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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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17 mars 2018 6 17 /03 /mars /2018 21:27

Résumé

Au début de l’année 2018, deux études ont une fois encore rapporté les résultats négatifs d’importants essais de traitement pharmacologique de la « maladie d’Alzheimer ». Au même moment, le groupe pharmaceutique américain Pfizer annonçait qu’il renonçait à chercher de nouveaux médicaments contre les « maladies d’Alzheimer et de Parkinson ». Durant ces 15 dernières années, 400 essais cliniques visant des traitements médicamenteux de la « maladie d’Alzheimer » ont été enregistrés, avec un taux d’échec avoisinant les 100 % !

Pourtant, on continue à propager l’idée selon laquelle il existe des traitements médicamenteux efficaces et que de nouveaux traitements sont en voie d’être identifiés. Il y a cependant de plus en plus d’éléments amenant à considérer que l’approche consistant à rechercher le traitement « miracle » qui permettrait de traiter toutes les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » avec une même molécule est totalement illusoire, du fait de la  complexité et de l’hétérogénéité de cette « maladie » (ainsi que des autres « maladies neurodégénératives »).

Des recherches récentes indiquent bien que les personnes âgées présentant des manifestations neuropathologiques considérées comme typiques de la « maladie d’Alzheimer » montrent également, de façon fréquente, des pathologies cérébrovasculaires et d’autres lésions neuropathologiques. Ces multiples neuropathologies sont aussi présentes chez des personnes âgées avec des troubles cognitifs légers et même chez des personnes âgées sans trouble cognitif. Par ailleurs, il a également été observé une grande variabilité dans l’impact de chaque neuropathologie sur le déclin cognitif : selon les individus, une même cause ne produit pas les mêmes effets.

De fait, tout traitement ciblant une manifestation neuropathologique isolée de la « maladie d’Alzheimer » est voué à l’échec. Il faut donc urgemment changer de perspective au plan de la recherche (neurobiologique, pharmacologique et préventive), et promouvoir une approche qui prenne réellement en compte la complexité et la variabilité individuelle du vieillissement cérébral et cognitif.

Dans ce contexte, on a vu apparaître le concept de médecine dite « de précision », avec l’idée que cette approche de la médecine serait particulièrement pertinente dans le domaine de la « maladie d’Alzheimer », et plus généralement de la « démence ». La médecine de précision représente une approche du traitement médical et de la prévention qui ne considère plus la population comme homogène, et se donne dès lors pour objectif d’identifier quelles sont les stratégies de traitement et de prévention efficaces pour des sous-groupes particuliers de patients, en se basant sur des facteurs génétiques et épigénétiques, environnementaux et en lien avec le style de vie. Elle se nourrit notamment de connaissances (de données) obtenues via des recherches portant sur d’importantes cohortes de personnes.

La médecine de précision, appliquée à la démence, pourrait paraître bien adaptée à l’étude des multiples mécanismes et facteurs qui sont impliqués dans le vieillissement cérébral et psychologique problématique, et ce, de façon variable selon les personnes. Cependant, ce courant soulève de très nombreuses questions scientifiques, organisationnelles et économiques, cliniques, sociales, juridiques éthiques et philosophiques. En particulier, il se pose la question de la vision déshumanisante à laquelle elle conduit, ainsi que de son coût financier très important. De plus, des doutes ont été émis quant à sa faisabilité et à son utilité, qui restent toutes deux largement à démontrer.

S’il nous apparaît important que la recherche neurobiologique dans le domaine du vieillissement cérébral et cognitif prenne davantage en compte son caractère plurifactoriel et pluri-mécanismes, ainsi que son importante hétérogénéité, en abandonnant l’illusion du « médicament miracle », il ne faudrait pas pour autant que l’essentiel des ressources financières soient désormais consacrées à l’exploration de dysfonctionnements affectant des « systèmes neurobiologiques complexes » et au développement d’une « médecine et pharmacologie de précision », dont les succès à court ou moyen terme sont assez imprévisibles.

En effet, les besoins actuels sont déjà énormes ! Il est indispensable d’allouer ici et maintenant des moyens plus importants pour mettre en place :

- des actions communautaires favorisant l’engagement des personnes présentant une « démence » au sein même de la société, dans des activités qui leur permettent d’interagir avec d’autres, de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant ;

- des interventions psychologiques et psychosociales focalisées sur les difficultés quotidiennes et la souffrance psychologique de ces personnes, ainsi que celles de leurs proches ;

- des interventions de prévention focalisées sur des facteurs intervenant tout au long de la vie et dont les études épidémiologiques ont montré qu’ils étaient susceptibles de réduire ou de différer les expressions les plus problématiques des difficultés.

- des structures insérées dans les collectivités locales, en lien direct avec les services communaux, les associations, les structures d’hébergement à long terme, les médecins de famille, etc. Ce qui suppose aussi l’installation d’équipes multi- et interdisciplinaires.

En outre, il importe aussi de changer de culture dans les structures d’hébergement à long terme, en passant d’une approche centrée sur la sécurité, les questions médicales et l’uniformité à une approche davantage centrée sur la personne (ses aspirations, sa qualité de vie) et sur ses liens avec la société. Enfin, des actions devraient tout particulièrement être entreprises afin d’optimiser le bien-être des personnes âgées présentant une « démence » et qui sont en fin de vie

Des échecs retentissants et répétés dans la recherche pharmacologique

Au début de l’année 2018, un nouvel échec dans le traitement pharmacologique de la « maladie d’Alzheimer » a été rapporté par Atri et ses collaborateurs (2018). Cette étude a en effet montré l’absence d’effet bénéfique de l’idalopirdine (une molécule censée avoir des propriétés cholinergiques, glutamatergiques, dopaminergiques et noradrénergiques) sur le fonctionnement cognitif de personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » légère à modérée. Cet article décrit les résultats négatifs de trois essais cliniques randomisés de phase 3 (étude pivot de comparaison d'efficacité), multicentriques (119 sites dans l’étude 1, 158 sites dans l’étude 2, 126 sites dans l’étude 3) et multinationaux (16 pays impliqués dans l’étude 1, 18 pays dans l’étude 2, et 16 pays dans l’étude 3). En tout, ces essais ont recruté un total de 2525 personnes.

De même, en janvier 2018, Honig et collaborateurs ont décrit les résultats négatifs d’un essai (EXPEDITION 3) concernant le solanezumab, un anticorps monoclonal conçu dans le but de « nettoyer » le peptide amyloïde bêta du cerveau. Cet essai s’inscrivait dans la suite de deux essais précédents, pour lesquels des analyses secondaires avaient montré un modeste effet de ralentissement du déclin cognitif. Ce nouvel essai, qui a uniquement inclus des personnes avec une « maladie d’Alzheimer » légère et présentant des signes avérés de dépôt amyloïde, n’a pas confirmé l’effet bénéfique précédemment observé.

Il est à noter que, à la même période, le groupe pharmaceutique américain Pfizer a annoncé qu’il cesserait de chercher de nouveaux médicaments contre les « maladies d’Alzheimer et de Parkinson » et qu’il allouerait plutôt ses ressources à des domaines dans lesquels « son expertise est la plus forte ».

Comme le relève Bennett (2018), plus de 400 essais cliniques visant des traitements médicamenteux de la « maladie d’Alzheimer » ont été enregistrés durant ces 15 dernières années, avec un taux d’échec d’environ 100 %. Dans ce contexte, rappelons que, en octobre 2016, la Commission de la transparence de la Haute autorité de santé (HAS) en France jugeait inefficaces, et sources d'effets indésirables potentiellement graves et pouvant affecter la qualité de vie, quatre médicaments « anti-Alzheimer » pourtant largement prescrits (Ebixa®, Aricept®, Exelon®, et Reminyl®) et prônait qu’ils ne soient plus remboursés - avis qui n’a cependant pas été suivi par les responsables politiques français (voir nos chroniques « La Haute Autorité de Santé en France conclut à l’inefficacité des médicaments contre la « maladie d’Alzheimer » : cela mènera-t-il à un changement d’approche ? » ; « La France va-t-elle arrêter de rembourser les médicaments "anti-Alzheimer" ? »).

 

Et pourtant, en dépit de ces innombrables échecs thérapeutiques, différents chercheurs et cliniciens continuent à propager l’idée selon laquelle il existe des traitements médicamenteux efficaces et que de nouveaux traitements sont en voie d’être identifiés. Ainsi, par exemple, le Centre de la Mémoire des Hôpitaux Universitaires de Genève (dont nous avions déjà décrit les objectifs réductionnistes et pathologisants dans une chronique précédente « Quand un centre de la mémoire fait des annonces inacceptables sur le diagnostic précoce de la "maladie d’Alzheimer" ») et qui a été inauguré le 6 février 2018, annonce, dans un communiqué de presse (voir le pdf), qu’il « accorde une grande importance à la détection précoce de la maladie afin d’introduire un traitement le plus rapidement possible dans le but d’en freiner, voire stopper, la progression et d’améliorer la qualité de vie ». Par ailleurs, l’un des premiers objectifs affichés de ce centre est de « permettre à des patients de participer à des essais cliniques avec les techniques et les médicaments préventifs expérimentaux les plus innovants, tels qu’anti-amyloïde, anti-tau ou radiothérapie notamment ».

Il existe pourtant de plus en plus d’éléments amenant à considérer que l’approche qui consiste à rechercher le traitement « miracle » qui permettrait de traiter toutes les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » avec une même molécule est totalement illusoire. Ce constat découle essentiellement de la complexité et de l’hétérogénéité de l’état appelée « maladie d’Alzheimer » (et d’ailleurs aussi des autres « maladies neurodégénératives »).

Quand des « expert.e.s en maladie d’Alzheimer » s'obstinent à nier la réalité !

L’hétérogénéité de la « maladie d’Alzheimer », de la « démence » et, plus généralement, du vieillissement

Les données cliniques et neuropathologiques obtenues par diverses études menées sur des échantillons issus de la population générale et qui ont incorporé une autopsie cérébrale montrent que la démence de type « maladie d’Alzheimer », mais aussi d’autres types de démences, se caractérisent par la présence concomitante de multiples manifestations neuropathologiques (voir Kapasi, DeCarli, & Schneider, 2017). Ainsi, les personnes âgées présentant des pathologies considérées comme typiques de la maladie d’Alzheimer (des plaques séniles et des dégénérescences neurofibrillaires) montrent également, de façon fréquente, des pathologies cérébrovasculaires (macro- et micro-infarctus, athérosclérose, artériosclérose, angiopathie amyloïde cérébrale), ainsi que diverses autres pathologies (corps de Lewy, TDP-43, sclérose hippocampique…). Il faut toutefois relever que ces multiples neuropathologies sont aussi relevées chez des personnes âgées avec des troubles cognitifs légers et chez des personnes âgées sans trouble cognitif...

Dans une étude récente, Boyle et al. (2018) ont examiné dans quelle mesure différentes neuropathologies contribuaient au déclin cognitif à un niveau individuel. Cette exploration a été menée auprès d’un échantillon de 1079 personnes âgées, issues de deux importantes recherches longitudinales, épidémiologiques et clinico-pathologiques consacrées au vieillissement. Ces personnes ont donc été suivies longitudinalement (sur une période allant jusqu’à 22 ans), avec notamment un suivi au plan cognitif (une mesure composite de fonctionnement cognitif établie à partir de 17 tests cognitifs). Par ailleurs, après leur décès (à un âge moyen de 89.7 ans), ces personnes ont fait l’objet d’une autopsie cérébrale et d’examens neuropathologiques, qui ont identifié des neuropathologies « Alzheimer » (plaques séniles, plaques diffuses, dégénérescences neurofibrillaires), des macro-infarctus, l’angiopathie amyloïde cérébrale, la protéine TDP-43, l’athérosclérose, l’artériosclérose, les corps de Lewy et la sclérose hippocampique.

Les résultats ont tout d’abord montré que la présence de neuropathologies est fréquente chez les personnes âgées et que, très souvent, plusieurs neuropathologies sont présentes de manière concomitante : 94% des personnes avaient une neuropathologie ou plus, 78% avaient 2 neuropathologies ou plus, 58% avaient 3 neuropathologies ou plus, 35% avaient 4 neuropathologies ou plus, et 16.8% avaient 5 neuropathologies ou plus. Les pathologies « Alzheimer » (plaques séniles, plaques diffuses et dégénérescences neurofibrillaires) étaient les plus fréquentes (65%), mais apparaissaient rarement de façon isolée (9%). Étonnamment, 236 combinaisons de neuropathologies ont été observées, chacune apparaissant dans moins de 6% de l’échantillon (il s’agit d’un nombre qui pourrait être obtenu sur base du hasard) et 100 combinaisons n’étaient présentes que chez un seul individu.

Par ailleurs, les auteurs ont examiné l’association entre les différentes neuropathologies et le déclin cognitif. A l’exception des micro-infarctus, toutes les neuropathologies étaient indépendamment associées à un niveau cognitif plus bas dans une période proche du décès et à un déclin cognitif plus rapide. Enfin, il est apparu que la contribution relative des neuropathologies spécifiques au déclin cognitif variait considérablement d’une personne à l’autre. Ainsi, par exemple, quand elles étaient présentes, les pathologies « Alzheimer » rendaient compte en moyenne de plus de 55% du déclin cognitif total. Cependant, à un niveau individuel, elles pouvaient rendre compte d’entre 22.3% et 100% du déclin cognitif, selon les autres neuropathologies présentes. Bien que présents dans seulement 10% environ de l’échantillon, les corps de Lewy et la sclérose hippocampique rendaient compte en moyenne, respectivement, de 41% et de 24.9% du déclin cognitif total, mais à nouveau avec des variations importantes dans la contribution au plan individuel (entre 20 et 50%). La protéine TDP-43 rendait compte de 23.8% du déclin cognitif total, avec une contribution au plan individuel allant de 15 à 35%. Les pathologies vasculaires rendaient compte d’environ 20% du déclin cognitif global, avec des variations au plan individuel entre 16 et 20%. Notons également que, sur les 35% des personnes examinées qui ne remplissaient pas les critères neuropathologiques de « maladie d’Alzheimer », 21% avaient pourtant reçu un diagnostic clinique de « maladie d’Alzheimer ». Et, sur les 44% des personnes qui avaient reçu un diagnostic clinique de « maladie d’Alzheimer » peu avant leur décès, 17% n’en avaient pourtant pas les critères neuropathologiques.

En conclusion, ces résultats confirment la présence fréquente de neuropathologies chez les personnes âgées, l’existence d’une importante comorbidité neuropathologique, et une grande variabilité, au plan individuel, dans l’impact de chaque neuropathologie sur le déclin cognitif.  

De façon intéressante, Boyle et al. (2013) ont également constaté que les neuropathologies considérées comme typiques des trois « maladies démentielles » les plus courantes (maladie d’Alzheimer, maladie cérébrovasculaire et maladie à corps de Lewy) expliquent moins de la moitié des différences interindividuelles dans le déclin cognitif.

En d’autres termes, il apparaît qu’une grande partie des problèmes cognitifs liés à l’âge et à la démence n’est pas expliquée et que d’autres mécanismes sont impliqués. Par exemple, parmi ces nouveaux mécanismes explorés, des anomalies dans les fonctions des astrocytes (des cellules gliales qui assurent diverses fonctions centrées sur le support et la protection des neurones) semblent être impliquées dans la pathogenèse des « maladies neurodégénératives » (Gorshkov, Aguisanda, Thorne, & Zheng, 2018).

Dans ce contexte d’une variabilité non expliquée, il s’agirait également de mieux comprendre les interactions entre les neuropathologies et les facteurs de résilience, à savoir les facteurs qui contribuent à préserver le fonctionnement cognitif en dépit de la présence de neuropathologies.

Il importe aussi de rappeler que plusieurs chercheurs (p. ex., Castellani & Perry 2012 ; Drachman, 2014) ont mis en question le fait que les modifications neuropathologiques (et tout particulièrement les plaques séniles/amyloïdes) pussent être la cause de la maladie d’Alzheimer. Castellani et Perry ont émis l’hypothèse selon laquelle ces modifications constitueraient plutôt un mécanisme adaptatif, voire une réponse protectrice du cerveau face à certaines atteintes dont il fait l’objet.  

Relevons enfin que l’hétérogénéité de la « démence », et notamment de la « maladie d’Alzheimer », se manifeste aussi sur le plan de l’atrophie cérébrale. Ainsi, Polakis et al. (2018) ont mis en évidence, chez 299 personnes ayant reçu un diagnostic clinique de « maladie d’Alzheimer probable » (selon les critères NINCDS/ADRDA ; avec un MMSE entre 20 et 26 et un CDR de 0.5 ou 1) et issues de deux cohortes multicentriques, 5 sous-types d’atrophie corticale et sous-corticale :

- un groupe avec une atrophie cérébrale minimale dans le cortex entorhinal gauche ;

- un groupe avec une atrophie dans les régions temporales et limbiques (sous-type « limbique prédominant ») ;

- un groupe avec une atrophie principalement dans les régions pariétales et frontales (sous-type « préservation des régions hippocampiques ») ;

- un groupe avec une atrophie diffuse dans plusieurs régions corticales et sous-corticales à l’exception des régions postcentrale, précentrale, frontale moyenne caudale, paracentrale et du cuneus (sous-type « diffus 1 ») ;

- un groupe avec une atrophie plus sévère et plus étendue dans pratiquement toutes les régions corticales et sous-corticales (sous-type « diffus 2 »).

Par ailleurs, ces différents sous-types diffèrent au niveau de l’âge, du début de la « maladie, du niveau scolaire et de la nature de déficits cognitifs. De plus, les sous-types « préservation des régions hippocampiques », « diffus 1 » et « diffus 2 » montrent un déclin cognitif plus important avec le temps. D’autres données concernant l’hétérogénéité de la « maladie d’Alzheimer (notamment, l’hétérogénéité des problèmes cognitifs et des trajectoires cognitives) peuvent être trouvées dans une de nos chroniques précédentes (« Quand l’hétérogénéité de la maladie d’Alzheimer, et plus généralement du déclin cognitif, s’affirme de plus en plus »).

Implications pour la recherche neurobiologique, pharmacologique et préventive

De façon générale, et comme le relève Bennett (2018 ; voir aussi Murphy, 2018), la comorbidité et l’hétérogénéité neuropathologiques qui caractérisent la « maladie d’Alzheimer » (et plus généralement les « démences ») conduisent à constater qu’un traitement pharmacologique / médical ciblant une manifestation neuropathologique isolée n’est et ne sera, de toute évidence, pas en mesure d’avoir un effet bénéfique significatif. De plus, il faut tenir compte du fait que l’efficacité d’un agent thérapeutique ciblant une manifestation neuropathologique spécifique variera selon la présence d’autres manifestations neuropathologiques.

Il y a donc un urgent besoin d’un changement de paradigme au plan de la recherche (neurobiologique, pharmacologique et préventive), avec une approche systémique qui prenne réellement en compte la complexité et la variabilité interindividuelle du vieillissement cérébral et psychologique (cognitif, socio-émotionnel, motivationnel).

Plus spécifiquement, il s’agirait d’explorer conjointement :

- les multiples mécanismes neurobiologiques impliqués dans la démence et les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres ;

- les différents facteurs de risque et de protection (génétiques, psychologiques, environnementaux, en lien avec le style de vie, culturels) mis en évidence par les études épidémiologiques et les mécanismes par lesquels ils agissent ;

- les capacités compensatoires (la plasticité cérébrale et psychologique) et les facteurs qui modulent cette plasticité et qui contribuent dès lors aux différences interindividuelles.

Dans ce contexte, Ganguli et collaborateurs (2018) ont suggéré de placer la recherche neurobiologique sur la démence dans le contexte de la vie réelle et de la population générale, à savoir mélanger les techniques et les modèles de la neuroscience avec ceux de l’épidémiologie et des biostatistiques. Cette approche que les auteurs ont intitulée « population neuroscience » devrait permettre de minimiser les biais de sélection typiques de la recherche clinique traditionnelle (p. ex., le recrutement au sein des consultations-mémoire), d’identifier des sous-groupes de personnes au sein de la population générale, de mieux comprendre ce qui les différencie (au plan neurobiologique et en termes de facteurs de risque et/ou de protection) et de déterminer ceux qui répondent à différentes stratégies de traitement et de prévention ; d’examiner des manifestations psychologiques (cognitives, socio-émotionnelles, motivationnelles) plus larges et plus variées ; de déterminer, via un suivi à long-terme de cohortes suffisamment importantes, des effets de cohorte (des effets en lien avec les caractéristiques particulières des populations examinées), ainsi que des fenêtres critiques d’exposition à des facteurs de risque et de protection.

Selon Ganguli et collaborateurs, cette approche de « population neuroscience » devrait fournir des informations précieuses pouvant utilement nourrir la médecine de précision (ou, selon un terme plus ancien, la médecine personnalisée) et, plus largement, la santé de la population.  

Quand des « expert.e.s en maladie d’Alzheimer » s'obstinent à nier la réalité !

Médecine de précision ou approche centrée sur la personne ?

La médecine de précision représente une approche émergente du traitement médical et de la prévention, qui prend en compte la variabilité individuelle dans les gènes, l’environnement et le style de vie. De façon plus spécifique, elle ne considère plus la population comme homogène et se donne dès lors pour objectif d’identifier quelles sont les stratégies de traitement et de prévention efficaces pour des sous-groupes particuliers de patients, en se basant sur des facteurs génétiques et épigénétiques, environnementaux et en lien avec le style de vie. La médecine de précision se distingue d’une médecine « à taille unique », selon laquelle les stratégies de traitement et de prévention sont développées pour la personne « moyenne », en considérant moins les différences entre individus (sur plusieurs facteurs). Elle est par ailleurs censée se nourrir de connaissances obtenues via des recherches portant sur d’importantes cohortes de personnes. Il faut relever qu’un groupe de travail s’est formé concernant la médecine de précision dans la « maladie d’Alzheimer » (Alzheimer Precision Medicine Initiative, APMI) et que ce groupe s’est récemment penché sur la question de la pharmacologie de précision (Hampel et al., 2018).

La médecine de précision, appliquée à la démence, apparaît de prime abord bien adaptée aux multiples mécanismes et facteurs qui sont impliqués dans le vieillissement cérébral et psychologique problématique, et ce, de façon variable selon les personnes. Cependant, et de façon générale, ce courant soulève de très nombreuses questions scientifiques, organisationnelles et économiques, cliniques, sociales, juridiques, éthiques et philosophiques (que nous n’aborderons évidemment pas toutes en détails dans cette chronique).

Ainsi, certains l’ont analysée comme un nouveau mythe consistant « […] à faire croire que l’analyse des données va révéler la vérité intime des pathologies, le comportement des structures biologiques. Et même assurer un nouveau bien-être de la population en ouvrant la voie à des vies sans fin et une communication exhaustive. Derrière la révolution annoncée par la médecine fondée sur les données (c’est ce qu’est en réalité la médecine de précision), il y a l’idée que les humains eux-mêmes ne sont que des systèmes de données » (Kiefer, 2015). Comme le relève également Kiefer (2016), « L’humain n’est pas qu’un objet transparent à des systèmes que le décrivent et l’expliquent. Il est aussi acteur, créateur de valeurs, de normes et, à la fin, de lui-même. C’est à nous tous et à chacun d’entre nous de définir à tout moment ce qu’est la santé : en ce sens seulement, on peut parler de médecine ou de santé personnalisée ».

Dans un article du journal Le Temps (https://www.letemps.ch/opinions/medecine-personnalisee-quelques-questions-impertinentes), Anne Sandoz, licenciée en lettres et théologienne, s’interroge aussi sur la vision que la médecine de précision (médecine personnalisée) véhicule : « Envisageons-nous l’humain de manière mécaniste en tant que porteur de multiples défectuosités potentielles qu’il s’agit d’identifier, d’anticiper, de corriger et de réparer en continu? Ou le concevons-nous comme un tout biologique, psychique, social, spirituel, en devenir permanent, avec ses imprévisibilités et ses ressources vitales propres ? Selon la réponse donnée, davantage de fonds seront alloués à la médecine «personnalisée», prédictive, qui engloutit des moyens colossaux tout en se limitant à des domaines spécifiques, ou en amont pour travailler sur ce qui favorise un état de santé global des individus et de la société ». Elle ajoute : « Parler de médecine personnalisée fait en effet rire jaune alors que patients et résidents d’EMS ne peuvent être conduits aux toilettes quand ils en expriment le besoin. Ou que des personnes handicapées à domicile attendent vainement de l’aide toute la matinée par manque de "ressources humaines"… ». Anne Sandoz incite enfin à repenser la notion de santé : « Parallèlement, nous pourrions repenser fondamentalement les notions mêmes de santé, de guérison et de maladie en sortant d’une logique binaire : la santé est-elle uniquement une absence de maladie ? N’y a-t-il guérison, comme le suggèrent les questionnaires des assurances-maladie, que lorsqu’un traitement est terminé avec un succès objectivement mesurable ? De quoi devons-nous en fait « guérir » ? De la non-acceptation de notre finitude ? De notre désir jamais assouvi de maîtrise ? De notre orgueil et de notre incapacité à reconnaître notre dépendance fondamentale les uns par rapport aux autres ? ».

D’autres ont émis des doutes quant à la faisabilité et à l’utilité de la médecine de précison, qui restent toutes deux largement à démontrer. Dans cette perspective, Khoury et Galea (2016) concluent leur analyse critique comme suit (traduit par nos soins) : « Même avec des millions de données biologiques recueillies auprès des individus, il se peut que des interventions au niveau de la population affectant le logement, la nutrition, la pauvreté, l'accès aux ressources et l'éducation aient plus de bénéfices pour la santé que des interventions individualisées. En fait, il est plus probable qu'une combinaison d'approches - allant d'interventions à l'échelle de la population à des interventions spécifiques adaptées à des groupes à risque élevé - sera nécessaire pour améliorer efficacement la santé de la population et réduire les disparités en matière de santé ».

Brave new medicine...

Brave new medicine...

Ainsi, autant il nous apparaît important que la recherche neurobiologique dans le domaine du vieillissement cérébral et cognitif (de la « démence ») prenne davantage en compte son caractère plurifactoriel et pluri-mécanismes - ainsi que son importante hétérogénéité - , en abandonnant l’illusion du « médicament miracle », autant il nous semble crucial de bien veiller à ce que l’essentiel des ressources financières ne soient pas consacrées à l’exploration de dysfonctionnements affectant des « systèmes neurobiologiques complexes » et au développement d’une « pharmacologie de précision », dont les succès à court ou moyen terme sont assez imprévisibles. En effets, les besoins actuels sont déjà énormes !

