôle particulièrement important dans la survenue d’une « démence » au sein de la population générale, il y a les problèmes vasculaires. Dans ce contexte, de Winter et collaborateurs (2012) ont montré, sur une population néerlandaise de 900 personnes âgées présentant un handicap mental (âge moyen : 61.5 ans), que 53 % d’entre elles avaient une hypertension, 23% une hypercholestérolémie, 13.7% un diabète et 44.7% un syndrome métabolique (réunissant obésité abdominale, hypertriglycéridémie, taux HDL/cholestérol bas, élévation de la glycémie et hypertension). Il est par ailleurs important de noter que 50% des personnes souffrant d’hypertension n’avaient pas été diagnostiquées pour ce problème avant la réalisation de l’étude, et que c’est aussi le cas pour 45% des personnes avec un diabète, 46% des personnes avec une hypercholestérolémie et 94% des personnes avec un syndrome métabolique !

De façon intéressante, Fernandez et Edgin (2013) ont émis l’hypothèse selon laquelle des problèmes de sommeil (sommeil fragmenté et syndrome d’apnées obstructives du sommeil), fréquents chez les personnes avec syndrome de Down, pourraient jouer un rôle dans le déclin cognitif lié à l’âge observé chez elles. Il faut encore relever qu’une relation entre apnées du sommeil et fonctionnement cognitif a été mise en évidence chez des enfants présentant un syndrome de Down (Breslin et al., 2014).

Se pose aussi la question de l’expression de la « démence » chez les personnes présentant un handicap mental. Ainsi, il a été montré que les manifestations premières du déclin cognitif chez les personnes âgées présentant un syndrome de Down concernaient spécifiquement le domaine des fonctions exécutives et du comportement/de la personnalité (impliquant notamment les lobes frontaux), et ce avant l’apparition de troubles mnésiques (Ball et al., 2008). Dans ce contexte, il se pourrait qu’une fragilité développementale affectant prioritairement les structures frontales contribue, en interaction avec d’autres facteurs (biologiques, psychologiques, sociaux et environnementaux), à la présence de déficits exécutifs et comportementaux précoces et disproportionnés chez ces personnes (voir Geschwind et al., 2001 ; Rogalski, Johnson, Weintraub, & Mesulam, 2008, pour une interprétation similaire chez des personnes âgées présentant une « démence » et issues de la population générale).

Il faut souligner que peu d’études épidémiologiques ont été menées afin d’identifier la contribution de facteurs de risque au développement d’une « démence » chez les personnes présentant un handicap mental. Cela est vraisemblablement la conséquence des nombreux problèmes méthodologiques que soulèvent ce type d’étude et que décrivent bien Evans et al. (2013) : difficulté de définir la « démence » chez des personnes avec un handicap mental, difficulté d’évaluer le déclin cognitif et fonctionnel (notamment, au vu de l’importante hétérogénéité des profils), difficulté d’obtenir un échantillon représentatif, etc.

Néanmoins, une étude intéressante a récemment été menée par Esbensen et collaborateurs (2013). Ces auteurs ont suivi, aux plans du fonctionnement dans la vie quotidienne, du comportement et de leur santé, 75 personnes avec un syndrome de Down pendant une période de 22 ans (de 1989 à 2011 ; ces personnes avaient un âge moyen de 51 ans en 2011). Par ailleurs, ils ont évalué, entre 1989 et 2000, différentes caractéristiques des parents de ces personnes : symptômes dépressifs, bien-être psychologique et qualité de leur relation avec leur fille/fils, ainsi que le changement dans ces caractéristiques entre 1989 et 2000. Ensuite, ils ont examiné l’influence des caractéristiques parentales sur l’évolution des personnes avec syndrome de Down. Après avoir pris en compte les niveaux initiaux de problèmes, les résultats montrent que des niveaux moindres de problèmes comportementaux chez les personnes avec un syndrome de Down sont prédits par une amélioration des symptômes dépressifs maternels. Similairement, des niveaux plus élevés de capacités fonctionnelles sont prédits par les mesures initiales et les améliorations des symptômes dépressifs maternels. Une meilleure santé est prédite par les mesures initiales des symptômes dépressifs maternels, du bien-être positif paternel, de la qualité des relations entre les pères et leurs enfants adultes, ainsi que par l’amélioration du bien-être maternel. Enfin, la survenue d’une « démence » est aussi prédite par les caractéristiques parentales.

Cette étude est importante car elle montre en quoi la survenue d’une « démence » et, plus largement, de problèmes fonctionnels et comportementaux, dépend aussi du contexte socio-familial dans lequel évolue la personne présentant un handicap mental (un syndrome de Down). Des travaux ultérieurs devraient confirmer ces données, idéalement sur un échantillon plus important, et aussi explorer les mécanismes responsables de ces diverses associations. Il s’agirait également de se pencher sur les moyens les plus efficaces d’informer et soutenir les familles afin d’optimiser le vieillissement des personnes avec un syndrome de Down.

En conclusion

Il apparaît nécessaire, tout comme pour la « démence » des personnes âgées issues de la population générale, de s’affranchir de l’approche biomédicale réductrice et stigmatisante de la « démence » survenant chez des personnes présentant un handicap mental, pour adopter une approche qui assume réellement la complexité et le caractère multifactoriel du vieillissement dans le contexte d’un handicap mental. Il importerait aussi de consacrer une part plus importante des ressources disponibles pour, d’une part, mettre en place des interventions de prévention (focalisées sur la formation scolaire et professionnelle, les activités physiques, l’alimentation, les activités cognitives stimulantes, les facteurs vasculaires, le sommeil, les relations sociales et familiales [y compris le soutien et l’information aux proches], etc.) dans le but de différer ou de réduire les expressions problématiques du vieillissement chez ces personnes et, d’autre part, de favoriser leur bien-être, leur qualité de vie, le sens qu’elles donnent à leur vie et à leurs activités, leur pouvoir d’agir et leur sentiment de contrôle de leur existence, leur sentiment d’identité et leur place dans la société. 


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Teresa Tidswell, première Australienne avec syndrome de Down

à obtenir une ceinture noire de karaté. Source: News Limited

 

Ball., S. L., Holland, A. J., Treppner, P., Watson, P. C., & Huppert, F. A. (2008). Executive dysfunction and its association with personality and behaviour changes in the development of Alzheimer’s disease in adults with Down syndrome and mild to moderate learning abilities. British Journal of Clinical Psychology, 47, 1-29. 

Breslin, J., Spanò, G., Bootzin, R., Anand, P., Nadel, L., & Edgin, J. (2014). Obstructive sleep apnea syndrome and cognition in Down syndrome. Developmental Medicine & Child Neurology, à paraître.

de Winter, C. F., Bastaanse, L. P., Hilgenkamp, T. I. M., Evenhuis, H. M., & Echteld, M. A. (2012). Cardiovascular factors (diabetes, hypertension, hypercholesterolemia and metabolic syndrome) in older people with intellectual disability: Results of the HA-ID study. Research in Developmental Disabilities, 33, 1722-1731.

Esbensen, A.J., Mailick, M. R., & Silverman, W. (2013). Long-term impact of parental well-being on adult outcomes and dementia status in individuals with Down syndrome. American Journal on Intellectual and Developmental Disabilities, 118, 294-309.

Evans, E., Bhardwaj, A., Brodaty, H., Sachdev, P., Draper, B. & Trollor, J. M. (2013). Dementia in people with intellectual disability : Insights and challenges in epidemiological research with an at-risk population. International Review of Psychiatry, 25, 755-763.

Fernandez, F., & Edgin, J. O. (2013). Poor sleep as a precursor to cognitive decline in Down syndrome : A hypothesis. Journal of Alzheimer’s Disease & Parkinsonism, 26 ; 3(2) :124.

Geschwind, D. H., Robidoux, J., Alarcon, M., Miller, B. L., Wilhelmsen, K. C., Cummings, J. L., & Nasreddine, Z. S. (2001). Dementia and neurodevelopmental predisposition: Cognitive dysfunction in presymptomatic subjects precedes dementia by decades in frontotemporal dementia. Annals of Neurology, 50, 741-746.

Goodman, M. J., & Brixner, D. I. (2013). New therapie for treating Down syndrome require quality of life measurement. American Journal of Medical Genetics, 161A, 639-641.

Hermans, H., & Evenhuis, H. M. (2014). Multimorbidity in older adults with intellectual disabilities. Research in Developmental Disabilities, 35, 776-783.

Krinsky-McHale, S. J., & Silverman, W. (2013). Dementia and mild cognitive impairment in adults with intellectual disability: Issues of diagnosis. Developmental Disabilities Research Reviews, 18, 31-42.

Ness, S., Rafii, M., Aisen, P., Krams, M., Silverman, W., & Manji, H. (2012). Down’s syndrome and Alzheimer’s disease: towards secondary prevention. Nature Reviews/Drug Discovery, 11, 655-656.

Rogalski, E., Johnson, N., Weintraub, S., & Mesulam, M. (2008). Increased frequency of learning disability in patients with primary progressive aphasia and their first-degree relatives. Archives of Neurology, 65, 644-648.

