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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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20 novembre 2016 7 20 /11 /novembre /2016 19:35

Comme nous l’avons maintes fois mentionné, les consultations mémoire (ou cliniques mémoire ou encore centres de la mémoire), dont le nombre n’a cessé de croître depuis le milieu des années 1990, constituent une structure pivot de l’approche biomédicale dominante de la « démence » ou, plus spécifiquement, de la « maladie d’Alzheimer ». Depuis peu, on a vu apparaître, dans certaines de ces structures, une activité de diagnostic, visant à repérer, au moyen de biomarqueurs, des personnes présentant une « maladie d’Alzheimer » à un stade précoce, voire même « préclinique » (soit sans symptômes objectifs).

Il en va ainsi du nouveau Centre de la Mémoire des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) qui a vu le jour en juin 2016, en remplacement de la Consultation de la Mémoire (voir la page 6 du numéro d’octobre-novembre-décembre 2016 du magazine « Pulsations » des HUG). En résumé, l’objectif principal et explicite de ce centre est de dépister précocement la « maladie d’Alzheimer », en partant du principe que plus les traitements débutent tôt, plus ils seraient efficaces. La prise en charge proposée comporte les éléments suivants :

* un recueil minutieux de l’histoire des troubles cognitifs, et des tests neuropsychologiques ;

* un examen d’imagerie à résonance magnétique (IRM) à haute définition afin de visualiser la diminution de la taille de l’hippocampe ;

* un examen d’imagerie de tomographie par émissions de positons (PET) afin d’évaluer les zones du cerveau présentant une baisse d’activité ;

* un examen d’imagerie de tomographie par émissions de positons (PET amyloïde) afin d’identifier les dépôts de protéines toxiques amyloïde ;

* un examen d’imagerie de tomographie par émissions de positons (PET tau) afin d’identifier les dépôts de protéine toxiques tau ;

* une ponction lombaire dans le but de déterminer la concentration des protéines amyloïde et tau.

Il faut noter que, n’étant pas remboursés par les assurances maladie, les examens PET amyloïde et tau seront « offerts » grâce à des fonds de recherche.... Néanmoins, le coût global des autres examens conduira à une facture importante – de plusieurs milliers de francs pour chaque cas – pour les assurances maladie.

Dans l’article de Pulsations, il est également mentionné que ce centre proposera les médicaments de « dernière génération »...., ainsi que la formation des médecins de ville, et offrira une approche non pharmacologique (des programmes de réhabilitation), dont le contenu n’est pas précisé, mais qui visera, selon le Pr. Frisoni, responsable du centre, « … à travailler sur la résilience, la capacité du cerveau à mobiliser des ressources nerveuses pour contrer la progression de la maladie ». Le Pr. Frisoni ajoute qu’ «.. il faudra former les médecins à annoncer un diagnostic précoce de manière informative et respectueuse de l’émotion du patient et de ses proches ».

Ces différentes annonces laissent donc à penser :

- qu’il existe des techniques de diagnostic précoce valides et fiables,

- qu’il y a ou aura des médicaments efficaces (et qui seront d’autant plus efficaces qu’ils seront pris précocement) et, enfin,

- qu’on peut mobiliser des ressources nerveuses, via la réhabilitation, pour contrer la progression de la maladie.

Or, ces constats ne reposent sur aucun fait établi par les recherches scientifiques !

D’ailleurs, quatre spécialistes des domaines de la gériatrie, de l’épidémiologie et de la santé publique ont clairement mis en question les politiques publiques incitant à un dépistage précoce de la « démence », en indiquant en quoi ces incitations ne reposaient pas sur des données empiriques probantes et ignoraient les méfaits pouvant y être associés (Le Couteur, Doust, Creasey, & Brayne, 2013 ; voir notre chronique « La détection précoce de la "démence" : Halte à la médicalisation du vieillissement ! »). Ils mettent ainsi en avant les différents problèmes liés à l’expansion des consultations-mémoire, à l’adoption du concept catégoriel de « MCI » (« Mild Cognitive Impairment » ou Trouble Cognitif Léger), ainsi qu’à l’utilisation des biomarqueurs et de la neuroimagerie à des fins de diagnostic précoce de la « maladie d’Alzheimer » (à plus forte raison préclinique ou asymptomatique). Par ailleurs, ils indiquent en quoi le recours au concept de « MCI » ou aux biomarqueurs ne peut pas se justifier en invoquant la possibilité offerte aux personnes âgées de planifier leur futur en connaissance de cause, ni en considérant les bénéfices que pourraient tirer ces personnes d’un traitement. Enfin, ils relèvent les risques, effets négatifs et coûts financiers du dépistage et diagnostic précoces, les intérêts économiques et commerciaux considérables qui y sont associés et aussi le fait que les ressources qui y sont consacrées sont autant de ressources qui ne seront pas disponibles pour l’amélioration des soins et de la qualité de vie des personnes présentant une « démence » avancée.

En fait, la démarche adoptée par le Centre de la Mémoire des HUG s’inscrit pleinement dans l’approche biomédicale dominante, qui néglige l’extrême complexité du vieillissement cérébral et cognitif, à savoir les multiples facteurs et mécanismes qui sont impliqués (tout au long de la vie) dans la survenue d’un vieillissement problématique, ainsi que la diversité extrême de ses manifestations et de son évolution, et qui pathologise et stigmatise de plus en plus les personnes âgées  (voir notre article à paraître dans la revue Dementia,  Van der Linden & Juillerat, 2017 ; lien).

L’efficacité diagnostique des biomarqueurs et de l’examen neuropsychologique ?

Comme le relèvent Le Couteur et collaborateurs (2013), il n’existe pas d’étude menée sur une vaste population ayant montré que l’association entre des marqueurs biologiques et la «démence » (ou les anomalies neuropathologiques sous-jacentes) est suffisamment robuste pour justifier leur utilisation dans la pratique clinique.

En fait, il apparaît que les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » présentent très fréquemment plusieurs caractéristiques neuropathologiques, non seulement des plaques séniles (protéine amyloïde) et des dégénérescences neurofibrillaires (protéine tau), mais aussi des corps de Lewy, la protéine TDP-43, une sclérose hippocampique, diverses anomalies vasculaires, etc..

Par ailleurs, les protéines considérées comme étant « anormales » et impliquées dans différents types de « démences » (protéine tau, protéine amyloïde, protéine TDP-43, alpha-synucléine) sont très fréquemment observées chez des personnes âgées ne présentant pas de troubles cognitifs ou de « démence » (pour une étude récente, voir, p. ex., Elobeid et al., 2016).

En outre, plusieurs chercheurs, tels que Castellani et Perry (2012 ; voir également Drachman, 2014), contestent l’approche moléculaire dominante de la « maladie d’Alzheimer » selon laquelle certains mécanismes moléculaires spécifiques (tels que la cascade amyloïde ou la phosphorylation de la protéine tau) constitueraient les facteurs causaux de la maladie d’Alzheimer. Castellani et Perry suggèrent plutôt aux chercheurs et cliniciens de prendre davantage au sérieux l’hypothèse selon laquelle ces modifications constitueraient plutôt un mécanisme adaptatif ou une réponse protectrice du cerveau face à certaines atteintes dont il fait l’objet.

Il faut également relever que les personnes ayant reçu un diagnostic de "maladie d'Alzheimer" montrent des patterns d'atrophie cérébrale très variés, pouvant ne pas affecter les régions hippocampiques  (voir notamment Noh et al., 2014). En outre, le vieillissement dit normal s'accompagne de modifications cérébrales dans les mêmes régions que celles où l'on observe des changements - quoique plus marqués - chez les personnes ayant reçu le diagnostic de "maladie d'Alzheimer" (Fjell et al., 2014).

Notons enfin que l’importante hétérogénéité des symptômes cognitifs et socio-émotionnels des « maladies neurodégénératives » (voir Scheltens et al., 2016, concernant l'hétérogénéité symptomatique de la "maladie d'Alzheimer") et les recouvrements observés entre les différents types de « maladies » rendent globalement peu pertinente l’utilisation de l’examen neuropsychologique à des fins de diagnostic différentiel, à savoir repérer les signes cognitifs distinctifs de ces « maladies », ou dans une fonction prédictive, c.-à-d. prédire l’évolution des difficultés cognitives.

L’efficacité des médicaments ?

Il apparait clairement que les médicaments « anti-Alzheimer » existants (Ebixa®, Aricept®, Exelon®, et Reminyl®) ne sont pas efficaces, même quand ils sont administrés chez des personnes considérées comme étant à un stade précoce de la « maladie d’Alzheimer », en particulier des personnes ayant reçu un diagnostic de  MCI  ((voir nos chroniques « La France va-t-elle arrêter de rembourser les médicaments «anti-Alzheimer ?  » et « Le courage politique de s’opposer à l’empire Alzheimer et de changer d’approche ! » ; voir également Tricco et al., 2013). De plus, ces médicaments peuvent avoir des effets secondaires, parfois graves.

Par ailleurs, au vu de la complexité et de l’hétérogénéité des mécanismes impliqués dans le vieillissement cérébral et cognitif problématique,  il paraît complètement illusoire de penser qu’on découvrira le «médicament miracle » qui empêchera le développement de la « maladie d’Alzheimer » ou qui entravera son évolution. Au contraire, l’objectif devrait être de diversifier et d’individualiser les interventions et traitements. On en est loin et cela nécessitera un changement profond dans l’approche neurobiologique du vieillissement cérébral et cognitif, avec la mise en place de recherches guidées par une perspective systémique, conduisant au développement de modèles dynamiques et interactifs des processus impliqués dans la progression du déclin cognitif chez la personne âgée.

Un objectif plus immédiat devrait être de protéger les neurones âgés et de cibler les facteurs de risque (et les événements initiateurs) environnementaux et de style de vie. Il importe dès lors de prendre clairement le tournant de la prévention, et ce, par des interventions préventives ciblant différents facteurs de risque dont les études épidémiologiques ont montré qu’ils étaient susceptibles de réduire ou de différer les expressions les plus problématiques vieillissement cérébral et cognitif. Parmi ces facteurs, on peut mentionner le fait de pratiquer davantage d’activité physique, d’accroître l’activité cognitive stimulante, de contrôler les facteurs de risque vasculaires (en particulier, l’hypertension), de prévenir l’hyperlipidémie, le diabète, l’obésité et la dépression (tout particulièrement, durant la quarantaine / cinquantaine), de réduire le tabagisme,  etc. (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014b ; Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2017).

En parallèle, il s’agirait également de proposer aux personnes présentant un vieillissement cérébral et cognitif problématique des interventions psychologiques et psychosociales individualisées, axées sur des buts et problèmes spécifiques pertinents dans la vie quotidienne et visant à accroître leur qualité de vie et leur bien-être.

L’efficacité de la réhabilitation cognitive ?

A ce jour, il n’existe aucune étude ayant démontré que la stimulation cognitive ou des programmes généraux d’entraînement cognitif peuvent avoir des effets bénéfiques sur l’évolution des problèmes cognitifs dans la vie quotidienne des personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » ou de MCI (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2016). En outre, on connaît encore très peu de choses sur les capacités compensatoires (la plasticité cérébrale et cognitive) des personnes âgées et sur les facteurs qui modulent cette plasticité et qui contribuent dès lors aux différences interindividuelles.

Par contre, un nombre croissant d’études a mis en évidence l’intérêt d’une approche psychologique individualisée, dans laquelle des buts pertinents pour la personne, en lien avec sa vie quotidienne, sont identifiés, et où l’intervenant élabore avec la personne et ses proches des stratégies visant spécifiquement à atteindre ces buts en exploitant les capacités préservées de la personne, les facteurs d’optimisation et les moyens d’aide externe (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2016).