Dès à présent, il est indispensable d’allouer des moyens plus importants afin de mettre en place :

- des actions communautaires permettant de réduire les obstacles socialement imposés aux personnes âgées présentant une « démence », et de combattre la dévaluation, la stigmatisation et les inégalités de traitement dont elles font l’objet, la non satisfaction de certains de leurs besoins, et même la violation de leurs droits humains. Il s’agit donc de créer des lieux de vie qui « rendent capables les personnes présentant une démence » (dementia enabling communities) et de favoriser leur engagement au sein même de la société et des structures (sportives, culturelles, associatives) destinées à la population générale, dans des activités qui leur permettent d’interagir avec d’autres, de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant ;

- des interventions psychologiques et psychosociales focalisées sur les difficultés quotidiennes et la souffrance psychologique de ces personnes, ainsi que celles de leurs proches, et ce, à partir d’une interprétation psychologique individualisée (une formulation de cas), prenant en compte de façon intégrée différents types de processus psychologiques (cognitifs, affectifs, motivationnels, relationnels, identitaires), tout en tentant aussi d’identifier le rôle des facteurs biologiques, des facteurs socio-culturels et des événements de vie. Ces interventions devraient également être guidées par les composantes de la réappropriation de soi, à partir desquelles une personne peut retrouver - ou trouver - un sens à la vie, un sentiment de bien-être, une place dans la société selon son choix, le pouvoir d’agir, un rôle social, en dépit de difficultés psychologiques ou fonctionnelles. Pour rappel, ces composantes de la réappropriation de soi sont : être en relation et avoir le sentiment d’appartenir à une communauté ; avoir de l’espoir et de l’optimisme concernant le futur, en ayant le sentiment de pouvoir se réapproprier soi-même ; avoir un sentiment d’identité personnelle et s’affranchir de la stigmatisation ; donner un sens à sa vie et avoir des activités signifiantes ; avoir un sentiment de contrôle de son existence.

- des interventions de prévention focalisées sur des facteurs intervenant tout au long de la vie et dont les études épidémiologiques ont montré qu’ils étaient susceptibles de réduire ou de différer les expressions les plus problématiques des difficultés. Dans ce contexte, on ne peut que se réjouir du rapport « Prévention de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées » rédigé sous l’égide du Haut Conseil de la Santé Publique en France, publié en décembre 2017, et qui dresse un tableau riche et complet de la question de la prévention dans le domaine du vieillissement cérébral et cognitif problématique (voir le pdf). Il faut cependant prendre conscience du fait qu’un grand nombre d’entre nous rencontrerons, durant le grand âge, des difficultés physiques, cognitives et fonctionnelles, même si des interventions de prévention sont mises en place. De ce point de vue, la conception du « vieillissement réussi » (successful aging), qui met l’accent sur les choix individuels d’un style de vie potentiellement bénéfique et sur la responsabilité personnelle dans l’optimisation du fonctionnement quotidien, conduit de fait à dévaluer, voire à mettre en accusation, les personnes âgées présentant des troubles cognitifs et fonctionnels. En outre, elle néglige le fait que ces choix et cette responsabilité sont aussi fortement contraints par des facteurs socio-économiques et environnementaux (ressources financières, éducation, accès aux soins de santé et aux activités stimulantes). Rappelons également que les interventions de prévention doivent se fonder sur une approche holistique, prenant en compte les facteurs psychologiques, sociaux, culturels, etc., et pas uniquement sur les facteurs médicaux, et qu’elles nécessitent dès lors des équipes pluridisciplinaires.

La mise en place de mesures visant à valoriser et renforcer le potentiel des aînés, à prendre en compte leur point de vue et leurs souhaits, à faciliter leur participation citoyenne, à briser leur isolement et à maintenir le plus longtemps possible leur santé, leur autonomie et leur bien-être, passe par le développement d’interventions et de structures insérées dans les collectivités locales, en lien direct avec les services communaux, les associations, les structures d’hébergement à long terme, les médecins de famille, etc. En d’autres termes, il s’agit d’offrir aux personnes âgées présentant une « démence », ainsi qu’à leurs proches, des possibilités d’évaluation, de conseils, d’interventions et de suivi au sein même de leur milieu de vie, c’est-à-dire dans des structures de soins primaires, et non au sein de consultations ou centres de mémoire spécialisés. Cela suppose aussi la mise en place d’équipes multi- et interdisciplinaires (avec des psychologues, des médecins, des travailleur·se·s sociaux·ales, des infirmier·ère·s, des médiateur·trice·s culturel·le·s, etc., aucune profession n’ayant préséance sur l’autre).

Enfin, il importe également de changer de culture dans les structures d’hébergement à long terme, en passant d’une approche centrée sur la sécurité, les questions médicales et l’uniformité (avec la pathologisation des comportements et la surconsommation médicamenteuse qui en découlent) à une approche davantage centrée sur la personne (ses aspirations, sa qualité de vie) et sur ses liens avec la société. Plus spécifiquement, il s’agit de s’attaquer aux quatre fléaux que sont la solitude, le sentiment d’impuissance, l’ennui, et les activités qui n’ont pas de sens. En outre, des actions devraient tout particulièrement être entreprises afin d’optimiser le bien-être des personnes âgées présentant une démence et qui sont en fin de vie.

Quand des « expert.e.s en maladie d’Alzheimer » s'obstinent à nier la réalité !

Références

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27 juin 2017 2 27 /06 /juin /2017 23:17

Diverses expériences sociales ont récemment été menées dans le but de favoriser l’insertion sociale, la qualité de vie et le bien-être des personnes ayant reçu un diagnostic de démence. Ainsi, dans plusieurs pays, de nombreuses initiatives ont vu le jour, visant à développer des lieux de vie « amis des personnes présentant une démence » (dementia-friendly communities). Par ailleurs, on a vu apparaître un autre discours sur la démence, s’éloignant  du discours tragique fait de perte, de déclin et de mort : le discours du « vivre bien avec une démence ». Ces expériences ne sont cependant pas dépourvues d’ambiguïtés. Plus fondamentalement, leur limite majeure est, pour la plupart d’entre elles, de ne pas mettre réellement en question le modèle biomédical de la démence.

En fait, les représentations sociales négatives, voire apocalyptiques, sur la démence sont encore très fortement ancrées dans l’esprit de la population. Il a été maintes fois montré que la conception neurobiologique de la maladie d’Alzheimer (et par extension de la démence) et le langage tragique qu’elle véhicule représentent une construction sociale qui a notamment émergé dans le contexte d’une vision de la société focalisée sur l’efficacité, le rendement, la compétition et l’individualisme, ainsi que de la neuroculture dans laquelle le réductionnisme neurobiologique est devenu une pensée dominante

Une autre conception qui réintègre les manifestations problématiques du vieillissement cérébral et cognitif dans le contexte plus large du vieillissement et qui prend en compte la complexité et la diversité des facteurs et mécanismes en jeu, intervenant tout au long de la vie, peut nous inviter à considérer que nous partageons tous les vulnérabilités liées au vieillissement cérébral et cognitif. Dans cette perspective, Behuniak (2010) propose précisément de considérer les personnes présentant une démence avant tout comme des personnes vulnérables, la vulnérabilité renvoyant à l’incertitude concernant la capacité d’une personne à protéger ses intérêts propres. Ainsi, une personne vulnérable est quelqu’un qui peut, parfois, et pour certaines tâches, avoir besoin de protection ou de soins particuliers, sans que ça la prive de ses droits, de sa dignité, de sa citoyenneté et de son humanité. De plus, cette conception de la vulnérabilité met en avant les liens qui nous relient aux autres, dans la mesure où nous sommes tous susceptibles de devenir vulnérables et nous partageons tous la responsabilité de répondre aux besoins de personnes vulnérables.

Les postulats, concepts et pratiques de l’approche biomédicale dominante de la maladie d’Alzheimer, et plus généralement de la démence, sont de plus en plus mis en doute. Dans un éditorial intitulé Branle-bas (éditorial du numéro de juin 2017 de la revue de presse Actualités Alzheimer réalisée par la Fondation Médéric Alzheimer), Jacques Frémontier souligne les nombreuses incertitudes - ou certitudes ébranlées - qui touchent la « planète Alzheimer » (lien).

Dans ce contexte de « branle-bas généralisé », on voit apparaître une aspiration croissante (que ce soit dans la recherche ou dans la pratique clinique) à une approche qui assume réellement la complexité et les nuances du vieillissement cérébral et cognitif problématique, et qui le réintègre dans le cadre plus général du vieillissement, dans ses multiples expressions, sous l’influence de nombreux facteurs et mécanismes intervenant tout au long de la vie (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, sous presse ; Leblond, Juillerat Van der Linden & Van der Linden, 2017).

On assiste également à une réflexion humaniste concernant les moyens et actions à mettre en œuvre collectivement pour valoriser et renforcer le potentiel des personnes âgées ayant reçu un diagnostic de démence, pour prendre en compte leur point de vue et leurs souhaits, pour leur donner plus de responsabilités dans les décisions, pour faciliter leur participation citoyenne et leur engagement dans des activités (au sein même des structures destinées à la population tout-venant) qui leur permettront d’interagir avec d’autres, de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant.

Dans cette perspective, diverses expériences sociales ont récemment été menées dans le but de favoriser l’insertion sociale, la qualité de vie et le bien-être des personnes ayant reçu un diagnostic de démence. Nous en montrerons l’intérêt mais aussi les limites.    

Une société « amie des personnes présentant une démence » (dementia-friendly community) ou une société « qui rend capables les personnes avec une démence » (dementia enabling community) ?

Dans plusieurs pays (au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Australie, au Japon, aux Pays-Bas, en Belgique), de nombreuses initiatives ont vu le jour visant à développer des lieux de vie « amis des personnes présentant une démence » (dementia-friendly communities ; voir Lin, 2017).

Ainsi, par exemple, l’aéroport de Heathrow, en Angleterre, s’est engagé en août 2016 à devenir le premier aéroport « ami des personnes présentant une démence » (lien). Cette démarche s’est inscrite dans le contexte plus général du Prime Minister’s 2020 Challenge on Dementia incitant, entre autres, les structures publiques et privées à prendre des engagements (sous forme de chartes et de programmes de formation des employé-e-s) dans le but de devenir « amies de la démence » (lien).

Par ailleurs, partant de l’idée que créer une société « amie des personnes avec une démence » implique aussi d’améliorer les connaissances et les attitudes des enfants concernant la démence, Jess Baker a élaboré, en Australie, un programme d’éducation sur la démence destiné aux enfants de 10 à 12 ans, avec des résultats préliminaires positifs (lien). Des programmes d’éducation sur la démence et de soutien à des actions sociales, destinés aux enfants et jeunes adultes (entre 5 et 25 ans), ont également été mis en place par la Société Alzheimer d’Angleterre, d’Irlande du Nord et du Pays de Galles (lien). De plus, aux Etats-Unis, Sun et collaborateurs (2017) ont abordé la question des lieux de vie « amis des personnes avec une démence » en examinant les connaissances des policiers concernant la démence et en insistant sur la nécessité de leur proposer un programme visant à accroître ces connaissances, à réduire leurs stéréotypes et à améliorer leurs compétences dans les interactions avec ces personnes.

Ces expériences, et il y en a bien d’autres, ont clairement le mérite d’amener la société, dans ses différentes composantes, à mieux comprendre, soutenir et respecter les personnes présentant une démence, ainsi qu’à favoriser leur insertion sociale. Cependant, Shakespeare, Zeilig et Mittler (2017) ont indiqué en quoi il ne suffisait pas d’être gentil, compréhensif et accueillant envers les personnes avec une démence, mais qu’il fallait aussi, plus fondamentalement, se pencher sur les obstacles socialement imposés qu’elles rencontrent (et pas uniquement les obstacles en lien avec leurs déficits), sur la dévaluation, la stigmatisation et les inégalités de traitement dont elles font l’objet, sur la non satisfaction de certains de leurs besoins (p. ex., dans le domaine de la santé, des transports, de l’habitat, etc.) et même sur la violation de leurs droits humains. En ce sens, le terme « dementia-friendly communities » leur apparaît inapproprié (et teinté de condescendance charitable), et les auteurs suggèrent de lui préférer celui de « dementia enabling communities » (lieux de vie qui rendent capables les personnes présentant une démence).

Shakespeare, Zeilig et Mittler, ayant chacun vécu l’expérience du handicap (le premier auteur ayant un handicap physique, la deuxième ayant un problème de santé mentale et le troisième ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer ») suggèrent par ailleurs d’envisager la démence dans le contexte du modèle social du handicap, lequel met l’accent sur les obstacles (culturels, sociaux, psychologiques et physiques) érigés par les personnes non handicapées, qui empêchent les personnes handicapées d’être pleinement intégrées à la société, voire même qui les en excluent. Dans ce contexte, les auteurs considèrent que la démence devient aussi une question relevant des droits humains, et plus spécifiquement de la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées (tout en reconnaissant que cette convention s’inscrit dans une perspective par trop individualiste, négligeant ainsi la réalité complexe et interdépendante de la vie des personnes handicapées).

Dans cette perspective des droits humains appliqués à la démence, plusieurs démarches militantes (dementia activism) ont été entreprises par des personnes présentant une démence afin de faire entendre leur voix et reconnaître leur identité, de résister au déni de pouvoir dont elles font l’objet et de mettre en avant leur statut de citoyen, avec les droits qui y sont associés (Bartlett, 2014). De façon plus spécifique, Charras, Eynard et Viatour (2016) ont montré tout l’intérêt qu’il y avait à analyser la conception des structures d’hébergement à long terme destinées aux personnes présentant une démence et l’utilisation de l’espace dans ces structures à partir de plusieurs principes des droits humains (le respect, la liberté, la dignité et l’égalité).

Behuniak (2010) considère cependant que l’accent mis sur la citoyenneté des personnes présentant une démence et l’égalité des droits qui y est associée comporte des aspects problématiques. Plus spécifiquement, le problème survient quand il existe des différences tellement significatives entre les individus que des différences de traitement se justifient, comme cela peut être le cas chez des personnes présentant des troubles cognitifs ou socio-émotionnels importants. Dans ce contexte, Bartlett et O’Connor (2007) suggèrent d’adopter une perspective plus large, qui intègre la personne (et son identité individuelle) et le citoyen, mais qui reconnaît aussi la complexité de l’expérience humaine. De même, assumant eux-aussi la complexité des expressions de la démence, Shakespeare, Zelig et Mittler proposent finalement d’adopter un modèle stratifié, dans lequel différents niveaux (biologique, psychologique, environnemental, social, légal) interagissent pour produire l’expérience du handicap chez les personnes présentant une démence.

Vivre bien avec une démence, mais aussi prendre en compte la souffrance !

Ces dernières années, on a vu apparaître un autre discours sur la démence, s’éloignant du discours tragique fait de perte, de déclin et de mort : le discours du « vivre bien avec une démence ». Ainsi, selon Woods (2012), il s’agit d’entrer dans une ère nouvelle, dans laquelle, au-delà des préoccupations médicales et de soins, nous apprendrons à vivre bien avec la démence. Woods considère que le défi le plus important est de favoriser l’engagement des personnes âgées présentant une démence, au sein même de la société et des structures (sportives, culturelles, associatives) destinées à la population générale, dans des activités qui leur permettent d’interagir avec d’autres, de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant. Pour Potts (2013), il importe d’essayer de rendre chaque moment de la vie de ces personnes aussi bon que possible, en facilitant leur créativité, leur expression de soi, leur communication, leur compréhension et en rétablissant leur dignité.

A nouveau, cette approche conduit à contrer la représentation apocalyptique dominante de la démence et à encourager l’intégration sociale des personnes qui ont reçu ce diagnostic. Cependant, un regard critique, issu notamment des sciences sociales (voir, p. ex., McParland, Kelly & Innes, 2017), a été porté sur ce discours positif, en considérant qu’il conduisait à exclure et dévaluer les personnes âgées présentant les problèmes les plus importants, ou celles qui, pour des raisons socio-économiques, géographiques ou environnementales, seraient moins à même de « vivre bien » avec leur démence.

En outre, Bartlett, Windemuth-Wolfson, Oliver et Dening (2017) ont indiqué en quoi ce discours consistant à « vivre bien avec la démence » pouvait conduire à dénier la souffrance des personnes âgées présentant une démence et de leurs proches, ainsi qu’à négliger les moyens à mettre en œuvre pour reconnaître, comprendre et réduire cette souffrance. Il paraît donc essentiel de reconnaître la réalité complexe de la vie des personnes présentant une démence et de celle de leurs proches, avec leurs potentiels et leurs limites, leurs plaisirs et leurs souffrances, leurs compétences et leurs vulnérabilités. De ce point de vue, comme le relève justement Linda Clare (2017), il est essentiel, en parallèle avec les démarches communautaires visant à favoriser l’intégration sociale et le « vivre bien » des personnes présentant une démence, de leur proposer, à un niveau plus individuel, des interventions psychologiques focalisées sur leurs difficultés quotidiennes et leur souffrance psychologique, ainsi que celles de leurs proches (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2016, et Juillerat Van der Linden & Van der Linden, 2016, pour une présentation des différents types d’interventions psychologiques et psychosociales pouvant être proposées aux personnes présentant une démence).

Le chemin sera long et difficile…    

Nous avons vu que les initiatives ayant pour but d’établir des « communautés ou structures amies des personnes présentant une démence » ou de favoriser le « vivre bien avec la démence » ne sont pas dépourvues d’ambiguïtés. Plus fondamentalement, nous pensons que la limite majeure de ces expériences est de ne pas mettre réellement en question le modèle biomédical de la démence ou de la maladie d’Alzheimer (ces initiatives sont d’ailleurs très souvent issues des Associations / Sociétés/ Ligues Alzheimer).

En fait, les représentations sociales négatives, voire apocalyptique, sur la démence sont encore très fortement ancrées dans l’esprit de la population, même si des images plus positives tentent de s’insérer dans ce tableau tragique. Il est utile de rappeler ici le travail effectué en 2011 par les chercheurs belges Van Gorp et Vercruysse sur la façon dont les médias caractérisent la maladie d’Alzheimer (voir notre chronique). Ces chercheurs avaient alors mis en évidence 6 thèmes dominants :

1. La personne présentant une maladie d’Alzheimer est vue comme un zombie : bien que son corps soit encore en vie, l’être humain qui l’habite peut déjà être tenu pour mort puisqu’il a perdu sa personnalité et son identité

2. La maladie d’Alzheimer est présentée comme un ennemi, un monstre, un mal absolu qui doit être combattu, éradiqué à tout prix.

3. La foi dans la science qui laisse entrevoir un espoir de guérison de cette « maladie », pour autant que l’on continue à consacrer suffisamment d’argent à la recherche biomédicale.

4. Le lien avec la mort : le diagnostic est assimilé à une condamnation à mort, le début d’une catastrophe totale.

5. Les rôles inversés : les personnes présentant une maladie d’Alzheimer redeviennent des enfants, ce qui implique une inversion des rôles (les enfants deviennent les parents de leurs parents).

6. L’accent est mis sur le fardeau que représentent les personnes présentant une maladie d’Alzheimer pour leurs proches

Or, il a été maintes fois montré que cette conception neurobiologique de la maladie d’Alzheimer (de la démence) et le langage tragique qui lui est associé représentent une construction sociale, qui a notamment émergé dans le contexte d’une vision de la société focalisée sur l’efficacité, le rendement, la compétition et l’individualisme, un monde où la fragilité et la finitude n’ont pas leur place, ce qui a dès lors contribué à pathologiser et médicaliser le vieillissement (voir Whitehouse & George, 2009). Par ailleurs, cette représentation biomédicale et négative de la maladie d’Alzheimer a été renforcée par la neuroculture qui gouverne ce début de 21e siècle, dans laquelle le réductionnisme cérébral et, plus largement, neurobiologique, est devenu une pensée dominante et a conduit à réduire les comportements, les croyances, les compétences à leurs seuls déterminants biologiques (voir Williams et al., 2012).

Une autre conception qui réintègre les manifestations problématiques du vieillissement cérébral et cognitif dans le contexte plus large du vieillissement et qui prend en compte la complexité et la diversité des facteurs et mécanismes en jeu, intervenant tout au long de la vie, peut nous inviter à une réflexion sur nous-mêmes, et à plus d’humilité concernant les défis liés à l’âge auxquels nous devons ou devrons faire face. Elle devrait aussi nous amener à ne pas considérer le monde comme étant divisé entre celles et ceux qui ont une démence et celles et ceux qui ne l’ont pas, mais plutôt à penser que nous partageons toutes et tous les vulnérabilités liées au vieillissement cérébral et cognitif, et dès lors à ne pas enfermer les personnes dans des catégories diagnostiques réductrices, pathologisantes et stigmatisantes.

Dans cette perspective, Behuniak (2010) propose de considérer les personnes avec une démence comme des personnes vulnérables. Ce concept de vulnérabilité a été utilisé dans de nombreuses acceptions et a fait l’objet de différentes critiques, mais Behuniak suggère de l’adopter pour renvoyer spécifiquement à l’incertitude concernant la capacité d’une personne de protéger ses intérêts propres. Il ne s’agit donc pas de mettre l’accent sur la dépendance, mais sur un questionnement concernant la capacité de prise de décision d’un individu. Cette manière d’envisager la vulnérabilité évite de l’assimiler à la vieillesse, à la fragilité, ce qui saperait de facto l’autonomie et le pouvoir présumés de nombreux individus compétents. Ainsi, une personne vulnérable est quelqu’un qui peut, parfois, et pour certaines tâches, avoir besoin de protection ou de soins particuliers, sans que cela la prive de ses droits, de sa dignité, de sa citoyenneté et de son humanité. De plus, cette conception de la vulnérabilité met en avant les liens qui nous relient aux autres, dans la mesure où nous sommes tous susceptibles de devenir vulnérables et nous partageons tous la responsabilité de répondre aux besoins de personnes vulnérables.

Tel qu’utilisé par Behuniak, le concept de vulnérabilité met l’accent sur la qualité des relations plutôt que sur l’autonomie, sur la responsabilité plutôt que sur les droits. La vulnérabilité est donc une différence qui doit être intégrée à une théorie de l’identité individuelle plutôt qu’être utilisée comme une raison d’exclure la personne ou de la disqualifier.

Ainsi, la question du regard social qui est posé sur la démence – et des pratiques sociales qui en découlent –  renvoie en fait à la question plus générale de la place accordée aux citoyens vulnérables dans notre société.

Défendre une autre manière de penser le vieillissement, c’est dès lors s’engager pour un autre type de société, dans laquelle la vulnérabilité a toute sa place !

 

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31 janvier 2016 7 31 /01 /janvier /2016 21:01

Résumé

Dans le changement d’approche du vieillissement problématique que nous défendons, un défi important consiste à prévenir les traitements non volontaires auxquels peuvent être soumises les personnes âgées présentant une « démence ». Le traitement non volontaire est défini comme tout traitement que des soignants professionnels ou des proches aidants fournissent sans le consentement de la personne qui reçoit ce traitement : utilisation de moyens de contention physique (ceintures de tronc ou de membres, moufles, rails de lit, etc.) ; administration (souvent dissimulée) de médicaments (p. ex., de médicaments psychotropes) ; interventions ou soins non consentis (p. ex., forcer les soins d’hygiène). Plusieurs études ont montré que ces traitements sont fréquemment utilisés chez les personnes âgées présentant une « démence », qu’elles vivent dans une structure d’hébergement à long terme ou à domicile. Il apparaît donc essentiel de mieux comprendre ce qui détermine la décision de mettre en place ces traitements, et ce, afin d’élaborer des interventions visant à en réduire l’utilisation.

 

Comme nous l’avons maintes fois mentionné, il importe d’élargir le regard que l’on porte sur la personne âgée présentant une « démence » et de mettre davantage l’accent sur son bien-être et sa qualité de vie, sur le sens qu’elle donne à sa vie et à ses activités, sur son sentiment d’identité et la stigmatisation dont elle fait l’objet, sur ses relations sociales et sa place dans la société, ainsi que sur son pouvoir de décider et le contrôle qu’elle peut exercer sur son existence. En particulier, il s’agit d’entendre et de respecter son point de vue, de prendre en compte ce qu’elle dit ou exprime sur son vécu, ses souhaits et ses besoins et de l’inclure directement dans l’élaboration et l’évaluation des soins et interventions.

De ce point de vue, un défi important consiste à mieux identifier, comprendre et prévenir les traitements non volontaires auxquels peuvent être soumises les personnes âgées présentant une « démence ». Le traitement non volontaire est défini comme tout traitement que des soignants professionnels ou des proches aidants fournissent sans le consentement de la personne qui reçoit ce traitement (Hamers et al., 2016). Cela inclut l’utilisation de moyens de contention physique (ceintures de tronc ou de membres, moufles, rails de lit, chaise avec tablette verrouillée, etc.), l’administration (souvent dissimulée) de médicaments (p. ex., des médicaments psychotropes) et des interventions ou soins non consentis (p. ex., forcer les soins d’hygiène ou l'alimentation, limiter les communications ou les visites, confiner la personne etc.).

 

Les traitements non volontaires dans les structures d’hébergement à long terme

Plusieurs études ont montré que les traitements non volontaires sont fréquents dans les structures d’hébergement à long terme. Ainsi, Haw et Stubbs (2010) ont effectué une analyse des études publiées (encore peu nombreuses) qui se sont penchées sur l’administration dissimulée de médicaments aux personnes âgées, c’est-à-dire sans qu’elles en aient connaissance, sans que leur consentement soit obtenu, et ce, en dissimulant les produits dans la boisson ou la nourriture (voir à ce sujet notre chronique « L’administration dissimulée de médicaments aux personnes âgées vivant dans des structures d’hébergement à long terme »). Les résultats de cet examen montrent que l’administration dissimulée de médicaments se produit dans 43 à 71 % des structures d’hébergement. Au total, ce sont de 1,5 à 17% des personnes âgées de ces structures qui ont reçu une médication de manière cachée. Il apparaît, en outre, que l’initiative de ce type de pratique est fréquemment prise de façon individuelle par le personnel infirmier, c’est-à-dire sans consulter une équipe pluridisciplinaire.

De façon plus générale, dans une étude menée dans 8 pays européens et auprès de 791 personnes âgées (âge moyen de 82,2 ans) vivant dans une structure d’hébergement à long terme, Beerens et al. (2014) ont montré que, sur l’ensemble des pays considérés, 31 % des personnes étaient soumises à des dispositifs de contention physique (avec cependant de fortes variations entre les pays, le nombre de personnes contraintes allant de 6 à 83 %). Cela se produit malgré le fait que ces dispositifs ne constituent pas un moyen adéquat de de réduire les chutes ou les blessures liées aux chutes, ni de contrôler les comportements problématiques. Au contraire, leur utilisation est associée à diverses conséquences négatives, telles que l’agitation, la dépendance dans la réalisation des activités et de la marche, des escarres, des contractures, des problèmes comportementaux / de l’agressivité, des chutes, et même des blessures graves et des décès (voir Pellfolk, Gustafson, Bucht, & Karlsson, 2010). Par ailleurs, 70 % des résidents (entre 60 et 89 % selon les pays) recevaient des médicaments psychotropes, en dépit de leur efficacité très contestable et des effets indésirables graves auxquels ils conduisent (voir notre chronique « La prescription fréquente de médicaments psychotropes aux personnes ayant reçu le diagnostic de démence : une atteinte inacceptable à leurs droits »).