Strydon, A., Chan, T., King, M. & Hassiotis, A. (2013). Incidence of dementia in older adults with intellectual disabilities. Research in Developmental Disabilities, 34, 1881-1885.

 

 

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19 mai 2013 7 19 /05 /mai /2013 19:39

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Résumé

Les prédictions concernant le nombre de personnes vivant avec une « démence » à l’horizon 2050 suscitent de fréquentes annonces alarmistes prévoyant un « tsunami » de cas de « démences », qui submergerait les familles et les systèmes de soins de santé et qui imposerait un fardeau économique insupportable à la société. Afin de prévenir cette « crise de la démence », la position biomédicale dominante considère qu’il faut placer tous ses efforts sur le diagnostic et le traitement précoces, ainsi que sur l’application des outils de la neuroscience clinique, afin d’identifier les moyens de différer et, finalement, de guérir la « démence ».

Cet espoir mis dans l’approche neuroscientifique s’inscrit parfaitement dans le contexte de la « neuro-culture » qui gouverne ce début de 21e siècle. Cette neuro-culture conduit à une réduction des comportements, des croyances, des compétences à leurs seuls déterminants biologiques. En outre, elle amène à penser qu’il faut traiter, gérer, protéger, stimuler ou accroître les capacités (cognitives) du cerveau, afin d’améliorer ou d’optimiser la condition humaine et ce, dans une sorte de « fétichisation » du cerveau. Cela correspond bien aux principes du néo-libéralisme, qui attribuent une valeur primordiale au rendement, à l’efficacité, à la compétition et à l’individu. Par ailleurs, dans cette neuro-culture, l’efficacité de la mémoire est considérée comme un facteur social indispensable (pour vivre dans une société « hyper-cognitive ») et les difficultés de mémoire sont donc logiquement perçues comme un indicateur du passage vers un « quatrième âge » fait de déclin et de dépendance, un état qui est l’antithèse de l’individu compétent et efficace que promeut cette culture.

Néanmoins, diverses voix se font entendre, indiquant en quoi il importe de s’affranchir de cette neuro-culture et de la médicalisation / neurobiologisation du vieillissement qu’elle a induit. Il s’agit de prendre réellement en compte les facteurs sociaux, environnementaux et culturels impliqués dans la survenue des manifestations problématiques du vieillissement cérébral et cognitif, en considérant que ces manifestations sont aussi le signe des dysfonctionnements de notre société et de notre manière de vivre. De façon plus spécifique, des changements sont également observés dans la conceptualisation de la mémoire des événements personnels, qui permettent d’aborder les difficultés de mémoire associées au vieillissement cérébral/cognitif problématique dans une perspective moins réductrice et de ne pas restreindre l’oubli à sa dimension pathologique. 

 

Les prédictions concernant le nombre de personnes vivant avec une démence à l’horizon 2050 (voir, p. ex., Hebert et al., 2013) suscitent de fréquentes annonces alarmistes prévoyant un « tsunami » de cas de « démences », qui submergerait les familles et les systèmes de soins de santé et qui imposerait un fardeau économique insupportable.

Afin de prévenir cette « crise de la démence », la position biomédicale dominante considère qu’il faut placer tous ses efforts sur le diagnostic et le traitement précoces, ainsi que sur l’application des outils de la neuroscience clinique afin d’identifier les moyens de différer et finalement de guérir la « démence ».

L’influence de la neuro-culture

Cet espoir mis dans l’approche neuroscientifique s’inscrit parfaitement dans le contexte de la « neuro-culture » qui gouverne ce début de 21e siècle et que divers sociologues ont bien analysée (voir Williams, Higgs, & Katz, 2012). L’influence de cette neuro-culture ne se mesure pas seulement au pouvoir qu’ont pris les neurosciences dans la recherche et la pratique clinique (avec, notamment, une mise en question croissante de la légitimité des niveaux d’analyse psychologique et sociologique, ainsi qu’une focalisation grandissante sur les traitements psychopharmacologiques), mais aussi au développement de multiples « neuro-disciplines » hybrides (neuro-économie, neuro-marketing, neuro-éducation, neuro-didactique, neuro-esthétique, neuro-politique, neuro-droit, neuro-théologie, neuro-éthique, etc.), de produits visant à améliorer le fonctionnement cérébral (stimulants cérébraux ou « neuroceuticals »), de technologies d’optimisation ou de compensation cérébrale (« brain fitness technology industry », « neuro-prothèses ») ou d’objectifs sociaux (« neuro-diversité »).

Ainsi, le réductionnisme cérébral et plus largement neurobiologique est devenu une pensée dominante. Comme l’indiquent Guillaume, Tiberghien et Baudouin (2013), ces neuro-disciplines, neuro-produits et neuro-objectifs conduisent à réduire les comportements, les croyances, les compétences à leurs seuls déterminants biologiques. Ils font oublier que « […] notre vie psychique est aussi le produit de nos apprentissages, de notre trajectoire biographique, des caractéristiques socioculturelles et du milieu dans lequel on évolue ».

La neuro-culture fait aussi espérer en la possibilité de traiter, gérer, protéger, stimuler ou accroître les capacités (cognitives) du cerveau et, dès lors, d’améliorer ou d’optimiser la condition humaine. Il s’agit d’accroître la santé cérébrale (« neurobics »), tout comme l’activité physique (« aerobics ») peut améliorer la santé pulmonaire et cardiovasculaire. On assiste en fait à une sorte de « fétichisation » du cerveau, lequel est perçu comme une entité privilégiée, distincte, que les individus sains doivent constamment stimuler, recâbler, reconstruire, nourrir et dont ils doivent s’occuper s’ils veulent se maintenir mentalement en bonne santé et conserver leur identité (George & Whitehouse, 2011). Cela correspond bien aux principes du néo-libéralisme, qui attribuent une valeur primordiale au rendement, à l’efficacité, à la compétition et à l'individu, lequel est considéré comme ayant une propension intrinsèque à l’autosuffisance et à la protection de son individualité (sa vérité fondamentale), plutôt que des besoins plus vastes de la communauté (voir notre chronique « La stimulation cognitive ou l’engagement social ? »).

De façon plus spécifique, la neuro-culture a conduit à considérer l’efficacité de la mémoire comme un facteur social essentiel (voir Katz & Peters, 2008) : en effet, de bonnes capacités mnésiques sont vues comme indispensables pour vivre dans une société « hyper-cognitive » ou une « société de l’information » (les technologies pouvant en outre offrir des possibilités nouvelles de « stockage mnésique »).  Par ailleurs, les difficultés de mémoire sont perçues comme un indicateur du passage vers un « quatrième âge » fait de déclin et de dépendance, un état qui est l’antithèse de l’individu compétent et efficace que promeut la « neuro-culture » (le vieillissement cérébral/ cognitif problématique ou la « démence » faisant ainsi l’objet de visions apocalyptiques). L’émergence du concept de « Mild Cognitive Impairment » (MCI ; trouble cognitif léger, voir notre chronique  « Le "trouble cognitif léger" ou "mild cognitive impairment" : une flagrante myopie intellectuelle ») s’inscrit bien dans une telle conception : il s’agit en effet  d’identifier le plus précocement possible les signes avant-coureurs du déclin cognitif et les moyens (pharmacologiques ou autres) de l’enrayer. Cela s’inscrit dans le cadre plus général d’une médicalisation croissante du vieillissement, ayant conduit au développement de la médecine « anti-aging » (anti-vieillissement).

S’affranchir de la neuro-culture !

Dans un article récemment paru dans la revue « Neurology » et intitulé « La culture humaine et le futur de l’épidémie de démence : Crise ou croisée des chemins ? », Whalley et Smyth (2013) indiquent en quoi les facteurs culturels et sociaux (facteurs autres que ceux en lien avec les apports de la recherche biomédicale de laboratoire) ont, historiquement, contribué à la diminution de l’incidence des maladies graves. Ces facteurs incluent, entre autres, l’amélioration des conditions sociales et de l’alimentation ainsi que les changements dans le style de vie.

En exergue de leur article, Whalley et Smyth ont placé une citation de Rudolph Virchow, célèbre médecin allemand et l'un des pères de la médecine sociale : « Les épidémies apparaissent et souvent disparaissent sans laisser de trace, à la suite d’une évolution culturelle… L’histoire des épidémies est dès lors l’histoire des perturbations de la culture humaine. ». Dans cette perspective, Whalley et Smith considèrent que nous sommes à la croisée des chemins dans la compréhension de la prévalence et de l’incidence de la « démence » et des moyens d’y faire face.

Dans la ligne de Virchow, il s’agirait de prendre réellement en compte les facteurs sociaux, environnementaux et culturels impliqués dans la survenue des manifestations problématiques du vieillissement cérébral et cognitif, en considérant que ces manifestations sont aussi le signe des dysfonctionnements de notre société et de notre manière de vivre.