Dans cette perspective, une étude randomisée multicentrique (ETNA3, impliquant 50 sites cliniques en France et 653 personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer ») a évalué l’efficacité de trois types d’intervention psychologique : la réminiscence, l’entraînement cognitif en groupe et les interventions cognitives personnalisées (Amieva et al., 2016). Dans le programme d’interventions personnalisées (en séances individuelles), il s’agissait tout d’abord de sélectionner avec la personne présentant une démence et un proche des activités signifiantes (de la vie quotidienne ou de loisirs) à optimiser et, ensuite, d’adapter les interventions en fonction des difficultés spécifiques rencontrées par la personne dans la réalisation de ces activités  (avec, p. ex., l’utilisation d’un apprentissage sans erreur). Les résultats ont montré que les interventions « réminiscence » et « entraînement cognitif en groupe» n’ont eu aucun effet bénéfique, en comparaison au « traitement habituel », sur diverses mesures de suivi à 3 et 24 mois (institutionnalisation, détérioration cognitive, statut fonctionnel, symptômes comportementaux, apathie, dépression, qualité de vie, charge pour le proche, utilisation des ressources de soins informels). Seules les « interventions cognitives individualisées » ont conduit à un effet bénéfique significatif à 24 mois sur les capacités fonctionnelles (moins de déclin fonctionnel que dans les trois autres conditions), un effet bénéfique tendanciel (à 24 mois) sur les symptômes comportementaux, un effet bénéfique significatif (à 3 mois) et tendanciel (à 24 mois) pour la charge perçue par le conjoint, un effet tendanciel (24 mois) pour l’utilisation des ressources, et un taux plus bas d’institutionnalisation.

Il faut relever que, dans cette étude, les objectifs des interventions individualisées se limitaient à rendre les personnes avec une démence plus aptes à réaliser certaines activités de la vie quotidienne ou de loisirs, et n’abordaient apparemment pas l’ensemble des dimensions (stigmatisation, estime de soi,  facteurs de stress, sentiment de contrôle, rôle familial et social, etc.) du vécu négatif et des difficultés de ces personnes. Or, il apparaît également essentiel d’envisager des objectifs d’intervention plus directement en lien avec les dimensions d’identité, de qualité de vie et de bien-être. De plus, des actions devraient aussi être entreprises à un niveau social et politique (dans différents domaines : environnement de vie, structures sociales, politiques sociale et de la santé), afin de favoriser l’engagement social des personnes âgées, les relations interpersonnelles – en particulier intergénérationnelles –, l’accès pour tous aux mesures de prévention et aux moyens d’aide, la réduction de l’isolement et de la pauvreté, etc.  

La mise en place de mesures (psychologiques, psychosociales et de prévention), visant à valoriser et renforcer le potentiel des aînés, à prendre en compte leur point de vue et leurs souhaits, à faciliter leur participation citoyenne, à briser leur isolement et à maintenir le plus longtemps possible leur santé, leur autonomie et leur bien-être, doit passer par le développement d’interventions et de structures insérées dans les collectivités locales, en lien direct avec les services communaux, les associations, les structures d’hébergement à long terme, les médecins de famille, etc. Cela suppose la mise en place d’équipes multi- et interdisciplinaires (avec des psychologues, des médecins, des travailleurs/euses sociaux/ales, des infirmiers/infirmières, des médiateurs/trices culturel-le-s, etc., aucune profession n’ayant préséance sur l’autre).

Dans ce contexte,  l’évaluation (neuro)psychologique aura les objectifs suivants : identifier l’apparition de difficultés cognitives, socio-émotionnelles et fonctionnelles chez la personne âgée, en comprendre la nature (dans une perspective multifactorielle et individualisée) et en suivre l’évolution ; explorer le vécu des personnes âgées (et de leurs proches) face à leurs difficultés ; déterminer (avec la personnes âgée et ses proches) des buts spécifiques et concrets  d’intervention psychologique et psychosociale ; déterminer des facteurs de risque pouvant faire l’objet de mesures de prévention (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014a).

Résistons à l’approche biomédicale réductrice du vieillissement cérébral et cognitif !

L’approche de plus en plus neurobiologisante et réductionniste du vieillissement cérébral et cognitif est inquiétante et nous sommes à la croisée des chemins !

Va-t-on continuer à faire croire à la population que le vieillissement cérébral et cognitif problématique est le reflet de « maladies » (comme la « maladie d’Alzheimer ») ayant chacune une cause spécifique et, qu’un jour, le médicament ou traitement médical « miracle » sera découvert (dans 5 ans, 10 ans, 20 ans ou 100 ans) ? Ce serait grave, car cette approche a de nombreuses conséquences néfastes. D’abord, elle extrait les manifestations de la démence du cadre général du vieillissement cérébral et cognitif. Ce faisant, elle contribue à la médicalisation et à la pathologisation du vieillissement et en propage une vision réductrice. Elle suscite également l’attente désespérée d’un traitement médicamenteux ou biologique miracle, mettant ainsi à l’arrière-plan l’ensemble des démarches susceptibles d’optimiser le bien-être, la qualité de vie, le sentiment d’identité, et ce, tant chez la personne démente que chez les proches aidants. En outre, elle favorise une vision du vieillissement en termes de fardeau et de crise, aux plans social et économique. Enfin, elle enferme les personnes âgées présentant des troubles cognitifs dans des étiquettes stigmatisantes et associées à des images apocalyptiques.

Ou va-t-on au contraire – enfin – présenter à la population un autre récit, qui assume la complexité et la diversité des facteurs et mécanismes en jeu dans le vieillissement cérébral et cognitif problématique et qui réintègre ses diverses manifestations dans le contexte plus large du vieillissement ? Un récit qui met en avant que le vieillissement cérébral et cognitif fait partie de l’aventure humaine et qu’il s’accompagne inévitablement de difficultés cognitives (d’attention, de mémoire, etc.) et fonctionnelles qui, dans le grand âge, affectent, de façon importante, de nombreuses personnes. Un récit qui indique également que l’importance des problèmes cognitifs et fonctionnels liés au vieillissement varie considérablement d’une personne âgée à l’autre (ils sont plus légers et n’évoluent que très lentement chez certaines personnes, alors que, chez d’autres, ils sont plus graves et évoluent très rapidement), mais que cette évolution plus ou moins problématique du vieillissement cognitif et fonctionnel dépend de très nombreux facteurs (biologiques, médicaux, psychologiques, liés au style de vie, sociaux, culturels, et environnementaux), en interaction et agissant à tous les âges de la vie, et de nombreux mécanismes (vasculaires, neuro-inflammation, stress, anomalies de la connectivité/activité neuronale, etc.). Un récit qui met en avant l'existence de capacités préservées. Un récit disant qu'on peut encore bien vivre avec des difficultés cognitives, qu'on peut garder une vitalité et un sens à son existence et qu'on peut avoir une place et un rôle dans la société. Un récit qui dira aussi qu'il existe des démarches simples susceptibles d'atténuer  l'impact des difficultés cognitives et fonctionnelles, qu'une de ces démarches est de rester partie prenante dans la société et aussi de continuer à s'engager utilement en fonction de ses moyens, mais aussi que des interventions psychologiques et psychosociales peuvent aider à avoir une meilleure qualité de vie et un meilleur bien-être.

 Il ne s’agit donc en aucun cas de nier l’existence des problèmes cognitifs et fonctionnels pouvant affecter de manière importante les personnes âgées, mais d’en assumer pleinement la complexité et les nuances, tout en considérant que nous partageons tous les vulnérabilités liées au vieillissement cérébral et cognitif. Cela devrait contribuer à créer davantage d’unité entre les générations et à mettre en place des structures sociales dans lesquelles les personnes âgées, quels que soient leurs problèmes, peuvent trouver des buts, avoir un rôle social valorisant, maintenir des relations intergénérationnelles, etc. En ce sens, la « démence » devrait être considérée comme une expérience de vie, qui peut amener des changements dans la perception que la personne a du monde, mais durant laquelle des apprentissages sont possibles, un potentiel de développement personnel existe, et où il s’agit de maintenir le bien-être et l’autonomie par des aides et un environnement individualisés, ainsi que des « partenaires de soin » plutôt que des soignants, qui donnent aux personnes et à leur entourage les outils et le soutien pour faire face aux difficultés rencontrées. En d’autres termes, il s’agit de concevoir une société « personnes âgées admises », y compris quand elles ont des troubles cognitifs importants, et d’amener les membres de cette société à considérer que, même en présence de difficultés cognitives, la personne âgée conserve un potentiel de vitalité, une identité et une place dans la communauté : une société qui serait d’ailleurs bénéfique à chacun d’entre nous, quel que soit notre âge !

Il ne s’agit pas non plus de rejeter la recherche neurobiologique, mais de soutenir une recherche qui s’affranchit de l’approche réductionniste basée sur l’exploration de cascades de petites molécules pour explorer d’autres hypothèses, impliquant en particulier des interactions entre diverses combinaisons de mécanismes neurobiologiques. Cette recherche devrait également considérer le vieillissement cérébral/cognitif en termes de continuum et non plus sur base de catégories de maladies (Walhovd, Fjell, & Epseseth, 2014) et tenter d’identifier, de façon plus précise, les différents facteurs (biologiques, médicaux. psychologiques, sociaux, environnementaux), ainsi que leurs relations, impliqués dans la survenue, plus ou moins progressive et rapide, de déficits affectant certains domaines cognitifs, variables selon les personnes.

On peut espérer que, prenant en compte les arguments susmentionnés, les personnes âgées résisteront à l’approche biomédicale réductrice et trompeuse, qui ne leur apportera aucun bénéfice (tout en ayant un coût financier important), mais qui, au contraire, les enfermera dans un diagnostic de maladie présentée comme « apocalyptique », ce qui contribuera encore davantage à les isoler, à les stigmatiser et dès lors, à accroître leurs difficultés, sans leur donner, ni à leur entourage, de véritables moyens pour y faire face.

Dans ce contexte, nous pensons qu’un grand débat citoyen, impliquant au premier chef les personnes âgées, devrait être organisé, sur les enjeux scientifiques, sociétaux et éthiques des différentes approches du vieillissement cérébral et cognitif.

© istockphoto.com/baranozdemir

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Amieva, H., Robert, P.H., Grandoulier, A.-S., Meillon, C., De Rotrou, J., Andrieu, S., …Dartigues, J.-F. (2016). Group and individual cognitive therapies in Alzheimer’s disease: the ETNA3 randomized trial. International Psychogeriatrics, 28, 707-717.

Castellani, R. J., & Perry, G. (2012). Pathogenesis and disease-modifying therapy in Alzheimer’s disease: The flat line of progress. Archives of Medical Research, 43, 694-698.

Drachman, D. (2014). The amyloid hypothesis, time to move on: Amyloid is the downstream result, not the cause, of Alzheimer’s disease. Alzheimer’s and Dementia, doi:10.1016/j.jalz.2013.11.003.

Elobeid, A., Libard, S., Leino, M., Popova, S. N., & Alafuzoff, I. (2016). Altered proteins in the aging brain. Journal of Neuropathology & Experimental Neurology, 75, 316-325.

Fjell, A. M., McEvoy, L., Holland, D., Dale, A. M., & Walhovd, K. B. (2014). What is normal in normal aging? Effects of aging, amyoid, and Alzheimer's disease on the cerebral cortex and the hippocampus. Progress in Neurobiology, 117, 20-40.

Le Couteur, D. G., Doust, J., Creasey, H., & Brayne, C. (2013). Too much medicine. Political drive to screen for pre-dementia: not evidence based and ignores the harms of diagnosis. British Medical Journal, 347:f5125.

Noh, Y., Jeon, S., Lee, J. M., Kim, G. H., Cho, H., Ye, B. S., ...Na, D. L. (2014). Anatomical heterogeneity of Alzheimer disease based on cortical thickness on MRIs. Neurology, 83, 1936-1944.

Scheltens, A. N. E., Galindo-Garre, F., Pijnenburg, Y. A., van der Vlies, A. E., Smits, L. L., Koene, T., ...van der Flier, W. M. (2016). The identification of cognitive subtypes in Alzheimer's disease dementia using latent class analysis. Journal of Neurology, Neurosurgery and Psychiatry, 87, 235-243.