Dans une recherche réalisée en Suisse, dans deux cantons (Fribourg et Saint-Gall), Hofmann, Schorro, Haastert et Meyer (2015) ont examiné l'utilisation de dispositifs de contention physique dans 20 structures d'hébergement à long terme (avec 1362 résidents). La prévalence des résidents étant soumis à au moins un dispositif de contention était de 26.8 % (avec une prévalence par structure allant de 2,6 à 61,2 %). Les rails de lit bilatéraux étaient les plus fréquemment utilisés (20,3 %). 

Plus récemment, dans une étude longitudinale ayant porté sur 111 052 personnes nouvellement admises dans une structure d’hébergement à long terme, Freeman, Spirgiene, Martin-Khan et Hirdes (2016) ont constaté que les résidents soumis à un ou plusieurs moyens de contention physique (quel que soit le type) avaient un risque accru de présenter un déclin cognitif (entre l’évaluation d’admission et une évaluation de suivi), et ce, qu’elles aient ou non reçu un diagnostic de « démence ». Dans cette étude, la médication antipsychotique ne constitue pas un prédicteur fort de déclin cognitif (mais un effet négatif des antipsychotiques atypiques sur le déclin cognitif a été observé dans d’autres travaux ; voir, par ex., notre chronique « Les antipsychotiques atypiques aggravent les difficultés cognitives des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique »). Il faut enfin relever que l’engagement dans des activités sociales a un effet protecteur contre le déclin cognitif (effet plus prononcé chez les personnes sans diagnostic de « démence »).

 

Les traitements non volontaires dans les soins à domicile

Dans la plupart des pays occidentaux, les gouvernements appuient le vieillissement à domicile, en mettant en avant le soin informel, les services et le soutien social à domicile, ainsi que les soins professionnels à domicile fournis par du personnel infirmier. Les données concernant les traitements non volontaires à domicile sont encore assez peu nombreuses. Néanmoins, il existe de fortes indications suggérant que ces traitements sont également fréquents.

Dans leur analyse des études ayant exploré l’administration dissimulée de médicaments aux personnes âgées, Haw et Stubbs (2010 ; voir infra) ont identifié une recherche qui a examiné les pratiques de médication auprès de personnes âgées « démentes » vivant à domicile. Cette recherche a montré que 98% des proches aidants sont en faveur de l’utilisation dissimulée de médicaments pour soulager une souffrance psychologique importante et 10% rapportent dissimuler des médicaments dans la nourriture de leur proche, au moins chaque semaine.

L’étude de Beerens et al. (2014) portant sur 8 pays européens (voir supra) a montré, auprès de 1223 personnes âgées présentant une « démence » et recevant des soins à domicile, que 10 % de ces personnes étaient soumises à des moyens de contention (avec, à nouveau, une grande hétérogénéité de prévalence selon les pays : entre 3 et 20%). De plus, 56 % des personnes (entre 38 et 76 % selon les pays) recevaient une médication antipsychotique.

Dans un travail réalisé tout récemment aux Pays-Bas, Hamers et al. (2016) ont notamment exploré la prévalence du traitement non volontaire (contention physique, médication psychotrope, soins / interventions non consentis) chez 837 personnes âgées (âge moyen de 81 ans) présentant des problèmes cognitifs et recevant des soins à domicile. La présence ou l'absence des différents types de traitement non volontaire a été évaluée au cours de la période de 30 jours précédente. L'identité des personnes ayant demandé l'utilisation du traitement était enregistrée, ainsi que la personne l'ayant utilisé. Des réponses multiples pouvaient être données pour toutes les questions.

Un traitement non volontaire a été administré à 39 % des personnes. Le plus fréquent était le soin non consenti (79 % des cas ; p. ex., dissimuler les médicaments dans la nourriture, forcer l’hygiène) et l’administration de médicaments psychotropes (41 %). Chez 7 % des personnes, des moyens de contention physique étaient utilisés (p. ex., chaises empêchant de se lever ; rails de lit). Par ailleurs, parmi les 321 personnes âgées ayant reçu un traitement non consenti, la famille a demandé son utilisation dans 74 % des cas et l’a utilisé dans 72 % des cas. Les professionnels de soin à domicile ont demandé l’utilisation d’un traitement involontaire pour 33 % des personnes et l’ont administré dans 45 % des cas. Les médecins généralistes ont, quant à eux, demandé l’utilisation d’un traitement non volontaire dans 21 % des cas et l’ont utilisé dans 12 %. Les professionnels des soins à domicile ont le plus souvent dissimulé les médicaments (75 %), administré des médicaments antipsychotiques (29 %) et forcé l’hygiène (28 %). Les proches aidants ont le plus souvent demandé des dispositifs de contention physique (95 %). Ainsi, il apparaît que 4 personnes sur 10, dans cet échantillon, ont été soumises à des dispositifs de contention, reçoivent une médication psychotrope ou font l’objet de soins non consentis. En outre, les familles jouent un rôle important dans le choix d’adopter un traitement non volontaire. Comme l’indiquent Hamers et al., les proches aidants font face à des situations de soins complexes et, en situation de détresse psychologique, ont tendance à se rabattre sur les solutions rapides que constituent les traitements non volontaires, sans toujours réaliser que ces traitements ont des effets négatifs (ce qui est d’ailleurs aussi le cas pour certains professionnels des soins à domicile ; voir Kurata & Ojima, 2014).

 

Conclusions

Les traitements non volontaires sont fréquemment utilisés chez les personnes âgées présentant une « démence », qu’elles vivent dans une structure d’hébergement à long terme ou à domicile. Il apparaît donc essentiel de mieux comprendre (notamment via des études qualitatives) ce qui détermine réellement la décision de mettre en place ces traitements afin d’élaborer des interventions visant à en minimiser l’utilisation.

On pourrait avancer que, dans certains cas, un traitement non volontaire constitue une mesure de sécurité rationnelle, mais ces exceptions ne doivent en aucun cas légitimer leur application automatique et généralisée. Concernant l’administration dissimulée de médicaments dans les structures d’hébergement à long terme, Haw et Stubbs (2010), reprenant divers textes juridiques et en lien avec les droits de l’homme, indiquent en quoi il doit y avoir une justification forte à une médication dissimulée et contrainte (certains médicaments anxiolytiques ou antipsychotiques pouvant être considérés comme des moyens d’entrave mentale). Plus spécifiquement, il s’agit de respecter le principe d’une réponse proportionnée, en considérant que le dommage causé par la non-administration d’un médicament doit être plus important que le dommage provoqué par son administration dissimulée (ce dommage incluant le tort que la tromperie sur la médication occasionne à la personne et tous les effets secondaires et risques associés à la médication en tant que telle). En outre, la décision de donner une médication de façon dissimulée ne devrait être prise qu’après avoir consulté l’équipe pluridisciplinaire et d’autres personnes pertinentes, et ce, dans le cadre légal approprié. Une liste (« checklist ») des facteurs à prendre en compte pour préserver les intérêts de la personne âgée devrait être consultée, en commun avec les autres professionnels, afin de déterminer la meilleure façon de se comporter avec une personne qui refuse de prendre sa médication. Par ailleurs, il apparaît que les membres du personnel soignant devraient bénéficier de programmes d’information sur cette question, dans ses aspects juridiques et aussi pratiques (en incluant des analyses de cas). Le raisonnement tenu par Haw et Stubbs concernant l’administration dissimulée et contrainte de médicaments vaut tout autant pour les autres types de traitement involontaires.

Afin de prévenir l’utilisation inappropriée de traitements non volontaires à domicile, il s’agirait de développer des services et des programmes d’intervention visant à accroître les connaissances des professionnels et des proches aidants sur les conséquences des traitements non volontaires et à changer les attitudes concernant ces traitements. Mais il faudrait également aboutir à des changements législatifs, mieux spécifier les lignes de conduite institutionnelles à adopter concernant ces traitements et aider les proches et les professionnels à mieux comprendre les comportements et difficultés des personnes âgées présentant une « démence », et apprendre à répondre de façon plus appropriée à leurs besoins.

Pellfolk et al. (2010) ont évalué l’efficacité d’un programme d’éducation visant à minimiser la contention chez des personnes vivant dans des structures d’hébergement à long terme en Suède. Plus spécifiquement, ce programme a été proposé à tous les membres du personnel infirmier travaillant dans 20 unités résidentielles pouvant accueillir 6 à 8 personnes âgées présentant une « démence » et offrant un environnement proche de l’environnement familial, avec des chambres privées, une salle à manger et une salle de séjour (les portes vers l’extérieur étant néanmoins fermées à clé).

Globalement, le programme insistait sur l’importance d’examiner les causes des symptômes, encourageait le personnel à n’utiliser la contention qu’en dernier recours et mettait l’accent sur les effets négatifs des dispositifs de contention, sur les alternatives et sur la législation concernant leur utilisation. Il se composait de 6 exposés enregistrés (de 30 minutes chacun) portant sur 6 thèmes différents (p. ex., un des thèmes était « chutes et prévention : facteurs prédisposants et précipitants ») ; trois des vidéos incluaient une vignette clinique qui pouvait être utilisée dans les discussions de groupe. Les résultats ont montré, au suivi à 6 mois, que les personnes du groupe « intervention », comparées aux personnes travaillant dans 20 autres unités n’ayant pas été soumises au programme, avait accru leurs connaissances sur la contention et changé d’attitude concernant son utilisation. Par ailleurs, l’utilisation de moyens de contention a significativement diminué (de 34.6 %) chez les résidents du groupe « intervention » (sans qu’il y ait de changement dans l’incidence des chutes et l’utilisation de médicaments psychotropes).

De même, une équipe néerlandaise a mis en place un programme à composantes multiples (Expelling Belts, EXBELT) destiné à réduire l’utilisation de ceintures de contention ou de retenue dans les structures d’hébergement à long terme. Ce programme comporte 4 composantes : des changements dans les lignes de conduites (politiques institutionnelles) ; un programme d’éducation (3 sessions de trois heures sur une période de 3 semaines ; aspects négatifs des ceintures et alternatives) ; une consultation fournie notamment par les personnes ayant présenté le programme d’éducation ; la mise à disposition par les directeurs des structures d’hébergement d’autres types d’ interventions (p. ex., protecteur des hanches ; systèmes d’alarme infrarouge ; entraînement de l’équilibre ; oreillers spéciaux ; lits de faible hauteur ajustables). Plusieurs études ont montré que l’implantation de l’EXBELT conduisait à une réduction importante et durable de l’utilisation des ceintures de contention (mais aussi d’autres moyens de contention, tels que les chaises avec tablette verrouillée ou les rails de lit) et que ce programme était aisément mis en place selon le protocole (avec néanmoins la nécessité d’ajouter davantage de stratégies d’apprentissage basées sur des cas) et très bien reçu par le personnel ainsi que par les proches des résidents (Gulpers et al., 2013 ; Bleijlevens et al., 2013).

De façon plus générale, la minimisation des traitements non volontaires nous paraît devoir être envisagée dans le cadre d’un changement majeur d’approche du vieillissement problématique, impliquant des actions à différents niveaux et notamment :

* passer d’une interprétation essentiellement biomédicale (qui attribue automatiquement les comportements dits problématiques et les difficultés à la « maladie » démentielle) à une interprétation qui prenne en compte la signification des actions de la personne, ainsi que les facteurs relationnels, situationnels, contextuels et environnementaux pouvant avoir suscité ces comportements ;

* donner toute leur place aux interventions psychosociales et environnementales individualisées ;

* faire en sorte que les personnes gardent au maximum un sentiment de contrôle et de responsabilité sur leur vie et sur les événements quotidiens.

Derrière des portes closes : la question des traitements non volontaires chez les personnes âgées présentant une «démence»

Beerens, H. C., Sutcliffe, C., Renom-Guiteras, A., Soto, M. E., Suhonen, R., Zabalegui, A.,  ...Hamers, J. P. H., on behalf of the RigthTimePlaceCare Consortium (2014). Quality of life and quality of care for people with dementia receiving long term institutional care or professional home care : The European RightTimePlaceCare Study. Journal of the American Medical Directors Association, 15, 54-61.

Bleijlevens, M. H. C., Gulpers, M. J. M., Capezuti, E., van Rossum, E., & Hamers, J. P. H. (2013). Process evaluation of a multicomponent intervention program (EXBELT) to reduce belt restraints in nursing homes. Journal of the American Medical Directors Association, 14, 599-604.

Freeman, Spirgiene, L., Martin-Khan, M., & Hirdes, J. (2016). Relationships between restraint use, engagement in social activity, and decline in cognitive status among residents newly admitted to long-term facilities. Geriatrics and Gerontology International, sous presse.

Gulpers, M. J. M., Bleijlevens, M. H. C., Ambergen, T., Capezuti, E., van Rossum, E., & Hamers, J. P. H. (2013). Reduction of belt restraint use: Long-term effects of the EXBELT intervention. Journal of the American Geriatrics Society, 61, 07-112.

Hamers, J. P. H., Bleijlevens, M. H., C., Gulpers, M. J. M., & Verbeek, H. (2016). Behind closed doors: Involuntary treatment in care of persons with cognitive impairment at home in the Netherlands. Journal of the American Geriatrics Society, sous presse.

Haw, C., & Stubbs, J. (2010). Covert administration of medication to older adults: a review of the literature and published studies. Journal of Psychiatric and Mental Health Nursing, 17, 761-768.

Hofmann, H., Schorro, E., Haastert, B., & Meyer, G. (2015). Use of physical restraints in nursing homes: a multi-centre cross-sectional study. BMC Geriatrics, 15: 19.

Kurata, S., & Ojima, Z. (2014). Knowledge, perceptions, and experiences of familiy caregivers and home care providers of physical restraint use with home-dwelling elders: a cross-sectional study in Japan. BMC Geriatrics, 14:39.

Pellfolk, T. J.-E., Gustafson, Y., Bucht, G., & Karlsson, S. (2010). Effects of a restraint minimization program on staff knowledge, attitudes, and practice: A cluster randomized trial. Journal of the American Geriatrics Society, 58, 62-69.

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29 novembre 2014 6 29 /11 /novembre /2014 10:40

L’entrée dans une structure d’hébergement à long terme – que celle-ci se nomme (selon qu’elle est belge, suisse ou française) « maison de repos et de soins », « maison de retraite », « établissement médico-social (EMS) » ou « établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) » – est rarement choisie par les personnes âgées et elle est le plus souvent contrainte par des éléments extérieurs (en particulier, la perte d’autonomie dans le fonctionnement quotidien suite à un problème de santé). Bon nombre d’aînés évoquent d’ailleurs cette perspective comme un de leurs pires cauchemars. Il faut dire aussi, comme nous l’avons déjà relevé à plusieurs reprises dans ce blog (voir nos chroniques « Les structures d’hébergement à long terme pour personnes âgées : la nécessité d’un changement de culture » ; « Vivre en EMS : une approche centrée sur la personne et la communauté » ; «  Une prison sans barreaux et un monde du silence »), que l’organisation de la majorité des structures de ce type, et tout particulièrement celles qui sont destinées à l’accueil de personnes présentant une « démence », s’apparente  très souvent, soit à une structure hôtelière médicalisée, soit à une structure de type « carcéral » (la « prison sans barreau » évoquée dans l’article susmentionné).

Cependant, un mouvement appelant à un changement de culture dans les structures d’hébergement à long terme s’est engagé depuis quelques années à offrir un véritable lieu de vie aux personnes âgées – y compris celles qui présentent une « démence » – et à contrer la solitude, le sentiment d’impuissance et de manque de contrôle sur sa vie, ainsi que l’ennui, qui constituent l’essentiel de la souffrance psychologique des personnes âgées institutionnalisées. Ce changement s’articule autour d’un certain nombre de points, qui peuvent être résumés comme suit (White-Chu et al., 2009 ; pour plus de détails, voir le chapitre 4 de notre livre « Penser autrement le vieillissement ») :

  • ·      Proposer des soins, des interventions et des aménagements de l’environnement individualisés, qui prennent d’abord en compte les souhaits et les habitudes des résidents ;
  • ·       Faire en sorte que les personnes gardent un sentiment de contrôle et de responsabilité sur leur vie et sur les événements quotidiens, ce qui implique d’entendre et de respecter leur point de vue, et aussi de les inclure directement dans les activités (soins, activités, liens avec la société, etc.) ;
  • ·       Constituer des environnements de vie de plus petite taille, plus proches des lieux d’habitation familiaux et habituels, avec une attribution constante du personnel aux mêmes personnes âgées, un accès à la nature et aux animaux, des relations intergénérationnelles et des connexions directes à la société ;
  • ·      Modifier le langage (pathologisant et souvent infantilisant) utilisé dans la vie quotidienne, en considérant que les mots sont de puissants moteurs de changement ;
  • ·      Ne pas pathologiser les comportements dits problématiques ; passer d’une interprétation essentiellement biomédicale qui attribue ces comportements à une « maladie » — démentielle, dépressive ou autre — à une interprétation qui prend en compte la signification des actions des résidents, ainsi que les facteurs relationnels, situationnels, contextuels et environnementaux pouvant avoir suscité ces comportements : les comportements ne sont plus considérés comme des symptômes comportementaux, mais comme des expressions comportementales ;
  • ·      Dans la même ligne que le point précédent, réduire la surconsommation de médicaments (notamment de psychotropes), parfois administrés sans que les personnes en aient connaissance, en les dissimulant dans une boisson ou de la nourriture, et sans que leur consentement ait été obtenu. Pour ce faire, il importe de développer des interventions psychosociales et environnementales individualisées ;
  • ·      Réduire l’aspect hiérarchique de la direction, en privilégiant des équipes de travail autogérées et en mettant en place des pratiques impliquant conjointement les membres du personnel (considérés comme des facilitateurs), les résidents et l’entourage de ces derniers.

Pourtant, alors que ce mouvement caractérisé par des soins centrés sur la personne connaît depuis deux décennies un net essor dans les structures d’hébergement à long terme pour personnes âgées dans les pays anglo-saxons et certains pays nordiques, il est encore balbutiant dans nos contrées. De beaux exemples existent tout de même en francophonie — et notamment en Romandie — et nous en avons découvert un tout près de chez nous, en banlieue genevoise.

Il s’agit de la Résidence Beauregard, un lieu d’hébergement à long terme accueillant 36 résidents avec d’importants troubles cognitifs (avec une « démence sévère »), souvent à l’issue d’un long séjour dans une unité de psychogériatrie, et souvent exclus ou refusés par plusieurs autres établissements de la région genevoise parce qu’ils avaient « atteint les limites de l’institution ». Pour donner une meilleure idée des difficultés que les résidents rencontrent, il faut savoir qu’il n’est pas possible de tenir une conversation suivie avec près de la moitié d’entre eux. C’est pourtant dans ce lieu qu’une approche résolument humaniste et centrée sur les résidents a été mise en œuvre depuis plusieurs années sous l’égide de sa directrice, Tiziana De Berti.

Nous vous invitons donc, dans cette chronique, à découvrir cette structure et son fonctionnement et à voir à quel point elle s’inscrit tout à fait clairement dans la lignée du changement de culture qui nous apparaît indispensable.

Implication de la directrice

Rappelons qu’un leadership sage est une condition sine qua non pour induire un tel changement (voir notre chronique  « Une prison sans barreaux et un monde du silence » ). Il est en effet crucial que la personne qui dirige l’établissement ait une vision claire de la philosophie qu’elle veut imprimer, de la manière dont cette conception et ce mode de fonctionnement peuvent être intégrés au fonctionnement quotidien, et aussi des moyens par lesquels elle va faire adhérer ses équipes à ce nouveau modèle. Et là, il n’existe pas de recette miracle : c’est par une implication directe dans les activités quotidiennes qu’elle va pouvoir servir de modèle, motiver et encourager les membres du personnel, en leur permettant ainsi de s’investir eux aussi dans le processus de changement.

A Beauregard, l’engagement de la directrice dans la vie de son établissement ne laisse aucun doute : on la retrouve auprès des lingères, des cuisiniers, des soignants, à l’écoute attentive des soucis des uns et des autres, donnant à manger à une résidante ou accompagnant un groupe de ses protégés en vacances — allant même jusqu’à veiller plusieurs jours d’affilée auprès d’une résidente angoissée par la solitude... Après un solide parcours en gestion et comptabilité, ainsi qu’une formation en gérontologie, sa formation initiale en lettres classiques s’est traduite à Beauregard par un profond humanisme, appliqué à chaque détail de la vie quotidienne. Le récit qui suit est tiré d’un long entretien avec Tiziana De Berti, mais aussi des observations que nous avons pu effectuer par nous-mêmes à Beauregard en de nombreuses occasions.

Passons le pas : visite des lieux

Ouvrons la porte… d’abord sur une anecdote : la résidence Beauregard, avant d’être une structure d’hébergement à long terme pour personnes âgées, était initialement un coquet hôtel de la périphérie genevoise. Il est d’ailleurs arrivé une fois qu’un monsieur en charmante compagnie vienne demander si une chambre était libre… Autant dire que les lieux n’évoquent guère un lieu médicalisé !

 Beauregard-016.JPGL'entrée de Beauregard ©VIVA

Si d’aucuns ont coutume d’aller voir les toilettes d’un restaurant pour se donner une idée de la qualité de l’établissement, l’entrée d’une structure d’hébergement à long terme laisse souvent présager de la philosophie qui y est mise en œuvre. Il est ainsi des lieux – notamment dans les structures les plus récentes – aux halls bétonnés, aseptisés et imposants, « design », mais qui évoquent plutôt l’entrée d’une administration, ou renvoient à la froideur clinique d’un couloir d’hôpital, plutôt que de dégager l’atmosphère d’un véritable lieu de vie, un lieu où des dizaines de personnes fragilisées vont être amenées à parcourir les derniers temps de leur existence. A Beauregard, l’entrée est discrète : un petit portail en fer forgé s’ouvre sur un jardin largement arborisé et fleuri, parcouru de sentiers accessibles – librement et à toute heure - à des personnes à mobilité réduite, dont un qui mène à l’entrée vitrée de l’établissement, un joli édifice de deux étages.


Illustrations--2--0106.JPGL'entrée de Beauregard côté jardin ©VIVA

Vu de l’extérieur, on dirait une villa cossue. Transformé en résidence à long terme pour personnes âgées, le lieu a su garder l’atmosphère d’une habitation, coquette, avec des teintes vives et joyeuses –comme le sont aussi les blouses lilas et pervenche du personnel— et des fleurs dans les différentes pièces. Outre de nombreux petits espaces, lumineux, dans lesquels s’installer, on y trouve de larges fenêtres et des vérandas donnant sur les espaces extérieurs verdoyants où trottinent des lapins et de petits chiens – les espaces administratifs ayant été déplacés au sous-sol pour laisser un maximum d’espace aux 36 résidents de la maison.

Les aménagements des espaces communs présentent eux aussi  l’intérêt d’être à l’échelle d’un lieu d’habitation individuel, ou peu s’en faut (la salle à manger constituant l’exception par la force des choses, de par une taille excédant évidemment celle d’un ménage – mais on notera que la vaisselle mélaminée est gaiement colorée, d’une marque danoise au style qualifié de « festif, fantaisiste et multicolore »).


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Les résidents peuvent ainsi profiter librement de nombreux espaces tant intérieurs qu’extérieurs qui leur sont librement accessibles (aucun espace n’est fermé, hormis l’infirmerie qui contient les médicaments) et qui, de par leur taille et leur convivialité, les aident à s’approprier leur nouveau lieu de vie pour s’y sentir progressivement « à la maison ».

Considérations sur l’entrée dans l’établissement

De l’importance de se sentir chez soi, justement… La transition entre le domicile et la structure d’hébergement à long terme est le plus souvent vécue très difficilement par les personnes âgées confrontées à des troubles cognitifs et elle est également susceptible d’accélérer leur déclin cognitif. A Beauregard, elle fait l’objet d’une grande attention de la part des membres du personnel.

S’il n’est plus possible que la vie de la personne se poursuive comme elle était auparavant à son domicile, il importe par contre, pour créer le meilleur accueil possible, de bien comprendre ce que cette personne a vécu, de récolter un maximum d’informations sur son parcours de vie —familial et professionnel—, ses succès et ses échecs, ses goûts et dégoûts, ses valeurs, ses croyances, etc. Pour les équipes de Beauregard, un nouveau résident qui arrive, c’est tout un monde qui arrive et tout le personnel doit apprendre à le connaître et l’intégrer dans la vie de l’établissement. Ainsi, le projet à l’entrée de chaque nouveau résident est « […] de tout faire pour que la personne continue à vivre, et non qu’elle commence à mourir. Ici, c’est une maison avant d’être un lieu de soin ; on respecte les capacités et les faiblesses de chacun. Il s’agit de donner aux personnes le goût et la volonté de vivre ; et cela passe par la prise en compte de ce que la personne a été et de ce qu’elle veut être —même si elle est fragilisée—, par la possibilité qui lui est laissée de continuer d’avoir des souhaits et de les voir se réaliser. Cela passe aussi par l’intégration dans la société et le maintien du lien avec les gens que l’on aime. Si l’on n’a plus ça, on est mort ! »

Démarches concrètes accompagnant l’entrée dans l’établissement

La plupart des résidents arrivent à Beauregard à la suite d’une hospitalisation en psychogériatrie, le retour à domicile (ou dans un autre établissement médico-social) étant jugé impossible. Dans les cas les plus fréquents, une assistante sociale de l’hôpital appelle Beauregard pour savoir si une place est disponible. Dans certains cas, un duo comprenant un animateur/une animatrice* et un infirmier/une infirmière* de la résidence se rend à l’hôpital  pour rencontrer la personne âgée, ainsi que le personnel de l’unité de soins de l’hôpital psychogériatrique (l’assistante sociale et le chef de clinique responsable du ou de la patiente). Ce duo va alors réaliser une première estimation des besoins de la personne et s’assurer que le cadre de Beauregard lui sera adapté. En effet, au vu de l’importance des troubles cognitifs, voire comportementaux, de la plupart des résidents, il n’est, comme mentionné plus haut, plus guère possible de tenir une conversation suivie avec eux : une personne qui communique encore beaucoup verbalement risquerait ainsi de s’y sentir en décalage profond. Cette rencontre permet également d’apprécier la situation, à la fois clinique et psychosociale.

* Par souci d’alléger le texte, les termes employés pour désigner des personnes seront désormais pris au sens générique ; ils ont à la fois valeur d'un féminin et d'un masculin. 

