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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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29 octobre 2016 6 29 /10 /octobre /2016 16:23

Comme on pouvait s’y attendre, Marisol Touraine, Ministre des affaires sociales et de la santé du gouvernement français, n’a pas suivi la recommandation de la Haute Autorité de Santé (HAS) de ne plus rembourser les quatre médicaments « anti-Alzheimer » (Ebixa®, Aricept®, Exelon®, et Reminyl®), après qu'ils aient été jugés inefficaces et susceptibles de produire des effets indésirables potentiellement graves et pouvant affecter la qualité de vie (voir notre chronique précédente). Selon la ministre, la question du déremboursement ne peut et ne doit pas se poser avant qu’un protocole de soins ne soit élaboré par les scientifiques avec les associations de patients. Il est intéressant de relever que, ce faisant, elle désavoue la HAS, sans aucune justification détaillée à sa décision. En outre, elle ne fait aucune mention de l’importance accordée par la HAS à la prise en charge non médicamenteuse (globale et pluriprofessionnelle), ainsi qu'au soutien aux aidants. Plus spécifiquement, la ministre a chargé le président du comité de suivi du Plan de lutte contre les maladies neurodégénératives, le Pr Michel Clanet, d’organiser la consultation avec les professionnels de santé et les associations de patients qui composent ce comité. À l’issue de cette concertation, il remettra ses recommandations à la ministre (voir la chronique de Jean-Yves Nau, lien). En fait, cette décision est clairement une façon de botter en touche, en refusant de s’opposer à l’empire Alzheimer et en manifestant ainsi un manque évident de courage politique.

En effet, la position de l’association France Alzheimer concernant le déremboursement est claire. Comme l’indique sa vice-présidente, Madame Brigitte Huon (voir l’article de La Croix, pdf), dérembourser aurait été une véritable catastrophe et aurait constitué un aveu d’échec, comme si l’on considérait que « Il n’y a rien à faire contre cette maladie, cela ne sert donc à rien d’aller consulter ni même de faire le diagnostic ». Cette position traduit une fois de plus que l’association France Alzheimer (tout comme d’autres associations Alzheimer d’ailleurs) est inféodée au modèle biomédical dominant et sert de caution à ce modèle vis-à-vis du grand public et des institutions politiques et sociales. Dans la foulée, il faut également signaler les liens d’intérêt étroits que certains médecins « spécialistes de la maladie d’Alzheimer» qui défendent l’utilisation des médicaments anti-Alzheimer entretiennent avec les laboratoires pharmaceutiques (voir notre chronique « Médicaments anti-Alzheimer et conflits d'intérêt : un expert dévoile son jeu. »).

De très nombreuses voix se font pourtant entendre, de par le monde, indiquant qu’une autre approche du vieillissement cérébral et cognitif problématique est non seulement nécessaire, mais aussi possible : une approche prenant réellement en compte la multiplicité des mécanismes et des facteurs (biologiques, médicaux, psychologiques, en lien avec le style de vie, sociaux, culturels, environnementaux) qui influent sur le vieillissement cérébral et cognitif et ce, tout au long de la vie (voir Van der Linden & Van der Linden Juillerat, 2014). Cependant, comme le relèvent Chen, Maleski et Sawmiller (2011), ce changement d’approche ne pourra se mettre en place que si une prise de conscience générale se développe, amenant notamment à des priorités de financement. A ce propos, ils montrent en quoi la recherche scientifique dans le domaine du vieillissement est soumise à une importante pression : la peur aurait infiltré la recherche scientifique, en poussant les chercheurs à trouver un traitement curatif au détriment de la vérité scientifique.

Un changement dans les pratiques d’évaluation et d’intervention

Oui, il est possible de bien aider une personne âgée présentant un vieillissement cérébral et cognitif problématique sans avoir recours à des médicaments (voir l’entretien du Professeur Saint-Jean donné au journal La Croix, pdf). Il est faux de dire qu’un changement d’approche conduirait à susciter une attitude défaitiste chez les personnes âgées présentant un vieillissement problématique et leurs proches. Depuis plusieurs années, nous adoptons, au sein de la Consultation « Vieillir et Bien Vivre » (lien), une pratique clinique qui tient compte de la complexité du vieillissement cérébral et cognitif et de son individualité, qui n’enferme pas la personne présentant des troubles cognitifs et fonctionnels dans des catégories diagnostiques réductrices, pathologisantes et stigmatisantes et qui met l’accent sur les interventions psychosociales, la prévention et l’intégration sociale (pour une description détaillée de cette pratique clinique, voir notre chapitre « L’évaluation neuropsychologique de la démence: un changement d’approche » dans la 2e édition du Traité de Neuropsychologie clinique de l’adulte, Tome 1).