Tricco, A., C., Soobiah, S., Beliner, S., Ho, J. M., Ng, C., H., Ashoor, H. M., …Straus, S. E. (2013). Efficacy and safety of cognitive enhancers for patients with mild cognitive impairment: A systematic review and meta-analysis. Canadian Medical Association Journal, 185, 1393-1401.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2014a). L’évaluation neuropsychologique de la démence: un changement d’approche. In X. Seron & M. Van der Linden (Eds.), Traité de Neuropsychologie Clinique de l’Adulte (deuxième édition), Tome 1. Paris : De Boeck / Solal.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2014b). Penser autrement le vieillissement. Bruxelles : Mardaga.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2016). Les interventions psychologiques et psychosociales chez les personnes présentant une démence légère à modérée. In X. Seron & M. Van der Linden (Eds.), Traité de Neuropsychologie Clinique de l’Adulte (deuxième édition), Tome 2. Paris : De Boeck / Solal.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2017). A life course and multifactorial approach to Alzheimer’s disease: Implications for research, clinical assessment and intervention practices. Dementia, sous presse.

Walhovd, K. B., Fjell, A. M., & Epseseth, T. (2014). Cognitive decline and brain pathology in aging – need for a dimensional, lifespan and systems vulnerability view. Scandinavian Journal of Psychology, 55, 244-254.

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16 octobre 2016 7 16 /10 /octobre /2016 18:10

Changer le regard que la société adresse aux personnes âgées et celui que les personnes âgées portent sur elles-mêmes

Un nombre croissant d’études confirme que les stéréotypes négatifs liés à l’âge peuvent affecter le fonctionnement cognitif des personnes âgées ; ils peuvent même conduire à des performances traduisant un vieillissement cognitif problématique et aussi prédire la survenue d’atteintes cérébrales et de caractéristiques (neuro)pathologiques qui y sont associées. Ces travaux indiquent en quoi il importe de ne pas réduire les difficultés cognitives d’une personne âgée à des « maladies » caractérisées par des facteurs pathogènes (moléculaires) isolés et spécifiques, mais de prendre en compte la multiplicité des facteurs et mécanismes (biologiques, psychologiques, environnementaux, sociaux et culturels) qui peuvent moduler son fonctionnement cognitif. De ce point de vue, il paraît essentiel de mettre en place des stratégies préventives, dont l’une d’entre elles devrait, de toute évidence, viser à combattre l’âgisme, et ainsi à changer profondément le regard que la société adresse aux personnes âgées et celui que les personnes âgées portent sur elles-mêmes. Cela devrait non seulement passer par une éducation positive sur le vieillissement, mais aussi par des relations intergénérationnelles permettant aux personnes plus jeunes d’avoir des expériences positives et individualisées avec les personnes âgées, dans un contexte de vie sociale réelle, de statut égal, de coopération et de partage d’informations personnelles. Il s’agirait aussi de tenter de contrecarrer la médicalisation du vieillissement (laquelle est associée à la négativité croissante des stéréotypes liés à l’âge) et de modifier les croyances essentialistes (directement impliquées dans les effets néfastes des stéréotypes liés à l'âge), selon lesquelles le vieillissement est déterminé biologiquement et non modifiable. Des interventions psychologiques et des changements dans les pratiques cliniques visant à atténuer/éliminer les stéréotypes ou, encore, à mieux y faire face, devraient également être envisagés.

 

De nombreuses études ont mis en évidence que les personnes âgées qui possèdent des stéréotypes négatifs ou des attentes négatives en lien avec le vieillissement montrent une réduction de leur performance cognitive (voir nos chroniques « Le rôle des stéréotypes négatifs concernant le vieillissement sur le fonctionnement de la mémoire des personnes âgées » et « Le vieillissement en tant que construction sociale : L’influence des stéréotypes » ; voir également Marquet, Missoten, & Adam, 2016). Par ailleurs, Haslam et collaborateurs (2012) ont montré que des personnes âgées ne présentant pas de « démence », et qui ont été amenées par des consignes particulières à se catégoriser comme plus vieilles que d’autres et à considérer que le vieillissement est associé à un déclin cognitif général, ont une probabilité accrue de 400% de recevoir un diagnostic de « démence» sur base de leur score à une échelle d'évaluation des capacités cognitives générales  (voir notre chronique « Les stéréotypes négatifs concernant le vieillissement et les attentes relatives aux déficits cognitifs liés à l’âge : une source dramatique d’erreur diagnostique !»).  

Les implications cliniques de ces études sont importantes. En particulier, les clinicien(ne)s ne peuvent plus ignorer le risque considérable de diagnostic erroné (de « démence » ou de « trouble cognitif léger ») auquel peuvent conduire la catégorisation de soi basée sur l’âge, les attentes particulières concernant le déclin cognitif et, plus généralement, les stéréotypes négatifs liés à l’âge (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014 ; Marquet et al., 2016 ; Régner et al., 2016).

 

De nouvelles données concernant l’impact sur le fonctionnement cognitif des stéréotypes, attentes et croyances négatifs associés à l’âge

Plusieurs recherches récentes ont confirmé, voire amplifié, l’influence des attentes/perceptions/ stéréotypes négatifs sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées. Ainsi, Bouazzaoui et collaborateurs (2016) ont montré que des personnes âgées chez lesquelles on avait activé un stéréotype négatif lié à l’âge (en leur administrant un questionnaire sur les stéréotypes associés au vieillissement, et aussi en insistant sur la composante mnésique de la tâche cognitive qui allait leur être soumise) manifestaient davantage de plaintes mnésiques, avaient un sentiment moindre d’efficacité mnésique et obtenaient des performances moins bonnes à une tâche de mémoire que des personnes âgées chez lesquelles le stéréotype négatif n’avait pas été activé. Par ailleurs, l’effet du stéréotype négatif sur la performance mnésique est médiatisé par les plaintes mnésiques et le sentiment d’efficacité mnésique : en d’autres termes, l’activation du stéréotype avait influencé négativement les croyances sur le fonctionnement de la mémoire des personnes âgées, lesquelles avaient à leur tour perturbé la performance mnésique.

Dans une étude réalisée sur un échantillon de 5 896 participants âgés de plus de 50 ans (âge moyen de 63 ans), Robertson et collaborateurs (2016) ont constaté que la présence de perceptions négatives concernant les conséquences attendues du vieillissement et le niveau de contrôle que l’on peut avoir sur ces conséquences était associée, lors d’un suivi à deux ans, à un déclin de la performance à une tâche de fluence verbale et à un déclin auto-évalué de la mémoire, et ce, après avoir contrôlé l’influence de la santé mentale et physique.

En outre, il existe quelques données suggérant que les stéréotypes négatifs associés à l’âge peuvent affecter la performance cognitive des personnes âgées de façon à ce qu’elle corresponde au critère de « pré-démence », et même qu’ils peuvent prédire la survenue d’atteintes cérébrales et (neuro)pathologiques associées au vieillissement cognitif problématique.

Ainsi, Mazerolle et collaborateurs (2016) ont montré que 40% des personnes âgées, sans troubles cognitifs, chez qui on avait activé les stéréotypes négatifs liés à l’âge (en leur indiquant qu’elles allaient être soumises à une tâche de mémoire et que des personnes jeunes participeraient aussi à l’étude) ont obtenu des scores au Montreal Cognitive Assessment (MoCA) et au Mini Mental State Examination (MMSE) qui correspondent au critère de « pré-démence », alors que c’était seulement le cas pour 10% des personnes chez qui les stéréotypes liés à l’âge n’avaient pas été activés (il leur était dit que les performances attendues à la tâche de mémoire qu’elles allaient effectuer n’étaient pas différentes chez les personnes jeunes et âgées).

Levy et collaborateurs (2016) ont, quant à eux, observé que des personnes âgées qui avaient plus de stéréotypes liés à l’âge (identifiés plusieurs décennies auparavant) avaient ultérieurement et progressivement un déclin significativement plus prononcé du volume hippocampique et une accumulation significativement plus importante de plaques séniles et de dégénérescences neurofibrillaires (lesquelles seraient rappelons-le, selon Castellani et Perry [2012], l’expression d’une réponse protectrice du cerveau face à face à certaines atteintes dont il fait l’objet plutôt que la cause de la dégénérescence neuronale ; voir notre chronique « L'année 2015 : Fédérer les forces pour défendre et installer une autre approche du vieillissement cognitif ». 

Dans la même perspective, Pietrzack et collaborateurs (2016) ont constaté, sur deux cohortes différentes de personnes âgées de plus de 60 ans et présentant des indicateurs de santé mentale et physique variés, que la présence de stéréotypes négatifs liés à l’âge prédisait une longueur plus courte des télomères (une région hautement répétitive, donc a priori non codante, d'ADN à l'extrémité d'un chromosome), laquelle est considérée comme un marqueur de vieillissement cellulaire accéléré.

 

Comment faire face aux effets délétères des stéréotypes négatifs sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées

De façon intéressante, Weiss (2016) a observé, dans une première expérience, que les personnes âgées chez qui on a activé les stéréotypes liés à l’âge (via un questionnaire) et qui, en outre, ont des croyances essentialistes sur le vieillissement (c’est-à-dire qu’elles considèrent que le vieillissement est déterminé biologiquement et non modifiable) obtiennent une performance mnésique plus faible (dans une tâche de rappel libre) que les personnes chez qui les stéréotypes n’ont pas été activés. Par contre, chez les personnes qui ne manifestent pas de croyances essentialistes (et qui considèrent que le vieillissement est relativement flexible et modifiable), l’activation  de stéréotypes négatifs conduit à une réactance psychologique (un mécanisme de défense psychologique mis en œuvre pour tenter de maintenir sa liberté d'action) entraînant une meilleure performance mnésique (comparable à la performance des personnes dont les stéréotypes n’ont pas été activés). En outre, dans une deuxième expérience qui a répliqué les résultats précédents, il a également été observé que les personnes qui adoptaient des croyances essentialistes sur le vieillissement manifestaient une pression artérielle systolique accrue quand les stéréotypes négatifs liés à l’âge étaient activés. Ainsi, changer les croyances essentialistes concernant le vieillissement paraît constituer un moyen de permettre aux personnes âgées de faire face aux stéréotypes négatifs liés à l’âge.

Barber et collaborateurs (2016) ont constaté que des personnes âgées ne présentant pas de vieillissement cognitif problématique obtenaient des performances cognitives plus faibles à diverses tâches cognitives (classiquement utilisées pour évaluer cliniquement le déclin cognitif) quand on activait les stéréotypes négatifs liés à l’âge (en leur faisant lire un texte confirmant l’existence d’un déclin de la mémoire avec l’âge), mais uniquement quand les réponses correctes aux tâches étaient suivies d’un gain monétaire, et pas quand les réponses incorrectes ou les oublis étaient suivies de pertes monétaires. Ces données suggèrent donc les personnes âgées répondent à la menace des stéréotypes en devenant plus attentives à éviter les pertes qui les rendraient encore pires. Ainsi, il serait possible de capitaliser sur ce changement motivationnel visant à éviter les pertes pour tenter d’atténuer ou d’éliminer les effets délétères des stéréotypes négatifs liés à l’âge. Au plan clinique, cela conduirait à privilégier des consignes mettant en avant l’évitement des réponses incorrectes plutôt que le gain de réponses correctes. Des recherches futures devraient explorer plus avant cette suggestion.

 

L’effet positif d’un âge subjectif rajeuni sur le fonctionnement cognitif

Il a été montré que les personnes âgées qui rapportaient subjectivement un âge plus jeune que leur âge réel avaient une meilleure santé, étaient plus heureuses, avaient une estime d’elles-mêmes plus haute et vivaient plus longtemps que les personnes âgées dont l’âge subjectif était plus proche de leur âge chronologique (voir Kotter-Grühn, 2016).