 

S’il semble possible qu’une entrée à Beauregard soit envisagée, la directrice de l’établissement prend contact avec la famille de la personne âgée –pour autant qu’elle en ait encore une– et lui propose une rencontre pour faire connaissance et découvrir la résidence. La famille vient, quand elle le souhaite, visiter les lieux et passer un moment dans la salle principale d’activités, afin de bien saisir l’ambiance et aussi de s’entretenir avec la directrice, ainsi qu’avec le duo animateur/infirmier qui a rendu visite à la personne à l’hôpital (ces personnes restant l’équipe de référence pour la personne âgée tout au long de sa phase d’intégration et, même, après son entrée dans l’établissement). C’est aussi le moment pour les proches d’exprimer leurs souhaits quant à la manière dont l’intégration à la vie de la maison pourrait se faire.

L’habituation à ce nouvel endroit de vie que sera Beauregard s’effectue de manière très progressive : la personne vient y passer quelques heures, puis une journée, deux à trois fois par semaine, et participe aux animations et à la vie de l’établissement, et ce pendant une période s’échelonnant de quelques semaines à quelques mois. Si la famille ne peut pas accompagner la personne, des membres du personnel vont la chercher, même si elle est à l’hôpital. Les proches sont toutefois vivement encouragés à être présents, dans la mesure de leurs disponibilités, afin de faciliter la transition. Enfin, le jour de l’entrée dans l’établissement, ce sont les duos « animateurs et infirmiers » de référence qui vont chercher la personne chez elle ou à l’hôpital avant le déjeuner, auquel la famille est également conviée, si elle n’a pas eu la possibilité de l’accompagner lors de son arrivée.

Durant toute cette phase d’accueil, une attention particulière est prêtée aux réactions de la personne. La directrice nous rapporte que la transition n’est pas toujours aisée, mais que, pour elle et son équipe, jamais une personne ne doit être « catapultée » dans l’établissement. Elle évoque par exemple le souvenir d’une résidente très agitée, venue d’un hôpital psychogériatrique, et qui, avant son installation définitive, est venue avec sa nièce passer plusieurs jours par semaine à la résidence Beauregard, durant des périodes progressivement plus longues. Il faut rappeler ici que les hospitalisations aigües ou des séjours en dehors du domicile peuvent provoquer ou aggraver des problèmes confusionnels et des problèmes comportementaux, lesquels vont induire une détérioration du fonctionnement cognitif (voir notre chronique « L’entrée dans une structure d’hébergement à long terme est associée à un déclin cognitif accéléré chez les personnes ayant reçu le diagnostic de "maladie d’Alzheimer" »). Lors de ses premières visites à Beauregard, cette dame âgée s’agrippait aux barrières du jardin en criant que son train l’attendait et qu’elle devait rentrer chez elle. Après deux mois de visites régulières, elle s’est apaisée et, lorsque sa nièce lui rendait visite, elle lui disait combien elle aimait rentrer chez elle, ici (à Beauregard)… 

Un autre exemple d’intégration concerne celui d’un homme passionné de randonnée en montagne, mais qui avait perdu le sens du temps et de l’espace et qui, dès lors, se perdait souvent. Sa compagne ne pouvant plus assurer sa sécurité au quotidien, une entrée à Beauregard a été préparée. Avant son entrée, des marches en montagne ont été organisées, qui réunissaient la personne âgée, sa compagne, des résidents et des membres du personnel. Lorsque ce monsieur est définitivement entré à Beauregard, il s’est déclaré très satisfait, en considérant que c’était « comme une cabane (de montagne) bien confortable ».

Et après l’entrée à Beauregard

Les informations concernant la personne et ses proches sont réunies dans un dossier qui est mis à la disposition des équipes de l’établissement, afin de faciliter les interactions avec les résidents de la manière la plus individualisée possible. Par ailleurs, des réunions régulières (2 à 3 par année) sont planifiées avec les résidents et leurs familles pour faire le point sur l’intégration au sein de la structure.

Dans l’esprit de l’établissement, il s’agit toujours de faire le maximum pour que la vie se poursuive au plus près des souhaits de la personne, dans le respect de ce qu’elle est, de ce qu’elle a été et de l’image qu’elle a d’elle-même. Jamais, un résident ne sera considéré comme « le patient de la chambre 12 qui a une insuffisance cardiaque », mais bien comme « Mme Tissot, une ancienne horticultrice, passionnée de photographie, qui a élevé cinq enfants et a gravi presque tous les sommets des Alpes avec son mari ». Par ailleurs, une équipe de référence est formée pour chaque personne. Cette équipe comprend, outre le duo animateur/infirmier qui a accompagné le passage entre le domicile ou l’hôpital et la résidence, un infirmier de nuit, un aide-soignant de jour et un aide-soignant de nuit. Ce sont ensuite toujours les membres de cette équipe qui interagissent de manière préférentielle avec la personne : ils peuvent ainsi répondre au mieux aux attentes des résidents et mettre en place un attachement affectif avec la personne (devenir des « objets d’attachement »).Plus spécifiquement, leur connaissance de la personne leur permet de déceler rapidement des changements subtils affectant la réalisation de certaines actions, la participation aux activités, l’alimentation, la respiration, ou encore le sommeil.

Signalons ici que des études ont suggéré que la possibilité donnée à des personnes âgées avec troubles cognitifs de tisser des liens d’affection véritables et consistants limiterait significativement la fixation que font bon nombre de résidents sur leurs parents décédés – problème dont la prévalence dans les structures d’hébergement à long terme est estimée entre 54 et 60%, et qui amène à des comportements tels qu’appeler les parents, les chercher, poser des questions sur leur état ou encore demander de quitter la structure d’hébergement pour leur rendre visite. (voir la chronique « La fixation sur les parents chez les personnes âgées présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique »).

Philosophie de l’accompagnement au sein de l’établissement et formation du personnel

Pour la directrice de Beauregard, il faut avant tout donner aux résidents la possibilité d’exprimer leurs souhaits, et leur conserver le goût de la vie : « […] En d’autres termes, il faut leur permettre de mourir en étant vivant jusqu’au bout ! Si tu n’as plus d’envies, plus de famille, plus de choix, plus de place dans la société, tu es morte ! ». En effet, un des éléments clé d’une approche centrée sur la personne est de lui permettre de garder un sentiment de contrôle et de responsabilité sur sa vie et sur les événements quotidiens, ce qui implique d’entendre et de respecter son point de vue, et aussi de l’inclure directement dans les activités (soins, activités, liens avec la société, etc.). Nous reviendrons ultérieurement sur la manière dont ces questions sont abordées à Beauregard.

Pour que cette vision ne soit pas que l’expression d’un vœu pieux, le personnel de Beauregard —qu’il soit des soins, des loisirs, des cuisines ou de la logistique— est fortement sensibilisé à la prise en compte de la personne âgée, comme un autre soi-même (personne n’étant à l’abri du vieillissement), avec son bagage de vie, ses forces et ses faiblesses : l’accompagnement et le langage ne doivent jamais être condescendants ou infantilisants.

Tiziana De Berti insiste sur la nécessité de toujours porter son attention sur la personne, de l’écouter et d’exploiter des compétences préservées. Il n’est pas question ici de pitié ou de compassion, mais d’offrir aux personnes âgées le meilleur soutien possible pour qu’elles continuent de goûter à la vie. Comme le résume la directrice : Les résidents ne sont pas là par choix, cela leur est imposé. Si on les fait vivre comme dans un hôpital, avec des horaires, des contraintes diverses, qu’on ne leur propose pas de sorties, qu’on ne leur laisse pas d’alternatives, il vaut mieux mourir ! Quand les équipes choisissent d’offrir une autre forme d’accompagnement, elles doivent le faire de la meilleure manière possible !

Ces valeurs sont transmises aux équipes par des formations spécifiques (proposées par des organismes extérieurs à l’institution ou en interne), de façon bimensuelle, et auxquelles sont conviées tous les équipes du personnel. Ces formations visent à les sensibiliser à la manière de se comporter pour garantir la dignité et la qualité de vie des résidents, dans le respect de leur individualité. Des situations concrètes sont ainsi analysées, comme, par exemple, le bruit dans la salle à manger, le fait de parler d’un résident à la troisième personne en sa présence, ou se disputer entre membres du personnel en présence des résidents, etc.

Ensemble pour les résidents

Un autre élément important est de développer, au sein du personnel, une pensée interdisciplinaire : le sentiment d’œuvrer ensemble au but commun qu’est l’optimisation du bien-être individuel des personnes âgées résidant à Beauregard. Les réunions d’équipes sont aussi l’occasion de valoriser le rôle de chacun dans la poursuite constante de cet objectif : par exemple, les lingères sont sensibilisées au fait qu’elles contribuent au maintien de l’identité et de l’apparence des résidents par les soins apportés à leurs vêtements ;  les responsables du nettoyage et du jardin au fait qu’ils assurent la qualité, la propreté et la sécurité de l’environnement ; les cuisiniers au fait que les résidents ont toujours du plaisir à manger - selon leurs goûts  ; les équipes de soins au fait qu’elles  fournissent le soutien nécessaire aux personnes - mais en favorisant aussi au maximum leur autonomie ; les services d’animation au fait qu’ils proposent des activités aussi individualisées que possible ; l’administration au fait qu’elle veille à la bonne gestion des intérêts des pensionnaires. Quant à la direction, elle se doit d’assurer la complémentarité des équipes afin de garantir leur synergie et un accompagnement aussi personnalisé que possible. Des ajustements peuvent ainsi être nécessaires, car l’adoption d’une approche centrée sur la personne, au quotidien, requiert une attention de chaque instant.  Il en a ainsi été d’une grosse colère de la directrice, un jour d’été très ensoleillé, où le repas des résidents leur avait été servi dans la salle à manger alors que le personnel s’était, quant à lui,  installé dehors pour déjeuner (en règle générale, en été et quand le temps le permet, tout le monde mange dehors à midi et le soir)…

Des équipes organisées pour une meilleure personnalisation des soins

La mise en place d’équipes de référence permet la création de liens privilégiés et affectueux entre des résidents et des soignants. Cela s’exprime souvent par de petites attentions pour les résidents, comme, par exemple,  une carte postale envoyée ou un souvenir rapporté des vacances.

Plus concrètement, la possibilité de s’occuper de manière privilégiée de quelques résidents dont les habitudes sont bien connues permet aussi d’être plus efficace dans les interactions et de disposer de plus de temps pour le « superflu essentiel », à savoir du temps de communication et de partage véritablement centré sur la relation. Cela est d’autant plus important quand on sait que, pour bien des personnes présentant des troubles cognitifs et résidant dans des structures d’hébergement à long terme, les interactions avec les membres du personnel constituent pratiquement les seuls contacts sociaux qu’elles peuvent avoir, et que ces interactions sont très peu fréquentes, le plus souvent (77% des cas) non verbales et dirigées vers des tâches « utilitaires » d’hygiène, d’alimentation ou de soins (voir Ward et al., 2008). Le personnel dispose aussi du temps nécessaire pour apaiser une personne particulièrement agitée. Ainsi, il n’est pas rare qu’un membre du personnel passe une demi-heure assise auprès d’une personne en lui tenant la main pour la tranquilliser.

Autre originalité de l’établissement, les responsabilités sont partagées à tour de rôle au sein des équipes (de soins, d’animation, de cuisine…) selon un tournus quotidien (exception faite des stagiaires) ; les personnes désignées sont alors responsables de l’organisation et du bon fonctionnement de la journée, ainsi que de la communication avec les autres services. Si, par exemple, un des cuisiniers souhaite faire une journée sur le thème du chocolat, il va pouvoir se mettre en contact avec son ou sa collègue de l’animation de sorte que soit organisée ce jour-là la visite d’une fabrique de chocolat. Comme les membres du personnel sont d’origines et de cultures assez différentes, ils apportent à tour de rôle leur sensibilité au fonctionnement de l’établissement. En cas de besoin, les cadres peuvent procéder à quelques réajustements, en expliquant pourquoi ils sont nécessaires, mais, en règle générale, il y a une autorégulation qui s’exerce spontanément entre les membres du personnel.

Autre caractéristique originale de l’établissement, une partie de l’équipe d’animation et des membres du personnel organisent les vendredis après-midis des « mises en scènes » qui permettent d’une part aux personnes (résidents comme membres du personnel) de se présenter, de dire ce qu’ils aiment ou non, mais aussi de scénariser les événements de la semaine, y compris des conflits qui ont pu avoir lieu, ce qui permet de dédramatiser certains moments, voire d’en rire carrément avec le recul. Un espace de parole est également organisé une fois par mois pour le personnel.

L’organisation du quotidien au service du bien-être

L’accent à Beauregard est clairement mis sur des soins, des interventions et des aménagements individualisés, qui prennent prioritairement en compte les souhaits et les habitudes du résident. Par exemple, les heures de réveil ou de coucher ne sont pas imposées —ce que nous avons pu vérifier lors d’une discussion tardive avec la directrice : à 22 heures largement passées, une résidente se promenait dans le jardin et fumait une cigarette. Il en va de même pour les heures de visite, de nombreuses familles venant plutôt le soir.

De plus, un maximum est fait pour que les personnes gardent un sentiment de contrôle et de responsabilité sur leur vie et sur les événements quotidiens. Pour tout acte, et même si elle a des difficultés importantes sur le plan communicationnel, on demande l’autorisation à la personne (« Vous permettez… ? »), on l’informe et on lui propose des alternatives. Il en est ainsi, par exemple,  pour l’envie ou non de se lever, le choix dans l’habillage ou la coiffure (voir plus bas), l’envie ou non de faire une sieste, le service du repas ou la participation à une activité, etc.

Pour préciser la manière dont cette manière de concevoir l’accompagnement des résidents se traduit concrètement à Beauregard, il n’y pas mieux qu’une description du déroulement d’une journée-type…

Une journée à Beauregard

La journée débute quand les résidents le souhaitent. Le personnel frappe à la porte, mais n’entre pas avant d’avoir reçu une réponse ; si la personne dort, on la laisse dormir (jusqu’à 9h. au maximum -sauf occasion exceptionnelle- , afin que les personnes puissent prendre leur petit déjeuner, tout en gardant de l’appétit pour le repas de midi) ; si la personne est réveillée, on lui demande si elle veut que l’on allume la lumière, si elle souhaite qu’on l’aide pour sa toilette, si elle veut prendre son petit-déjeuner et si elle veut ce dernier dans sa chambre ou dans la salle à manger. Si elle le souhaite, elle peut se rendre à la salle à manger en robe de chambre, comme elle pourrait le faire chez elle. Elle décide aussi du moment auquel elle a envie de se laver (avant ou après le petit déjeuner). 

Pour la toilette, le personnel tient compte des habitudes des personnes (lavabo, douche, ou bain), tout en veillant à ce que les personnes puissent se laver ou être lavées au moins un jour sur deux, l’immense majorité d’entre elles ayant des problèmes d’incontinence. Pour le confort des résidents, Beauregard dispose d’un fauteuil de douche (sous la forme d’une coque) qui limite la crainte de chuter, ainsi que d’un dispositif permettant de prendre une douche tout en restant couché dans un lit. Il peut cependant arriver que quelqu’un s’oppose à ce qu’on l’aide à se laver. Dans ce cas, la première réponse des membres du personnel de Beauregard est d’attendre un moment (« Vous ne voulez pas prendre votre douche maintenant ? Ce n’est pas grave, on reviendra plus tard. ») et d’interroger ultérieurement la personne, éventuellement en lui proposant d’être aidée par une personne avec laquelle elle a plus d’affinités ; si le refus persiste, il s’agira d’examiner d’où vient ce comportement : la personne s’est-elle sentie brusquée, a-t-elle mal, a-t-elle un ressenti négatif envers un ou une soignante ?  La directrice, qui est perçue comme ayant un rôle différent de celui des équipes de soins, intervient parfois de façon indirecte, par exemple en suggérant à un monsieur qu’il aurait bien meilleure mine avec les joues rasées. Les oppositions répétées font l’objet de réunions d’équipe, durant lesquelles les diverses personnes intervenant auprès d’un résident partagent leurs observations et leurs hypothèses, afin de tenter de comprendre l’origine de l’opposition et de trouver comment la résoudre.

Concernant l’habillement, les soignants ne doivent en aucun cas préparer les vêtements d’une personne à l’avance. Au moment de se vêtir, la personne est installée sur une chaise devant son armoire et, si elle peut s’exprimer verbalement, on lui demande ce qu’elle a envie de mettre (type de vêtement, couleur, longueur…). Sinon, on lui propose des alternatives en lui montrant deux vêtements et l’on procède à des essayages. Si la personne manifeste son mécontentement, on essaie un autre habit, et plusieurs essais peuvent s’avérer nécessaires.

Dans la suite de la matinée, les personnes qui en ont besoin reçoivent des soins médicaux, mais cela inclut également des soins de bien-être : une réflexologue intervient deux fois par semaine, de même qu’une masseuse qui a notamment pour but d’améliorer les problèmes de dos liés au maintien constant d’une position assise ou couchée. Il faut relever qu’une pièce a été transformée en  salon de coiffure dans l’annexe de la maison, avec une coiffeuse venant régulièrement, ce qui donne aux résidents le sentiment d’aller se faire coiffer à l’extérieur. Une esthéticienne intervient également. A ce propos on relèvera que le personnel se base, quand c’est possible, sur des photos pour aider les personnes à garder l’apparence qu’elles avaient préalablement à leur installation dans la résidence.

A midi, comme presque toutes les personnes (33/36) ont besoin d’aide ou de stimulation pour s’alimenter, tous les membres du personnel de soins et d’animation sont mobilisés et deux services sont proposés. Dans un premier temps, les personnes grabataires sont levées - habillées - et amenées dans la grande véranda lumineuse, à l’écart du bruit et de l’agitation du service, où elles profitent de la vue sur le jardin et d’une musique de fond.

Le cuisinier passe alors avec son chariot et propose 2-3 plats, ainsi qu’un éventuel menu de remplacement (p. ex., une omelette) pour les personnes à qui les plats du jour ne conviennent pas. Tous les plats servis sont confectionnés sur place à partir de produits frais et une cuisine a été installée à l’extérieur pour faciliter le service durant l’été. Du vin est servi avec le repas pour celles ou ceux qui l’apprécient. Notons encore que l’équipe des cuisines veille à varier les plaisirs (raclette, tartiflette, polenta, brisolée…), sollicite l’avis des résidents et leur propose régulièrement des plats typiques de leur culture. Le jour de leur anniversaire, ce sont les résidents qui choisissent leur repas et un gâteau, ainsi qu’un verre de champagne, sont offerts à tous les résidents. Rappelons encore que la vaisselle utilisée – en mélaminé – est joliment décorée, vivement colorée, et offre ainsi un net contraste avec la table.

Pendant que les personnes les moins autonomes dînent, les autres, avant de passer à table dans la salle à manger, prennent un apéritif – par exemple un verre de vin blanc ou un jus de fruits – avec de petits amuse-gueules, parfois en musique, parfois en faisant un jeu ou en profitant d’une autre activité.

La journée se déroule ensuite selon les activités du jour, qui sont détaillées plus bas. En fin d’après-midi, certains résidents sont très fatigués et préfèrent dès 18h prendre un repas au lit. Les autres sont invités à souper dès 18h30, toujours en présence du cuisinier qui peut offrir une possibilité de changement à la personne à laquelle le repas ne conviendrait pas. Des activités sont proposées jusqu’à 20h. Certains personnes rejoindront leurs chambres, alors que d’autres préféreront rester dans les salles communes où se trouvent trois télévisions. Les équipes de nuit arrivent dès 20h et proposent des tisanes ou du café avec, selon les soirs, de petits biscuits, des gâteaux, une mousse aux fruits, des chocolats (sous forme de lapins à l’approche de Pâques)…

Les personnes ont ensuite jusqu’à minuit pour rejoindre leur chambre et se coucher avec l’aide des veilleurs de nuit. Les horaires de coucher et de lever ne sont pas définis en fonction des horaires des équipes, mais bien des habitudes individuelles ; les équipes soignantes ont bien relevé que l’angoisse des résidents lorsqu’on les reconduit dans leur chambre à un moment donné disparaît souvent complètement si on les accompagne à un autre moment qui correspond mieux à leurs habitudes antérieures. On soulignera aussi ici que le respect des rythmes individuels et l’offre d’activités adaptées durant la journée fait que les problèmes de sommeil sont relativement peu fréquents : seuls trois résidents (sur 36) reçoivent des somnifères !

Autre particularité de l’établissement : même si les personnes âgées de la maison ont presque toutes des problèmes d’incontinence, on les conduit tout de même au moins trois fois par jour aux toilettes. Et elles ne portent pas de couches, mais des sortes de slips renforcés, dans le souci de respecter au mieux leur dignité. Mais, même dans ce contexte, les membres des équipes ne sont pas à l’abri d’un faux pas : une vieille dame italienne s’énervait ainsi vivement et envoyait balader les équipes lorsqu’on lui demandait si elle souhaitait aller aux toilettes ou être changée après le repas de midi. Les équipes de soin se sont donc interrogées sur le motif de ce refus et l’histoire de vie de cette dame. Il est ainsi apparu qu’elle était issue d’un milieu modeste, mais avait fait des études et avait été très libre toute sa vie durant. Jamais mariée, elle avait résisté pendant la Deuxième Guerre mondiale, avait été militante féministe et avait été la première de sa famille à travailler dans le milieu bancaire, dans lequel elle avait assuré d’importantes responsabilités. Elle arrivait de l’hôpital de psychogériatrie, où elle avait été amenée consécutivement à des « actes de violence » envers des soignants : dans l’établissement dans lequel elle résidait précédemment, elle s’endormait à peu près n’importe où, ou plongeait dans une sorte de béatitude. Or les soignants la réveillaient systématiquement, raison pour laquelle elle leur a asséné des coups de poings, ce qui lui a valu une bonne dose de neuroleptiques et une hospitalisation pour agressivité… Connaissant la force de caractère et le parcours de la dame, les équipes de Beauregard ont pu considérer la situation différemment et son point de vue a pu être pris en considération. En l’occurrence, ce n’était pas parce qu’elle avait des problèmes d’incontinence que cela justifiait qu’on lui demande si elle voulait être accompagnée aux toilettes « devant tout le monde » (même très discrètement) ; ce faisant, on ne respectait pas son estime d’elle-même et la manière dont elle souhaitait qu’on lui parle.

Des activités tenant compte des intérêts des résidents, ouvertes sur la société et porteuses d’inattendu

Les activités proposées au sein de l’établissement sont aussi focalisées sur les intérêts et les valeurs des personnes, leur possibilité de développement, leur bien-être physique et affectif, le maintien d’un rôle social, et donc l’ouverture sur la société.

Elles se partagent entre des projets individuels, établis chaque semaine en fonction des intérêts spécifiques de chacun, et des activités proposées à de petits groupes de résidents en fonction de leurs intérêts. Au niveau des activités individuelles, telle dame tient à se rendre régulièrement sur la tombe de son mari au cimetière, telle autre veut aller faire des achats d’habits ou encore aller prendre un repas le lundi à midi à la maison de quartier, comme elle en avait l’habitude lorsqu’elle habitait chez elle, et elles seront ainsi accompagnées par un membre de l’équipe d’animation.

Si leur mobilité le permet, les résidents peuvent, toujours en étant accompagnés, bien sûr, accomplir des démarches officielles (par ex., des renouvellements de permis pour les étrangers, le vote, …) en se rendant dans les lieux administratifs concernés et ce faisant, ils  demeurent des citoyens à part entière. Mais alors, chaque sortie à visée utilitaire à l’extérieur de Beauregard  s’accompagne d’une activité plaisante : on ira boire un café ou se balader un peu dans le quartier après le rendez-vous chez le médecin… Il est également à souligner que, même lorsque les transports sont assurés par des services spécialisés extérieurs, un membre du personnel accompagne toujours le ou la résidente, afin qu’elle ne se retrouve jamais seule et totalement désorientée quelque part.

Par ailleurs, dans le souci de maintenir bien ancré leur sentiment d’identité et de continuité de leur existence, des visites sont régulièrement organisées dans les quartiers dans lesquels les personnes habitaient. Il arrive également que Beauregard organise pour certaines d’entre elles un repas dans leur ancien lieu de travail, avec leurs collègues d’alors. En ce qui concerne la dimension spirituelle des résidents, outre des offices religieux qui sont organisés toutes les semaines, les personnes pratiquantes sont accompagnées une fois par mois par un des animateurs dans le lieu de culte qu’elles fréquentaient avant leur entrée à Beauregard. 

L’individualisation des activités concerne également l’accès à des soins de bien-être : massages thaï, réflexologie, massages restructurants destinés aux personnes qui sont en chaise roulante pour agir sur leurs possibles douleurs…

En ce qui concerne les activités plus générales, un programme vient rythmer la semaine et différencier les jours les uns des autres : par exemple, lundi, c’est la gym et l’expression créative, mardi se tient la célébration des offices religieux et l’esthéticienne vient, etc. Un atelier « beauté » hebdomadaire contribue au maintien d’une bonne image de soi : une animatrice aide les résidentes à se faire les ongles, à s’appliquer un masque de soins, à se maquiller selon leurs habitudes (en s’appuyant au besoin sur des photographies antérieures de la personne).

Au niveau de l’activité physique, les  résidents peuvent participer à des activités de tai-chi  ou de gymnastique pour seniors dans le cadre de l’établissement, mais ils peuvent aussi se rendre à un thé dansant pour personnes âgées et se promener au marché aux puces (et rappelons que l’accès au jardin de la résidence est ouvert en tout temps et est largement utilisé) !

Les résidents sont aussi impliqués, dans la mesure de leurs moyens, dans des activités créatives. Certains préparent du matériel pour les fêtes à venir, aident à la préparation des goûters de l’après-midi, décorent les tables (ou tiennent à les débarrasser). Ils peuvent également participer à un atelier de chant hebdomadaire, à de petites pièces de théâtre organisées tous les vendredis après-midi et mettant en scène la vie de l’établissement durant la semaine écoulée ou encore à un atelier d’expression créative, mis en place depuis un an en collaboration avec l’association VIVA (qu’une de nos chroniques décrivait : « VIVA : valoriser et intégrer pour vieillir autrement »).