Ce type de pratique clinique peut bien sûr se heurter à certaines résistances liées à l’impact important que l’approche biomédicale dominante a encore sur les croyances et les attitudes des personnes qui consultent et/ou de leurs proches. Toutefois, notre expérience avec ce changement de pratique s’est avérée largement positive, les personnes qui nous consultent, ainsi que leurs proches et, bien souvent, leurs médecins traitants, indiquant combien cela leur avait ouvert de nouvelles perspectives. Les personnes âgées et leurs proches sont bien plus clairvoyants que ne l’insinue l’association France Alzheimer et elles ne sont pas dupes des limites de l’approche strictement biomédicale du vieillissement.

Par ailleurs, on dispose dès à présent de suffisamment de données scientifiques montrant la faisabilité et l’efficacité d’interventions psychologiques et psychosociales permettant d’optimiser le fonctionnement dans la vie quotidienne et d’accroître la qualité de vie et le bien-être des personnes âgées ayant reçu un diagnostic de « démence » ou de « maladie d’Alzheimer », qu’elles vivent à domicile ou dans une structure d’hébergement à long terme. Il en va de même pour les mesures de prévention permettant d’atténuer l’importance de leurs problèmes cognitifs et fonctionnels ou d’en différer la survenue. Une revue de la littérature récente sur ces interventions psychologiques, psychosociales et de prévention peut être trouvée dans les deux chapitres que nous avons écrits dans la 2e édition du Traité de Neuropsychologie de l'adulte, Tome 2, concernant les interventions psychosociales dans la « démence » légère/modérée et dans la « démence » sévère.

Il s’agirait d’ailleurs d’arrêter de parler d’interventions non médicamenteuses, comme si leur intérêt ne pouvait se définir qu’en référence aux médicaments (au demeurant non efficaces). Relevons également que des actions devraient aussi être menées à un niveau social et politique (dans différents domaines : environnements de vie, structures sociales, politique sociale et de la santé), afin de favoriser l’engagement social des personnes âgées, les relations interpersonnelles – en particulier intergénérationnelles –, l’accès pour tous aux mesures de prévention et aux moyens d’aide, la réduction de l’isolement et de la pauvreté, etc.

Inventer de nouvelles structures

Il importe d’inventer de nouvelles structures permettant de mettre en place ce changement d’approche. En effet, les consultations mémoire (ou « cliniques mémoire » ou encore « centres mémoire »), dont le nombre n’a cessé de croître, constituent une structure pivot de l’approche biomédicale de la « démence ». Quand elles ont été ouvertes dans les années 1980, leur but principal était de recruter des patients pour entrer dans des essais cliniques sur les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase. Elles ont permis d’accroître la consommation de ces produits, lesquels ont fait l’objet d’une intense promotion indiquant qu’ils constituaient un traitement puissant et efficace, malgré l’absence de données convaincantes appuyant leur utilisation. Plus récemment, elles ont eu pour objectif de diagnostiquer les personnes présentant un MCI (trouble cognitif léger) et, de plus en plus fréquemment, de leur prescrire des médicaments « anti-Alzheimer », en dépit de l’absence de données attestant de l’efficacité de ces substances. Enfin, on voit maintenant apparaître, dans certaines consultations, une activité de diagnostic encore plus précoce, visant à repérer, au moyen de biomarqueurs, des personnes présentant une « maladie d’Alzheimer préclinique »  (asymptomatique), avec les risques, les effets négatifs et les coûts financiers qui y sont associés, et sans que des données probantes n’existent quant à l’intérêt d’une telle démarche (voir notre chronique « La détection précoce de la démence : halte à la médicalisation du vieillissement ! »). Ainsi, ces consultations participent à la médicalisation et à la pathologisation croissantes du vieillissement. En outre, la mise en place d’interventions psychosociales ne constitue qu’une part très réduite des activités de la plupart de ces consultations.