Des travaux récents ont confirmé les effets bénéfiques d’un âge subjectif rajeuni, mais cette fois sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées. Ainsi, dans une étude prospective menée sur 10 années, Stephan et collaborateurs (2014) ont exploré l’effet de l’âge subjectif (obtenu en soustrayant l’âge ressenti de l’âge chronologique réel) sur le fonctionnement cognitif de 1 352 personnes âgées de 50 à 75 ans lors de la première évaluation et ne présentant pas de vieillissement cognitif problématique. Les résultats ont montré qu’un âge subjectif rajeuni (les personnes se sentant plus jeunes que leur âge réel) prédisait l’existence ultérieure d’un meilleur fonctionnement exécutif et mnésique, et ce, après avoir contrôlé l’influence sur le fonctionnement cognitif de l’âge chronologique, du genre, du niveau scolaire, et du nombre de maladies rapportées par les participants. Par ailleurs, cette relation était médiatisée par un style de vie plus actif et une moindre probabilité d’être en surpoids, mais cette médiation était partielle, ce qui suggère que d’autres médiateurs sont également impliqués, tels qu’un sentiment plus élevé d’efficacité personnelle ou encore une meilleure protection par rapport aux stéréotypes négatifs liés à l’âge.

Plus récemment, dans une recherche menée auprès de 5 809 personnes âgées de plus de 50 ans, Stephan et collaborateurs (2016a) ont observé qu’un âge subjectif rajeuni était associé à de meilleures performances dans des tâches de mémoire (rappel libre et rappel différé) et prédisait un déclin plus lent de la mémoire sur une période de 4 ans. De plus, cette association était médiatisée par la présence de symptômes dépressifs moins nombreux.

Par ailleurs, dans une autre étude entreprise auprès de 5 748 personnes âgées de 65 ans et plus, et ne présentant pas de vieillissement cognitif problématique lors de la première évaluation, Stephan et collaborateurs (2016b) ont montré que les personnes s’attribuant un âge subjectif plus élevé avaient une probabilité plus grande d’être classées comme ayant un « trouble cognitif sans démence » (cognitive impairment without dementia) ou comme ayant une « démence » lors d’un suivi à 2 et 4 ans et ce, après avoir pris en compte l’influence de l’âge chronologique, du sexe, de l’appartenance ethnique, du niveau cognitif de base et de la présence de tabagisme et de diabète. L’inactivité physique et l’existence de symptômes dépressifs rendait partiellement compte de ces associations.

Au plan clinique, ces données suggèrent de prêter une attention particulière aux personnes qui se sentent plus vieilles que leur âge chronologique, du fait d’un risque accru de déclin cognitif et d’un style de vie pouvant amplifier ce déclin. Ces personnes pourraient ainsi bénéficier d’interventions (psychologiques et en lien avec l’activité physique) visant à atténuer la présence de cet âge subjectif plus vieux.

De façon intéressante, Diehl et Wahl (2010) indiquent qu’il est important, pour comprendre les effets de l’âge sur la construction de soi, de prendre en compte le niveau de prise de conscience que les personnes âgées ont des changements liés à l’âge. En effet, plus une personne est consciente des changements fonctionnels liés à l’âge (aux plans cognitif, physique et de la santé), plus la notion de devenir vieux/vieille doit être intégrée dans la construction du soi ( self ) vieillissant.

 

Conclusions

Un nombre croissant d’études confirme que les stéréotypes négatifs liés à l’âge affectent le fonctionnement cognitif des personnes âgées ; ils peuvent même conduire à des performances traduisant un vieillissement cognitif problématique et prédire la survenue d’atteintes cérébrales et de caractéristiques (neuro)pathologiques qui y sont associées.

Ces recherches indiquent en quoi il importe de prendre en compte la multiplicité des facteurs et mécanismes (biologiques, psychologiques, environnementaux, sociaux et culturels) qui peuvent moduler le fonctionnement cognitif des personnes âgées. Plus spécifiquement, il apparaît d’ailleurs de plus en plus évident que l’état appelé « maladie d’Alzheimer » et, plus généralement, les maladies dites démentielles, ne constituent pas des entités homogènes (des maladies essentielles) causées par des facteurs pathogènes (moléculaires) spécifiques, mais qu’elles représentent des états hétérogènes, déterminés par des facteurs multiples, en interaction, et intervenant tout au long de la vie (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2016).

Cette conclusion est aussi une celle qu’ont récemment tirée Pistollato et collaborateurs (2016) dans un article intitulé Alzheimer disease in the 21st century: past and current failures, new perspectives and funding priorities et qui synthétise les échanges d’une table ronde organisée sous l’égide du « Comité des Médecins pour une Médecine Responsable » qui s’est tenue en avril 2015 : « En considérant la nature multidimensionnelle de la pathologie associée à la maladie d’Alzheimer, nous croyons que le temps est venu de réévaluer le vieillissement, la cognition et leurs relations avec les variables biologiques, sociales et environnementales. Au lieu d’examiner une variable unique à la fois, comme cela a souvent fait dans le passé, il serait bon de considérer les implications interconnectées de plusieurs facteurs génétiques, épigénétiques, morphologiques, environnementaux, comportementaux et sociaux dans le développement et la consolidation de la maladie d’Alzheimer ». 

L’article de Pistollato et collaborateurs met aussi en avant l’importance qu’il y a à encourager la mise en place de stratégies préventives (voir aussi nos chroniques « Une modélisation de l’impact de la prévention en lien avec le style de vie sur la prévalence de la démence » et  « Des conclusions par trop négatives concernant la prévention du déclin cognitif  ! »). Parmi ces stratégies de prévention, il en est une qui, de toute évidence, devrait viser les stéréotypes négatifs liés à l’âge, à savoir changer profondément le regard que la société adresse aux personnes âgée et celui que les personnes âgées portent sur elles-mêmes.  

Dans cette perspective, Ng et collaborateurs (2015) ont mis en évidence, via une analyse de linguistique computationnelle réalisée aux Etats-Unis sur une base de données de 400 millions de mots dans des sources imprimées entre 1810 à 2009, que les stéréotypes liés à l’âge sont devenus plus négatifs au fil du temps, et ce, de façon linéaire. Par ailleurs, cet accroissement de la négativité est significativement associé à la médicalisation du vieillissement et au nombre croissant de personnes de plus de 65 ans. Ainsi, les auteurs en appellent clairement à une campagne sociale destinée à combattre l’âgisme exprimé à travers ces stéréotypes.

Cela devrait non seulement passer par une éducation positive sur le vieillissement, mais aussi par des relations intergénérationnelles permettant aux personnes plus jeunes d’avoir des expériences positives et individualisées avec les personnes âgées, dans un contexte de vie sociale réelle, de statut égal, de coopération et de partage d’informations personnelles (voir le modèle PEACE, Positive Education about Aging and Contact Experiences ; Levy, 2016). Cette campagne devrait aussi tenter de contrecarrer la médicalisation du vieillissement (laquelle est associée à la négativité croissante des stéréotypes liés à l’âge) et de modifier les croyances essentialistes (directement impliquées dans les effets néfastes des stéréotypes liés à l’âge) selon lesquelles le vieillissement est déterminé biologiquement et non modifiable. Des interventions psychologiques et une modification dans les pratiques cliniques visant à atténuer/éliminer les stéréotypes, ou encore à mieux y faire face, devraient également être envisagées.

 

Barber, S. J., Mather, M., & Gatz, M. (2015). How stereotypes threat affects healthy older adults’ performance on clinical assessments of cognitive decline: The role of regulatory fit. Journal of Gerontology Series B: Psychological Sciences & Social Sciences, 70, 891-900.

Bouazzaoui, B., Follenfant, A., Ric, F., Fay, S., Croizet, J.-L., Atzeni, Th., & Taconnat, L. (2016). Ageing-related stereotypes in memory: When the beliefs comme true. Memory, 24, 659-668.

Castellani, R.J., & Perry, G. (2012). Pathogenesis and disease-modifying therapy in Alzheimer’s disease: The flat line of progress. Archives of Medical Research, 43, 694-698.

Diehl, M. K., & Wahl, H.-W. (2010). Awareness of age-related change: Examination of a (mostly) unexplored concept. Journal of Gerontology Series B: Psychological Sciences & Social Sciences, 65, 340-350.

Haslam, C., Morton, Th., Haslam, A., Varnes, L., Graham, R., & Gamaz, L. (2012). “When the age is in, the wit is out”: Age-related self-categorization and deficit expectations reduce performance on clinical tests used in dementia assessment. Psychology and Aging, 27, 778-784.

Kotter-Grühn, D. (206). Aging self. In S. Kraus Withbourne (Ed.), Encyclopedia of adulthood and aging. New York, NY: Wiley.

Levy, S. R. (2016). Toward reducing ageism: PEACE (Positive Education about Aging and Contact Experiences) model. The Gerontologist, à paraître.

Levy, B. R., Ferrucci, L., Zonderman, A. B., Slade, M. D., Troncoso, J., & Resnick, S. M. (2016). A culture-brain link: Negative age stereotypes predict Alzheimer’s disease biomarkers. Psychology and Aging, 31, 82-88.  

Marquet, M., Missotten, P., & Adam, S. (2016). Âgisme et surestimation des difficultés cognitives des personnes âgées : une revue de la question. Gériatrie et Psychologie Neuropsychiatrie du Vieillissement, 14, 177-186.

Mazerolle, M., Régner, I., Barber, S. J., Paccalin, M., Miazola, A.Ch., Huguet, P., & Rigalleau, F. (2016). Negative aging stereotypes impair performance on brief cognitive tests used to screen for predementia. Journal of Gerontology Series B : Psychological Sciences & Social Sciences, à paraître.  

Ng, R., Allore, H. G., Trentalange, M., Monin, J. K., & Levy, B. R. (2015). Increasing negativity of age stereotypes across 200 years: Evidence from a database of 400 million words. PLoS ONE 10(2): e0117086.

Pietrzack, R. H., Zhu, Y., Slade, M. D., Qiaochu, Q., Krystal.J., H., & Levy, B. R. (2016). Association between negative age stereotypes and accelerated cellular aging: Evidence from two cohorts of older adults. Journal of the American Geriatrics Society, à paraître.

Pistollato, F., Ohayon, E. L., Lam, A., Langley, G. R., Novak, Th. J., Pamies, D., …Chandrasekera, P. Ch. (2016). Alzheimer disease research on the 21st century: past and current failures, new perspectives and funding priorities. Oncotarget, 7, à paraître.

Régner, I., Mazerolle, M., Alescio-Lautier, B., Clarys, D., Michel, B., Paccalin, M., …Huguet, P. (2016). Aging stereotypes must be taken into account for the diagnosis of prodromal and early Alzheimer disease. Alzheimer Disease & Associated Disorders, 30, 77-79.

Robertson, D. A., King-Kallimanis, B. L., & Kenny, R. A. (2016). Negative perceptions of aging predict longitudinal decline in cognitive function. Psychology and Aging, 31, 71-81.

Stephan, Y., Caudroit, J., Jaconelli, A., & Terraciano, A. (2014). Subjective age and cognitive functioning: A 10-year prospective study. American Journal of Geriatric Psychiatry, 22, 1180-1187.

Stephan, Y., Sutin, A. R., Caudroit, J., & Terraciano, A. (2016a). Subjective age and change in memory in older adults. Journals of Gerontology: Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, à paraître.

Stephan, Y., Sutin, A. R., Luchetti, M., & Terraciano, A. (2016b). Feeling older and the development of cognitive impairment and dementia. Journals of Gerontology: Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, à paraître.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2016). A life course and multifactorial approach to Alzheimer’s disease: Implications for research, clinical assessment and intervention practices. Dementia, à paraître.

Weiss, D. (2016). On the inevitability of aging: Essentialist beliefs moderate the impact of negative age stereotypes on older adults’ memory performance and physiological reactivity. Journals of Gerontology: Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, à paraître.

 

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13 septembre 2015 7 13 /09 /septembre /2015 20:51

 

Parmi les multiples facteurs et mécanismes qui contribuent aux expressions plus ou moins problématiques du vieillissement cérébral et cognitif, il en est certains qui semblent intervenir durant les périodes pré- et postnatales, ainsi que durant l’enfance. Ces facteurs de risque précoces (comme, p. ex., une exposition aux métaux lourds ou de mauvais traitements parentaux) induiraient, via divers mécanismes, une vulnérabilité cérébrale à long terme, qui empêcherait le cerveau de s‘adapter aux défis liés au vieillissement, en particulier quand la personne est confrontée à un nouveau facteur de risque (comme, p. ex., un traumatisme crânien).