Cet atelier d’expression créative, proposé à un petit groupe de 3-5 résidents, est basé sur une méthode développée par une professeure d’art dramatique états-unienne, qui permet à des personnes âgées avec troubles cognitifs de laisser libre cours à leur instinct narratif et créatif : on leur présente des images incongrues ou drôles (pour ne pas les inciter à chercher à tout prix un souvenir précis dans leur mémoire) et on les encourage à produire un récit à partir de ces images. Des personnes facilitatrices encouragent le processus, notamment en posant des questions ouvertes et en insistant sur le fait qu’il n’y a pas de réponses incorrectes. Toutes les productions sont régulièrement retranscrites, y compris les productions sans signification apparente, pour être incorporées dans un poème en prose. Par ailleurs, les personnes facilitatrices relisent régulièrement l'histoire déjà racontée par le groupe et font également en fin de séance la lecture de la production finale. Cette méthode encourage ainsi l’imagination, plutôt que d’imposer une charge sur la mémoire. De plus, la fantaisie et la créativité qui émergent au fil des sessions enlèvent aux participants la pression de parler et d’agir de manière rationnelle, cohérente et mettent en avant leurs capacités préservées et leur potentiel créatif (pour en savoir plus, voir l’article « Timeslips : le pouvoir de l’expression créative et des récits »).  Les textes créés lors de ces rencontres ont été réunis dans un livre et les récits, ainsi que le livre, ont été présentés au public lors d’une après-midi festive sur divers supports : tableaux illustrés, bricolages, saynètes… Il est à noter que ces derniers ont été réalisés conjointement par des résidents de Beauregard, des membres de l’association VIVA et des enfants d’une maison de quartier qui étaient tous conviés à la fête.


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2 pages du livre réalisé à partir de l'atelier d'expression créative ©VIVA

 

De manière plus générale, la résidence de Beauregard a toujours le soin de s’ouvrir à la communauté locale et organise ainsi souvent des visites d’enfants du quartier, qui adoptent des pensionnaires comme « grands-parents de cœur » et partagent avec eux des activités, telle la visite du Père Noël et de son âne, des fabrications de bricolages, des jeux dans le jardin (par ex., un but avait été installé lors du dernier Mondial de foot).

Beauregard a également développé un lien privilégié avec une structure d’accueil temporaire médicalisée pour personnes âgées qui se situe à proximité de l’établissement dans une maison de santé (Cité Générations), où ses animateurs interviennent une fois par semaine en proposant des activités individualisées aux personnes séjournant dans cette structure. C’est ainsi qu’une dame italienne s’est mise à faire la pasta à midi ; comme elle s’est en outre liée d’amitié avec une résidente de Beauregard, elle va désormais une fois par semaine partager un repas avec elle dans une maison de quartier et vient aussi cuisiner à Beauregard, dans une cuisine spécialement aménagée dans un joli pavillon extérieur.

L’établissement veille aussi à être toujours largement ouvert aux familles, qui peuvent venir à n’importe quelle heure, qui peuvent être reçues par la direction ou les cadres sans rendez-vous  préalable et qui sont souvent invitées à partager des activités. Une fête est aussi organisée chaque année pour accueillir  les petits-enfants des résidents.

Durant l’été, des grillades sont offertes durant les week-ends et les familles sont conviées à partager des événements tels que les fêtes de Noël  ou de l’été, durant laquelle tout le jardin est aménagé, rempli de meubles de rotin et de décorations selon le thème choisi : ainsi, l’an dernier, un spectacle musical et vidéographique mettant en scène des souvenirs de femmes de marins a incité tout le personnel à adopter des tenues de marins et le buffet avait été arrangé sur de magnifiques barques en bois ! Ce fut aussi une occasion pour les cuisiniers de mettre tout leur talent et leur créativité en œuvre, avec de multiples amuse-bouche aux saveurs marines, un stand de moules-frites, un stand de crêpes bretonnes et un stand de dégustation d’huîtres -qui a particulièrement réjouit une résidente, qui n’en avait jamais goûtées et pour laquelle c’était un plat réservé aux riches (avant les fêtes de fin d’année, c’était aussi dégustation de divers foies gras, de chocolats et de champagne !). Des menus thématiques sont également proposés lors des grands événements sportifs mondiaux (Euro ou Mondial, Tour de France, compétitions de tennis…), durant lesquels les compétitions, que les familles sont également invitées à venir suivre, sont retransmises sur un grand écran.


Illustrations--2--0300.JPGL'entrée de Beauregard lors de la fête de l'été ©Roberto Marano


On ne s’étonne guère que dans ces conditions les familles participent largement aux activités et festivités de l’établissement. Elles ont d’ailleurs créé une association des proches de résidents de Beauregard (« Les amis de Beauregard ») et il est remarquable de noter que certains continuent à y adhérer plusieurs années après le décès de leur proche ! Si les familles peinent à se déplacer, les équipes de Beauregard peuvent conduire les résidents au domicile des proches. Au cas où certains proches  s’impliquent peu, la direction tente de les inciter à s’investir davantage, par exemple par une invitation personnelle, signée du ou de la résidente, à une activité de l’établissement, ou par l’organisation d’une surprise à l’intention du résident (« Nous vous proposons de lui faire la surprise d’un repas chez vous et viendrons avec elle samedi prochain, est-ce que vous êtes d’accord ? »). Dans ce contexte, un animateur a conduit une résidente à plus de 150 km de Genève pour un repas avec son fils…

En rappelant que les résidents de Beauregard présentent tous des problèmes cognitifs et fonctionnels importants (une « démence sévère »), il importe également de mentionner l’organisation de vacances à la montagne ou à en Italie (à Florence), la participation à des concerts dans ou hors de l’établissement, l’organisation de conférences courtes et illustrées dans la résidence (p. ex., sur le Pôle Nord, en présence de chiens de traîneaux…), etc.

Conclusions

On voit bien comment les principes du changement de culture dans les structures d’hébergement à long terme évoqués en introduction se traduisent à Beauregard par des démarches concrètes permettant à la personne âgée de rester dans la continuité de sa vie, de faire des choix et de prendre des décisions, et d’avoir le sentiment d’être reconnue dans son identité.

Bien des éléments témoignent subjectivement de la qualité de vie à Beauregard, consécutive à la mise en pratique de cette approche. Pour les visiteurs occasionnels dont nous faisons partie, même s’il arrive souvent que des personnes déambulent, marmonnent dans leur coin, elles sont acceptées, accompagnées, l’atmosphère est très paisible et l’on a le sentiment d’entrer chez quelqu’un, de rejoindre les habitants d’une maison, et non pas d’entrer dans une institution de soins. On peut souligner aussi l’appétit des résidents, leurs sourires lors des activités, l’enthousiasme manifeste des équipes, l’implication des familles…

Aucune étude formelle n’a été réalisée à ce jour pour objectiver quantitativement les bénéfices apportés au niveau du bien-être des résidents, mais il existe plusieurs indicateurs intéressants :

Le premier concerne les prescriptions médicamenteuses : en effet, bien que la quasi-totalité des résidents s’installent à Beauregard suite à un séjour prolongé en psychogériatrie (et après avoir été exclus ou refusés par les autres structures d’hébergement à long terme du canton en raison de l’ampleur de leurs troubles comportementaux), 81% des résidents (soit 29 personnes) ont vu leur traitement psychotrope baisser significativement comparativement à leur traitement d'entrée et 44% des résidents ne reçoivent actuellement aucun psychotrope (ils n’étaient que 10% en 2005, quand Tiziana De Berti a pris la direction de l’établissement ; voir aussi notre chronique « Une consommation élevée de médicaments dans les structures d’hébergement et de soin à long terme en Belgique »). Rappelons également que seuls trois résidents sur 36 reçoivent des somnifères.  

Ces observations suggèrent bien que l’adaptation de l’environnement (physique et humain) permet d’avoir une incidence significative sur les difficultés comportementales et psychologiques des personnes âgées présentant un vieillissement cérébral problématique.

Il faut aussi signaler que ce mode d’organisation centrée sur la personne, ainsi que les opportunités données au personnel de passer du temps avec les personnes âgées, de pouvoir trouver des solutions face à des situations difficiles, de faire partie d’une structure qui réfléchit sur sa pratique et de bénéficier d’une supervision sont autant d’éléments qui contribuent à la satisfaction au travail, laquelle se traduit ici par une remarquable fidélité des équipes : les collaborateurs travaillent dans l’établissement en moyenne depuis 7 ans et 8 mois (soit un roulement inférieur à 5% sur les 10 dernières années). Les plus anciens collaborateurs ont 23 et 21 ans d’ancienneté dans la maison et les plus jeunes 4 ans –auxquels  il faut ajouter deux jeunes femmes qui viennent de s’ajouter dernièrement comme apprenties. Autre chiffre remarquable, le taux d’absentéisme, qui se situe autour de 2.6% y compris les congés maternité (à titre comparatif, il dépasse largement les 10% dans la moyenne cantonale ; voir sur ce thème notre chronique « Une approche centrée sur la personne dans les structures d'hébergement à long terme : un déterminant important de la satisfaction au travail du personnel  »).

Il faut enfin souligner que la résidence Beauregard fonctionne sur le même mode de financement et de subventionnement que les autres structures d’hébergement à long terme du canton de Genève et que le prix de pension par résident se situe dans la moyenne des prix pratiqués par ces dernières – il est même significativement plus bas que celui d’autres établissements spécifiquement destinés à des personnes âgées présentant des troubles cognitifs importants. La différence qualitative réside notamment dans le fait que Beauregard a réduit au maximum la structure administrative pour privilégier les activités d’accompagnement des résidents (ce qui se traduit par un quasi doublement des postes d’animation comparativement à la moyenne cantonale). 

Le mot de la fin appartient à la directrice : « C’est possible parce que j’y crois ! »


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Photographies prises  à Beauregard lors de la fête de Noël 2013 ©Roberto Marano

 

Cette chronique est bien sûr dédiée à toutes celles et ceux qui font de la résidence Beauregard ce qu'elle est !

 

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2014). Penser autrement le vieillissement cérébral et cognitif. Bruxelles : Mardaga (chap. 4).

Ward, R., Vass, A. A., Aggarwal, N., Garfield, C., & Cybyk, B. A. (20

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24 août 2014 7 24 /08 /août /2014 22:38

Résumé

Un changement de culture dans les structures d’hébergement à long terme, visant à prendre en compte le résident âgé en tant que personne singulière et à promouvoir son bien-être et sa qualité de vie, implique notamment de faciliter l’expression de sa sexualité. En fait, la question des besoins et du bien-être sexuels des personnes âgées résidant dans une structure d’hébergement à long terme, avec ou sans « démence », reçoit encore très peu d’attention. Les personnes âgées sont considérées comme asexuées et l’activité sexuelle des personnes âgées présentant une « démence » tend à être envisagée comme un symptôme indésirable de la « maladie », plutôt que comme l’expression de désirs appropriés. Or les recherches montrent que beaucoup de personnes âgées conservent un intérêt pour la sexualité et sont capables d’exprimer leur sexualité, et ce même quand elles présentent une « démence ». Par ailleurs, les membres du personnel des structures d’hébergement à long terme manquent généralement de connaissances et de compréhension concernant la sexualité des personnes âgées. En outre, l’expression de la sexualité des personnes âgées vivant dans une structure d’hébergement à long terme se heurte à d’autres obstacles, comme le manque d’intimité, le manque d’occasions ou de partenaires, l’accent mis sur d’autres aspects du bien-être que la sexualité, le manque d’aide concernant les problèmes médicaux ou physiologiques pouvant causer des dysfonctionnements sexuels ou encore les attitudes négatives des membres de la famille. Il apparaît donc essentiel d’identifier de façon précise les obstacles à l’expression de la sexualité des personnes âgées résidant dans une structure d’hébergement à long terme, ainsi que les moyens d’améliorer cette situation.

 

Dans une chronique précédente (« Une prison sans barreaux et un monde de silence ! »), nous avons montré en quoi l’organisation et le fonctionnement actuels de la majorité des structures d’hébergement à long terme destinées aux personnes âgées, en particulier celles accueillant des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique (une « démence »), ne favorisent pas la qualité de vie, le bien-être et la prise en compte de la singularité de la personne.

Ce que les personnes âgées appellent de leurs vœux, c’est un lieu de vie dans lequel elles ont le sentiment d’être reconnues dans toutes leurs dimensions (y compris spirituelle), de pouvoir exprimer leurs valeurs, intérêts et réalisations, d’avoir une vie privée (englobant notamment l’intégrité physique et morale, le droit à l’autonomie et au développement personnels, le droit d’établir et d’entretenir des rapports -y compris amoureux et sexuels- avec d’autres personnes, ainsi que des contacts avec le monde extérieur), d’avoir le contrôle sur leur vie et donc de pouvoir prendre leurs propres décisions et d’être directement impliquées dans les décisions relatives au fonctionnement quotidien, d’appartenir à une communauté et de se sentir chez elles, d’être pleinement engagées dans la vie et en contact direct avec la société, de pouvoir vivre et susciter des interactions et des événements inattendus et imprévisibles, d’avoir accès à des activités qui ont un sens et d’avoir des buts, d’avoir un rôle social, de pouvoir apporter leur aide et leur soutien à d’autres.

Dans ce contexte, la question des besoins et du bien-être sexuels des personnes âgées résidant dans une structure d’hébergement à long terme, avec ou sans « démence », reçoit encore très peu d’attention. De façon plus générale, les personnes âgées sont considérées comme asexuées et leur sexualité fait l’objet d’attitudes négatives. L’activité sexuelle des personnes âgées présentant une « démence » tend à être pathologisée et considérée comme un symptôme indésirable de la « maladie », plutôt que comme l’expression de désirs appropriés. Ainsi, Villar et al. (2014) ont observé que, quand une relation sexuelle implique un résident présentant une « démence » et un résident sans « démence », les membres du personnel ont tendance à définir la situation comme une situation d’abus sexuel —réel ou potentiel—, même si la personne avec « démence » a donné son consentement ou a exprimé des émotions positives dans le contexte de cette relation (son comportement étant interprété comme le signe de son incapacité à prendre des décisions).   

Avoir la possibilité d’exprimer sa sexualité constitue un élément important de la qualité de vie, du bien-être et de la santé et représente par ailleurs un droit humain (comme l'est la possibilité d'avoir une vie privée). En fait, les recherches montrent que beaucoup de personnes âgées conservent un intérêt pour la sexualité et sont capables d’exprimer leur sexualité, et ce même quand elles présentent une « démence ». Ainsi, Bauer, Nay, et al. (2013) ont mis en évidence, au moyen d'une étude qualitative, que les personnes âgées résidant dans une structure d’hébergement à long terme, avec et sans « démence », se voient comme des êtres sexués et ont le désir d’exprimer leur sexualité, sous des formes qui diffèrent selon les personnes: avoir des relations sexuelles, se masturber, se toucher, flirter, se serrer dans les bras, séduire (notamment via l'habillement), faire des avances, pouvoir partager son lit avec une autre personne, etc. Ces désirs sont considérés comme une composante normale et acceptable de la vie dans une structure d’hébergement à long terme, et ce même par les personnes pour qui les relations sexuelles ou d’autres formes d’expression sexuelle ne sont pas importantes. Les personnes âgées parlent de la sexualité généralement en des termes métaphoriques ou imagés, témoignant ainsi du caractère encore tabou de ce domaine. Pour certains résidents, la sexualité constitue un domaine strictement privé, mais d’autres souhaitent pouvoir parler de leurs désirs avec les membres du personnels, lesquels sont cependant vus comme peu accessibles sur cette question ou comme ne pouvant pas vraiment les aider.

Il a d’ailleurs été montré que les membres du personnel des structures d’hébergement à long terme pour personnes âgées manquaient de connaissances et de compréhension concernant la sexualité des personnes âgées et qu’elles se sentaient mal à l’aise dans la prise en compte concrète de cette question, du fait d’un manque de formation. Récemment, Bauer, McAuliffe, et al. (2013) ont mis en évidence les effets bénéfiques d’un programme de formation de courte durée (un atelier de 3 heures) sur les attitudes et croyances des membres du personnel relatives à l’expression de la sexualité chez les personnes âgées dans les structures d’hébergement à long terme, avec en particulier une meilleure compréhension des besoins sexuels des personnes âgées (y compris de celles ayant une démence). Un changement a également été observé par rapport aux attitudes vis-à-vis des relations homosexuelles.

L’expression de la sexualité des personnes âgées vivant dans une structure d’hébergement à long terme se heurte à d’autres obstacles que l’attitude négative et le manque de formation des membres du personnel, et notamment le manque d’intimité, le manque d’occasions ou de partenaires, l’accent mis sur d’autres aspects du bien être que la sexualité ou encore le manque d’aide concernant les problèmes médicaux ou physiologiques pouvant causer des dysfonctionnements sexuels. En ce qui concerne le manque d’intimité, il est très fréquent que les membres du personnel entrent dans la chambre des personnes âgées sans s’annoncer et de façon inattendue, ou en frappant à la porte et en l’ouvrant simultanément. De plus, même quand leur intimité est préservée, certains résidents ont peur d’être « découverts » quand ils ont des relations intimes, et ce d’autant plus que les membres du personnels partagent fréquemment des informations concernant les résidents et ne sont pas sensibles au manque d’intimité que subissent les personnes âgées. Par ailleurs, les structures d’hébergement à long terme sont généralement des environnements hautement structurés, dans lesquels les membres du personnel ont un accès illimité à l’espace personnel des résidents et où les résidents sont contrôlés avec grande attention.

Il a également été relevé que les membres du personnel fournissent souvent des informations à la famille concernant les relations et comportements sexuels des résidents, et s’en remettent à leurs souhaits quant à la conduite à tenir (Frankowski & Clark, 2009). Dans ce contexte, Bauer, Nay, et al. (2014) ont constaté que les membres de la famille de résidents âgés présentant une « démence » (seules 7 personnes proches ont accepté d’être interrogées) souhaitaient être tenus informés des comportements sexuels de la personne âgée et être impliqués dans les décisions relatives à ces comportements. Comme l’indiquent Bauer et al., les membres du personnel doivent impérativement envisager le besoin d’information de la famille en prenant en compte la responsabilité qu’ils ont de protéger la confidentialité et le bien-être du résident. Par ailleurs, bien que l’attitude des proches concernant l’expression de la sexualité des résidents soit globalement positive, ils considèrent néanmoins que cette expression devait se limiter à des comportements tels que se toucher, s’embrasser, se serrer dans les bras : les relations sexuelles complètes sont considérées comme « à risque » (pour des raisons peu claires). Ces données, bien que préliminaires, suggèrent la mise en place d’une programme de formation des membres de la famille sur la question de la sexualité des personnes âgées, ainsi que la réalisation d’études à plus grande échelle visant à mieux comprendre les attitudes et motivations des proches et la manière dont ces attitudes et motivations peuvent influer sur l’expression de la sexualité des résidents âgés présentant une « démence ».

Dans une perspective centrée sur la personne, il apparaît donc essentiel d’identifier de façon précise les obstacles à l’expression de la sexualité des personnes âgées résidant dans une structure d’hébergement à long terme, ainsi que les moyens d’améliorer la situation. Dans cette perspective, Bauer, Fetherstonhaugh, et al. (2014) ont élaboré un questionnaire  (Sexuality Assessement Tool, SexAT) comportant 69 questions et permettant d’évaluer dans quelle mesure une structure d’hébergement à long terme facilite l’expression de la sexualité des résidents, et ce dans 7 domaines : la politique et les directives de l’établissement, la détermination des besoins du résident, la formation du personnel, l’information et le soutien aux résidents, l’information et le soutien aux familles, l’environnement physique, la sécurité et la gestion des risques. Ce questionnaire, en langue anglaise, est librement accessible, en cliquant ici (nous élaborons actuellement une version en langue française de ce questionnaire, que nous mettrons à votre disposition).

Notons enfin que, compte tenu du vieillissement de la population qui a connu la libération des mœurs et la révolution sexuelle post-1968, il s’agira également de plus en plus de prendre en compte les besoins sexuels des résidents âgés des communautés gay, lesbienne, bisexuelle et transgenre.


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Bauer, M., Fetherstonhaugh, D., Tarzia, L., Nay, R., Wellman, D., & Beattie, E. (2013). ‘I always look under the bed for a man’. Needs and barriers to the expression of sexuality in residential aged care: the views of residents with and without dementia. Psychology & Sexuality, 4, 296-309.

Bauer, M., McAuliffe, L., Nay, R., & Chenco, C. (2013). Sexuality in older adults: Effect of an education intervention on attitudes and beliefs of residential aged care staff. Educational Gerontology, 39, 82-91.  

Bauer, M., Fetherstonhaugh, D., Tarzia, L., Nay, R., & Beattie, E. (2014). Supporting residents’ expression of sexuality: the initial construction of a sexuality assessment tool for residential aged care facilities. BMC Geriatrics, 14:82.

Bauer, M., Nay, R., Tarzia, L., Fetherstonhaugh, D., Wellmen, D., & Beattie, E. (2014). ‘We need to know what’s going on’: Views of family members toward the sexual expression of people with dementia in residential aged care. Dementia, 13, 571-585.

Frankowski, A.C., & Clark, L.J., (2009). Sexuality and intimacy in assisted living: Residents’ perspectives and experiences. Sexual Research & Social Policy, 6, 144-149.

Villar, F., Celdràn, M., Fabà, J., & Serrat, R. (2014). Staff attitudes towards sexual relationships among institutionalized people with dementia: does an extreme cautionary stance predominate ? International Psychogeriatrics, 26, 403-412.

 

Complément bibliographique :


Une fois n'est pas coutume, c'est à la lecture d'une bande dessinée que nous vous invitons en complément à cette chronique. En effet, "Au coin d'une ride" de Thibaut Lambert, parue le 14 septembre 2014 chez "Des ronds dans l'O", lui fait joliment écho. Narrant l'histoire d'un couple dont l'un des éléments présente des difficultés cognitives telles qu'il va devoir intégrer une structure d'hébergement à long terme pour personnes âgées, l'ouvrage témoigne avec délicatesse et tendresse du maintien de l'amour et du désir malgré la présence de troubles cognitifs, mais aussi des obstacles (et pas qu'au niveau de la vie amoureuse) rencontrés dans l'établissement -et ce d'autant plus que le couple dont il est question est homosexuel.

Bien au-delà du cliché, une œuvre sensible et subtile (même si l'on n'échappe pas à l'appellation de "maladie d'Alzheimer").

Merci beaucoup à Marie, notre lectrice qui nous a indiqué ce titre !

Lambert, T. (2014). Au coin d'une ride. Vincennes: Des ronds dans l'eau. 

 

 http://desrondsdanslo.com/AuCoinDUneRide.html

 

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13 février 2014 4 13 /02 /février /2014 22:57

Résumé

Il existe un large consensus sur le fait que l’organisation et le fonctionnement actuels de la majorité des structures d’hébergement à long terme destinées aux personnes âgées, en particulier celles accueillant des personnes présentant une « démence », ne favorisent pas la qualité de vie et le bien-être. Les résidents eux-mêmes, quand ils sont consultés, considèrent qu’ils ne peuvent pas vivre une existence digne dans ce type de structures.

Les personnes âgées présentant une « démence » appellent de leurs vœux un lieu de vie dans lequel elles ont le sentiment d’être reconnues dans leur singularité et dans toutes leurs dimensions (y compris spirituelle), de pouvoir exprimer leurs valeurs, intérêts et accomplissements, d’avoir une vie privée, d’avoir le contrôle sur leur vie, et donc de pouvoir prendre leurs propres décisions et d’être directement impliquées dans les décisions relatives au fonctionnement quotidien, d’appartenir à une communauté et de se sentir chez elles, d’être pleinement engagées dans la vie et en contact direct avec la société, de pouvoir vivre et susciter des interactions et des événements inattendus et imprévisibles, d’avoir accès à des activités qui ont un sens et d’avoir des buts, d’avoir un rôle social, de pouvoir apporter leur aide et leur soutien à d’autres.

On est loin du compte et un changement de culture s’impose, conduisant à une approche réellement centrée sur la personne ! Ce changement de culture implique notamment le soutien d’une direction (d’un « leadership ») ayant une vision claire d’une telle approche, jouant un rôle actif dans la pratique au quotidien et permettant à tous les membres du personnel de s’investir dans le processus de changement. Selon nous, une approche centrée sur la personne devrait aussi « naturellement » conduire à la mise en place d’une pratique autogérée, impliquant conjointement les membres du personnel (principalement considérés comme des facilitateurs) et les résidents.

 

S’affranchir de la médicalisation (de l’ «alzheimérisation») du vieillissement cérébral/cognitif, c’est aussi changer de culture dans les structures d’hébergement à long terme destinées aux personnes âgées. Il s’agit de passer d’une pratique qui se focalise sur les questions médicales, la sécurité, l’uniformité et les directives bureaucratiques, à une approche dirigée vers le résident en tant que personne (et non pas en tant que « patient »), vers la promotion de son bien-être (psychologique, physique et social) et de sa qualité de vie.

Il existe un large consensus sur le fait que l’organisation et le fonctionnement actuels de  la majorité des structures d’hébergement à long terme destinées aux personnes âgées, en particulier celles accueillant des personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique (une « démence »), ne favorisent pas la qualité de vie, le bien-être et la prise en compte de la singularité de la personne. Les résidents eux-mêmes, quand ils sont consultés, considèrent qu’ils ne peuvent pas vivre une existence digne dans ce type de structures.

Ainsi, Heggestad et Nortvedt (2013) ont entrepris une étude qualitative visant à explorer comment la vie dans une structure d’hébergement à long terme pouvait affecter le sentiment de dignité des personnes ayant reçu un diagnostic de « démence ». Le recueil des informations s’est effectué via des observations et conversations informelles dans deux structures d’hébergement en Norvège (une dédiée spécifiquement à des personnes présentant une « démence» et l’autre hébergeant des personnes avec et sans « démence) et aussi via des entretiens qualitatifs plus approfondis menés auprès de 5 résidents présentant une « démence » (avec des questions ouvertes sur leur vécu dans la structure d’hébergement).

Les résultats confirment tout d’abord que les résidents présentant une « démence » sont capables d’exprimer leurs souhaits, même quand ils ont une « démence » sévère. Par ailleurs, les résidents mentionnent différents éléments qu’ils ressentent comme une atteinte à leur dignité : avoir des opportunités limitées de prendre leurs propres décisions dans la vie quotidienne, être totalement dépendants des soignants, ne pas être considérés comme des personnes, ne pas se sentir chez eux. Plusieurs résidents décrivent également un sentiment de captivité, comme l’illustre l’extrait d’entretien suivant mené avec Grete, une dame de 86 ans présentant une « démence » et vivant dans la structure dédiée aux personnes avec une « démence » depuis un an et demi :

Grete : « Matériellement, j’ai une bonne vie ici ; nous recevons tout ce que nous souhaitons ; nous recevons de la nourriture, des vêtements propres, etc., mais….. ». Intervieweuse : « Vous dites que c’est bien matériellement, mais… Appréciez-vous de vivre ici ? ». Grete : « Vous savez, c’est comme une prison sans barreaux (…). Je me sens comme une prisonnière. Je n’ai pas de liberté ».