Comme le relève Zelig (2013), la « démence » peut être considérée comme une image de notre société (une métaphore culturelle), « révélant ce que nous sommes réellement ». Elle nous conduit à considérer les similitudes entre la manière dont nous vivons (dans une société extrême, « démente ») et la façon qu’a la personne ayant reçu un diagnostic de « démence » d’aborder le monde : un monde qui valorise l’efficacité, l’individualisme et l’acquisition incessante d’habiletés cognitives au détriment de la compassion, de la solidarité et de la «mémoire de notre humanité partagée ». Elle constitue ainsi un prisme au travers duquel nous pouvons voir plus clairement l’état de notre société et la nécessité de la faire évoluer (voir également notre chronique « Déclin cognitif chez les personnes âgées, style de vie contemporain et accumulation de  médicaments »).

Dans un article à paraître en parallèle dans le « Journal of Alzheimer’s Disease » et le « Journal of Intergenerational Relationships » (une publication ayant pour but d’établir un pont entre les deux lectorats, qui a été approuvée par les éditeurs et a fait l’objet d’une expertise par les pairs), Whitehouse (2013) revient sur les limites de l’approche biomédicale dominante de la « maladie d’Alzheimer » et en appelle lui-aussi à une autre approche de ce qu’il intitule les « défis cognitifs associés à l’âge ». Cette approche, intégrative, viserait à rétablir l’équilibre entre un point de vue biomédical (assumant réellement la complexité du vieillissement cérébral et cognitif) et les perspectives sociale, environnementale et culturelle.

Une telle approche mettrait notamment l’accent sur les relations intergénérationnelles et le développement de structures nouvelles d’enseignement (favorisant l’apprentissage tout au long de la vie, l’apprentissage par le service à la communauté, l’esprit civique, l’implication des personnes âgées ; voir pour exemple l’école intergénérationnelle que Peter Whitehouse a mise en place à Cleveland [lien]), mais aussi sur les actions sociales, environnementales et de santé publique permettant de réduire les facteurs de risque modifiables de vieillissement cérébral/cognitif au niveau psychologique, social, environnemental et en lien avec le style de vie. Il s’agirait de concevoir une société « personnes âgées admises », y compris quand elles ont des troubles cognitifs importants, et d’amener les membres de cette société à considérer que, même en présence de difficultés cognitives, la personne âgée conserve son potentiel de vitalité, son identité et sa place dans la communauté : une société qui serait d’ailleurs bénéfique à chacun d’entre nous quel que soit notre âge ! Whitehouse insiste sur le fait qu’une telle approche intégrative, s’affranchissant d’une conception neurobiologisante réductrice, est tout aussi essentielle pour les difficultés cognitives rencontrées par des personnes plus jeunes, comme, par exemple, les difficultés attentionnelles et d’apprentissage pouvant être observées chez certains enfants (voir aussi Timimi & Leo, 2009, nous incitant à penser autrement le THADA ou Troubles Hyperactifs avec Déficit d’Attention ; voir également notre chronique « L’efficacité des antidépresseurs : un autre mythe à démonter ! »). 

La mémoire des événements personnels : un processus constructif et incarné 

La neuro-culture (en lien avec la société « hypercognitive ») a contribué à renforcer la neurobiologisation (la « chosification ») de la mémoire, mais aussi à appuyer l’idée selon laquelle l’efficacité continue de la mémoire est la garantie du maintien de l’identité personnelle rationnelle. L’oubli est dès lors envisagé comme une manifestation essentiellement pathologique, consécutive à un dysfonctionnement cérébral contre lequel il faut agir (voir Katz, 2012 ; Katz & Peters, 2008).  

Or, ces dernières années, des changements importants ont été observés dans la conceptualisation de la mémoire des événements personnels (voir le modèle « Self-memory system » de Conway, 2005 ; voir également Lardi & Van der Linden, 2012, et notre chronique « Une approche moins réductionniste des difficultés de mémoire épisodique et autobiographique »). Ces changements nous paraissent à même de conduire à une approche moins réductionniste (moins focalisée sur l’impact de dysfonctionnements cérébraux) des difficultés de mémoire associées au vieillissement cérébral/cognitif problématique.  Ils ont notamment été suscités par la nécessité de rendre compte des liens étroits que la mémoire des événements personnels entretient avec l’identité. En effet, la mémoire autobiographique joue un rôle fondamental dans la construction d’un sentiment d’identité et de continuité de l’existence.

Par ailleurs, la mémoire autobiographique n’est pas un enregistreur passif qui conserve chaque événement de notre vie quotidienne. En effet, seuls sont maintenus aisément accessibles les événements spécifiques qui sont en lien avec nos buts et nos valeurs. En outre, les souvenirs d’événements personnels ne constituent pas une représentation parfaitement exacte de la réalité. Nous mettons en mémoire et nous récupérons les composantes d’un événement qui correspondent au mieux à la conception que nous avons de nous-mêmes ou du monde. Dans certains cas, les souvenirs peuvent même être déformés, afin d’être plus en phase avec nos buts et nos valeurs. En d’autres termes, nos souvenirs sont façonnés par ce que nous sommes et par ce que nous avons été amenés à penser, imaginer et croire.

Il est de plus nécessaire de prendre en compte les deux exigences complémentaires auxquelles doit pouvoir répondre la mémoire des événements personnels. D’une part, il s’agit de mettre en mémoire et d’avoir accès à un enregistrement (proche de l’expérience vécue) de l’action en cours et ce, notamment, afin de ne pas répéter cette action et de pouvoir réaliser les suivantes (nos buts à court terme) : c’est la fonction de correspondance de la mémoire des événements personnels. D’autre part, nous devons pouvoir disposer aisément de connaissances et de souvenirs personnels qui nous informent sur nos buts et valeurs actuels et qui guident notre action sur le long terme : c’est la fonction de cohérence de la mémoire des événements personnels.

Dans cette perspective, il apparaît qu’un bon fonctionnement psychologique dépend d’un équilibre optimal entre la fonction de correspondance de la mémoire (pouvoir garder des souvenirs proches du réel sans être submergé par eux, ce qui perturberait le travail de construction et de sélection des souvenirs et donc la construction de l’identité) et la fonction de cohérence de la mémoire (avoir accès aux souvenirs qui correspondent à nos buts, valeurs et croyances, en évitant que notre vision du passé ne soit asservie par des croyances dysfonctionnelles). La nécessité d’un tel équilibre a particulièrement bien été mise avant par Hans Loewald, psychanalyste allemand (émigré aux Etats-Unis), qui a élaboré, en 1976, une conception de la mémoire très similaire au modèle cognitif élaboré par Conway (2005 ;  pour une présentation de la conception de Loewald, voir Singer & Conway, 2011).

Une telle approche donne à l'oubli un rôle dans la construction et la mise à jour de l'identité et ne le limite donc pas à sa dimension pathologique. Cette approche s'éloigne également d'une conception de la mémoire en termes de rendement et d'efficacité. Par ailleurs, elle suggère que les difficultés de mémoire des événements personnels liées à l'âge ne peuvent être réduites à une atteinte cérébrale prétendue ou objectivée. Le fonctionnement de la mémoire des événements personnels d’une personne âgée peut, en effet, être modulé par divers facteurs en lien avec son identité et le contexte social dans lequel elle vit, tels qu’une conception négative de soi (des stéréotypes négatifs ou un faible sentiments d'auto-efficacité), des stratégies de coping visant à éviter les informations menaçant l’image de soi ou qui contredisent les buts et les valeurs, des changements dans les valeurs et buts, des changements dans le contexte de vie, l’absence de buts et de contrôle sur sa vie, un environnement routinier (sans événements qui ont un sens), etc.

Il est un autre aspect de la mémoire qui mérite d’être mis en avant, car il permet d’élargir le regard que l’on porte sur les personnes présentant une « démence » et de réfuter l’idée selon laquelle ces personnes se caractériseraient par une perte d’identité. Plusieurs auteurs (voir Wilson, 2002) suggèrent que la mémoire et, plus largement, les activités cognitives, sont profondément enracinées dans les interactions du corps avec le monde. Autrement dit, la cognition s'incarne dans le corps et est située dans un environnement : on parle ainsi de « cognition incarnée » et « située ». Plus spécifiquement, nos  représentations les plus abstraites (y compris la représentation que l’on a de soi ou notre identité) seraient largement déterminées par la réactivation de nos expériences perceptives, émotionnelles ou motrices.

Dans ce contexte, il a été suggéré que l’identité des personnes présentant une « démence » (et d’importants problèmes cognitifs) pourrait se manifester par le corps (à un niveau pré-réflexif), dans les relations qu’il entretient avec le monde, relations installées sous l’influence de divers facteurs sociaux et culturels (voir Kontos & Martin, 2013). Ainsi, l’identité de ces personnes pourrait s’exprimer via diverses manifestations de la communication non-verbale (expression faciale, gestualité, etc.), les préférences alimentaires et la manière de manger, la façon de s’habiller et le soin accordé à son apparence, etc. En outre, les habits, la nourriture, les habitudes en lien avec la toilette, etc., pourraient contribuer au maintien d’un sentiment de continuité personnelle et susciter l’accès à certains souvenirs personnels. Nous reviendrons sur cette question dans une de nos prochaines chroniques, en examinant notamment les implications d’une telle approche pour les pratiques de soin et l’environnement de vie des personnes présentant une « démence ».