Ces interprétations développementales de la « démence » doivent encore être davantage explorées afin de mieux les étayer. Cependant, on voit dès à présent l’intérêt qu’il y aurait à renforcer les stratégies de prévention visant à réduire la contribution des facteurs de risque durant les périodes pré- et postnatales, via des interventions concernant le style de vie, l'alimentation, les pratiques éducatives, l'accès aux études et à des loisirs de qualité, l'environnement de vie, etc. Une autre approche développementale de la «démence» consiste à examiner dans quelle mesure une fragilité développementale de certains réseaux cérébraux (exprimée par des difficultés cognitives spécifiques durant l’enfance) pourrait rendre compte, en partie du moins, de la survenue de déficits disproportionnés et progressifs dans certains domaines cognitifs chez les personnes âgées.

 

 

Il apparaît de plus en plus évident que la « maladie d’Alzheimer » et, plus généralement, les « maladies neurodégénératives », ne constituent pas des entités homogènes causées par des facteurs pathogènes (moléculaires) spécifiques, mais qu’elles représentent des états très hétérogènes, déterminés par des facteurs et mécanismes multiples, en interaction, et intervenant tout au long de la vie (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014).

Ainsi, une autre conception du vieillissement cérébral et cognitif problématique est maintenant défendue par un nombre croissant de chercheurs et de cliniciens, laquelle peut être résumée simplement comme suit : le cerveau vieillit chez tout un chacun, comme les articulations, la peau, la vue, l’ouïe… Il s’ensuit que le vieillissement s’accompagne inévitablement de difficultés cognitives (d’attention, de mémoire, etc.) et fonctionnelles et que, dans le grand âge, ces difficultés affectent, de façon importante, de nombreuses personnes. En d’autres termes, le vieillissement cérébral et cognitif fait intrinsèquement partie de l’aventure humaine.

Cependant, l’importance des problèmes cognitifs et fonctionnels liés au vieillissement varie considérablement d’une personne âgée à l’autre : ils sont plus légers chez certaines personnes et n’évoluent que très lentement, alors que, chez d’autres, ils sont plus graves, évoluent très rapidement et peuvent apparaître précocement. En outre, il existe une grande hétérogénéité dans le type de déficits cognitifs manifesté par les personnes âgées. Enfin, l’évolution plus ou moins problématique du vieillissement cérébral cognitif dépend de très nombreux facteurs (biologiques, médicaux, psychologiques, liés au style de vie, sociaux, culturels, et environnementaux) et de différents mécanismes, agissant à tous les âges de la vie. Et parmi ces facteurs et mécanismes, il en est certains qui interviendraient dès le début de la vie.

 

De fait, plusieurs auteurs (voir Lahiri & Mahoney, 2010 ; Modgil et al., 2014 ; Schaffers & Teuchert-Noodt, 2013) défendent l’idée selon laquelle certains facteurs in utero (p. ex., une contrainte au développement du fœtus du fait de la taille du corps de la mère, un dysfonctionnement placentaire ou encore une perturbation hormonale maternelle) et différents types d’exposition environnementale durant les périodes pré-, péri- et post-natales, ainsi que durant l’enfance (infections périnatales ; mauvaise alimentation et déficience en micronutriments ; exposition à des métaux lourds tels que le plomb, le mercure, le cadmium, le manganèse ; une exposition à des pesticides ; une exposition à l’alcool, au tabac, à des drogues et des psychotropes ; une stimulation environnementale et sociale appauvrie ; de mauvais traitements ; un manque d’exercice physique ; etc.) pourraient jouer un rôle dans la survenue ultérieure d’un vieillissement cérébral et cognitif problématique (d’une «démence»).

 

Ainsi, Schaffers et Teuchert-Noodt (2013) considèrent que ces différents facteurs survenant durant des périodes sensibles et critiques du développement laisseraient une empreinte dans la structure cérébrale adulte, en affectant à long terme la neuroplasticité et la capacité d’auto-organisation cérébrale. Cela conduirait à des troubles (cognitifs et autres) quand la dynamique de la neuroplasticité décline avec l’âge ou à la suite d’un nouveau défi cérébral survenant durant l’âge adulte (un traumatisme, un évènement stressant, etc.) que le cerveau affecté par des influences développementales néfastes ne pourrait pas relever.

 

Dans la même perspective, Lahiri et Mahoney (2010) ont proposé le modèle LEARn (« Latent Early-life Associated Regulation ») qui aborde la « maladie d’Alzheimer » en intégrant l’intervention précoce de facteurs de risque environnementaux. Plus spécifiquement, ils considèrent que l’exposition à divers facteurs négatifs durant les périodes pré- et postnatales (voir supra) va conduire à des changements épigénétiques, à savoir des modifications dans l’expression des gènes, induites par le contexte développemental. Cependant, ces changements épigénétiques resteraient latents et ne conduiraient à des symptômes (à une « démence ») que suite à la confrontation ultérieure avec un autre facteur environnemental négatif, tel qu’un traumatisme crânien ou une alimentation déséquilibrée durant la cinquantaine.

 

Même si ces interprétations développementales de la survenue d’un vieillissement cérébral et cognitif problématique sont déjà appuyées par diverses recherches menées tant chez l’animal que chez l’humain, elles doivent encore être davantage explorées afin qu’elles puissent être mieux étayées et que les mécanismes impliqués soient mieux compris. Cependant, on voit dès à présent l’intérêt qu’il y aurait à renforcer les stratégies de prévention visant à réduire la contribution des facteurs de risque durant les périodes pré- et postnatales, via des interventions concernant le style de vie, l'alimentation, des pratiques éducatives, de l'accès aux études et à des loisirs de qualité, l'environnement de vie, etc. De tels changements ne découleront pas uniquement de choix individuels : ils dépendront en très grande partie d'une réduction des inégalités sociales et de la pauvreté et, plus généralement, de modifications dans le mode de fonctionnement socio-économique, la relation à l'environnement, les priorités concernant l'éducation, la médecine intégrative et la culture. D’autres stratégies, plus hypothétiques, pourraient avoir pour but de tenter d’inverser les changements épigénétiques induits par les expositions environnementales néfastes ou de traiter les effets neurotoxiques de ces expositions (voir Modgil et al., 2014). Voilà pourquoi, comme l’indiquent Friedland et Brayne (2009), les pédiatres devraient s’intéresser au vieillissement cérébral !

 

Une autre voie de recherche, dans une perspective développementale, consisterait à examiner dans quelle mesure une fragilité développementale de certains réseaux cérébraux pourrait rendre compte, en partie du moins, de la présence de déficits disproportionnés et progressifs dans certains domaines cognitifs chez les personnes âgées. Miller et al. (2013) ont ainsi montré que des difficultés développementales d’apprentissage du langage conduisent, chez les personnes âgées, à une prévalence plus élevée, plus précoce et plus isolée, de déficits langagiers progressifs de type phonologique, associés à une atrophie temporo-pariétale postérieure (la variante logopénique de l’aphasie progressive primaire). Ces données ont été récemment confirmées par Seifan et al. (2015), ces auteurs ayant également montré que les personnes âgées ayant reçu un diagnostic d’atrophie corticale postérieure avaient présenté durant l’enfance des difficultés sur le plan attentionnel et en mathématiques. Quant à Rogalski et al. (2014), ils ont mis en évidence que les troubles du langage durant l’enfance n’étaient pas préférentiellement associés à la variante logopénique de l’aphasie progressive primaire, mais étaient plus généralement reliés aux différentes variantes de l’aphasie progressive primaire.

Ainsi, il semble exister une influence développementale sur les différentes trajectoires cognitives que peut prendre le vieillissement cérébral et cognitif problématique. Il s’agirait d’explorer si des liens entre certaines difficultés développementales et la survenue de troubles cognitifs prédominants chez la personne âgée existent également pour d’autres types de déficits comme, par exemple, les troubles exécutifs, praxiques, gnosiques, voire socio-émotionnels.

 

A nouveau, ces données suggèrent la mise en place de stratégies précoces et sélectives d’interventions visant à prévenir (entraver, différer ou atténuer) la survenue de certains troubles cognitifs progressifs chez les personnes âgées.

 

Friedland, R.P., & Brayne, C. (2009). What does the pediatrician need to know about Alzheimer disease? Journal of Developmental and Behavioral Pediatrics, 30, 239-241.

Lahiri, D. K., & Maloney, B. (2010). The « LEARn » (Latent Early-Life Associated Regulation) model integrates environmental risk factors and the developmental basis of Alzheimer’s disease, and proposes remedial steps. Experimental Gerontology, 45, 291-296.

Miller. Z., A., Mandelli, M., L., Rankin, K. P., Henry, M. L., Babiak, M. C., Frazier, D. T., …Gorno-Tempini, L. (2013). Handedness and language learning disability differentially distribute in progressive aphasia variants. Brain, 136, 3461-3473.

Mogdil, S., Lahiri, D., Sharma, V. L., & Anand, A. (2014). Role of early life exposure and environment on neurodegeneration: implications on brain disorders. Translational Neurodegeneration, 3:9.

Schaeffers, A. T. U., & Teuchert-Noodt, G. (2013). Developmental neuroplasticity and the origin of neurodegenerative diseases. The World Journal of Biological Psychiatry, 1-13.

Seifan, A., Assuras, S., Huey, E. D., Mez, J., Tsapanou, A., & Caccappolo, E. (2015). Childhood learning disabilities and atypical dementa: A retrospective chart review. PLOS One, June 24.

Rogalski, E. J., Rademaker, A., Wieneke, Ch., Bigio, E. H., Weintraub, S., & Mesulam, M.-M. (2014). Association between the prevalence of learning disabilities and primary progressive aphasia. JAMA Neurology, 71, 1576-1577.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2014). Penser autrement le vieillissement. Bruxelles: Mardaga.

 

Le rôle de l’environnement prénatal, postnatal et infantile dans la survenue d’un vieillissement cérébral et cognitif problématique
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20 décembre 2013 5 20 /12 /décembre /2013 21:24

Résumé

Ces derniers mois, plusieurs recherches ont renforcé la conception selon laquelle le vieillissement cérébral et cognitif problématique (la « démence ») dépend de très nombreux facteurs, intervenant tout au long de la vie.

Ainsi, divers facteurs de protection et de risque de « démence » chez les personnes âgées ont été confirmés ou identifiés : le nombre de stresseurs psychosociaux durant le milieu de la vie, l’allaitement des enfants au sein, l’utilisation de médicaments potentiellement inappropriés et la charge d’anticholinergiques, le niveau d’alphabétisation, certaines caractéristiques du sommeil durant le milieu de la vie et une moindre stimulation immunitaire en lien avec des pratiques d’hygiène. Par ailleurs, une étude a spécifiquement mis en évidence plusieurs facteurs de risque de développer une « démence à début précoce » (< 65 ans) : trois facteurs évalués durant la fin de l’adolescence (un bas niveau de fonctionnement cognitif, une petite taille et une pression artérielle systolique élevée) et six autres facteurs évalués durant la période de suivi (une démence paternelle, une intoxication aiguë à l’alcool, une intoxication aiguë à une drogue autre que l’alcool, un accident vasculaire cérébral, l’utilisation d’antipsychotiques et une dépression). Enfin, une recherche a confirmé qu’une fragilité développementale peut contribuer à la présence, chez des personnes âgées, de déficits précoces, disproportionnés et progressifs, dans certains domaines cognitifs.

Ces travaux appuient la nécessité de prendre le tournant de la prévention, dans le but de différer ou de réduire les expressions problématiques du vieillissement cérébral et cognitif. Il ne s’agit cependant pas de disséquer de façon obsessionnelle notre existence afin d’identifier les multiples facteurs (en lien avec nos expériences de vie antérieure, notre réseau social, notre style de vie, ce que nous mangeons, ce que nous buvons, etc.) qui ont été associés au développement d’un vieillissement cérébral/cognitif. L’obsession du « vieillissement réussi » (« successful aging ») conduit en effet à présenter les personnes âgées comme des personnes moins performantes et à dévaluer leur existence antérieure. Il faut garder à l’esprit qu’un grand nombre d’entre nous rencontrerons, durant le grand âge, des difficultés physiques, cognitives et fonctionnelles. Cela ne fera pas de nous des personnes de moindre valeur.