Comme l’indiquent les paroles de Grete, il ne suffit pas de fournir aux personnes âgées le meilleur service hôtelier possible, le meilleur « hôtel médicalisé » possible (dans lequel elles seront servies, soignées, « animées ») - un marché au demeurant très lucratif, comme l’atteste l’essor considérable des groupes privés (en particulier français) qui se sont spécialisés dans les maisons de retraite (voir sur ce sujet l’article du journal Le Monde  http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/11/18/grand-mariage-dans-les-maisons-de-retraite_3515319_3234.html).

Ce que les personnes âgées appellent de leurs vœux (voir notamment Cadieux et al., 2013), c’est un lieu de vie dans lequel elles ont le sentiment d’être reconnues dans toutes leurs dimensions (y compris spirituelle), de pouvoir exprimer leurs valeurs, intérêts et réalisations, d’avoir une vie privée (englobant notamment l’intégrité physique et morale, le droit à l’autonomie et au développement personnels, le droit d’établir et d’entretenir des rapports -y compris amoureux et sexuels- avec d’autres personnes, ainsi que des contacts avec le monde extérieur), d’avoir le contrôle sur leur vie et donc de pouvoir prendre leurs propres décisions et d’être directement impliquées dans les décisions relatives au fonctionnement quotidien, d’appartenir à une communauté et de se sentir chez elles, d’être pleinement engagées dans la vie et en contact direct avec la société, de pouvoir vivre et susciter des interactions et des événements inattendus et imprévisibles, d’avoir accès à des activités qui ont un sens et d’avoir des buts, d’avoir un rôle social, de pouvoir apporter leur aide et leur soutien à d’autres.

On est loin du compte ! Ainsi, par exemple, alors que l’’environnement social est une composante essentielle de la qualité de vie, beaucoup de résidents présentant une « démence » passent une bonne partie de leurs journées seuls, en ne faisant rien. Pour ces résidents, les interactions avec les membres du personnel constituent pratiquement les seuls contacts sociaux qu’ils peuvent avoir. En dépit de cela, il a été observé que les interactions entre le personnel et les résidents étaient très peu fréquentes et ce constat ne s’est pas modifié depuis 30 ans (Ward et al., 2008). Les résidents avec une « démence » passent en moyenne 10% de la journée en communication directe avec d’autres personnes et 2.5% avec les soignants. De plus, 77% des interactions avec les soignants sont en lien avec des rencontres liées aux tâches de soins et seul un tiers des contacts implique des échanges verbaux. Ainsi, comme le relèvent Ward et collaborateurs : «… le silence est le mode dominant des rencontres de soins »).

Et pourtant, Savundranayagam (2014) a montré, via l’analyse de 36 conversations entre membres du personnel et résidents présentant une « démence » qui se sont déroulées durant les tâches routinières de soins, qu’il existe beaucoup d’occasions pour le personnel d’avoir une communication positive centrée sur la personne lors de ces conversations (p. ex., reconnaître le résident en tant que personne, l’appeler par son nom, affirmer son individualité en incorporant des éléments de son histoire personnelle, etc. ; le consulter sur ses préférences, désirs, besoins, etc. ; faciliter les échanges en initiant une conversation, en amplifiant l’interaction, en introduisant des éléments signifiants, etc. ; reconnaître la réalité de ses émotions ou sentiments et y répondre affectivement). Cependant, l’auteure observe que ces occasions sont souvent manquées…

Un élément très révélateur de la focalisation sur les dimensions médicales dans les structures d’hébergement à long terme pour personnes âgées présentant une « démence (et d’ailleurs aussi pour les personnes âgées sans « démence ») est le port de l’uniforme. En effet, les membres du personnel portent fréquemment un uniforme, ce qui est généralement justifié par des questions d’hygiène, alors que, comme le mentionnent Charras et Gzil (2013), la « démence » ne peut en aucun cas être considérée comme une maladie infectieuse ou contagieuse. Une autre raison, également contestable, concerne le fait que l’uniforme faciliterait l’orientation et constituerait un indice environnemental. Il y a bien sûr aussi, comme l’ont montré de nombreuses études, une dimension symbolique et identitaire dans le port de l’uniforme : celui-ci peut en effet aider la personne à manifester son identité professionnelle et les compétences qui y sont associées. Quoi qu’il en soit, cet uniforme parait constituer une entrave à une approche qui prenne en compte la personne et non le « patient ». Dans cette perspective, Charraz et Gzil ont observé des scores de qualité de vie (obtenus via les soignants) plus élevés chez les personnes présentant une « démence » qui ont interagi avec des soignants ne portant pas d’uniforme que chez les personnes âgées ayant interagi avec les soignants en uniforme. De plus, les soignants ont rapporté l’impression subjective que les personnes âgées avaient globalement bénéficié de la condition sans uniforme. Ils ont aussi mentionné être plus à l’aise quand ils interagissaient avec les personnes âgées en étant en vêtements de ville.


Les éléments clés d’un changement de culture

Un changement de culture dans les structures d’hébergement à long terme destinées aux personnes âgées présentant une « démence » (mais cela vaut aussi pour les personnes sans « démence ») implique notamment les actions suivantes :

* Réduire l’aspect hiérarchique du leadership.

* Proposer des soins, des interventions et des aménagements individualisés, qui prennent prioritairement en compte les souhaits et les habitudes du résident, plutôt que le respect de normes administratives de qualité des soins.

* Faire en sorte que les personnes gardent un sentiment de contrôle et de responsabilité sur leur vie et sur les événements quotidiens. Cela suppose d’entendre et de respecter leur point de vue, ainsi que de les inclure directement dans l’organisation et la réalisation des activités quotidiennes (préparation des repas, soins, activités, liens avec la société, etc. ; voir notre chronique «   Une vie meilleure pour les personnes âgées dans les structures d'hébergement à long terme : apprendre par ceux qui savent ! »  ).

* Modifier le langage (infantilisant et pathologisant) utilisé dans la vie quotidienne, en considérant que les mots constituent un agent puissant de changement (voir nos chroniques « Améliorer la communication dans les structures d’hébergement des personnes âgées : réduire le parler mémé ou pépé ! » et « Le parler "personnes âgées" est associé à la résistance aux soins dans les structures d'hébergement à long terme  » ).

* Ne pas pathologiser les comportements dits « problématiques ». Cela implique de passer d’une interprétation essentiellement biomédicale (qui attribue automatiquement ces comportements à la « démence ») à une interprétation qui prenne en compte la signification des actions des résidents, ainsi que les facteurs relationnels, situationnels, contextuels et environnementaux pouvant avoir suscité ces comportements (voir notre chronique « La pathologisation des comportements dans les structures d’hébergement à long terme »). Comme le relève Caspi (2013), les comportements ne doivent plus être considérés comme des « symptômes comportementaux », mais comme des « expressions comportementales ».  

* Dans la ligne du point précédent, réduire la surconsommation (très fréquente) de médicaments (notamment de psychotropes), médicaments trop souvent administrés en les dissimulant dans la boisson ou la nourriture, sans que les personnes en aient connaissance et sans que leur consentement soit obtenu (voir nos chroniques « Une consommation élevée de médicaments dans les structures d'hébergement et de soin à long terme pour personnes âgées en Belgique » et « L’administration dissimulée de médicaments aux personnes âgées vivant dans des structures d’hébergement à long terme »). Pour ce faire, il importe de donner toute leur place aux interventions psychosociales et environnementales individualisées. 

* Constituer des environnements de vie de plus petite taille, plus proches des environnements habituels et familiaux, avec une attribution constante du personnel au même environnement, un accès à la nature et aux animaux, des relations intergénérationnelles et des connexions directes à la société.

Au-delà d’expériences isolées de mise en place de structures d’hébergement plus respectueuses de la personne, on a vu apparaître, ces dernières années, divers réseaux œuvrant, sur une plus large échelle, pour un changement radical dans la manière de concevoir l’hébergement des personnes âgées présentant une « démence ». Ainsi, aux Etats-Unis, un livre blanc est récemment paru présentant les recommandations d’un groupe d’experts pour faire évoluer les structures de soins et d’hébergement pour personnes âgées présentant une « démence » vers une approche centrée sur la personne (Dementia care : The quality chasm (l’abîme de la qualité). Dementia Initiative, http://www.ccal.org/wp-content/uploads/DementiaCareTheQualityChasm_2-20-13-final.pdf).

De même, Dupuis et al. (2014) ont décrit la philosophie du travail que mène, au Canada, le réseau « Partnership in Dementia Care Alliance » dans le but de changer de culture dans les structures d’hébergement à long terme des personnes âgées présentant une « démence ». Ce réseau regroupe cinq universités et 50 partenaires aux niveaux local, régional et national, représentant divers groupes concernés directement par la question de la « démence » (des personnes ayant reçu un diagnostic de « démence », des personnes proches, des membres du personnel des structures d’hébergement, des personnes appartenant à des associations, etc.). L’activité de ce réseau est guidée par trois principes généraux : travailler en collaboration, penser et agir différemment et imaginer de nouvelles possibilités.

Par ailleurs, un nombre croissant de publications se sont penchées sur des facteurs plus spécifiques pouvant susciter ou faciliter ce changement de culture. Nous nous arrêterons plus particulièrement dans cette chronique sur le travail de Mork Rostad et al. (2014) qui ont examiné le rôle de la direction (du « leadership ») dans l’implantation d’une approche centrée sur la personne dans les structures d’hébergement à long terme pour personnes âgées présentant une « démence ». Pour ce faire, ils ont mené une étude qualitative et descriptive auprès d’un groupe de 18 membres du personnel et de sept membres de la direction de trois structures d’hébergement en Norvège, engagées dans la mise en place de soins centrés sur la personne.

Globalement, les auteurs ont confirmé l’importance de la direction dans cette implantation. De façon plus spécifique, trois types de structures d’hébergement et de direction ont été distingués :

* la structure « hautement professionnelle », dans laquelle la personne qui dirige a une vision claire et intégrée d’une approche centrée sur la personne, ainsi qu’une perspective à long terme du développement professionnel des membres du personnel. Ces structures disposent d’un financement de base qui n’a pas d’influence directe sur la pratique quotidienne. La personne qui dirige prend part aux activités quotidiennes et sert de modèle. Les membres du personnel se sentent motivés et sont encouragés par la direction.

* la structure « orientée vers le marché » (« market-oriented »), dans laquelle il n’y a pas de vision claire de l’approche suivie. Il existe des contradictions entre la direction et le personnel quant aux perspectives de développement professionnel. La personne qui dirige ne peut pas être présente quotidiennement sur le terrain et est ainsi amenée à déléguer à d’autres (p. ex., à l’infirmière cheffe). Elle essaie de motiver les membres du personnel à se développer professionnellement, mais elle se heurte à leur résistance et à leur insécurité. Le personnel est en demande de supervision continue. Le financement est basé sur l’activité, en fonction de consignes détaillées concernant les pratiques de soins.

* la structure « traditionnelle », dans laquelle il n’y a pas de vision connue d’une approche. Un développement professionnel des membres du personnel est demandé, sans qu’il y ait de plan d’action structuré. Le financement de base n’a pas d’influence sur la pratique quotidienne. La personne qui dirige apporte du soutien aux membres du personnel en certaines occasions, quand le besoin s’en fait sentir sur le terrain, et elle les encourage à utiliser leurs habiletés individuelles. Les membres du personnel font le maximum pour fournir des soins de qualité, ils aiment la personne qui dirige, mais se sentent oubliés au quotidien.

Les analyses ont montré que seule la structure d’hébergement « hautement professionnelle » a réussi à implanter une approche centrée sur la personne dans la pratique quotidienne, et ce, via l’appui d’une direction ayant une vision claire d’une telle approche, jouant un rôle actif dans la pratique au quotidien et permettant à tous les membres du personnel de s’investir dans le processus de changement. La structure « orientée vers le marché » a pris conscience de l’approche centrée sur la personne, mais cela ne s’est pas traduit par des changements dans les pratiques quotidiennes. Enfin, la structure d’hébergement « traditionnelle » a pris conscience de l’approche centrée sur la personne et une réflexion sur cette approche a été menée au sein du personnel. Cependant, l’influence de cette réflexion sur les pratiques demeure incertaine. Les deux dernières structures n’ont pas bénéficié du soutien actif de la direction.

Même si le passage vers une approche centrée sur la personne au sein d’une structure d’hébergement à long terme semble impliquer une direction ayant une vision claire et jouant un rôle actif au quotidien, nous pensons qu’une telle approche devrait conduire « naturellement » à la mise en place d’une pratique autogérée impliquant conjointement les membres du personnel (principalement considérés comme des facilitateurs) et les résidents.

En conclusion, il faut espérer que des réseaux influents se mettent en place dans les pays francophones afin de contribuer à l’indispensable changement de culture que doivent vivre les structures d’hébergement pour personnes âgées, que ces dernières aient d’ailleurs ou non reçu un diagnostic de « démence ».

Selon nous, ce changement de culture sera d’autant plus aisé à mettre en place s’il s’accompagne d’une autre manière de considérer le vieillissement : une conception qui ne divise pas le monde entre ceux qui ont une « démence » et ceux qui ne l’ont pas, mais qui reconnaisse que nous partageons tous les vulnérabilités liées au vieillissement cérébral/cognitif problématique.

 

 

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Nous dédions cette chronique à Mme Tiziana De Berti, formidable directrice de l’EMS Beauregard (une structure d’hébergement à long terme pour personnes âgées de la région genevoise), et à son équipe, qui ont su insuffler à cet établissement le supplément d’âme nécessaire pour en faire un lieu de vraie vie…

 

Cadieux, M.-A., Garcia, L. J., & Patrick, J. (2013). Needs of people with dementia in long-term care: A systematic review. American Journal of Alzheimer’s Disease & Other Dementias, 28, 723-733.

Caspi, E. (2013). Time for change: Persons with dementia and « behavioral expressions », not « behavioral symptoms ». JAMDA, 14, 768-769.

Charras, K., & Gzil, F. (2013). Judging a book by its cover: Uniforms and quality of life in special care units for people with dementia. American Journal of Alzheimer’s Disease & Other Dementias, 28, 450-458.

Heggestad, A.K.T., & Nortvedt, P. (2013). ‘Like a prison without bars’: Dementia and experience of dignity. Nursing Ethics, 8, 881-892.

Mork Rokstad, A. M., Vatne, S., Engedal, K., & Selbaeck, G. (2014). The role of leadership in the implementation pf person-centered care using Dementia Care Maping : a study in three nursing homes. Journal of Nursing Management, sous presse.

Savundranayagam, M. Y. (2014). Missed opportunities for person-centered communication : implications for staff-resident interactions in long-term care. International Psychogeriatrics, sous presse.

Ward, R., Vass, A. A., Aggarwal, Garfield, C., & Cybyk, B. A. (2008). A different story : exploring patterns of communication in residential dementia care. Aging and Society, 28,629-651.

White-Chu, E.F., Graves, W.J., Godfrey, S.M., Bonner, A., & Sloane, Ph. (2009). Beyond the medical model: The culture change revolution in long-term care. Journal of the American Medical Directors Association, 10, 370-378. 

 

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23 septembre 2012 7 23 /09 /septembre /2012 20:25

 

Résumé

Parmi les multiples facteurs qui sont impliqués dans l’aggravation des problèmes des personnes âgées ayant reçu un diagnostic de « démence » et vivant dans une structure d’hébergement à long terme, il en est certains qui sont potentiellement modifiables et qui, s’ils ne sont pas identifiés et pris en compte, conduisent à des incapacités plus importantes que celles induites par le vieillissement physique et cérébral en tant que tel.

Dans cette perspective, Slaughter et Hayduk (2012) ont mené une étude prospective visant à explorer, sur une période d’une année, la contribution respective de facteurs individuels et environnementaux à la survenue de troubles de la marche et de la capacité à manger chez des personnes présentant une « démence » et résidant dans une structure d’hébergement à long terme. Ainsi, ont été pris en compte l’âge, le genre, le niveau scolaire, la sévérité de la « démence » lors de la ligne de base, la prise de médicaments psychotropes et « anti-démence » lors de la ligne de base et durant l’année d’observation,  la comorbidité (ou présence conjointe d’autres problèmes médicaux), l’environnement de vie (évalué via le « Professional Environmental Assessment Protocol », PEAP), le propriétaire de la structure d’hébergement à long terme (structure publique, bénévole et privée) et la taille de la structure d’hébergement.

Les résultats ont montré qu’une « démence » plus sévère lors de la ligne de base a un effet direct sur l’apparition ultérieure d’incapacités de manger et de marcher. Cependant, l’environnement de vie des résidents et la présence de comorbidités influencent également la survenue des incapacités à manger et à marcher et ce, après avoir contrôlé l’influence de tous les autres facteurs susceptibles d’être impliqués dans ces incapacités. Par ailleurs, l’influence directe de l’environnement de vie et des comorbidités est aussi forte que celle de la sévérité initiale de la « démence ». Enfin, des structures plus petites et publiques fournissent une qualité de l’environnement de vie supérieure, laquelle contribue à différer l’installation des incapacités à manger et à marcher.

Dans une étude complémentaire, Slaughter et Morgan (2012) ont mis en évidence des liens spécifiques entre certaines dimensions de la qualité de l’environnement de vie (évaluées par le PEAP : l’optimisation de l’orientation et de la conscience de l’environnement, la sécurité / sûreté, la régulation de la stimulation, la qualité de la stimulation, les possibilités de contrôle personnel, le soutien des habiletés fonctionnelles) et la survenue d’incapacités à manger et à marcher.

Ces deux études indiquent en quoi il semble possible d’améliorer l’autonomie et la qualité de vie des personnes « démentes » résidant dans une structure d’hébergement à long terme en aménageant différentes dimensions de leur environnement de vie.

 

Il a été montré que de nombreux facteurs sont impliqués dans la survenue ou l’aggravation de problèmes cognitifs, socio-affectifs et fonctionnels des personnes âgées ayant reçu un diagnostic de « démence » et vivant dans une structure d’hébergement à long terme. Certains de ces facteurs sont potentiellement modifiables et, s’ils ne sont pas identifiés et pris en compte, ils conduisent à des incapacités plus importantes que celles induites par le vieillissement physique et cérébral en tant que tel (des incapacités « en excès »). Nous avons d’ailleurs décrit dans plusieurs de nos chroniques des travaux ayant mis en évidence la contribution de certains de ces facteurs modifiables, en particulier la douleur, les troubles du sommeil ou encore certains facteurs environnementaux comme des niveaux élevés de bruit et de température et un niveau bas de luminosité (voir nos chroniques « Les antidépresseurs et les antipsychotiques ne constituent pas une réponse adéquate aux difficultés psychoaffectives des personnes âgées présentant une démence » ;  « Les relations réciproques entre troubles du sommeil et activités de la vie quotidienne chez des résidents de structures d’hébergement à long terme » ; « Accroître la qualité de vie et le bien-être des personnes âgées démentes et vivant dans une structure d’hébergement à long terme : un besoin urgent de recherche »).

Des revues de question ont confirmé le rôle bénéfique de certains facteurs environnementaux, comme des chambres individuelles, des groupes plus restreints de résidents, des mesures de sécurité non obstructives, des variations dans l’ambiance, la taille et le forme de l’espace, l’accès visuel aisé à des caractéristiques importantes de l’environnement, le contrôle des stimulations inutiles accompagné d’une optimisation des stimuli utiles, avec l’accès périodique à des moments d’illumination élevés, etc. (voir Calkins, 2009 ; Fleming & Purandare, 2010). Il faut cependant relever qu’aucune étude n’avait jusqu’à présent exploré la contribution spécifique de facteurs environnementaux par rapport à d’autres facteurs, et ce en utilisant des mesures fiables, sensibles et valides de la qualité de l’environnement de vie.

Relations entre divers facteurs individuels et environnementaux et la survenue d’incapacités à marcher et à manger

Slaughter et Hayduk (2012) ont mené une étude prospective visant à explorer la contribution respective de facteurs individuels et environnementaux dans la survenue de troubles de la marche et de la capacité de manger chez des personnes présentant une « démence » et résidant dans une structure d’hébergement à long terme.

Les auteurs ont suivi pendant une année 120 personnes âgées recrutées au sein de structures d’hébergement à long terme situées à Calgary, au Canada : 3 structures publiques (33 résidents), 7 structures bénévoles à but non lucratif (53 résidents) et 5 structures privées à but lucratif (34 résidents). Le gouvernement provincial subsidiait toutes les structures, mais les propriétaires variaient : le gouvernement provincial possédait et dirigeait les structures publiques, des organisations non gouvernementales (généralement en lien avec la religion) possédaient et dirigeaient les structures bénévoles, et enfin, des sociétés à but lucratif possédaient et dirigeaient les structures privées.

Les personnes avaient reçu un diagnostic de « démence d’Alzheimer », de « démence vasculaire », de « démence mixte » ou de « démence non spécifiée ». Au début du suivi (lors de l’établissement de la ligne de base), elles étaient âgées de 71 à 98 ans et se trouvaient à un stade modéré de la « démence » : leur score à la « Global Deterioration Scale » (GDS) indiquait qu’elles étaient à risque de difficultés dans les activités de la vie quotidienne ; cependant, elles étaient capables de marcher jusqu’à la salle à manger et de se nourrir seules. L’examinatrice principale a observé les résidents tous les 15 jours durant les heures de repas, afin de détecter les problèmes dans leur capacité à marcher et à manger. Dans la mesure du possible (et cela s’est produit dans 80% des cas), elle a essayé d’évaluer les résidents constamment durant un repas spécifique (déjeuner, dîner ou souper).

L’incapacité de marcher a été définie par le fait de se rendre dans la salle à manger en chaise roulante ou de rester au lit pour le repas. L’incapacité de manger a été définie par le fait de recevoir de l’aide pour mettre les aliments dans la bouche ou de ne pas manger durant l’heure du repas en dépit de la présence d’aliments. Une mesure composite en trois points a ainsi été établie : 0 indique que le résident a conservé sa capacité à marcher et à manger durant l’année d’observation ; 1 indique une perte d’une des deux capacités durant l’année d’observation (généralement, la marche était perdue avant la capacité de manger) ; 2 indique une perte des capacités à marcher et à manger durant l’année d’observation.

Différents facteurs individuels et environnementaux susceptibles de contribuer de façon plus ou moins directe à la survenue d’incapacités de manger et/ou de marcher ont été pris en compte :

* L’âge, le genre et le niveau scolaire

* La sévérité de la « démence » lors de la ligne de base via la GDS (qui évalue la concentration, la mémoire récente, la mémoire ancienne, l’orientation et le fonctionnement/les soins personnels)

* La prise de médicaments psychotropes (antidépresseurs, antipsychotiques, benzodiazépines) et « anti-démence » lors de la ligne de base et durant l’année d’observation 

* L’existence de comorbidités (ou présence conjointe d’autres problèmes médicaux), évaluée via le « Charlson Comorbidity Index » et établie lors de la ligne de base à partir d’une liste de 19 problèmes médicaux

* L’environnement de vie, évalué via le « Professional Environmental Assessment Protocol » (PEAP).

Cet instrument fournit une évaluation globale de la qualité de l’environnement de vie par rapport à 9 dimensions considérées comme importantes pour les personnes présentant une « démence » : l’optimisation de l’orientation et de la conscience de l’environnement, la sécurité / sûreté, la possibilité d’avoir des moments d’intimité, la régulation de la stimulation (équilibre entre repos et stimulations), la qualité de la stimulation et des activités qui ont un sens, le soutien des habiletés fonctionnelles, les possibilités de contrôle personnel (de choix), la facilitation des contacts sociaux, le sentiment de continuité personnelle entre le passé et le présent (p. ex., via la présence d’objets personnels). Chaque dimension était évaluée sur une échelle à 13 niveaux, à partir d’observations non structurées deux fois par semaine tout au long de l’année et d’un entretien semi-structuré mené à la fin de l’année avec le responsable des soins de chaque unité. Les analyses ont utilisé un score global (regroupant les 9 dimensions) de qualité de l’environnement de vie.

* Le propriétaire de la structure d’hébergement à long terme : les structures publiques ont servi de groupe de référence et ont été contrastées aux structures bénévoles et privées

* La taille de la structure d’hébergement, définie par le nombre de lits

Les résultats de l’analyse en équations structurales (après avoir contrôlé l’erreur de mesure) montrent qu’une « démence » plus sévère lors de la ligne de base a un effet direct sur l’apparition ultérieure d’incapacités à manger et à marcher. Cependant, l’environnement de vie des résidents et la présence de comorbidités influencent également la survenue des incapacités de manger et de marcher et ce, après avoir contrôlé l’influence de tous les autres facteurs susceptibles d’être impliqués dans ces incapacités. Par ailleurs, l’influence directe de l’environnement de vie et des comorbidités est aussi forte que celle de la sévérité initiale de la « démence ». Enfin, il apparaît que des structures plus petites et publiques fournissent une qualité de l’environnement de vie supérieure, laquelle contribue à différer l’installation des incapacités à manger et à marcher.

Une limite de cette étude est de ne pas avoir inclus d’autres sources potentielles importantes d’incapacités comme les troubles sensoriels et la douleur. Néanmoins, ce travail suggère que des interventions visant à améliorer l’environnement de vie et la gestion de maladies chroniques devraient contribuer à différer la survenue d’incapacités chez les personnes « démentes » vivant dans une structure d’hébergement à long terme.

Quelles sont les dimensions de l’environnement de vie reliées à la survenue d’incapacités à manger et à marcher ?

Dans une étude parallèle, analysant de façon plus détaillée les données de la recherche que nous venons de décrire, Slaughter et Morgan (2012) ont exploré les associations entre les dimensions spécifiques de l’environnement de vie (évalué par le « Professional Environmental Assessment Protocol », PEAP) et les capacités à marcher et à manger des résidents présentant une « démence ».