Conclusion   

Whitehouse (2013) a adopté la formulation de « défis cognitifs liés à l’âge » pour dénommer les aspects problématiques du vieillissement cérébral et cognitif, car un défi, cela se relève et cela peut même, dans certains cas, constituer une source de développement. Le défi que nous avons à relever implique de s’affranchir d’une approche biomédicale réductrice, nourrie par la neuro-culture ambiante, et de s’engager plutôt dans une approche qui intègre les dimensions neurobiologiques du vieillissement (dans toute leur complexité), mais aussi ses dimensions psychologiques, sociales, culturelles et environnementales.

La « démence » et la manière dont nous nous comportons avec les personnes qui ont reçu ce diagnostic nous donne une image claire de l’état de notre société et nous indique en quoi il est indispensable de la faire évoluer. Ainsi, défendre une autre manière d’aborder le vieillissement cérébral/cognitif, c’est aussi s’engager pour un autre type de société !

Une étude récente (Qiu et al., 2013) a montré  que la prévalence globale de la « démence », au sein de l’île de Kungsholmen (au centre de Stockholm), était restée constante entre 1987-1994 et 2001-2008 et que la survie (avec et sans démence) était plus longue dans la cohorte évaluée en 2001-2008. Les auteurs ont considéré que la stabilité de la prévalence de la démence, ainsi que l’amélioration de la survie, pouvaient être le reflet d’une diminution de l’incidence de la démence. En étant bien conscients que leurs données ne permettent pas de déterminer un lien de causalité, ils suggèrent néanmoins que l’incidence de la démence pourrait avoir diminué du fait de la réduction de multiples facteurs de risque vasculaire entre 1987 et 2008 ainsi que d’une amélioration du niveau d’éducation, d’un accès plus grand à des emplois et loisirs cognitivement complexes et d’un accroissement de l’activité physique. Les auteurs reconnaissent néanmoins que le statut socio-économique de la population de Kungsholmen est le plus élevé de Suède, ce qui limite la généralisation des données obtenues (voir notre chronique « Des facteurs socio-économiques défavorables, tout au long de la vie, sont associées à un risque accru de démence »).

Cette étude engendre un certain optimisme quant au rôle bénéfique que pourraient jouer des politiques publiques focalisées sur divers facteurs de risque de « démence » (voir également notre chronique « Une diminution de la prévalence de la démence et une compression de la période de morbidité cognitive de 1993/1995 à 2002/2004 aux Etats-Unis »). Il s’agirait cependant de confirmer les résultats de cette recherche sur d’autres cohortes et dans d’autres pays. On peut en outre s’interroger sur l’impact négatif qu’aura la crise économique/financière actuelle (qui laisse un nombre important de personnes dans un état de grande précarité, avec le stress et la dépression qui s’ensuivent) sur le vieillissement cérébral/cognitif. L’augmentation de la prévalence du diabète de type 2 et du syndrome métabolique (obésité abdominale, hypertriglycéridémie, taux HDL/cholestérol bas, élévation de la glycémie et hypertension) dans le monde, y compris dans les pays émergents, constitue également un élément perturbant, mais qui pourrait aussi être la cible de politiques publiques de prévention  (voir notre chronique « Repérer et traiter le diabète de type 2 pour différer la démence: l’importance d’une approche globale »).

 

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Conway, M.A. (2005). Memory and the self. Journal of Memory and Language, 52, 594-628.

George, D.R., & Whitehouse, P.J. (2011). Marketplace of memory: What brain fitness technology says about us and how we can do better. The Gerontologist, 51, 590-596.

Guillaume, F., Tiberghien, G., & Baudouin, J.-Y. (2013). Le cerveau n’est pas ce que vous pensez. Images et mirages du cerveau. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble.

Hebert, L. E., Weuve, J., Scherr, P. A., & Evans, D. A. (2013). Alzheimer Disease in the United States (2010-2050) estimated using the 2010 census. Neurology, 80, 1778-1783.

Katz, S. (2012). “Embodied memory: Ageing, neuroculture, and the genealogy of mind.” Occasion: Interdisciplinary Studies in the Humanities, v. 4 (May 31, 2012), http://occasion.stanford.edu/node/97.

Katz, S., & Peters, K. R. (2008). Enhancing the mind? Memory medicine, dementia, and the aging brain. Journal of Aging Studies, 22, 348-355.

Kontos, P., & Martin, W. (2013). Embodiment and dementia : Exploring critical narratives of selfhood, surveillance, and dementia care. Dementia, 12, 288-302.  

Lardi, C., & Van der Linden, M. (2012). Les souvenirs définissant le soi: Les liens entre la mémoire des événements personnels et l’identité. In S. Brédart & M. Van der Linden (Eds.), Identité et cognition: Apports de la psychologie et de la neuroscience cognitives. Bruxelles: De Boeck (pp. 107-125).

Qiu, Ch., von Strauss, E., Bäckman, L., Winblad, B., & Fratiglioni, L. (2013). Twenty-year changes in dementia occurrence suggest decreasing incidence in central Stockholm, Sweden. Neurology, 80, 1888-1894.

Singer, J.A., & Conway, M.A. (2011). Reconsidering therapeutic action: Loewald, cognitive neuroscience and the integration of memory’s duality. The International Journal of Psychoanalysis, 92, 1183-1207.

Timimi, S. & Leo, J., Eds. (2009). Rethinking ADD, from brain to culture. New-York : Palgrave Macmillan.

Whalley, L. J., & Smyth, K. A. (2013). Human culture and the future dementia epidemic. Crisis or crossroads ? Neurology, 80, 1824-1815.

Whitehouse, P. (2013).The challenges of cognitive aging : Integrating approaches from science to intergenerational relationships. Journal of Alzheimer’s Disease / Journal of Intergenerational Relationships, sous presse.

Williams, S.J., Higgs, P., & Katz, S. (2012). Neuroculture, active ageing and the `older brain` : problems, promises and prospects. Sociology of Health & Illness, 34, 64-78.

Wilson, M. (2002). Six views of embodied cognition. Psychonomic Bulletin & Review, 9, 625-636.

Zelig, H. (2013). Dementia as a cultural metaphor. The Gerontologist, sous presse.

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12 avril 2012 4 12 /04 /avril /2012 20:50

Résumé de la chronique

Haslam et al. (2012) ont examiné, chez des personnes âgées sans « démence », l’impact sur la performance à des tests cognitifs (utilisés dans l’évaluation clinique de la « démence ») de deux facteurs psychosociaux : la catégorisation de soi fondée sur l’âge (c.-à-d., se voir comme étant plus vieux ou plus jeune que d’autres personnes ) et les attentes concernant les effets du vieillissement sur le déclin cognitif (des attentes relatives à un déclin spécifique de la mémoire versus des attentes relatives à un déclin cognitif général). Ces facteurs ont été manipulés expérimentalement.

Les résultats montrent que les personnes âgées qui ont été amenées à se catégoriser comme « plus vieilles » que les autres participants obtiennent des performances cognitives plus faibles que les personnes qui ont été amenées à se catégoriser comme « plus jeunes ». Par ailleurs, le déclin de la performance aux tests de mémoire est plus net quand les participants sont amenés à considérer que le vieillissement est spécifiquement associé à un déclin de la mémoire. Inversement, le déclin de la performance dans la capacité cognitive générale est plus marqué quand les participants s’attendent à ce que le vieillissement implique un déclin cognitif plus global.

Enfin, les participants qui ont été conduits à se catégoriser comme « plus vieux » que les autres participants et à considérer que le vieillissement est associé à un déclin cognitif général obtiennent des performances à une batterie d’évaluation du fonctionnement cognitif global, qui, dans 70 % des cas, correspondent à un critère de « démence ».

 

De nombreuses études ont mis en évidence que les personnes âgées qui possèdent des stéréotypes négatifs (ou des attentes négatives) en lien avec le vieillissement montrent une réduction de leur performance cognitive, notamment à des tâches de mémoire (voir nos chroniques «Le rôle des stéréotypes négatifs concernant le vieillissement sur le fonctionnement de la mémoire des personnes âgées» et «Le vieillissement en tant que construction sociale : L’influence des stéréotypes»).

Plus concrètement, le fait, pour des personnes âgées, de s’attendre à ce que le vieillissement soit associé à un déclin inévitable de la mémoire réduit leur performance à une tâche de mémoire, en comparaison à des personnes âgées qui n’ont pas de telles attentes. 

En dépit de la solidité de cet effet, ses implications concernant l’évaluation clinique du fonctionnement cognitif ont été peu explorées. Or, comme le relèvent Kit, Tuokko, et Mateer (2008), les déficits cognitifs observés chez des patients cérébro-lésés ou chez des personnes âgées pourraient, en partie, être attribuables à l’influence de stéréotypes négatifs sur la performance aux tests cognitifs (neuropsychologiques), plutôt qu’aux effets directs d’un dysfonctionnement cérébral.

En fait, les stéréotypes négatifs en lien avec le vieillissement n’ont une influence sur la performance cognitive des personnes âgées que si ces personnes considèrent que les stéréotypes s’appliquent à elles-mêmes, c’est-à-dire si elles considèrent qu’elles font effectivement partie du groupe des personnes âgées. Or, l’âge est une catégorie flexible et c’est le sentiment subjectif d’appartenir ou non au groupe des personnes âgées qui détermine si les stéréotypes négatifs en lien avec le vieillissement s’appliquent ou non à soi.