Il semble possible de réduire ou de différer les manifestations les plus problématiques du vieillissement cérébral et cognitif en réduisant certains facteurs de risque. Mais devenir obsédé par chaque chose que l’on fait ou a fait, que l’on mange ou que l’on boit ne réduira pas plus le risque d’avoir des problèmes cognitifs que de maintenir une « saine modération ».

De très nombreuses études convergent pour appuyer une conception selon laquelle le vieillissement cérébral et cognitif problématique (la « démence ») dépend de très nombreux facteurs (biologiques, psychologiques, sociaux et environnementaux), intervenant tout au long de la vie et associés à différents mécanismes en interaction (voir, p. ex., notre chronique « Quand la complexité du vieillissement cérébral/cognitif problématique s’avère de plus en plus manifeste ! »).

Ces derniers mois, plusieurs recherches ont renforcé cette conception et l’ont étendue à la « démence » observée chez des personnes plus jeunes (âgées de moins de 65 ans).

De nouvelles données suggérant la complexité du vieillissement cérébral et cognitif  

Stress et « démence

Un lien entre le stress psychologique et le vieillissement cérébral/cognitif problématique (la « démence ») a été rapporté dans plusieurs recherches (voir notre chronique « Le stress psychologique : un facteur-clé du vieillissement cérébral/cognitif problématique »).

Ce lien a récemment été confirmé par Johansson et al. (2013) dans une étude qui a suivi 800 femmes pendant une durée de 38 ans (examens en 1968, alors que les femmes étaient dans la période du milieu de leur vie [période de la quarantaine/cinquantaine], puis en 1974, 1980, 1992, 2000 et 2005). Lors de la ligne de base, la présence de 18 stresseurs psychosociaux a été évaluée (p. ex., divorce, veuvage, problèmes professionnels, maladie d’un proche). Par ailleurs, l’existence de symptômes de détresse psychologique a été évaluée à chaque vague d’examen. Durant le suivi, 153 femmes ont développé une « démence » (104 ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer »).

Les résultats montrent que le nombre de stresseurs psychosociaux identifiés durant le milieu de la vie est significativement associé à la survenue d’une « démence » (et aussi plus spécifiquement d’une « maladie d’Alzheimer ») et ce lien subsiste après avoir pris en compte le niveau scolaire, l’âge, le statut socio-économique, le statut marital, le statut professionnel, l’hypertension, la présence d’une maladie cardiaque coronarienne, celle d’un accident vasculaire cérébral, d’un diabète ou d’un trouble mental dans la famille (père, mère, frères et sœurs), le rapport taille-hanches et la consommation de vin. Par ailleurs, le nombre de stresseurs psychosociaux identifiés en 1968 prédit significativement la détresse psychologique en 1968, 1974, 1980 et 2005. Cependant, le nombre de stresseurs psychosociaux et la détresse psychologique présente sur le long terme (1968-1974-1980) sont associés de façon indépendante à la survenue d’une « maladie d’Alzheimer ». Ce dernier résultat indique ainsi que le lien entre stresseurs psychosociaux et « maladie d’Alzheimer » existe même chez les personnes que ne vivent pas (ou ne rapportent pas) une détresse psychologique en lien avec le stresseur.

Plusieurs interprétations du lien entre stresseurs psychosociaux et « démence » sont possibles: augmentation du niveau d’hormones de stress, accroissement des cytokines pro-inflammatoires, fréquence accrue de maladies cardiovasculaires et d’hypertension, etc.

Quoi qu’il en soit, outre le fait que les données de Johansson et al. devront être confirmées, il s’agira aussi d’examiner le poids respectif de stresseurs plus ou moins importants, ainsi que la contribution de stresseurs non évalués dans cette étude, comme les violences physiques ou une maladie personnelle grave.

Allaitement au sein et « démence »

Dans une étude de cas-témoin (étude d'observation rétrospective, dans laquelle les caractéristiques des patients, les cas, sont comparées à celles de personnes de contrôle, les témoins),  Fox, Berzuini et Knapp (2003) ont constaté, sur un échantillon de 81 femmes âgées de plus de 70 ans, que les femmes qui ont allaité leurs enfants au sein avaient un risque moindre de développer une « maladie d’Alzheimer », et ce, après avoir contrôlé l’influence de l’âge, du niveau scolaire, de la profession, d’une thérapie de remplacement de l’œstrogène, de l’âge de la première naissance, de l’âge de la ménopause et d’une ovariectomie bilatérale. Par ailleurs, une durée plus longue d’allaitement au sein conduit à une diminution du risque de « maladie d’Alzheimer » (voir également Heys et al., 2011, pour des résultats similaires).

Ces données ont été interprétées en considérant les effets bénéfiques de l’allaitement au sein sur les œstrogènes et la sensibilité à l’insuline, deux facteurs qui ont été impliqués dans le risque de développer une « maladie d’Alzheimer ».

Médicaments potentiellement inappropriés, charge d’anticholinergique et performance cognitive/statut fonctionnel

Koyama et al. (2013) ont suivi, sur une période de 5 ans, 1’429 femmes âgées de 75 ans et plus, issues de la communauté. Lors de la ligne de base, les médicaments potentiellement inappropriés (médicaments dont les effets négatifs dépassent les bénéfices thérapeutiques, comme, p. ex., les benzodiazépines ou certains médicaments visant à traiter l’incontinence urinaire ou l’allergie ; liste établie sur base des critères classiques) ont été identifiés, ainsi que la charge d’anticholinergique (mesurée par l’échelle « Anticholinergic Cognitive Burden»). Lors du suivi, le fonctionnement cognitif a été exploré au moyen de sept tests cognitifs évaluant notamment la mémoire épisodique, les fonctions exécutives, l’attention, la mémoire sémantique et les capacités visuo-spatiales. Par ailleurs, le statut fonctionnel a été évalué via l’identification d’un ou plusieurs troubles dans les activités instrumentales de la vie quotidienne.

Les résultats montrent que l’utilisation de médicaments potentiellement inappropriés et des scores élevés à l’échelle « Anticholinergic Cognitive Burden» sont, d’une part, associés à des performances cognitives plus faibles (en particulier, en mémoire épisodique immédiate et différée et en fluence verbale) et, d’autre part, fortement reliés à la présence de troubles fonctionnels. Ces effets ont été observés après contrôle des données sociodémographiques, de variables en lien avec le style de vie et du statut ApoE.

Ainsi, une sélection prudente des médicaments pourrait limiter les problèmes cognitifs et fonctionnels des personnes âgées (voir également notre chronique « Déclin cognitif chez les personnes âgées, style de vie et accumulation de médicaments »).  

Alphabétisation et « démence »

Un niveau scolaire faible, généralement mesuré par le nombre d’années d’études, constitue un facteur de risque de « démence » bien établi (voir, p. ex., notre chronique « L’influence bénéfique du nombre d’années d’études sur le risque de démence »). Cependant, le degré d’alphabétisation pourrait constituer un indicateur plus sensible que le nombre d’années d’étude pour le développement d’une « démence».

Dans cette perspective, Kaup et al. (2013) ont examiné le lien entre l’alphabétisation (évaluée par le « Rapid Estimate of Adult Literacy in Medicine » : lecture de mots) et le risque de « démence probable » auprès de 2.458 personnes âgées de 71 à 82 ans, lesquelles ont été suivies pendant une période de  8 ans. L’incidence d’une « démence probable » a été établie sur base des dossiers médicaux, des prescriptions de médicaments pour la « démence » et d’un déclin au MMSE. Les analyses ont été ajustées en prenant en compte des données sociodémographiques, des variables en lien avec le style de vie, le niveau scolaire, la présence de comorbidités, le revenu et le statut ApoE.

Les résultats ont mis en évidence que 23 pourcents des personnes avaient un niveau limité d’alphabétisation (niveau de lecture inférieur à 9 années d’études ou « 9th-grade level »). Les personnes qui avaient ce niveau limité d’alphabétisation ont présenté une incidence plus élevée de « démence probable » que les personnes ayant un niveau d’alphabétisation plus élevé. Par ailleurs, une interaction tendancielle a été observée entre le niveau d’alphabétisation et le statut ApoE : le lien entre alphabétisation et « démence probable » était fort chez les non porteurs de l’allèle ε4 du gène de l’APOE et non significatif parmi les porteurs de l’allèle ε4.

On ne peut pas exclure la possibilité que le niveau d’alphabétisation soit associé à d’autres facteurs non contrôlés dans cette étude et qui représentent eux-mêmes des facteurs de risque de « démence », tels que la précarité socio-économique ou des problèmes d’apprentissage tout au long de la vie. Cependant, si un lien spécifique entre alphabétisation limitée et « démence » était confirmé, cela ouvrirait une autre piste d’intervention à visée préventive.

Sommeil et « démence »

Plusieurs études ont montré que certaines caractéristiques du sommeil étaient associées à un risque accru de « démence » ou de déclin cognitif, mais elles ont effectué des suivis de trop courte durée (au mieux 10 ans ; voir, p. ex., Loerbroks et al. 2010).

Virta et al. (2013) ont, quant à eux, examiné auprès de 2’336 personnes âgées de 65 ans et plus, le lien entre les caractéristiques du sommeil évalués durant le milieu de la vie (période de la quarantaine/cinquantaine) et le fonctionnement cognitif ultérieur (évalué via deux instruments validés, administrés par téléphone), et ce, pendant une période médiane de suivi de 22.5 ans. Les analyses ont contrôlé l’influence de l’âge, du genre, du niveau scolaire, du statut ApoE et de la durée du suivi.

Les résultats ont mis en évidence que les personnes ayant rapporté, durant le milieu de leur vie,  un sommeil court (<7h/jour) ou un sommeil long (>8h/jour), avaient des scores cognitifs globaux plus bas que les participants qui dormaient 7-8h/jour. Par ailleurs, en comparaison avec une bonne qualité du sommeil rapportée, une mauvaise ou assez mauvaise qualité du sommeil était associée à des performances cognitives plus faibles. De plus, l’utilisation d’hypnotiques pendant 60 jours ou plus par an était également reliée à un fonctionnement cognitif plus faible. L’association entre hypnotiques et cognition n’était cependant significative que chez les hommes, était plus forte chez les personnes porteuses d’au moins un alléle ε4 du gène de l’ApoE et n’était présente que chez les personnes âgées de 70-75 ans au moment de l’évaluation cognitive.

Il s’agit de la première étude évaluant les liens entre les caractéristiques du sommeil durant le milieu de la vie et le fonctionnement cognitif subséquent. Les résultats de cette étude devront dès lors être confirmés par des recherches ultérieures. Si les résultats étaients reproduits , ils pourraient conduire à de nouvelles mesures de prévention. Il faut enfin relever que les auteurs reconnaissent ne pas pouvoir proposer de mécanisme biologiquement plausible, par lequel la longueur du sommeil, la qualité du sommeil et l’utilisation d’hypnotiques durant le milieu de la vie pourraient causer un déclin des performances cognitives 20 ans plus tard.

Hygiène et distribution mondiale de la « maladie d’Alzheimer »

L’ « hypothèse d’hygiène » suggère que certains aspects de la vie moderne (p. ex., les antibiotiques, les mesures d’assainissement, l’eau potable, le revêtement des rues, etc.) soient associés à des niveaux moindres d’exposition aux micro-organismes, qui auraient été présents durant la plus grande partie de l’histoire humaine. De plus, la faible exposition aux microbes conduirait à un faible renouvellement des lymphocytes, ce qui provoquerait une dysrégulation immunitaire. La « maladie d’Alzheimer » a, entre autres interprétations, été décrite comme un état traduisant une inflammation systémique. Dans ce contexte, Fox et al. (2013) considèrent que la dysrégulation immunitaire, due à une faible stimulation immunitaire, pourrait contribuer au risque de développer une « maladie d’Alzheimer », via les cellules T du système immunitaire. De même, en accord avec l’hypothèse d’hygiène », l’incidence de la « maladie d’Alzheimer » serait positivement corrélée à l’hygiène.