Rappelons que le PEAP permet d’évaluer 9 dimensions importantes de la qualité de vie dans une structure d’hébergement à long terme et ce, à partir des caractéristiques suivantes :

* Orientation et conscience de l’environnement : signalisation ; prévisibilité de l’environnement (p. ex., utilisation de locaux spécifiques pour des activités spécifiques) ; différenciation des caractéristiques-clés de l’environnement ; accès visuel aisé aux destinations fréquentes ; caractéristiques structurelles telles que la longueur des couloirs, les points de vue et la directionnalité

* Sécurité / Sûreté : une surveillance aisée des résidents ; un contrôle des sorties non autorisées ; la présence d’équipements spécialisés pour assurer la sécurité

* Intimité : une politique institutionnelle concernant l’intimité des résidents ; réduire le bruit dans la chambre des résidents et permettre des conversations confidentielles ; l’accès à des espaces privés en dehors des chambres

* Régulation des stimulations : contrôle des stimulations acoustiques, visuelles, olfactives et tactiles ; reconnaître qu’un équilibre est nécessaire afin d’éviter à la fois la déprivation sensorielle et la sur-stimulation (même avec des stimuli positifs)

* Qualité de la stimulation : qualité de la stimulation acoustique, visuelle, olfactive et tactile, à savoir des stimuli sonores et visuels qui ont un sens, des odeurs positives (incluant des arômes de cuisson des aliments) ; un programme d’activités qui ont un sens

* Soutien des capacités fonctionnelles : le niveau de soutien de l’autonomie dans les soins personnels (p. ex., la présence de dispositifs facilitant l’autonomie dans le bain et aux toilettes), dans les repas (p. ex., des repas servis de façon à maximiser la capacité des résidents à manger de façon indépendante, la hauteur ajustable des tables), dans les activités instrumentales de la vie quotidienne telles que le nettoyage ou le jardinage (p. ex., accès à des outils et fournitures) ; l’absence de blocage des voies de circulation par des équipements ; l’évaluation du soutien des habiletés fonctionnelles inclut à la fois l’environnement physique mais aussi le règlement d’utilisation

* Possibilités de contrôle personnel : dans quelle mesure l’environnement physique et les règles sur la manière de l’utiliser fournissent aux résidents des possibilités d’exercer des choix concernant l’utilisation de l’espace, le calendrier et les horaires, les activités, la nourriture (p. ex., choix de menu et flexibilité dans l’heure des repas) ; le contrôle peut être limité par des limitations et des politiques institutionnelles qui imposent des règles trop strictes dans le calendrier/horaires et dans l’utilisation de l’espace (voir notre chronique « Démence et risques : les territoires contestés de la vie quotidienne »)

* Continuité du « self » (de l’identité) : préservation de la continuité entre l’environnement passé et présent et l’identité passée et présente ; la personnalisation de l’environnement de vie des résidents via des objets et des meubles personnels ; l’accès à l’espace public non-institutionnel et la participation à des activités familières

* Facilitation des contacts sociaux : offrir divers espaces sociaux au sein de la structure d’hébergement, variant en taille et localisation; placement de meubles et d’accessoires visant à susciter les interactions ; des politiques institutionnelles et des programmes destinés à faciliter les contacts sociaux.       

Les résultats de cette analyse complémentaire montrent tout d’abord que de meilleurs scores sur la dimension « Orientation et conscience de l’environnement » sont associés à un risque diminué d’incapacité à marcher. Il est logique de postuler qu’un environnement qui soutient l’orientation et la capacité de trouver son chemin (via, p. ex., des espaces plus réduits, des voies de circulation droites, un accès visuel aisé aux destinations fréquentes) améliore la mobilité en encourageant les résidents à quitter leur chambre et à se mouvoir au sein de la structure d’hébergement, ce qui contribue à maintenir la capacité à marcher.   

Ensuite, il existe une relation significative entre la dimension « Sécurité / Sûreté » et le risque de développer une incapacité à manger. La nature de cette relation n’est pas claire, mais il se pourrait qu’un environnement qui facilite la surveillance des résidents permette au personnel d’accepter une plus grande autonomie des résidents (p. ex., en intervenant en temps opportun via des incitations verbales) et ainsi d’éviter de les nourrir. On constate également une relation tendanciellement significative entre la dimension « Sécurité / Sûreté » et le risque de développer une incapacité à marcher : une interprétation possible de cette relation serait qu’une surveillance plus aisée conduirait le personnel à permettre davantage aux résidents de parcourir librement leur espace de vie, ce qui contribuerait au maintien de la marche.

La relation significative constatée entre un score élevé pour la dimension « Régulation des stimulations » et un risque moindre de développer une incapacité à manger pourrait être associée à une réduction des distractions environnementales durant les heures de repas, via un environnement calme, confortable et dans lequel les sources de bruit et de distractions sont réduites (fermer la télévision et la radio, réduire la circulation des personnes, éliminer les équipements bruyants, réduire la taille de la salle à manger).

Un lien significatif a également été observé entre la dimension « Qualité de la stimulation » et le risque de voir apparaître une incapacité à marcher. Ce lien pourrait s’expliquer par un intérêt accru pour un environnement ayant une meilleure qualité de stimulation, ce qui conduirait dès lors à une motivation plus importante à se mobiliser et à s’engager dans des activités.

L’existence d’une relation significative entre un niveau plus élevé de «Soutien des capacités fonctionnelles » et un risque moindre de développer des incapacités à manger et à marcher confirme l’importance qu’il y a à mettre en place des interventions environnementales (de type prothétique) visant à compenser la perte des capacités fonctionnelles.

La dimension « Possibilités de contrôle personnel » est également associée au risque de développer des incapacités à marcher et à manger. Ces données suggèrent notamment que le fait d’encourager les résidents à se nourrir seuls et d’éviter d’utiliser des mesures de contraintes physiques conduit à retarder la survenue d’incapacités (voir aussi notre chronique montrant l’importance plus générale du sentiment de contrôle personnel pour le bien-être et la santé psychologique / physique des résidents de structures d’hébergement à long terme : « Des études anciennes mais qui gardent toute leur pertinence… L’importance du sentiment de contrôle de son existence »).

Relevons enfin qu’aucune association significative n’a été observée entre la survenue d’incapacités à manger et à marcher et les dimensions « Intimité », « Continuité de l’identité » et, de façon plus surprenante,  la dimension « Facilitation des contacts sociaux ».

 

En résumé, l’étude de Slaughter et Morgan a mis en évidence des liens spécifiques, et qui font sens, entre certaines dimensions de la qualité de l’environnement de vie (évaluées par le PEAP) et l’évolution fonctionnelle des résidents, sur une période d’observation d’une année. Ces résultats confortent la validité de construit du PEAP. Plus généralement, les deux études que nous avons décrites indiquent en quoi il est possible d’améliorer l’autonomie et la qualité de vie des personnes « démentes » résidant dans une structure d’hébergement à long terme en aménageant différentes dimensions de leur environnement de vie.

Des études ultérieures devraient se pencher sur la contribution des différentes dimensions de l’environnement de vie évaluées par le PEAP à d’autres aspects du fonctionnement des résidents que leur statut fonctionnel en lien avec la marche et la nourriture. Ces études devraient faire en sorte que la même personne n’effectue pas les évaluations de l’environnement de vie et le fonctionnement des résidents : il s’agit d’une limite des études de Slaughter et Haduk et de  Slaughter et Morgan.

Il s’agirait également d’examiner dans quelle mesure les membres du personnel perçoivent réellement l’environnement de vie comme un moyen d’optimiser le bien-être des résidents. Il faut relever que les résidents et les membres du personnel (ainsi que les proches) peuvent avoir des conceptions différentes quant à ce qui constitue un environnement de vie de qualité au sein d’une structure d’hébergement à long terme (Harmer & Orrell, 2008 ; Popham & Orrell, 2012) : nous reviendrons sur cette question dans une prochaine chronique.  

Enfin, il faut rappeler la nécessité d’aborder le fonctionnement et la qualité de vie des personnes âgées vivant dans une structure d’hébergement à long terme dans une perspective multifactorielle. Ainsi, dans une de nos chroniques (« L’importance des repas pour les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif et résidant dans les structures d’hébergement à long terme »), nous avons montré en quoi il s’agissait d’explorer les difficultés rencontrées dans les repas en prenant en compte les aspects personnels, relationnels, institutionnels et environnementaux.

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Calkins, M. (2009). Evidence-based long term care design. NeuroRehabilitation, 25, 145-154.

Fleming, R., & Purandare, N. (2010). Long-term care for people with dementia: environmental design guidelines. International Psychogeriatrics, 7, 1084-1096.

Harmer, B.J., & Orrell, M. (2008). What is meaningful activity for people with dementia living in care homes? A comparison of the views of older people with dementia, staff, and family carers. Aging & Mental Health, 12, 548-558.

Popham, C., & Orrell, M. (2012). What matters for people with dementia in care homes? Aging & Mental Health, 16, 181-188.

Slaughter, S.E., & Morgan, D.G. (2012). Functional outcomes of nursing home residents in relation to features of the environment: Validity of the Professional Environmental Assessment Protocol. Journal of the American Medical Directors Association, 5, 487.e1-487.e7.

Slaughter, S.E., & Hayduck, L.A. (2012). Contributions of environment, comorbidity, and stage of dementia to the onset of walking and eating disability in long-term care residents. Journal of the American Geriatric Society, 60, 1624-1631.

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2 juillet 2012 1 02 /07 /juillet /2012 20:24

Résumé

De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l’amélioration de la qualité de vie et du bien-être des personnes âgées vivant dans une structure d’hébergement à long terme. Deux études récentes se sont penchées sur, d’une part, l’influence de facteurs environnementaux (la température, le bruit et la luminosité ; Garre-Olmo et al., 2012) et d’autre part, sur l’influence d’une séance de chant « en direct » et dans une atmosphère d’intimité (van der Vleuten et al. ; 2012). 

L’étude de Garre-Olmo et al. a montré, chez des personnes présentant une « démence » sévère, que des niveaux élevés de température dans la chambre à coucher, pour les personnes y passant beaucoup d’heures, sont associés à une moindre qualité de vie. Par ailleurs, des niveaux élevés de bruit dans la salle de séjour sont associés à un niveau moindre de signes comportementaux d’interactions sociales. Enfin, des niveaux bas de luminosité dans la chambre à coucher, chez les personnes y passant de nombreuses heures, sont associés à plus de signes d’humeur négative.

Le travail de  van der Vleuten et al. a mis en évidence des effets bénéfique du chant « en direct » et dans une atmosphère d’intimité sur la participation (contact humain, relation de soin et communication) et le bien-être mental (émotions positives, émotions négatives et communication) de personnes présentant une « démence » (avec des effets bénéfiques plus importants pour les personnes présentant une « démence » légère).

Ces études comportent de claires limites méthodologiques, mais leurs résultats devraient encourager à la mise en place de recherches permettant d’aboutir à des conclusions plus fortes. Il existe en effet un besoin urgent de travaux, et donc aussi de financements de recherche, permettant d’identifier les changements et les activités permettant de promouvoir la qualité de vie et le bien-être des personnes âgées vivant dans des structures d’hébergement à long terme (qu’elles aient ou non reçu un diagnostic de « démence »).

 

Une approche moins réductrice et plus humaniste du vieillissement cérébral et cognitif doit conduire, entre autres, à un changement de culture dans les structures d’hébergement à long terme des personnes âgées. Il s’agit de passer d’une pratique qui se focalise sur la sécurité, l’uniformité et les questions médicales à une approche dirigée vers le résidant en tant que personne et vers la promotion de son autonomie, de son bien-être et de sa qualité de vie (voir notre chronique « Les structures d'hébergement à long terme des personnes âgées : la nécessité d'un changement de culture »).

De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l’amélioration de la qualité de vie et du bien-être des personnes âgées vivant dans une structure d’hébergement à long terme et en particulier, le soutien social, les liens intergénérationnels, l’attachement à des personnes privilégiées, l’ouverture à la société, des soins et des activités qui donnent le sentiment d’être reconnu en tant que personne, la possibilité de s’occuper d’autrui, vivre dans un environnement similaire à un environnement familial, etc. (voir la chronique « Une vie meilleure pour les personnes âgées dans les structures d’hébergement à long terme : apprendre par ceux qui savent ! » ; voir également Bradshaw, Playford, & Riazi, 2012).

Dans un travail récent, Garre-Olmo et al. (2012) se sont plus spécifiquement penchés sur certains facteurs environnementaux, à savoir la température, le bruit et la luminosité.

Les déterminants environnementaux de la qualité de vie des personnes présentant une « démence » sévère

Garre et al. (2012) sont partis de l’hypothèse (dite de la « docilité environnementale ») selon laquelle les personnes âgées présentant une « démence » sévère et vivant dans une structure d’hébergement à long terme sont particulièrement sensibles aux effets de certains facteurs environnementaux simples, car leurs capacités cognitives et fonctionnelles limitées les empêchent d’influencer (ou d’échapper à) leur environnement immédiat.

Dans une étude transversale, les auteurs ont évalué la relation entre la qualité de vie de 160 personnes avec « démence » sévère (recrutées aléatoirement au sein de 8 structures d’hébergement à long terme dans la province de Girone en Espagne) et les facteurs de température, de bruit et de luminosité. Ils ont mesuré la température, le bruit et la luminosité durant la matinée et l’après-midi, dans la chambre à coucher, la salle à manger et la salle de séjour, et ce au moyen d’un enregistreur environnemental multifonctionnel standardisé (DT-8820). Par ailleurs, les personnes âgées ont été soumises à des évaluations de la qualité de vie (QUA-LID ; signes comportementaux d’inconfort/gêne, signes comportementaux d’interactions sociales, signes d’humeur négative), du fonctionnement indépendant dans les activités de la vie quotidienne /Barthel Index), des symptômes neuropsychiatriques (Neuropsychiatric Inventory – Nursing Home) et de la douleur (Pain-AD).

Les résultats montrent que des niveaux élevés de température dans la chambre à coucher, chez les personnes y passant beaucoup d’heures, sont associés à une moindre qualité de vie. Par ailleurs, des niveaux élevés de bruit dans la salle de séjour sont associés à un niveau moindre de signes comportementaux d’interactions sociales. Enfin, des niveaux bas de luminosité dans la chambre à coucher, chez les personnes y passant de nombreuses heures, sont associés à plus de signes d’humeur négative. Ces résultats ont été obtenus après avoir contrôlé différentes variables possiblement confondantes telles la douleur, le score au MMSE, le fonctionnement indépendant dans les activités de base de la vie quotidienne, la présence de symptômes neuropsychiatriques et la présence d’une entrave physique.

En dépit de quelques limites (et notamment le caractère transversal de la recherche empêchant de tirer des conclusions en termes de causalité et un nombre limité d’évaluations des facteurs environnementaux), cette étude suggère que des interventions simples visant à ajuster la température, le bruit et la luminosité pourraient accroître la qualité de vie et le bien être des personnes ayant reçu un diagnostic de « démence » sévère. Des recherches longitudinales et d’intervention devraient être entreprises afin de confirmer l’influence de ces facteurs.

L’influence du chant en direct et dans une atmosphère d’intimité sur la qualité de vie des personnes avec « démence »

La musique jouée en direct semble avoir des effets bénéfiques plus importants que la musique enregistrée chez les personnes présentant une « démence » (Sherratt et al., 2004). Dans cette perspective, van der Vleuten et al. (2012) ont évalué les effets du chant « en direct » et dans une atmosphère d’intimité sur la qualité de vie de 45 aînés présentant des « démences » légères à sévères et vivant dans des structures d’hébergement à long terme.

Les séances de chant sont organisées par une fondation (« Diva Dichtbij », soit « Diva à proximité » [lien]) et données par des chanteuses ou chanteurs professionnels, sélectionnés sur base de leur sensibilité à la communication non verbale et entraînés à la mise en place de contacts non verbaux. Ces chanteuses et chanteurs effectuent environ 200 représentations par année (auprès de personnes présentant des maladies chroniques). La fondation reçoit des dons privés et est sponsorisée par des compagnies d’assurance-santé.

Le but de ces séances est de susciter des affects positifs via le chant et d’installer des contacts humains authentiques. Chaque représentation dure environ 45 minutes et est proposée à un petit groupe de personnes (environ 10 personnes) dans la salle de séjour des structures d’hébergement à long terme. Au début de chaque représentation, le chanteur ou la chanteuse se présente et serre la main aux participants. Durant cette introduction et la représentation, le chanteur ou la chanteuse tente d’établir un contact visuel, de susciter l’interaction et d’être physiquement proche des spectateurs, afin d’obtenir une réaction positive (tout en s’assurant que les personnes âgées ne se sentent pas envahies dans leur espace personnel). Le répertoire est adapté à l’âge des personnes et, durant la représentation, les personnes sont interrogées sur les chants qu’elles souhaitent entendre. Lors du dernier chant, le chanteur ou la chanteuse invite certains spectateurs à danser et demande aux autres de se joindre à la danse. Les chanteurs portent des tenues de type « conte de fées », certains récitent de la poésie et d’autres utilisent des objets stimulants (animaux en plastique, lumières, etc.). En résumé, l’objectif des séances est d’établir un contact humain intime (au niveau existentiel), à savoir un contact inconditionnel et dépourvu de fonction ou finalité externe.

Les 45 personnes âgées, issues de 6 structures d’hébergement à long terme aux Pays-Bas (dans lesquelles les chanteurs sont intervenus), ont été sélectionnées afin de constituer un groupe représentatif (en genre et sévérité de la démence : 30 femmes et 15 hommes ; 29 avec « démence » légère et 16 avec « démence » sévère) de l’échantillon global.

Les personnes âgées ont été évaluées quant à leur participation et leur bien-être mental (variables dépendantes de qualité de vie), via des échelles d’observation. En ce qui concerne la dimension « participation », trois aspects pouvant être influencés par la musique ont été distingués : le contact humain, la relation de soin et la communication. Pour la dimension « bien-être mental », trois aspects pouvant être affectés par la musique ont été isolés : les émotions positives, les émotions négatives et la communication. Deux listes d’items correspondant à ces différents aspects de la participation et du bien-être mental ont été établies (p. ex., contact avec les autres résidents) et adaptées au niveau de gravité de la « démence ». Les changements pour chaque item, consécutifs à la représentation musicale, étaient évalués par les soignants ou les membres de la famille sur une échelle à trois niveaux : déclin, sans changement, amélioration. Deux items évaluaient également la satisfaction globale : «  La personne a-t-elle apprécié Diva Dichtbij ? » et « La personne souhaite-t-elle revoir Diva Dichtbij ? ». Les changements ont été évalués un jour après la représentation.

Les résultats pour le groupe dans son ensemble montrent un effet bénéfique significatif, tant pour la participation que pour le bien-être mental, dans leurs différents aspects. Pour les personnes avec « démence » légère, les deux dimensions ont également montré des changements positifs significatifs, aussi dans leurs différents aspects. En ce qui concerne les personnes avec « démence "sévère" », des changements positifs significatifs ont été observés pour la participation et, de façon tendanciellement significative, pour le bien-être mental (en fait, seul l’aspect « affect positif » a montré une amélioration significative, des bénéfices tendanciellement positifs étant observés pour les aspects « contact humain » et « communication »).  

En ce qui concerne la satisfaction générale, les évaluateurs rapportent que 80% des personnes âgées ont apprécié la représentation et 78% souhaiteraient y assister à nouveau ; 7% ne l’ont pas appréciée et 7% ne souhaiteraient pas y assister à nouveau ; enfin, les évaluateurs ne connaissaient par la satisfaction des personnes ou n’étaient pas certains qu’elles souhaiteraient assister à nouveau à la représentation pour respectivement 13% et 15% des personnes.

Relevons qu’aucune influence de l’âge, de l’identité du chanteur et de celle de l’évaluateur (famille ou soignant) n’a été observée.

Une séance de chant « en direct » et dans une atmosphère d’intimité semble donc constituer un moyen prometteur et simple d’accroître la qualité de vie des personnes présentant une « démence ». Bien entendu, la méthodologie utilisée limite fortement les conclusions pouvant être tirées de cette recherche. Néanmoins, les résultats obtenus poussent à mettre en place une recherche sur un échantillon plus important, incluant des mesures pré- et post- représentation, avec une condition de contrôle impliquant un autre type de représentation musicale (basé, par ex., sur de la musique enregistrée), une représentation musicale en direct, mais sans contact intime ou encore une intervention non musicale. Il s’agirait également d’explorer plus directement l’impact de la séance de chant sur la vie quotidienne des personnes (les effets observés étant d’assez petite taille), ainsi que la durée des effets observés. L’impact de séances répétées devrait également être examiné, ainsi que l’adaptation de la séance aux personnes avec une « démence » sévère.

Notons encore que les affects positifs et le contact direct et inconditionnel avec les personnes âgées semblent également être des dimensions essentielles dans les effets bénéfiques des séances d’expression créative destinées à des personnes avec déficits cognitifs modérés que propose l’association VIVA au sein de structures d’hébergement à long terme de la région genevoise (voir notre chronique « Un premier atelier de "TimeSlips" en Suisse romande »). Il est par ailleurs intéressant de relever que, dans cette activité qui permet aux participants de laisser libre cours à leur « instinct » narratif  à partir d’une image incongrue, il ne se passe guère de séances sans que l’élaboration du récit ne comporte une partie chantée…

Conclusions

Nous avons décrit deux études qui ont examiné dans quelle mesure des interventions facilement mises en place et se focalisant respectivement sur des facteurs environnementaux (de température, de bruit et de luminosité) et sur l’influence du chant « en direct » et dans une atmosphère d’intimité, pouvaient contribuer à accroître la qualité de vie et le bien-être des personnes présentant une « démence » et vivant dans une structure d’hébergement à long terme.

Ces études comportent de claires limites méthodologiques, mais leurs résultats devraient encourager à la réalisation de recherches permettant d’aboutir à des conclusions plus fortes. Il existe en effet un besoin urgent de travaux, et donc aussi de financements de recherche, permettant d’identifier les changements et les activités permettant aisément de promouvoir la qualité de vie et le bien-être des personnes âgées vivant dans des structures d’hébergement à long terme (qu’elles aient ou non reçu un diagnostic de « démence »).

Dans une revue systématique des études (35 études sélectionnées) ayant exploré l’efficacité d’interventions visant à accroître la qualité de vie des personnes âgées vivant dans une structure d’hébergement à long terme, Van Malderen, Mets et Gorus (2012) concluent que la méthodologie de ces recherches est globalement faible et que ces recherches se sont surtout focalisées sur l’efficacité de l’exercice physique et sur certaines interventions psychologiques (telles que la réminiscence). Les auteurs en appellent à davantage de recherches portant sur d’autres facteurs (tels que prévention, style de vie, environnement physique, environnement social, facteurs économiques, etc.), à des recherches d’interventions multidimensionnelles et à une réflexion de nature conceptuelle et méthodologique concernant l’évaluation de la qualité de vie (dans ses différents aspects en interaction).

Ajoutons enfin que des analyses qualitatives, portant sur le vécu individuel de certaines personnes âgées, peuvent également s’avérer très informatives, en sachant que les personnes âgées présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique (une « démence ») sont capables d’évaluer leur qualité de vie (voir Bradshaw et al., 2012 ; voir également notre chronique « Prendre réellement en compte le point de vue des personnes présentant une démence »).   


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Une chanteuse de Diva Dichtbij auprès de résidents

d'une structure d'hébergement à long terme.

 

Bradshaw, S.A., Playford, E.D., & Riazi, A. (2012). Living well in care homes: a systematic review of qualitatitve studies. Age and Ageing, 41, 429-440.

Garre-Olmo, J., Lopez-Pousa, S., Turon-Estrada, A., Juvinyà, D., Ballester, D., & Vilalta-Franch, J. (2012). Environmental determinants of quality of life in nursing home residents with severe dementia. Journal of the American Geriatrics Society, sous presse.

Sherratt, K., Thornton, A., & Hatton, C. (2004). Music interventions for people with dementia: a review of the literature. Aging & Mental Health, 8, 3-12.

van der Vleuten, M., Visser, A., & Meuwesen, L. (2012). The contribution of intimate life music performances to the quality of life for persons with dementia. Patient Education and Counseling, sous presse.

Van Malderen, L., Mets, T., & Gorus, E. (2012). Interventions to enhance the quality of life of older adults in residential long-term care: A systematic review. Aging Research Reviews, sous presse.

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13 février 2012 1 13 /02 /février /2012 21:20

S’affranchir de l’approche biomédicale dominante du vieillissement cérébral/cognitif, c’est aussi changer de culture dans les structures d’hébergement à long terme des personnes âgées : il s’agit de passer d’une pratique qui se focalise sur la sécurité, l’uniformité et le positionnement médical, à une pratique dirigée vers le résident en tant que personne et vers la promotion de son autonomie, de son bien-être et de sa qualité de vie (voir notre chronique "Les structures d'hébergement à long terme des personnes âgées : la nécessité d'un changement de culture").

Un des axes de ce changement de culture passe par une mise en question de la pathologisation des personnes âgées, à savoir le fait de considérer automatiquement leurs comportements comme le reflet direct d’une prétendue « maladie ». Plus spécifiquement, cette pathologisation conduit à interpréter tout comportement qui semble dévier de la « norme », ou de ce que le personnel souhaite dans ses efforts pour « gérer» le « résidant/patient », sur la base d’un pré-positionnement postulant l’existence d’une « démence » ou d’une « maladie psychiatrique ». Selon Kitwood (1997), ce processus d’« étiquetage » (« labeling ») constitue une forme de « psychologie sociale nocive » conduisant à la dépersonnalisation de l’individu et à une atteinte à l’estime qu’il a de lui-même (voir notre chronique « Les personnes avec une "démence" peuvent avoir des relations sociales riches et signifiantes »).

La pathologisation du comportement

Dans une étude récente, Dupuis, Wiersma et Loiselle (2012) ont tenté de mieux comprendre la dynamique de ce processus de « pathologisation ». Pour ce faire, elles ont effectué des interviews auprès de 48 membres du personnel travaillant (sous divers types de statuts) dans des structures d’hébergement à long terme en Ontario (au Canada). Ces interviews visaient à susciter des informations concernant : la manière dont les membres du personnel considéraient et décrivaient les comportements des résidents ; leurs expériences concernant la façon de s’occuper de ces comportements et comment ils répondaient à certains comportements spécifiques ; les conséquences et l’impact des comportements sur les participants et comment ils s’y adaptaient ; les facteurs pouvant influencer la manière de réagir aux comportements. L’accent était mis sur la dimension collaborative et interactive des interviews, ainsi que sur le fait que toute connaissance est co-construite. Ces entretiens, menés par deux assistants de recherche entraînés, étaient enregistrés (avec l’accord des participants) et duraient entre 45 et 120 minutes.

Les analyses des transcriptions d’interviews ont identifié les différentes idées émises, ont comparé les patterns communs à différentes personnes en fonction de leur statut (ainsi que les patterns discordants), ont regroupé les thèmes similaires en catégories conceptuelles plus larges et, enfin, ont organisé les catégories et patterns en un ensemble plus intégré de relations et configurations. Les auteures se sont essentiellement focalisées sur le thème de la pathologisation des comportements. Dans la suite de cette chronique, nous présenterons les éléments principaux de leurs analyses.

Le filtrage des comportements via le regard pathologisant

Avant de réagir aux comportements des résidents, les membres du personnel ont besoin d’interpréter ces comportements et de les placer en contexte. Il apparaît que tous les comportements des résidents sont filtrés via un coup de projecteur pathologisant : il s’agit de séparer les comportements en fonction du statut de «maladie » du résident et du fait qu’il a ou non une « démence ». Ainsi, les comportements des résidents sans « démence » sont fréquemment interprétés de façon différente de ceux manifestés par les résidents ayant reçu un diagnostic de « démence » (p. ex., comme l’indique un participant : « Les comportements qui posent problème sont probablement un peu plus difficiles à accepter si les personnes ne sont pas Alzheimer, car elles savent ce qu’elles disent »).