Bien que leur utilité soit défendue par certains, il n’existe pas de données solides indiquant que le recours aux consultations mémoire ait des effets bénéfiques. Ainsi, un essai randomisé contrôlé mené aux Pays-Bas par Meeuwsen et collaborateurs (2012) a montré que les consultations mémoire n’étaient pas plus efficaces que les soins standards prodigués par les médecins généralistes. Il faut ajouter que peu d’attention a été prêtée au fait que se rendre dans une consultation mémoire, le plus souvent organisée dans un contexte hospitalier, est susceptible de générer du stress et d’activer les stéréotypes négatifs pour les personnes âgées et leurs proches et contribue à accroître l’utilisation des biomarqueurs et de la neuroimagerie, ce qui, au vu du coût de ces examens, n’est pas sans incidence au niveau des coûts de la santé.

On peut donc légitimement se demander si la création d’un réseau de consultations mémoire spécialisées constitue une stratégie pertinente, ou s’il ne faudrait pas plutôt pas changer de politique afin d’offrir aux personnes âgées présentant un vieillissement cérébral problématique, ainsi qu’à leurs proches, des possibilités d’évaluation, de conseils, d’interventions et de suivi au sein même de leur milieu de vie, c’est-à-dire dans des structures de soins primaires.

Plus spécifiquement, la mise en place de mesures, visant à valoriser et renforcer le potentiel des aînés, à prendre en compte leur point de vue et leurs souhaits, à faciliter leur participation citoyenne, à briser leur isolement et à maintenir le plus longtemps possible leur santé, leur autonomie et leur bien-être, passe par le développement d’interventions et de structures insérées dans les collectivités locales, en lien direct avec les services communaux, les associations, les structures d’hébergement à long terme, les médecins de famille, etc. Cela suppose la mise en place d’équipes multi- et interdisciplinaires (avec des psychologues, des médecins, des travailleurs/euses sociaux/ales, des infirmiers / infirmières, des médiateurs/trices culturel-le-s, etc., aucune profession n’ayant préséance sur l’autre). Il s’agit donc d’envisager la personne dans son cadre de vie élargi, et non plus de la laisser faire face, seule ou presque, à l’annonce d’un diagnostic associé à de terribles perspectives.  

Comme l’indique Woods (2012), le défi le plus important est de favoriser l’engagement des personnes âgées présentant une « démence », au sein même de la société et des structures (sportives, culturelles, associatives) destinées à la population générale, dans des activités qui leur permettront d’interagir avec d’autres (en particulier, dans une perspective intergénérationnelle), de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant. Selon Woods, il s’agit d’entrer dans une ère nouvelle, dans laquelle, au-delà des préoccupations médicales et de soins, nous apprendrons à vivre bien avec la « démence », pour le bénéfice de tous.

Chen, M., & Maleski, J., & Sawmiller, D.R. (2011). Scientific truth or false hope? Understanding Alzheimer’s disease from an aging perspective. Journal of Alzheimer’s Disease, 24, 3-10.

Juillerat Van der Linden, A.C., & Van der Linden, M. (2016). Les interventions psychologiques et psychosociales chez les personnes présentant une démence sévère. In X. Seron & M. Van der Linden (Eds.), Traité de Neuropsychologie Clinique de l’Adulte (deuxième édition), Tome 2. Paris : De Boeck / Solal, sous presse.

Meeuwsen, E. J., Melis, R. J. F., Van der Aa, G., Golüke-Willemse, G., De Leest, B., …Olde Rikkert, M. (2012). Effectiveness of dementia follow-up care by memory clinics or general practitioners: randomised controlled trial. British Medical Journal, 344:e3086.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2014). Penser autrement le vieillissement. Bruxelles : Mardaga.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.C. (2014). L’évaluation neuropsychologique de la démence: un changement d’approche. In X. Seron & M. Van der Linden (Eds.), Traité de Neuropsychologie Clinique de l’Adulte (deuxième édition), Tome 1. Paris: De Boeck/Solal (pp. 575-598).

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.C. (2016). Les interventions psychologiques et psychosociales chez les personnes présentant une démence légère à modérée. In X. Seron & M. Van der Linden (Eds.), Traité de Neuropsychologie Clinique de l’Adulte (deuxième édition), Tome 2. Paris: De Boeck/ Solal, sous presse.

Woods, B., (2012). Well-being and dementia - how can it be achieved? Quality in Ageing and Older Adults, 13, 205-211.

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commentaires

F
Merci.<br /> <br /> Je suis ulcere de voir a quel point les medecins ignorent et diffament la science des que cela remet en question leurs biais cognitifs pathologisants.
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