Ces auteurs ont ainsi examiné si des différences dans la diversité microbienne pouvaient expliquer des différences dans les taux de « maladie d’Alzheimer » entre pays. Ils ont utilisé des modèles de régression afin de tester si la prévalence des agents pathogènes (un indicateur de diversité microbienne, établi à partir de diverses mesures : prévalence historique de diverses maladies, infestation actuelle par des parasites, accès à des installations sanitaires, accès à des sources d’eau potable, taux de mortalité infantile, revenu national brut, urbanisation ) dans 192 pays pouvait expliquer une part significative de la variance dans les taux de « maladie d’Alzheimer », ajustés par année de survie (taux identifiés à partir du « WHO’s Global Burden of Disease »).

Les résultats montrent que, en effet, l’hygiène est positivement associée au risque de « maladie d’Alzheimer ». Les pays ayant le degré le plus élevé d’assainissement et le degré le plus bas d’éléments pathogènes (établi sur base de la prévalence historique de certaines maladies et de l’infestation actuelle par des parasites) ont des taux plus élevés de « maladie d’Alzheimer », ajustés par année de survie. De plus, les pays ayant le degré le plus élevé d’urbanisation et de richesse montrent également des taux plus élevés de « maladie d’Alzheimer », ajustés par année de survie.

Ainsi, en dépit des limites inhérentes au recueil de vastes données épidémiologiques et bien que ces données soient essentiellement corrélationnelles et ne soient donc pas à même de démontrer une relation de causalité, elles ouvrent des perspectives intéressantes d’exploration, en suggérant qu’une certaine stimulation immunitaire pourrait constituer une protection contre le risque de « maladie d*Alzheimer ».

La « démence » de la personne jeune : implication de différents facteurs

Les recherches ayant mis en évidence la diversité des facteurs et mécanismes en jeu dans la « démence » ont essentiellement porté sur les personnes les plus âgées. Dans une brève et déjà ancienne chronique (« Les troubles cognitifs chez les personnes jeunes »), nous indiquions que, très vraisemblablement, quand les études s'accumuleront, on constatera que de très nombreux facteurs sont aussi impliqués dans le vieillissement cérébral/cognitif problématique des personnes plus jeunes (âgées de moins de 65 ans).

Une étude récente. menée par Norström et al. (2013) en Suède, confirme pleinement le caractère plurifactoriel de la « démence à début précoce » ou « démence du sujet jeune » (suivant la terminologie actuelle : « early-onset dementia », « young-onset dementia »), à savoir une « démence » apparaissant avant l’âge de 65 ans. Les auteurs ont suivi, pendant une période moyenne de 37 ans, une cohorte de 488’484 hommes qui avaient été évalués alors qu’ils effectuaient, en Suède, leur service militaire obligatoire (et étaient âgés alors d’environ 18 ans). Durant la période de suivi, 487 hommes ont reçu un diagnostic de « démence à début précoce », et ce, à un âge médian de 54 ans. Ce diagnostic a été établi par un centre spécialisé (après une moyenne de 3 évaluations). Une validation ultérieure des diagnostics a pu être effectuée auprès de 75 hommes sur 79, à partir des dossiers médicaux (incluant des examens radiographiques et neuropsychologiques, ainsi que des tests de laboratoire -y compris l’examen du liquide céphalorachidien- chez 51 personnes).

 Les résultats montrent que trois facteurs de risque, évalués durant la fin de l’adolescence (lors du service militaire), prédisent significativement la survenue d’une « démence à début précoce » (tous types confondus) : un bas niveau de fonctionnement cognitif, une petite taille et une pression artérielle systolique élevée. Six autres prédicteurs significatifs (facteurs de risque évalués durant la période de suivi) ont été identifiés : une démence paternelle, une intoxication aiguë à l’alcool, une intoxication aiguë à une drogue autre que l’alcool, un accident vasculaire cérébral, l’utilisation d’antipsychotiques et une dépression. Les 9 facteurs de risque expliquent 68% du risque attribuable de « démence à début précoce » dans la population. De plus, ces facteurs agissent de façon indépendante et les  hommes qui ont au moins 2 des facteurs de risque et qui sont dans le tiers inférieur au plan du fonctionnement cognitif ont un risque 20 fois plus élevé de développer une « démence à début précoce ».

Un nombre moindre de facteurs de risque a été identifié pour les hommes ayant reçu un diagnostic spécifique de « maladie d’Alzheimer » et de « démence frontotemporale ». Il faut cependant noter qu’un grand nombre de personnes ont reçu un diagnostic de « démence à début précoce » de type non spécifié. Par ailleurs, le risque attribuable de « démence à début précoce » associé à la démence du père n’est que de 4 %, ce qui indique que les facteurs héréditaires ont une influence limitée sur la survenue de ce type de « démence ». Relevons en outre que la « démence à début précoce de type Alzheimer » et « la démence à début précoce de type frontotemporal » ne sont pas davantage associées à la démence parentale que les autres types de « démence » (démence vasculaire, alcoolique et non spécifiée).

En résumé, cette étude montre que la « démence à début précoce »  est associée à différents facteurs de risque, dont la majorité est potentiellement modifiable. Les auteurs reconnaissent que ces données ne peuvent être généralisées aux femmes, dont le profil de facteurs de risque est vraisemblablement différent. De plus, d’autres facteurs de risque pouvant être associés au risque de développer une « démence à début précoce » n’ont pas été contrôlés, comme, par exemple, l’activité physique ou un traumatisme crânien. Enfin, du fait de son caractère observationnel, cette étude ne permet pas de distinguer si certains facteurs, comme la dépression, représentent de réels facteurs de risque ou des symptômes précoces de « démence ».

Un autre travail récent confirme, par ailleurs, qu’une fragilité développementale peut contribuer à la présence, chez des personnes âgées, de déficits précoces, disproportionnés et progressifs, dans certains domaines cognitifs, comme l’avaient déjà suggéré des études antérieures (Geschwind et al., 2001 ; Rogalski, Johnson, Weintraub, & Mesulam, 2008).

Ainsi, Miller et al. (2013) ont montré que des difficultés développementales d’apprentissage du langage conduisent, chez les personnes âgées, à une prévalence plus élevée, plus précoce et plus isolée, de déficits langagiers progressifs de type phonologique, associés à une atrophie temporo-pariétale postérieure (la variante logopénique de l’aphasie progressive primaire ; une « pathologie focale de type Alzheimer d’installation précoce »). Par ailleurs, une latéralité manuelle gauche s’avère plus fréquente seulement chez les personnes âgées qui présentent une aphasie progressive primaire de type sémantique. Enfin, la variante non fluente de l’aphasie progressive primaire ne montre pas de prévalence plus élevée de troubles d’apprentissage du langage, ni de gaucherie.

Ainsi, il apparaît que des facteurs développementaux peuvent avoir une influence déterminante sur la survenue, plus ou moins précoce et spécifique, de difficultés cognitives progressives chez les personnes âgées.      

L’importance de la prévention, mais … pas de panique !

L’ensemble de ces recherches confirme la nécessité de prendre clairement le tournant de la prévention, dans le but de différer ou réduire les expressions problématiques du vieillissement cérébral et cognitif.

Ce point de vue a récemment été défendu, de façon nette, par Barnett, Hachinski et Blackwell (2013) dans un article éloquemment intitulé « Cognitive health begins at conception : addressing dementia as a lifelong and preventable condition ». Plus spécifiquement, les auteurs rappellent que la moitié du risque de « maladie d’Alzheimer » est expliquée par 7 facteurs de risque : diabète, hypertension, obésité, tabagisme, dépression, activité cognitive /niveau d’éducation et activité physique. Par ailleurs, les données sont particulièrement convaincantes pour un groupe de facteurs métaboliques (hypertension, diabète, lipides sériques et obésité) présents durant le milieu de la vie (quarantaine/cinquantaine). Ils mentionnent également que le risque de « démence » commence vraisemblablement aussi dès la naissance, voire même avant (dans le ventre de la mère), via des facteurs agissant sur le développement cérébral et cognitif, tels que l’environnement néonatal (le régime alimentaire, l’exposition à de toxines, le tabagisme maternel), la précarité sociale, etc.

Dans la même perspective, plusieurs recherches récentes ont rapporté l’existence d’une diminution des taux de prévalence et d’incidence de « démence » pour les personnes qui sont nées plus tard dans la première partie du 20ème siècle, en comparaison à des personnes qui sont nées plus tôt (voir Larson, Yaffe, & Langa, 2013 ; voir également notre chronique « Une diminution de la prévalence et une compression de la période de comorbidité cognitive de 1993/1995 à 2002/ 2004 aux Etats-Unis »). Cette diminution a été interprétée comme traduisant une augmentation des niveaux de scolarité et une meilleure prévention des maladies vasculaires. Larson et al. insistent sur la nécessité de mener des études visant à mieux connaître les facteurs (notamment, en lien avec le style de vie) qui affectent les taux de « démence ».   

Cependant, comme l’indique Al Power (un gériatre des Etats-Unis qui défend une autre approche de la « démence »), il ne faut pas tomber dans la paranoïa et se mettre à disséquer de façon obsessionnelle notre existence pour identifier les multiples facteurs (en lien avec nos expériences de vie antérieure, notre réseau social, notre style de vie, ce que nous mangeons, ce que nous buvons, etc.) qui ont été associés au développement d’un vieillissement cérébral/cognitif problématique (voir la chronique de Al Power :  http://changingaging.org/blog/the-hitchhikers-guide-to-dementia/). En effet, l’obsession du « vieillissement réussi » (« successful aging ») conduit à présenter les personnes âgées comme des personnes moins « performantes » et à dévaluer leur existence antérieure  (voir notre chronique « Le vieillissement cérébral et cognitif problématique : S’affranchir de la neuro-culture »). Dans cette perspective, devrait-on également considérer que les personnes ayant manifesté des incapacités développementales ou congénitales sont vouées, dès le début de leur vie, à un « vieillissement échoué » ?

Gardons à l’esprit que nous sommes mortels et qu’un grand nombre d’entre nous rencontrerons, durant le grand âge, des difficultés physiques, cognitives et fonctionnelles. Cela ne fera pas de nous des personnes de moindre valeur. Il semble possible de réduire ou de différer les manifestations les plus problématiques du vieillissement cérébral et cognitif en réduisant les facteurs de risque vasculaire, en mangeant plus sainement, en faisant de l’exercice physique, en s’engageant dans des activités stimulantes et en ayant des buts dans la vie. Mais devenir obsédé par chaque chose que l’on fait ou a fait, mange ou boit, ne réduira pas plus le risque d’avoir des problèmes cognitifs que de maintenir une « saine modération ».

Nous profitons de cette dernière chronique de l’année 2013 pour vous souhaiter de très bonnes fêtes de fin d’année et pour vous remercier de vos encouragements et de votre engagement en faveur d’une autre approche du vieillissement, en espérant que 2014 voie s’agrandir le mouvement de résistance à la médicalisation et à la neurobiologisation du vieillissement, et plus largement, du fonctionnement psychologique !

 

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Barnes, D.E., & Yaffe, K. (2011). The projected effect of risk factor reduction on Alzheimer’s disease prevalence. Lancet Neurology, 10, 819-828.

Barnett, J. H., Hachinski, V., & Blackwell, A. D. (2013). Cognitive health begins at conception: addressing dementia as a lifelong and preventable condition. BMC Medicine, 11:246.

Fox, M., Berzuini, C., & Knapp, L. A. (2013). Maternal breastfeeding history and Alzheimer’s disease risk. Journal of Alzheimer’s Disease, 37, 809-821.

Fox, M., Knapp, L. A., Andrews, P: W., & Fincher, C. L. (2013). Hygiene and the world distribution of Alzheimer‘s disease. Epidemiological evidence for a relationship between microbial environment and age-adjusted disease burden. Evolution, Medicine, and Public Health, 173-186.