Dans cette perspective, Haslam et al. (2012) ont examiné l’impact de la catégorisation de soi fondée sur l’âge (c.-à-d., se voir comme étant plus vieux ou plus jeune que d’autres participants), ainsi que des attentes négatives en lien avec le vieillissement sur la performance à des tests cognitifs utilisés dans l’évaluation clinique de la « démence ».

Participants, manipulations expérimentales et hypothèses

Les auteurs ont examiné 68 personnes issues de la communauté, âgées en moyenne de 65.1 ans et ayant suivi un nombre moyen d’années d’études de 12 ans. Pour être incluses, ces personnes devaient avoir entre 60 et 70 ans et ne pas avoir d’histoire de traumatisme, de maladie importante ou de trouble de l’humeur, ni avoir reçu un diagnostic de pathologie progressive.

Par ailleurs, les participants ont été soumis à deux manipulations expérimentales :

* La première manipulation visait à faire varier parmi les participants la catégorisation de soi basée sur l’âge. On disait aux participants que le but de l’étude état d’explorer la performance cognitive de personnes d’âges différents. Les participants inclus dans la condition « plus vieux » étaient informés du fait que l’âge des personnes examinées variait entre 40 et 70 ans et qu’ils étaient les personnes les plus âgées de l’échantillon. Par contre, les participants inclus dans la condition « plus jeunes » étaient informés que l’âge des personnes examinées variait entre 60 et 90 ans et qu’ils étaient les personnes les plus jeunes de l’échantillon.

* La deuxième manipulation visait à façonner les attentes des participants concernant la nature des déficits cognitifs associés au vieillissement. Il s’agissait de lire aux participants un bref article (un tiers de page) censé avoir été écrit pour un magazine traitant du vieillissement. La moitié des participants recevait un article intitulé « La mémoire et les personnes âgées » dans lequel on les informait du fait que « le vieillissement est spécifiquement associé à un déclin de la mémoire »  (avec des exemples des difficultés mnésiques classiquement rapportées par les personnes âgées quand elles consultent en milieu clinique). Les autres participants recevaient un article intitulé « Capacités générales et personnes âgées » dans lequel on les informait du fait que « le vieillissement est associé à un déclin cognitif généralisé » . Cet article mettait en avant les changements dans les habiletés intellectuelles générales (autres que la mémoire, qui n’était pas mentionnée), tels que des difficultés de concentration, de prise de décision, de planification de la journée ou de résolution de problèmes.

Les participants ont été aléatoirement répartis dans 4 groupes constitués à partir des deux manipulations expérimentales : groupe « catégorisation plus vieux / attente de déclin mnésique spécifique » ; groupe « catégorisation plus jeunes / attente de déclin mnésique spécifique » ; groupe « catégorisation plus vieux / attente de déclin cognitif général » ; groupe « catégorisation plus jeunes / attente de déclin cognitif général ».

Après ces manipulations expérimentales, il était demandé aux participants d’indiquer s’ils se sentaient plus jeunes ou plus vieux que les autres participants, et ceci afin de vérifier que la manipulation de la catégorisation de soi basée sur l’âge avait réellement fonctionné.

Ensuite, les participants étaient soumis à deux tests cognitifs : un test de mémoire (la mémoire de récits de l’Echelle de Mémoire de Wechsler : rappel de deux récits, immédiatement après leur présentation et ensuite après 30 minutes) ;  une échelle d’évaluation des capacités cognitives générales, classiquement utilisée dans les « consultations mémoire » en Grande-Bretagne afin de détecter une « démence précoce » (l’Addenbrooke’s Cognitive Examination-Revised, ACE-R, qui évalue 5 domaines : attention/orientation, mémoire, fluence verbale, langage et capacité visuospatiale ; un score sur 100 est établi et un score-seuil de 82 est utilisé comme critère pour la détection d’une « démence, donnant une sensibilité de 84% et une spécificité de 100%).

Les hypothèses suivantes ont été testées : 1. Les personnes qui sont amenées à se percevoir comme plus âgées auront de moins bonnes performances cognitives que les personnes poussées à se percevoir comme plus jeunes. 2. Les effets de la catégorisation de soi basée sur l’âge seront plus marqués au test évaluant la fonction cognitive dont les participants ont été amenés à considérer qu’elle décline avec l’âge (déclin mnésique ou déclin cognitif général).

Résultats

Les 4 groupes de participants ne différaient pas en âge, niveau scolaire, scores au MMSE et au NART (National Adult Reading Test, évaluant la capacité intellectuelle générale antérieure). Par ailleurs, tous les participants avaient un score au MMSE supérieur à 24. Enfin, le contrôle de la manipulation de la catégorisation de soi basée sur l’âge a confirmé que cette manipulation avait réussi.

Les comparaisons de groupes menées sur les trois mesures dépendantes de la performance cognitive (mémoire immédiate, mémoire différée et capacité cognitive générale) ont confirmé les hypothèses.

Tout d’abord, les participants qui ont été encouragés à se catégoriser comme « plus vieux » ont obtenu des performances cognitives plus faibles aux trois tests.

Par ailleurs, comme attendu, le déclin de la performance aux tests de mémoire est plus net quand les participants s’attendent à ce que le vieillissement soit spécifiquement associé à un déclin de la mémoire. Inversement, le déclin de la performance dans la capacité cognitive générale est plus marqué quand les participants s’attendent à ce que le vieillissement implique un déclin cognitif plus global et plus diffus. En d’autres termes, la catégorisation de soi basée sur l’âge et les attentes spécifiques relatives aux effets du vieillissement sur le fonctionnement cognitif interagissent pour produire des formes particulières de déficit cognitif.

Enfin, des implications cliniques très importantes apparaissent quand on examine la performance des participants en regard du score-seuil utilisé comme critère de « démence » (score-seuil de 82 au ACE-R). En effet, dans le groupe des participants qui ont été conduits à se catégoriser comme « plus vieux » et à considérer que le vieillissement est associé à un déclin cognitif général, 70% obtenaient une performance à l’ACE-R correspondant au critère de « démence », contre seulement 14% en moyenne dans les trois autres conditions. Ainsi, le fait d’être dans le groupe « catégorisation plus vieux / attente d’un déclin cognitif général associé au vieillissement » accroît la probabilité de recevoir un diagnostic de « démence» (sur base de l’ACE-R) de 400% !

Conclusions

L’étude de Haslam et al. (2012) est importante, car non seulement elle confirme l’influence des stéréotypes négatifs concernant le vieillissement sur la performance cognitive, mais aussi et surtout elle montre que ces stéréotypes peuvent affecter de façon spécifique certaines capacités cognitives, en fonction de l’attente qu’a la personne d’un déficit cognitif particulier.

Ainsi, par exemple, si le déclin de la mémoire est particulièrement saillant dans l’esprit d’une personne âgée qui s’adresse à une « consultation mémoire », les clinicien(ne)s doivent être conscient(e)s du fait que la performance mnésique de cette personne peut être affectée par des facteurs situationnels, tels que la perception qu’elle a d’être dans la catégorie des « vieux ». On voit là, une fois de plus, en quoi l’interprétation d’une performance mnésique (et, plus largement, d’une performance cognitive) faible se doit de prendre en compte de multiples facteurs et ne doit pas réduire automatiquement ce déclin mnésique (ou cognitif) à un prétendu dysfonctionnement cérébral ou à une prétendue « maladie neurodégénérative » (voir notre chronique « Le trouble cognitif léger ou mild cognitive impairment (MCI) : une flagrante myopie intellectuelle »).

Ainsi, les clinicien(ne)s ne peuvent ignorer le risque considérable de diagnostic erroné auquel peuvent conduire la catégorisation de soi basée sur l’âge et les attentes particulières de déclin cognitif.

De façon plus spécifique, Haslam et al. indiquent en quoi il semble peu pertinent de discuter des stéréotypes et attentes des personnes âgées avant une évaluation, au risque de les exacerber. Il s’agirait plutôt d’encourager une performance optimale en mettant en question les stéréotypes négatifs et en augmentant l’estime de soi liée à l’âge (p. ex., en relevant toutes les réalisations positives des personnes âgées). Par contre, la question des attentes et des stéréotypes peut être soulevée lors de la transmission des résultats de l’évaluation, afin de proposer une interprétation prenant en compte la conception qu’a la personne d’elle-même ainsi que le contexte de l’évaluation.

Il faut relever que la nécessité d’envisager l’influence, possiblement importante, des stéréotypes et des attentes en lien avec les déficits cognitifs (ou autres), vaut tout autant pour les clinicien(ne)s travaillant dans d’autres domaines que celui du vieillissement...

haslam.jpg

Haslam, C., Morton, Th., Haslam, A., Varnes, L., Graham, R., & Gamaz, L. (2012). “When the age is in, the wit is out”: Age-related self-categorization and deficit expectations reduce performance on clinical tests used in dementia assessment. Psychology and Aging, sous presse (doi: 10.1037/a0027754).

Kit, K.A., Tuokko, H.A., & Mateer, C.A. (2008). A review of the stereotype threat literature and its application in a neurological population. Neuropsychology Review, 18, 132-148.