Le coup de projecteur pathologisant conduit les membres du personnel à percevoir les résidents avec « démence » comme ayant perdu la capacité de raisonner et de connaître la différence entre ce qui est bien et ce qui est mal. Ainsi, ces résidents « déments » sont considérés comme n’ayant pas de remords et n’étant pas conscients de leurs actes. Ils sont dès lors déchargés de toute responsabilité. Les membres du personnel insistent également sur l’importance qu’il y a à lier le comportement à une « maladie » : en effet, si l’on oublie ce lien, cela peut conduire à des conséquences négatives, comme, par exemple, être affecté personnellement par le comportement du résident.

Les participants considèrent aussi que les membres du personnel qui travaillent avec des résidents « déments » doivent être un type particulier (spécial) de personnes, au plan de la personnalité et au plan moral (ne pas travailler uniquement pour l’argent ; avoir des qualités de patience et de compréhension, de gentillesse, de compassion).

Assigner une signification aux comportements

Une fois que les comportements ont été filtrés et contextualisés, les membres du personnel vont assigner des significations aux comportements. La majorité des membres du personnel considèrent les comportements comme une manifestation du processus physiologique de la « maladie » et, dans le cas de la « démence », comme l’expression de la détérioration du cerveau (en fonction du type de « démence » et des régions cérébrales spécifiquement affectées par chaque « démence »). En tant que manifestations d’une « maladie », les comportements sont considérés comme normaux.

Par ailleurs, différents types de comportements sont associés à différents stades de la « démence » : ainsi, par exemple, crier  ou produire d’autres types de vocalisation est attribué par un des participants au fait que le résident est « dans le troisième stade de la maladie d’Alzheimer et que c’est uniquement une question de temps pour que la personne arrête ce type de comportements : c’est juste un stade qui doit être franchi ».

Certains comportements produits par les personnes « démentes » sont vus comme des moyens de communication (un moyen d’expression) et parfois, ces comportements sont considérés comme la seule méthode que peuvent adopter les résidents pour communiquer avec autrui. Dans ce cas, les comportements acquièrent une signification au-delà de l’interprétation physiopathologique. Néanmoins, ce qui paraît clair, c’est que les membres du personnel considèrent que c’est la « maladie » qui affecte la capacité des résidents à communiquer. Ainsi, les comportements ne sont jamais interprétés en dehors du cadre de la « maladie ». En d’autres termes, malgré le fait qu’ils perçoivent certains comportements comme un moyen de communiquer, les membres du personnel réagissent rarement en tentant de comprendre ce qui est communiqué, c’est-à-dire la signification du comportement pour le résident.

Caractériser les comportements comme problématiques

Après que les comportements aient été filtrés, contextualisés et aient reçu une signification basée sur l’existence d’une « maladie », les membres du personnel vont interpréter les comportements via d’autres regards, focalisés sur les caractéristiques spécifiques des comportements des résidents. Plus concrètement, ils vont déterminer le caractère problématique de comportements spécifiques en se basant sur des caractéristiques telles que l’intentionnalité du comportement, son caractère plus ou moins prévisible, sa persistance, la perception de son caractère menaçant, son caractère socialement approprié et son impact sur autrui.               

* L’intentionnalité : le comportement de tous les résidents est filtré sur base du coup de projecteur « intentionnalité ». Ainsi, les comportements des résidents «non déments » sont presque toujours considérés comme intentionnels, alors que seuls certains comportements des résidents avec « démence » sont vus de cette façon. Par ailleurs, interpréter l’intentionnalité constitue un processus individuel d’attribution d’une signification, avec. dans certains cas, l’évaluation de la personnalité/de l’état psychologique du résident (« il est malheureux »).

Les comportements qui sont considérés comme posant beaucoup de problèmes sont ceux qui sont vus comme directement intentionnels et qui ont touché personnellement les membres du staff (et donc qui n’ont pas été filtrés par le regard pathologisant, c’est-à-dire qui n’ont pas été liés au processus de la « maladie »).

* Le caractère prédictif : Les comportements qui sont imprévisibles sont interprétés comme plus problématiques que les comportements prévisibles. Le caractère imprévisible des comportements est vécu comme le reflet de la nature imprévisible de la « démence ». Enfin, pour les membres du personnel, le problème que posent les comportements imprévisibles est qu’ils conduisent à interrompre les tâches quotidiennes qui doivent être réalisées.

* La persistance : les comportements persistants sont considérés comme pénibles et sont donc toujours vus comme problématiques. Ils sont le plus souvent décrits comme des comportements verbaux tels que le questionnement sans fin ou les commentaires verbaux répétitifs, mais ils incluent aussi des comportements physiques, comme donner des coups violents sur la table ou frapper.

* Le caractère menaçant : les comportements qui sont considérés comme posant le plus de problèmes sont ceux qui représentent une menace pour les membres du personnel, les résidents eux-mêmes ou d’autres résidents. La peur est plus importante chez les membres du personnel de sexe féminin et chez les membres du personnel qui ont peu d’expérience. Les comportements agressifs sont particulièrement difficiles pour les quelques femmes du personnel qui ont été victimes d’abus physiques dans le passé.

* Le caractère socialement approprié : les membres du personnel attribuent une signification aux comportements sur base de leur adéquation sociale. Bien qu’ils se produisent moins fréquemment, les comportements qui transgressent les limites sociales, tels que des manifestations sexuelles, provoquent un grand malaise chez les membres du personnel. Même s’ils associent, jusqu’à un certain point, les comportements sexuels au processus de la « maladie », il est difficile pour certains d’entre eux, d’accepter ces comportements du fait de leur nature intime.

Notons que le fait d’interpréter les comportements sur base de leur adéquation sociale implique que, pour certains comportements, la morale et les valeurs entrent en jeu dans l’assignation de la signification.

Les membres du personnel ont des difficultés à comprendre les comportements socialement inappropriés, ce qui limite encore plus la capacité qu’ils ont à y faire face. Ces comportements créent des tensions chez les membres du personnel dans la mesure où, d’une part, ils attribuent une qualité morale aux résidents, mais, d’autre part, ils ne peuvent voir ces comportements que comme étant immoraux, ce qui les conduit à juger et blâmer les résidents.

Les comportements très intrusifs sont décrits comme posant beaucoup de problèmes : ils incluent les crachats, « ne pas respecter l’espace personnel » ou être « collant ». Les comportements interprétés de cette façon sont considérés comme mettant la patience des membres du personnel à l’épreuve.

* L’impact sur autrui : les comportements qui sont perçus comme ayant un impact sur les autres, particulièrement les autres résidents, sont imprégnés de significations différentes des comportements qui n’affectent pas autrui. Ainsi, par exemple, les membres du personnel ne sont pas tellement concernés par les comportements de déambulation quand ceux-ci n’interfèrent pas avec autrui. Dans ce cas, ils se contentent de rediriger les résidents pour garantir leur sécurité. Certains essayent même de comprendre la signification de ces comportements et, aussi longtemps, qu’ils ne causent pas de tort à autrui, ces comportements sont interprétés comme acceptables.

Relevons que des conflits entre membres du personnel peuvent se produire quand le même comportement est considéré différemment par différents membres. Par ailleurs, des comportements tels que hurler et questionner de façon répétitive sont vus comme posant de très importants problèmes dans la mesure où ils intensifient les comportements des autres résidents et perturbent les familles et visiteurs. Il faut rappeler que les comportements agressifs sont perçus comme les plus problématiques du fait qu’ils peuvent faire du mal (aux plans physique et émotionnel) à autrui.

Réagir via la gestion de crise

Considérer les comportements uniquement dans le contexte d’une « maladie » implique que les possibilités de comprendre la signification de ces comportements sont souvent négligées. Dès lors, les réponses fournies face aux comportements sont le plus souvent des stratégies réactives visant à gérer les situations de crise. Par ailleurs, il apparaît que les stratégies de redirection et de distraction constituent les réponses les plus fréquentes. Plus spécifiquement, les activités récréatives et l’humour sont souvent utilisés en tant que moyen de détourner l’attention. D’autres activités, telles que la marche, sont utilisées pour distraire les résidents et les fatiguer.

Etant donné la pression que ressentent certains membres du personnel dans leur travail, la seule approche qu’ils adoptent est d’ignorer ou d’empêcher complètement le comportement considéré comme problématique. D’autres indiquent qu’ils répondent au résident en lui adressant un geste symbolique (« Que voulez-vous ? »), tout en ignorant le comportement et en considérant qu’en fait le résident ne souhaite rien.

Dans les cas les plus extrêmes, particulièrement quand les résidents peuvent faire du mal aux autres ou à eux-mêmes, la contention est considérée comme une réponse nécessaire et est vue par certains comme plus importante que la liberté individuelle de choix.

Conclusions

L’étude de Dupuis et al. (2012) montre à quel point l’approche biomédicale peut être envahissante dans les structures d’hébergement à long terme. Tous les comportements des résidents sont filtrés et contextualisés via le coup de projecteur de la pathologie.

Ainsi, les membres du personnel considèrent différemment les comportements des résidents avec ou sans « démence ». Dans certains cas, ils établissent même des liens entre les comportements et un stade de la « démence », en dépit des innombrables données qui ont montré l’extrême hétérogénéité de l’évolution du vieillissement cérébral/cognitif (voir nos chronique « L’hétérogénéité de la soi-disant maladie d’Alzheimer : de nouvelles preuves » ; « L’hétérogénéité des trajectoires cognitives chez les personnes âgées » ; « L’évolution du vieillissement cérébral problématique est très variable tant aux plans cognitif et fonctionnel que psychopathologique »). Quand un comportement est directement associé à un stade de la « démence », cela conduit plus aisément à l’ignorer ou à en rejeter la signification. Par contre, la prise en compte de l’hétérogénéité et des nuances des manifestations du vieillissement cérébral/cognitif implique d’adopter une approche individualisée, centrée sur la personne et prenant en compte de multiples facteurs.

La pathologisation des comportements amène à ce que les membres du personnel contextualisent rarement les comportements en prenant en compte la biographie et les expériences de vie des résidents, ce qui empêche de voir ces comportements comme ayant un but ou une signification. Cela a d’importantes implications, tant pour la qualité de vie des résidents (dont les actions demeurent incomprises) que pour la qualité de vie professionnelle du personnel. Il a ainsi été montré qu’une approche centrée sur la personne est significativement associée à la satisfaction au travail du personnel travaillant dans des structures d’hébergement à long terme pour personnes âgées (voir notre chronique « Une approche centrée sur la personne dans les structures d’hébergement à long terme : un déterminant important de la satisfaction au travail pour le personnel »).

Une autre manière de concevoir la « démence » s’impose donc dans les structures d’hébergement à long terme, conduisant à comprendre la signification des actions des résidents, ainsi qu’à reconnaitre et à mettre en valeur leur capacité d’exprimer leurs expériences (de différentes manières) et d’agir de façon signifiante. Il s’agit aussi de prendre réellement en compte les facteurs « situationnels » ou liés au contexte social et environnemental auquel est confrontée le résident.

Comme l’indiquent Dupuis et al., ce changement d’approche nécessite une formation des membres du personnel visant :

* A leur permettre une mise en question du modèle biomédical dominant et à leur offrir de nouvelles possibilités de penser et d’agir dans leur travail, par exemple à partir des questions suivantes (Fazio, Seman, & Stansell, 1999) : Comment décrivez-vous les actions et comportements des personnes avec une maladie d’Alzheimer ? Quels mots lisez-vous fréquemment dans les livres et les journaux ou entendez-vous à la télévision et dans des conférences concernant la « démence » ? Comment décrivez-vous les actions des personnes avec une « démence » à vos collègues ou comment en parlez-vous à votre famille ? Comment ces mots et vos perceptions influencent-ils vos actions et la manière dont vous répondez aux comportements des personnes ? Comment une manière plus positive d’envisager les comportements (p. ex., explorer plutôt que déambuler) pourrait-elle influencer vos manières de répondre aux comportements ? Toutes les actions des personnes avec une « démence » ont une signification et un but et, souvent, ne sont pas associées au processus de la « maladie » : comment cette manière de comprendre les comportements influence-t-elle votre approche ?   

* A les amener à une réflexion critique sur leurs actions au quotidien, par exemple à partir des questions suivantes (Dupuis,  Whyte, & Carson, 2012) : Qu’est-ce qui s’est passé aujourd’hui à propos de quoi j’ai (nous avons) bien réagi ?  Qu’est-ce qui s’est passé aujourd’hui à propos de quoi j’aurais (nous aurions) pu mieux réagir ? Quel jugement ai-je (avons-nous) porté sur cette situation ? Comment mon action (nos actions) pourraient-elles avoir influencé la situation ? Qu’ai-je (qu’avons-nous) appris de cette expérience ? Que pourrais-je (pourrions-nous) faire la prochaine fois afin d’améliorer la situation ?

* A leur proposer un cadre conceptuel multidimensionnel qui reconnait la complexité des actions et qui les conduit à explorer et comprendre les actions et comportements des résidents en prenant en compte divers facteurs : personnels (expérience subjective, biographie, histoire de vie, etc.), relationnels (relations interpersonnelles), environnementaux (environnement physique) et sociopolitiques (politiques et pratiques organisationnelles, discours sociaux).

Un exemple concret de pathologisation

Pour terminer cette chronique, il nous a semblé utile de revenir sur l’exemple concret de pathologisation de comportement que proposent Sabat et Lee (2011) et que nous avons déjà décrit dans notre chronique « Les personnes avec une démence peuvent avoir des relations riches et signifiantes ». Cet exemple constitue une excellente illustration du processus de pathologisation sur lequel se sont penchées Dupuis et al. et il indique également en quoi ce processus conduit à une administration généralisée et inacceptable de médicaments (voir nos chroniques « Une consommation élevée de médicaments dans les structures d’hébergement et de soin à long terme pour personnes âgées en Belgique » ; « La prescription fréquente de médicaments psychotropes aux personnes ayant reçu un diagnostic de démence : une atteinte inacceptable à leurs droits » ; « Déclin cognitif chez les personnes âgées, style de vie contemporain et accumulation de médicaments »).

Un matin, un résidant d’une structure d’hébergement à long terme, un général à la retraite présentant une « démence », reçoit dans sa chambre la visite d’un membre du personnel qui lui dit qu’il est temps de prendre une douche. Le général ne souhaite pas prendre de douche ; le membre du personnel devient de plus en plus insistant, le général résiste toujours davantage et, finalement, s’en prend physiquement au soignant. Le membre du personnel étiquette le général comme étant « peu coopératif, agressif et hostile sans véritable raison », toutes manifestations considérées comme des symptômes de « démence ». En conséquence, une médication lui est administrée, laquelle va le rendre beaucoup moins capable d’interagir avec les autres qu’il ne le pourrait s’il n’était pas sous les effets tranquillisants du médicament.

Si l’on considère le contexte social plus global, y compris l’histoire de la personne, on peut interpréter le comportement du général d’une manière très différente. Le général est une personne adulte, guère habituée à ce qu’on lui dise ou ordonne de faire quelque chose. Après tout, en tant qu’officier de carrière, il a été la plupart du temps celui qui donnait plutôt que recevait les ordres et, quand il en recevait, ils étaient délivrés par une personne d’un rang supérieur au sien. Il s’agit aussi de quelqu’un qui a passé toute sa vie à faire sa toilette de sa propre initiative et certainement pas sur l’ordre de quelqu’un de beaucoup plus jeune que lui et qui lui est étranger. Dans ce contexte, sa résistance ne constitue pas l’expression d’une hostilité irrationnelle ou d’une absence de collaboration, mais plutôt une indignation justifiée face au fait d’être traité, de son point de vue, de façon non respectueuse et, de surcroît, avec une insistance croissante. En même temps, le comportement du général constitue aussi une affirmation d’un désir, d’une volonté et d’un respect de soi, laquelle représente un indicateur de relatif bien-être (Kitwood & Bredin, 1992) et est d'ailleurs manifestée par tout un chacun dans sa vie sociale quotidienne et même valorisée. Ainsi, plutôt que d’être envisagés comme des symptômes pathologiques de « démence », les comportements du général devraient être interprétés, tout comme ceux des personnes sans « démence », comme des indicateurs de bien-être.

Comme le relèvent Sabat et Lee, cette mauvaise interprétation du comportement du général est faite en toute innocence : le membre du personnel ne comprend pas les raisons valables de la colère du général ou n’en est pas conscient ; de plus, il interprète le comportement en question sur la base d’un pré-positionnement postulant l’existence d’une « démence », plutôt que comme symptomatique d’un dysfonctionnement relationnel.

On voit par cet exemple en quoi une mise en question du modèle biomédical dominant, une réflexion critique sur l’action entreprise et une conception multifactorielle des comportements auraient pu conduire le membre du personnel à une démarche plus respectueuse du résident.   

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Dupuis, S.L., Wiersma, E., & Loiselle, L., (2012). Pathologizing behavior: Meanings of behaviors in dementia care. Journal of Aging Studies, sous presse.

Dupuis, S.L., Whyte, C., & Carson, J. (2012). Leisure in long-term care settings. In J. Singleton & H. Gibson (Eds.), Leisure in later life (pp. 217-237). Human Kinetics, sous presse.

Fazio, S., Seman, D., & Stansell, J. (1999). Rethinking Alzheimer’s care. Baltimore, MD: Health Professions Press.  

Kitwood, T., & Bredin, K. (1992). Towards a theory of dementia care: Personhood and well-being. Ageing and Society, 12, 269-287.

Sabat, S.R., & Lee, S.R. (2012). Relatedness among people diagnosed with dementia: Social cognition and the possibility of friendship. Dementia: The International Journal of Social Research and Practice, sous presse.  

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20 juillet 2011 3 20 /07 /juillet /2011 05:50

Les structures d’hébergement à long terme pour les personnes âgées sont confrontées au défi important d’attirer et de fidéliser un personnel compétent et stable. En effet, il existe une augmentation croissante des demandes d’entrée des personnes âgées dans ce type de structure, en particulier dans la tranche d’âge de 85 ans et plus, laquelle est associée aux soins les plus complexes et les plus lourds.

La prise en charge des personnes âgées dans les structures d’hébergement à long terme est perçue comme difficile et exigeante et le taux de renouvellement du personnel est généralement très élevé. Une revue récente de la littérature (Vernooij-Dassen et al., 2009) indique que les raisons principales pour lesquelles les soignants quittent les structures d’hébergement sont : un manque de moyens pour des soins de qualité ; le sentiment du personnel de ne pas être apprécié ; l’insatisfaction ressentie par les personnes quant à la qualité des soins qu’elles peuvent procurer.

Comme le résument Edvardsson et al. (2011), il été montré que la satisfaction au travail était positivement reliée à la quantité de temps passé directement avec les personnes âgées et à la capacité de trouver des interventions face à des situations difficiles. Par ailleurs, le fait d’être satisfait de son travail est influencé par la perception d’un climat psychosocial positif dans les unités, par le sentiment de faire partie d’un environnement qui réfléchit sur sa pratique et par l’existence d’une supervision. En outre, il apparaît que le soutien fourni par l’institution constitue un élément déterminant de la satisfaction au travail.

Il a également été observé que les soignants travaillant auprès de personnes « démentes » dans des structures au caractère familial étaient plus satisfaits de leur travail et présentaient un risque moindre d’épuisement que les soignants travaillant dans des structures traditionnelles.

Ces données indiquent que le personnel bénéficiera d’une approche centrée sur la personne, visant à satisfaire les souhaits et besoins des résidents et proposant des activités et interactions qui ont un sens et qui favorisent une vie quotidienne normale.

Cependant, même s’il existe des données suggérant qu’une approche centrée sur la personne (une une approche dirigée vers le résident, la promotion de son bien-être et de sa qualité de vie, le maintien d’un sentiment de contrôle, ainsi que l’ouverture vers la société et les générations plus jeunes, plutôt que sur la sécurité, l’uniformité et les questions médicales ; voir notre chronique « Les structures d’hébergement à long terme des personnes âgées : la nécessité d’un changement de culture »), il n’existe aucune étude ayant exploré, au moyen de mesures valides, les liens entre une approche centrée sur la personne et la satisfaction au travail du personnel. C’est ce sur quoi se sont penchés Edvardsson et al. (2011).

Un échantillon de 297 membres du personnel soignant a été recruté, sur une base volontaire (500 personnes ayant été contactées), au sein de 7 structures d’hébergement à long terme pour personnes âgées à Victoria, en Australie. La confidentialité des réponses des participants était assurée via le renvoi anonyme des questionnaires. Les participants étaient, en majorité, des femmes (79.6%), âgé(e)s de 40 ans et plus (60.7%), avaient 5 ans ou moins d’expérience dans la structure (63%) et avaient un emploi permanent au sein de la structure (84.7%). Seule une petite majorité utilisait l’anglais comme première langue (54.1%).

Le questionnaire utilisé dans cette étude portait sur des informations démographiques (âge, genre, type de poste, durée de l’expérience professionnelle au sein de la structure, usage de l’anglais comme première ou deuxième langue). En outre, deux mesures standardisées ont été administrées dans le but d’évaluer la perception d’une approche centrée sur la personne au sein de la structure (« The Person-centered Care Assessement Tool, P-CAT »; Edvardsson et al., 2010) et la satisfaction au travail (« The Measure of Job Satisfaction », MJS ; Chou et al., 2002).

Le P-CAT se compose de 13 questions évaluant dans quelle mesure le personnel des structures d’hébergement à long terme pour personnes âgées perçoit que la prise en soins est centrée sur la personne. Trois dimensions sont évaluées, sur une échelle à cinq niveaux (allant de « je suis totalement en désaccord» à «je suis totalement d’accord ») : l’importance des soins personnalisés offerts aux résidents, la quantité de soutien institutionnel reçu par le personnel pour offrir des soins centrés sur la personne et l’accessibilité de l’environnement par les résidants (se repérer aisément dans les lieux et avoir aisément accès à l’environnement externe quand ils le souhaitent).

La MJS comprend 22 questions relatives à la satisfaction au travail ressentie par le personnel des structures d’hébergement à long terme pour personnes âgées. Cinq aspects de la satisfaction au travail sont évalués (sur une échelle à 5 niveaux allant de « très peu satisfait » à « très satisfait ») : la satisfaction personnelle (le sentiment de faire quelque chose d’utile/qui a un sens, la qualité du travail avec les résidents et l’apport du travail en termes de développement et de croissance personnels) ; la satisfaction concernant la charge de travail (le temps disponible pour les soins/interventions, la capacité d’intervenir auprès des résidents selon ses préférences) ; la satisfaction par rapport à l’esprit d’équipe (la valeur accordée par les collègues à son travail, le sentiment de faire partie d’une équipe ; la satisfaction concernant le soutien professionnel (possibilité de discuter de ses inquiétudes et problèmes, l’existence d’une structure de soutien, le fait d’être équitablement traité par ses supérieurs) ; la satisfaction concernant la formation proposée par l’institution.

Les résultats montrent tout d’abord qu’aucune relation n’a été observée entre la satisfaction au travail et le genre, le type de poste dans la structure et l’usage de l’anglais en première ou deuxième langue.

Par ailleurs, il apparaît que la dimension « importance des soins personnalisés » du P-CAT est significativement et fortement corrélée aux 5 dimensions de la satisfaction au travail, avec pour 4 des 5 dimensions les corrélations les plus fortes parmi celles observées : la satisfaction personnelle (r = .57) ; la satisfaction concernant la charge de travail (r = .50); la satisfaction par rapport à l’esprit d’équipe (r = .47); la satisfaction concernant le soutien professionnel (r = .45). La dimension « quantité de soutien institutionnel » du P-CAT est également significativement corrélée avec les 5 dimensions de la satisfaction au travail (r entre .30 et .44). Il en va de même (mais avec des corrélations moins fortes) pour le lien entre la dimension « accessibilité environnementale » du P-CAT et les cinq dimensions de la satisfaction au travail (r entre .23 et .27).

Une analyse de régression a été menée, avec les trois dimensions du P-CAT comme variables prédictrices et le score global de satisfaction au travail (regroupant les 5 dimensions) en tant que variable dépendante continue. Les résultats montrent que les trois dimensions du P-CAT rendent compte de 40% de la variance dans les scores de satisfaction au travail. La dimension « importance des soins personnalisés » du P-CAT a l’influence la plus importante, suivie de la dimension « quantité de soutien institutionnel » et ensuite de la dimension « accessibilité environnementale ». En fait, les dimensions «importance des soins personnalisés » et «  quantité de soutien institutionnel » ont une influence unique significative dans la prédiction de la satisfaction au travail.

En conclusion, cette étude suggère qu’une approche centrée sur la personne est significativement associée à la satisfaction au travail du personnel travaillant dans des structures d’hébergement à long terme pour personnes âgées.

Ces données indiquent que la nécessité d’adopter une approche centrée sur la personne ne représente pas uniquement l’expression d’un idéal  abstrait, reflétant le « politiquement correct », mais qu’il s’agit d’une approche que les soignants souhaitent réellement mettre en place. 

La nature transversale de cette recherche empêche néanmoins de tirer des conclusions définitives sur les liens de causalité entre une approche centrée sur la personne et la satisfaction au travail du personnel : l’approche centrée sur la personne accroît-elle vraiment la satisfaction au travail ou, au contraire, une satisfaction au travail élevée induit-elle une approche centrée sur la personne ? Par ailleurs, même si l’approche centrée sur la personne rend compte de 40% de la satisfaction au travail, il existe manifestement d’autres facteurs impliqués. Enfin, cette recherche se fonde uniquement sur des auto-évaluations, lesquelles devraient être complétées par des observations directes  Ainsi, cette étude en appelle à diverses explorations complémentaires.

 

job-satisfaction.jpg© cynoclub - fotolia.com

 

Chou, S.C., Boldy, D.P., & Lee, A.H. (2002). Measuring job satisfaction in residential aged care. International Journal for Quality in Health Care, 14, 49-54.      

Edvardsson, D., Fetherstonhaugh, D., Gibson, S., & Nay, R. (2011). Development and initial testing of the Person-Centered Care Assessment Tool (P-CAT). International Psychogeriatrics, 22, 101-108.

Edvardsson, D., Fetherstonhaugh, D., McAuliffe, L., Nay, R., & Chenco, C. (2011). Job satisfaction amongst aged care staff: exploring the influence of person-centered care provision. International Psychogeriatrics, sous presse.

Vernooij-Dassen, S., Faber, M.J., Olde Rikkert, M.G., Koopmans, R.T., van Achterberg, T., Braat, D.D., Raas, G.P., & Wollewrsheim, H. (2009): Dementia care and the labour market: the role of job satisfaction. Aging and Mental Health, 14, 383-390.

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