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5 mars 2012 1 05 /03 /mars /2012 21:53

Résumé de la chronique :

Une étude de Trigg et al. (2012) a mis en évidence que le caractère plus ou moins positif de la qualité de vie auto-évaluée par les personnes présentant une « démence » légère à modérée était directement influencé par les attitudes négatives qu’elles ont concernant le vieillissement (attitudes caractérisées par une plus grande sensibilité aux pertes psychosociales : perte d’indépendance physique, perte des réseaux sociaux, perte de l’implication dans la communauté).

Ces résultats suggèrent qu’il est essentiel de mettre en question les stéréotypes négatifs de la « démence » et de se focaliser sur les capacités préservées, l’optimisation du fonctionnement quotidien ainsi que l’insertion et la réalisation de buts au sein de la communauté.

Introduction

De plus en plus de données montrent que les personnes ayant reçu un diagnostic de « démence » à un stade léger à modéré sont capables de fournir un compte-rendu valide de leur bien-être, de leur qualité de vie et de la qualité des soins qui leur sont prodigués (voir notamment notre chronique « Prendre réellement en compte le point de vue des personnes présentant une démence »).  

Cependant, la nature des différents facteurs associés à l’évaluation plus ou moins positive de leur qualité de vie par les personnes présentant une « démence » est encore mal comprise. La dépression et une plus grande conscience des déficits cognitifs semblent être associées à une moindre qualité de vie auto-évaluée. Par contre, il apparaît que des mesures objectives du fonctionnement cognitif et de la réalisation d’activités entretiennent peu de liens avec l’auto-évaluation de la qualité de vie (Banerjee et al., 2009).

De plus, il existe des discordances notables entre les évaluations de la qualité de vie réalisées par les personnes avec « démence » et les évaluations effectuées par les proches, les auto-évaluations étant généralement plus positives. Dans ce contexte, il a été suggéré que les évaluations entreprises par les personnes âgées elles-mêmes et celles effectuées par les proches reposeraient sur des processus différents. Alors que les évaluations pas les proches se focaliseraient fortement sur les aspects observables et objectifs de la performance et du fonctionnement de la personne présentant une « démence », les auto-évaluations prendraient plutôt comme point de référence les sentiments subjectifs de bien-être et les états d’humeur.

De façon plus générale, cette hypothèse renvoie à la conception selon laquelle l’auto-évaluation de la qualité de vie serait davantage influencée par les attitudes personnelles et les traits de personnalité que par les vicissitudes concrètes de la vie. Dans cette perspective, le fait d’avoir des attitudes positives durant la vieillesse conduirait à une résistance psychologique face aux problèmes de santé et de fonctionnement quotidien, résistance qui ne pourrait pas être enregistrée par des évaluations de qualité de vie fondées uniquement sur les caractéristiques observables de la performance.

De nombreuses données ont montré que le fait d’avoir des attitudes négatives (des stéréotypes négatifs) concernant le vieillissement était associé à une durée de vie moindre, à des réponses cardiovasculaires plus fortes face au stress, à des comportements dommageables pour la santé comme le tabagisme, à une performance mnésique inférieure et à des effets délétères sur l’état d’humeur et la dépendance (voir nos chroniques « Le vieillissement en tant que construction sociale : l’influence des stéréotypes » et « Le rôle des stéréotypes concernant le vieillissement sur le fonctionnement de la mémoire »).

Scholl et Sabat (2008) ont par ailleurs montré que les personnes présentant une « démence » légère à modérée (personnes pouvant être conscientes de leurs difficultés cognitives) sont particulièrement susceptibles de considérer les stéréotypes négatifs concernant le vieillissement comme s’appliquant à elles. Néanmoins, aucune étude n’avait jusqu’à présent exploré le lien entre les attitudes concernant le vieillissement et la qualité de vie auto-évaluée par les personnes âgées présentant une « démence ». C’est ce à quoi se sont attelés Trigg et al. (2012).

L’auto-évaluation de la qualité de vie par les personnes présentant une « démence » : le rôle des attitudes concernant le vieillissement

Trigg et al. (2012) ont recruté, au sein d’une consultation mémoire, 56 personnes présentant une « démence » légère à modérée, ainsi que leur proche aidant. Parmi ces 56 personnes, 45 avaient reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer/démence mixte », 5 un diagnostic de « démence vasculaire », 3 un diagnostic de « démence à Corps de Lewy » et 3 un diagnostic de « démence frontotemporale ». Elles étaient âgées en moyenne de 78.77 ans et avaient un score moyen de 21.96 au MMSE. Les échelles et questionnaires suivants ont été administrés à ces participants :

* L’échelle « Bath Assessment of Subjective Quality of Life in Dementia » (BASQUID). Il s’agit d’une mesure de la qualité de vie auto-rapportée (14 items).

* Le « Attitudes to Aging Questionnaire » (AAQ). Ce questionnaire comporte 8 énoncés pour chacun des trois domaines suivants : développement psychologique (les gains possibles avec l’âge, tels que la sagesse) ; changement physique (des énoncés concernant la vitalité et la santé comme, p. ex., « J’ai plus d’énergie que ce à quoi je m’attendais pour mon âge ») ; pertes psychosociales (des énoncés tels que « La vieillesse est une période de solitude »). Les personnes doivent évaluer chaque énoncé sur une échelle à 5 niveaux allant de « absolument pas d’accord » à « entièrement d’accord » ou  pour d’autres questions, de « pas du tout vrai » à « extrêmement vrai ». Trigg et al. ont également soumis ce questionnaire à 86 personnes âgées issues de la communauté et sans « démence » (âge moyen de 73.04 ans).

* La « Memory Functioning Scale » (MARS-MFS), qui évalue la capacité des personnes avec une « démence » à gérer diverses situations mnésiques quotidiennes. Cette échelle a aussi été administrée aux proches aidants et des scores de discordance entre les évaluations des personnes âgées avec « démence » et celles des proches ont été établis, afin de mesurer la prise de conscience de leurs difficultés mnésiques par les personnes âgées avec « démence ».

* Le « Alzheimer’s Disease Cooperative Study Activities of Daily Living Inventory » (ADCS-ADL). Ce questionnaire a été soumis aux proches aidants afin d’évaluer la capacité des personnes âgées avec « démence » d’effectuer de façon indépendante les activités de la vie quotidienne.

* Le « Mini-Mental State Examination » (MMSE). Il s’agit d’une mesure globale du fonctionnement cognitif.

Les résultats montrent tout d’abord qu’il n’y a aucune relation significative entre l’AAQ (évaluant les attitudes concernant le vieillissement) et l’âge des personnes âgées avec « démence » et sans « démence ». Par ailleurs, les personnes avec une « démence » légère à modérée ont, dans l’ensemble, été capables de répondre aux questions de l’AAQ : la plupart des problèmes de compréhension ont été aisément résolus par la présentation d’éléments de clarification par les examinateurs. De plus, la consistance interne et la fiabilité de ce questionnaire, dans l’échantillon de personnes avec « démence », étaient bonnes à modérées.

La comparaison des attitudes concernant le vieillissement des personnes âgées avec et sans « démence » n’a mis en évidence aucune différence significative dans les domaines « développement psychologique »  et « changement physique », c’est-à-dire le degré auquel les participants considéraient la vieillesse positivement, à savoir comme une période de santé et de vitalité et comme conduisant à la sagesse, à l’expérience, à l’assurance et à des bénéfices psychologiques.

Par contre, des attitudes négatives plus élevées étaient rapportées par les personnes avec « démence » dans le domaine « pertes psychosociales ». Selon Trigg et al., cette différence est vraisemblablement liée au fait que les personnes avec « démence » ont vécu davantage de situations de perte que les personnes « sans démence », particulièrement en lien avec l’indépendance physique, les contacts sociaux et l’implication dans la communauté. Il ne s’agit cependant pas de considérer que ces pertes psychosociales constituent une conséquence inévitable de la « démence », au risque d’induire une « prophétie auto-réalisatrice ». En fait, les attitudes négatives concernant le vieillissement des personnes avec « démence » sont également susceptibles d’être influencées par les attitudes et les actions des individus avec lesquels elles interagissent (le contexte social). Comme l’a indiqué Kitwood (1997), ce processus d’ «  étiquetage » (« labeling »), une forme de « psychologie sociale nocive », peut mener à une « incapacité excessive » (« excess disability »), à savoir un déficit au-delà de ce qui pourrait être prédit sur la base des seuls éléments neuropathologiques.

Une autre explication possible de la différence entre personnes avec « démence » et sans « démence » concernant les attitudes sur les pertes sociales associées au vieillissement renverrait à la vulnérabilité particulière des personnes avec « démence » à s’attribuer les stéréotypes négatifs associés au vieillissement (Scholl & Sabat, 2008). Dans ce contexte, il faut relever que les attitudes négatives des personnes avec « démence » concernant les pertes sociales associées au vieillissement sont significativement corrélées à la conscience qu’elles ont de leurs difficultés mnésiques, mais pas à l’importance de ces difficultés. Il faut ajouter que le fonctionnement cognitif global (évalué par le MMSE) n’est pas non plus corrélé aux attitudes négatives concernant les pertes sociales. Dans l’ensemble, ces données appuient l’hypothèse selon laquelle les personnes avec « démence » s’appliquent les stéréotypes négatifs liés au vieillissement : de façon plus spécifique, leur prise de conscience des difficultés de mémoire catalyserait la conception négative du vieillissement en tant que période de pertes psychosociales.

En outre, l’attitude négative des personnes âgées avec « démence » concernant les pertes sociales dans le vieillissement constitue un prédicteur significatif de la qualité de vie auto-évaluée par ces personnes. En fait, l’ajout de l’attitude négative relative aux pertes psychosociales à un modèle (précédemment confirmé) incluant comme facteurs prédictifs la prise de conscience des troubles de mémoire et la réalisation des activités de la vie quotidienne conduit à expliquer 11% supplémentaires de variance dans les auto-évaluations de la qualité de vie.

Enfin, l’attitude négative concernant les pertes psychosociales constitue un médiateur partiel (qui rend partiellement compte) de la relation entre la prise de conscience des troubles mnésiques et la qualité de vie. En d’autres termes, une plus grande conscience des déficits mnésiques semble favoriser des attitudes négatives concernant le vieillissement (caractérisées par une plus grande sensibilité aux pertes psychosociales : perte d’indépendance physique, perte des réseaux sociaux, perte de l’implication dans la communauté), lesquelles à leur tour conduisent à une évaluation moins bonne de la qualité de vie.

Ces résultats devraient être confirmés sur un échantillon plus important de personnes âgées avec « démence ». Il s’agirait également d’explorer la contribution respective d’autres facteurs à la qualité de vie auto-évaluée par les personnes avec « démence ». Dans cette perspective, Caddell et Clare (2012) ont récemment montré que la qualité de vie évaluée par des personnes présentant une « démence » à un stage précoce était prédite par le plus ou moins bon maintien d’un sentiment d’identité.  

Conclusions

Les attitudes négatives concernant le vieillissement (en particulier, la conception du vieillissement en tant que période de pertes sociales) ont un impact direct sur la qualité de vie auto-évaluée par les personnes présentant une « démence » légère à modérée. Ces  résultats suggèrent qu’il est important de mettre en question la conception déficitaire de la « démence » pour, au contraire, se focaliser sur les capacités préservées et leur exploitation afin d’optimiser le fonctionnement quotidien des personnes, ainsi que l’insertion et la réalisation de buts au sein de la communauté.

Plus généralement, il s’agit de concevoir une société «personnes âgées admises», y compris quand elles ont des troubles cognitifs, et d’amener les membres de cette société à considérer que même en présence de difficultés cognitives, la personne âgée conserve un potentiel de vitalité, une identité et une place dans la communauté. 

Enfin, même si les résultats de Trigg et al. sont en accord avec l’idée selon laquelle la qualité de vie auto-évaluée par les personnes présentant une « démence » se fonderait davantage sur les attitudes personnelles plutôt que sur l’observation de difficultés concrètes, il existe néanmoins des données suggérant que la qualité de vie auto-rapportée par les personnes avec une «démence » peut également être influencée par la présence de problèmes de vie spécifiques. Ainsi, comme nous l’avons décrit dans notre chronique « Prendre réellement en compte le point de vue des personnes présentant une démence », Beer et al. (2010) ont mis en évidence que les personnes ayant reçu un diagnostic de « démence » et vivant dans une structure d’hébergement à long terme sont capables d’évaluer leur qualité de vie, alorsque les proches, ainsi que les soignants, sous-estiment la qualité de vie des personnes âgées. Par ailleurs, la validité des évaluations de la qualité de vie effectuées par les personnes âgées elles-mêmes est appuyée par le fait que ces auto-évaluations sont associées à des facteurs objectivement observables (entraves physiques et douleurs), dont on peut s’attendre à ce qu’ils affectent effectivement la qualité de vie.

Modifier ces facteurs devrait dès lors aussi constituer un objectif prioritaire !


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Banerjee, S., Samsi, K., Petrie, C.D., Alvir, J., Treglia, M., Schwam, E.M., & del Valle, M. (2009). What do we know about quality of life in dementia? A review of the emerging evidence on the predictive and explanatory value of disease specific measures of health related quality of life in people with dementia. International Journal of Geriatric Psychiatry, 24, 15-24.

Caddell, L.S., & Clare, L. (2012). Identity, mood, and quality of life in people with ealy-stage dementia. International Psychogeriatrics, sous presse.

Kitwood, T. (1997). Dementia reconsidered: The person comes first. Buckingham: Open University Press.

Scholl, J.M., & Sabat, S.R. (2008). Stereotypes, stereotype threat and ageing: implications for the understanding and treatment of people with Alzheimer’s disease. Ageing and Society, 28, 103-130.

Trigg, R., Watts, S., Jones, R., Tod, A., & Elliman, R. (2012). Self-reported quality of life ratings of people with dementia: the role of attitudes to aging. International Psychogeriatrics, sous presse.

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12 novembre 2011 6 12 /11 /novembre /2011 07:57

Dans une chronique précédente (« Le vieillissement en tant que construction sociale : L’influence des stéréotypes »), nous avons abordé la question des stéréotypes concernant le vieillissement et leur influence sur le fonctionnement cognitif et la santé physique des personnes âgées (Levy, 2009).

En particulier, nous avons mentionné les études montrant que l’activation de stéréotypes négatifs sur le vieillissement avait un effet néfaste sur la performance cognitive des personnes âgées, notamment sur leur performance mnésique. Ainsi, une méta-analyse de 9 expériences (Horton et al., 2008) a montré que les personnes âgées chez qui on avait activé des stéréotypes négatifs liés au vieillissement obtenaient de moins bonnes performances mnésiques que celles chez qui on avait activé des stéréotypes positifs. Cette influence a également été observée dans des expériences où les stéréotypes étaient activés sans que les personnes âgées n’en soient conscientes.

Il apparaît en outre que les stéréotypes sur le vieillissement sont activés et internalisés dès l’enfance, puis tout au long de la vie, et que ces stéréotypes peuvent avoir une influence sur le fonctionnement durant la vieillesse quand ils deviennent pertinents par rapport à soi.

Ces effets néfastes des stéréotypes sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées n’ont toutefois jusqu’ici été mis en évidence que dans des expériences de laboratoire, avec des environnements contrôlés et un contexte temporel à court terme.

Pour la première fois, Levy et al. (2011) ont examiné dans quelle mesure l’exposition à des stéréotypes négatifs dans la vie quotidienne est associée à de moins bonnes performances mnésiques plus tard dans la vie. Un deuxième objectif était d’explorer si l’impact des stéréotypes négatifs liés au vieillissement est plus important quand les stéréotypes sont pertinents par rapport à soi.


Objectif 1 : influence longitudinale des stéréotypes négatifs en lien avec le vieillissement sur la performance mnésique des personnes âgées

Cette étude a été menée auprès de participants suivis longitudinalement dans la « Baltimore Longitudinal Study of Aging » (BLSA). Ont été incluses les personnes qui avaient été soumises aux évaluations sur les stéréotypes, la mémoire et une série de facteurs de contrôle. Elles devaient également être âgées d’au moins 22 ans lors de la ligne de base (la première évaluation) : ce critère d’âge permettait de garantir que les participants auraient atteint l’âge de 60 ans au moins durant le déroulement de l’étude (d’une durée totale de 38 ans). Le groupe (N=395) était composé de 113 femmes et 282 hommes, âgés entre 22 et 77 ans (M=45 ans) lors de la ligne de base. Leur santé était auto-évaluée comme « très bonne » (M=4.51, 5 étant « excellente») et ils avaient un niveau scolaire élevé (77% avaient au moins accompli des études supérieures).

Les personnes ont été soumises à :

* Une évaluation des stéréotypes négatifs via un questionnaire à 16 items incluant des questions telles que « Les personnes âgées ne peuvent pas bien se concentrer ». Le score variait de 0 à 16 et l’évaluation lors de la ligne de base (première évaluation) a été prise comme prédicteur.

* Une évaluation de la mémoire via le « Benton Visual Retention Test », dans lequel il s’agit de reproduire des dessins de mémoire. Ce test comporte des formes parallèles, permettant des évaluations multiples. Il a été administré tous les 6 ans de 1968 à 1991 et ensuite tous les 2 ans, ce qui a conduit à un nombre d’évaluations allant de 1 à 16 (médiane : 7). Plus spécifiquement, 88% des participants ont été soumis à 3 évaluations ou plus, conduisant à un total de 4’252 évaluations.

Par ailleurs, différentes covariables pouvant avoir une influence sur le déclin mnésique  ont été prises en compte : l’âge, la dépression, le niveau scolaire, le statut marital, le nombre de maladies chroniques, l’appartenance ethnique, la santé auto-évaluée et le genre.

Les résultats montrent effectivement que les personnes qui ont le plus de stéréotypes en lien avec le vieillissement lors de l’évaluation initiale ont une performance mnésique plus mauvaise à mesure de l’avancement en âge, par rapport à celles ayant moins de stéréotypes négatifs. De plus, cet effet d’interaction se maintient quand est contrôlée l’influence de l’âge, du niveau scolaire, du statut marital, de l’appartenance ethnique, de la dépression, des maladies chroniques, de la santé auto-évaluée et du genre.

De façon plus spécifique, à l’âge de 70 ans, la performance de ceux qui avaient initialement le plus de stéréotypes négatifs liés au vieillissement est équivalente à celle des participants âgés de 73.14 ans avec moins de stéréotypes négatifs. A l’âge de 80 ans, le décalage est de 6.16 ans et, à l’âge de 90 ans, il est de 9.18 ans. Globalement, on constate un déclin mnésique plus important de 30.2 % chez les personnes de 60 ans et plus qui ont le plus de stéréotypes négatifs par comparaison aux personnes ayant le moins de stéréotypes négatifs. Il faut relever que la taille de cet effet est importante.


Objectif 2 : rôle de la pertinence des stéréotypes par rapport à soi

Afin d’explorer cette seconde hypothèse, les auteurs ont sélectionné un sous-ensemble de personnes âgées de 40 ans et plus : ce critère d’âge a été choisi, car 40 ans constitue l’âge le plus jeune ayant été mentionné lorsque l’on a demandé aux participants d’indiquer quand commençait la vieillesse. Le groupe sélectionné (N=87) était composé de 27 femmes et 60 hommes, âgés entre 40 et 74 ans (M=53 ans) lors de la ligne de base. Leur santé était auto-évaluée comme « très bonne » (M=4.52) et ils avaient un niveau scolaire élevé (82% avaient au moins accompli des études supérieures).

Outre l’évaluation des stéréotypes, de la mémoire et des facteurs pris comme covariables, il a été demandé aux participants, lors de la ligne de base (immédiatement après l’évaluation des stéréotypes), de répondre à la question suivante : «  A quel âge quelqu’un devient-il vieux ? ». Sur cette base, un score de pertinence par rapport à soi a été créé en attribuant le score de 1 quand la réponse était égale ou inférieure à l’âge réel et un score de 0 quand un âge plus avancé était mentionné. Ainsi, par exemple, si une personne âgée de 70 ans indiquait que la vieillesse commence à l’âge de 65 ans, son stéréotype négatif associé au vieillissement était catégorisé comme pertinent par rapport à soi. Si, par contre, elle indiquait que la vieillesse commence à l’âge de 75 ans, son stéréotype lié au vieillissement était catégorisé comme non pertinent par rapport à soi.

Les résultats montrent que le déclin mnésique est plus important chez les personnes ayant des stéréotypes négatifs liés au vieillissement pertinents par rapport à soi, en comparaison aux personnes  ayant des stéréotypes négatifs liés au vieillissement non pertinents par rapport à soi. De façon plus spécifique, les analyses montrent que la pertinence par rapport à soi constitue un modérateur de la relation entre la présence de stéréotypes négatifs liés au vieillissement et la performance mnésique, et ce après avoir pris en compte les différentes covariables.

Conclusion

L’étude de Levy et al (2011) est la première à observer que les influences psychosociales peuvent prédire le déclin mnésique sur une longue période de temps. Plus précisément, les trajectoires de fonctionnement mnésique sont prédites par la présence, lors de l’évaluation initiale, de stéréotypes négatifs concernant le vieillissement, évalués jusqu’à 38 ans avant que la mémoire ne soit testée et souvent bien avant que la vieillesse ne soit atteinte.

Les stéréotypes négatifs associés au vieillissement présentent le déclin de la mémoire chez les personnes âgées comme la conséquence inévitable de changements neurobiologiques. Cette étude montre cependant que les stéréotypes eux-mêmes peuvent contribuer à la performance mnésique.

De façon plus générale, cette recherche renforce la nécessité de ne pas réduire les difficultés de mémoire d’une personne âgée à un dysfonctionnement cérébral, mais de prendre en compte la multiplicité des facteurs (y compris sociaux) qui peuvent moduler le fonctionnement de la mémoire (voir nos chroniques « Les différences individuelles dans la performance mnésique des personnes âgées : Le rôle des croyances sur les capacités de contrôle personnel, de l’anxiété et de la distractibilité » et « Une approche moins réductionniste des difficultés de mémoire épisodique et autobiographique associées au vieillissement »).

Ces données indiquent également en quoi le fonctionnement cognitif des personnes âgées pourrait bénéficier d’une approche qui, plutôt que de pathologiser le vieillissement, met en avant les capacités préservées, le maintien de l’identité, les relations intergénérationnelles, l’engagement et les liens avec la société, c’est-à-dire une approche qui maximise une perception positive du vieillissement. Outre le changement d’approche du vieillissement, d’autres types d’interventions, plus individuelles, semblent également pourvoir atténuer l’influence néfaste des stéréotypes sur le fonctionnement quotidien des personnes âgées (voir Scholl & Sabat, 2008), notamment la mise en place de stratégies permettant d’optimiser la réalisation de tâches cognitives dans la vie quotidienne, ainsi que de mieux gérer l’anxiété.

normal_comparez.JPG Photo : Pistolero, casafree.com

Horton, S., Baker, J., Pearce, G.W., & Deakin, J.M. (2008). On the malleability of performance: Implications for seniors. Journal of Applied Gerontology, 27, 446-465.

Levy, B. (2009).Stereotype embodiment. A psychosocial approach of aging. Current Directions in Psychological Sciences, 18, 332-336.

Levy, B.R., Zonderman, A.B., Slade, M.D., & Ferrucci, L. (2011). Memory shaped by age stereotypes over time. Journal of Gerontology, Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, à paraître (doi:10.1093/geronb/gbr120).

Scholl, J., M., & Sabat, S.R. (2008). Stereotypes, stereotypes threat and ageing: Implications for the understanding and treatment of people with Alzheimer’s disease. Ageing & Society, 28, 103-130.

 

 

 

 

 

 

 

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30 janvier 2011 7 30 /01 /janvier /2011 14:50

Nous souhaitons rendre hommage au combat que le peuple tunisien a mené pour conquérir sa liberté. A nos amis Tunisiens, en particulier nos amis psychologues et universitaires, ainsi que celles et ceux qui suivent notre blog, à leurs familles, nous souhaitons dire que nous sommes près d’eux dans les tâches difficiles, mais exaltantes, qui les attendent et qu’ils peuvent compter sur notre aide et notre soutien.

 

Dans ce blog qui défend une autre approche du vieillissement, nous pensons que la Tunisie a incontestablement des choses à nous apprendre. En effet, les personnes âgées occupent traditionnellement, dans la société tunisienne, une place privilégiée (Ayadi et al., 2002). Elles sont entourées de respect, voire de vénération, elles jouent un rôle d’exemple et de référence, elles sont impliquées dans les décisions familiales, elles rendent d’éminents services (dans la garde des enfants et l’éducation) et elles fournissent des conseils aux plus jeunes. Ainsi, comme l’indiquent Ayadi et al., « la personne âgée ne prend-elle pas de retraite socio-familiale, ce qui la préserve contre le sentiment d’inutilité et de marginalité sociales ».

 

La société tunisienne subit cependant des transformations socio-économiques et culturelles profondes, avec une occidentalisation croissante du mode de vie (matérialisme, consumérisme, individualisme) et une érosion des valeurs traditionnelles de solidarité. Ces changements risquent de compromettre le statut privilégié des personnes âgées. Ayadi et al. insistent sur l’importance qu’il y a à renforcer le statut et l’intégration socio-familiale des aînés, à mettre en valeur leur apport en leur permettant de maintenir un rôle social, ainsi qu'à éviter la sédentarité et la déconnexion sociale. Ceci est d’autant plus important que les projections démographiques prévoient un vieillissement particulièrement rapide de la population tunisienne, avec un doublement en 30 ans des personnes de plus de 60 ans (de 9% actuellement à 18% en 2029; Ben Brahim, 2004).

 

En particulier, on peut espérer que la société tunisienne résistera à l’approche biomédicale dominante, réductrice et pathologisante, du vieillissement. Nous avons montré en quoi cette approche du vieillissement et le « mythe de la maladie d’Alzheimer » qui y est associé étaient nés dans le contexte d’une vision du monde centrée sur l’individualisme, la compétition, l’efficacité, le rendement, un monde où la fragilité, la finitude, la différence, l’engagement social n’ont guère leur place (voir notre chronique « Le mythe de maladie d’Alzheimer : que veut vraiment dire ce titre provocateur ? »). Fasse que le peuple tunisien, dans la révolution démocratique qu’il mène actuellement, maintienne un équilibre entre les possibilités d'épanouissement personnel et ses valeurs traditionnelles de solidarité et d’intégration des aînés.


Tunisie-094.JPG

Sidi Bou Saïd, 2009 ©acjvdl

 

Ben Brahim, A., (2004). Transition des structures par âge et vieillissement en Tunisie. Rapport présenté dans le cadre du séminaire du CICRED (Committee for International Cooperation in National Research in Demography). Paris, 23-26 février 2004.

Ayadi, N., Bouattour, Y., Masmoudi, J., & Maalej, M. (2002). Les personnes âgées en Tunisie : spécificités socio-familiales et culturelles. La Revue de Gériatrie, 27, 103-106.

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