Geschwind, D. H., Robidoux, J., Alarcon, M., Miller, B. L., Wilhelmsen, K. C., Cummings, J. L., & Nasreddine, Z. S. (2001). Dementia and neurodevelopmental predisposition: Cognitive dysfunction in presymptomatic subjects precedes dementia by decades in frontotemporal dementia. Annals of Neurology, 50, 741-746.

Heys, M., Jiang, C., Cheng, K. K., Zhang, W., Yeung, S. L. A., Lam, T. H., …Schooling, C. M. (2011). Life long endogeneous estrogen exposure and later adulthood cognitive function in a population of naturally postmenopausal women fron Southern China: The Guangzhou Biobank Cohort Study. Psychoneuroendocrinology, 36, 864-873. 

Johansson, L., Guo, X., Hällström, T., Norton, M. C., Waerm, M., Östling, S., …Skoog, I. (2013). Common psychosocial stressors in middle-aged women related to longstanding distress and increased risk of Alzheimer’s disease: a 38-year longitudinal population study. BMJ Open, 2013;3e003142.

Kaup, A. R., Simonsick, E. M., Harris, T. B., Satterfield, S., Metti, A. L., Ayonayon, H. N., …Yaffe, K. (2013). Older adults with limited literacy are at increased risk for likely dementia. Journal of Gerontology: Medical Sciences, sous presse.

Koyama, A., Steinman, M., Ensrud, K., Hillier, T. A., & Yaffe, K. (2013). Long-term cognitive and functional effects of potentially inappropriate medications in older women. Journal of Gerontology: Medical Sciences, sous presse. 

Larson, E. B., Yaffe, K., & Langa, K. M. (2013). New insights into the dementia epidemic. The New England Journal of Medicine, 369, 2275-2277.

Loerbroks, A., Debling, D., Amelang, M. & Sturmer.T. (2010). Nocturnal sleep duration and cognitive impairment in a population-based study of older adults. International Journal of Geriatric Psychiatry, 25, 100-109.   

Miller. Z., A., Mandelli, M., L., Rankin, K. P., Henry, M. L., Babiak, M. C., Frazier, D. T., …Gorno-Tempini, L. (2013). Handedness and language learning disability differentially distribute in progressive aphasia variants. Brain, 136, 3461-3473.

Nordström, P., Nordström, A., Eriksson, M., Wahlund, L.-O., & Gustafson, Y. (2013). Risk factors in late adolescence for young-onset dementia in men. A nation cohort study. JAMA Internal Medicine, 173, 1612-1618.

Rogalski, E., Johnson, N., Weintraub, S., & Mesulam, M. (2008). Increased frequency of learning disability in patients with primary progressive aphasia and their first-degree relatives. Archives of Neurology, 65, 644-648.

Virta, J. J., Heikkilä, K., Perola, M., Koskenvuo, M., Räihä, I., Rinne, J. O., & Kaprio, J. (20013). Midlife sleep characteristics associated with late life cognitive function. Sleep, 36, 1533-1541.

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30 décembre 2012 7 30 /12 /décembre /2012 18:42

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L’année 2012 fut, par rapport à notre implication dans la défense d’une autre approche du vieillissement, particulièrement riche en contacts et en activités. En effet, nous avons régulièrement été invités à présenter notre critique de l’approche biomédicale réductrice du vieillissement cérébral et cognitif, ainsi que les fondements d’une approche plus humaniste, via des conférences et journées de formation proposées en divers lieux de Suisse, de Belgique, de France et d’Italie. Dans ce cadre, des liens très étroits ont été noués avec plusieurs personnes et associations partageant les mêmes préoccupations et objectifs.

Nous avons également été conviés à présenter notre conception du vieillissement dans différentes émissions de télévision et avons contribué à un ouvrage collectif dont le propos était de « faire un pas de côté par rapport au modèle médical dominant en matière de démences » (Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2012). Par ailleurs, notre blog « mythe-Alzheimer » a été consulté, en moyenne mensuelle pour l’année 2012, par plus de 3’000 visiteurs uniques, en provenance de Suisse, de Belgique, de France, du Canada, de Tunisie, d’Algérie, etc.

Enfin, l’Association VIVA (Valoriser et Intégrer pour Vieillir Autrement), que nous avons créée dans la ville de Lancy où nous habitons, a pris sa vitesse de croisière et les nombreuses activités (intergénérationnelles, culturelles, de prévention, de communication) que nous avons proposées ont fait l’objet d’un intérêt grandissant de la part des personnes âgées, mais aussi, plus largement, de la population lancéenne, ainsi que de responsables politiques et associatifs, en Suisse et ailleurs. Récemment, la commune de Lancy a mis à notre disposition de nouveaux locaux qui nous permettront d’étendre encore davantage l’éventail de nos activités, en y intégrant notamment un axe d’interventions psychosociales.

Nous tenons à remercier chaleureusement toutes les personnes qui nous ont soutenus, encouragés et accompagnés dans nos actions et nous espérons pouvoir compter sur leur appui et leur implication dans le futur. A toutes et à tous, nous souhaitons une très bonne année 2013, en espérant notamment que cette nouvelle année voie apparaître des changements significatifs dans la façon de concevoir le vieillissement cérébral et cognitif.

Durant cette année 2013, nous consacrerons l’essentiel de nos efforts à tenter de fédérer celles et ceux, de plus en plus nombreux, qui luttent pour une autre façon d’aborder les « défis liés à l’âge », pour une modification de l’image sociale du vieillissement, pour des pratiques différentes d’évaluation et d’intervention et pour un changement de culture dans les structures d’hébergement à long terme des personnes âgées. Seule une mise en commun de nos forces et de nos initiatives permettra de nous opposer efficacement à l’« Empire Alzheimer » (dans ses multiples composantes et intérêts) et à l’approche biomédicale réductrice qu’il défend, en dépit des données scientifiques de plus en plus nombreuses qui la contredisent.

 

Le modèle biomédical réducteur du vieillissement cérébral et cognitif est de plus en plus battu en brèche

Comme nous l’avons régulièrement montré dans nos chroniques, l’année 2012 a vu se poursuivre les prises de position critiques face au modèle biomédical dominant du vieillissement et se développer les recherches attestant de la complexité des facteurs qui modulent le fonctionnement cognitif des personnes âgées (voir, p. ex., notre chronique « Quand la complexité du vieillissement cérébral/cognitif problématique s’avère de plus en plus manifeste ! »). Dans la présente chronique, nous décrirons quelques publications récentes qui ajoutent des éléments permettant de nourrir la mise en question de la vision biomédicale réductrice du vieillissement cérébral/cognitif problématique.

Dans la ligne de leurs écrits antérieurs (voir notre chronique « Un prix pour un article mettant en question le rôle de la protéine bêta-amyloïde dans la soi-disant maladie d’Alzheimer »), Castellani et Perry (2012) contestent l’approche moléculaire dominante de la « maladie d’Alzheimer ». Pour rappel, selon cette approche, certains mécanismes moléculaires spécifiques (tels que la cascade amyloïde ou la phosphorylation de la protéine tau) constitueraient les facteurs causaux de la « maladie d’Alzheimer », les plaques séniles et les dégénérescences neurofibrillaires qui en découlent étant considérées comme des éléments toxiques pour le cerveau. Castellani et Perry indiquent en quoi la communauté scientifique s’est laissée séduire par ces modifications neuropathologiques et n’a pas pu résister à la tentation de croire que ces modifications représentaient la cause de la « maladie d’Alzheimer ». Ce faisant, les chercheurs auraient confondu cause et effet. Considérant l’absence totale de progrès dans la mise en place de traitements curatifs de cette « maladie » (« the flat line of progress ») ainsi que l’absence de données convaincantes concernant le caractère causal et la spécificité de ces modifications neuropathologiques, Castellani et Perry suggèrent aux chercheurs et cliniciens de prendre davantage au sérieux l’hypothèse selon laquelle ces modifications constitueraient plutôt un mécanisme adaptatif ou une réponse protectrice du cerveau face à certaines atteintes dont il fait l’objet. Dans ce contexte, tenter d’intervenir sur ces modifications neuropathologiques (p. ex., en tentant de les faire disparaître) ferait courir le risque d’accélérer le processus neurodégénératif.

Dans un article intitulé « The Alzheimer myth and biomarker research in dementia » (qui reprend ainsi une partie du titre du livre de Whitehouse et George, « The myth of Alzheimer’s »), des chercheurs et cliniciens néerlandais (Richard et al., 2012) considèrent que la focalisation exclusive sur les pathologies « bêta-amyloïde et tau » en tant que facteurs causaux de la « maladie d’Alzheimer » a conduit à ignorer la complexité et l’hétérogénéité de la « démence » chez la personne âgée et a limité le développement de nouvelles stratégies d’intervention et de prévention. Plus spécifiquement, ils indiquent en quoi la majorité des personnes âgées ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » présentent en fait différents types d’atteintes cérébrales (troubles cérébrovasculaires, alpha-synucléinopathies, sclérose hippocampique, etc.), en plus des plaques séniles et des dégénérescences neurofibrillaires. En particulier, ils mettent l’accent sur la fréquence très importante des atteintes cérébrovasculaires. Dans ce contexte, réduire le risque de survenue d’événements cérébrovasculaires (p. ex., via un traitement rigoureux de l’hypertension) pourrait contribuer à différer l’installation d’une « démence » et ralentir la progression du déclin cognitif. Les auteurs regrettent que peu d’études aient exploré l’efficacité de ce type de stratégies de prévention, sachant qu’elles sont généralement bien tolérées et relativement faciles à mettre en place en population générale. Ils ajoutent en quoi il est essentiel de prendre en compte le timing des interventions ciblant les facteurs de risque vasculaires. En effet, l’association entre la « démence » et l’hypertension, l’obésité et l’hypercholestérolémie semble dépendre de l’âge : le risque de « démence » serait plus élevé en présence de ces facteurs de risque vasculaires durant la cinquantaine, mais s’atténuerait et pourrait même s’inverser en fin de vie. Par contre, l’association entre le diabète et la « démence » semble davantage consistante, y compris durant la dernière période de vie.

Confirmant la pluralité des facteurs impliqués dans la « maladie d’Alzheimer », Yarchoan et al. (2013) ont constaté que plus de 77% de personnes ayant reçu ce diagnostic présentent des signes apparents d’athérosclérose affectant le polygone de Willis (un anneau d’artères à la base du cerveau). Cette athérosclérose est plus fréquente et plus importante chez les personnes avec une « maladie d’Alzheimer » que chez des personnes avec un « vieillissement normal » (47%) et que chez celles avec d’autres types de « maladies neurodégénératives » (43-67%). Par ailleurs, les mesures d’athérosclérose (ajustées selon l’âge et le genre) sont significativement corrélées à la densité des plaques séniles et des dégénérescences neurofibrillaires, ainsi qu’à la gravité de l’angiopathie amyloïde cérébrale (ces corrélations ayant été observées dans le sous-groupe de personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer », mais aussi dans l’échantillon total des personnes examinées). Ces données confirment donc que les atteintes neuropathologiques considérées comme spécifiques de la « maladie d’Alzheimer » et les problèmes vasculaires sont inter-reliés. Elles suggèrent également qu’il existerait un mécanisme physiopathologique commun, dont il faudrait tenter de comprendre l’action coordonnée (en se rappelant néanmoins que les plaques séniles et les dégénérescences neurofibrillaires pourraient représenter une réponse protectrice plutôt qu’un facteur causal ; voir Castellani & Perry, 2012). Enfin, dans une perspective d’intervention, les auteurs indiquent en quoi des interventions visant à différer la progression de la pathologie cérébrovasculaire pourraient jouer un rôle clé dans la prévention des troubles cognitifs associé à la « maladie d’Alzheimer » (différer leur développement et ralentir leur progression).

Des chercheurs de la même équipe que celle ayant mené l’étude précédente ont rédigé un article théorique plaidant pour un changement de paradigme dans l’exploration de la contribution des problèmes vasculaires à la survenue d’une « démence » (Kling et al., 2012). Ils proposent d’abandonner une approche taxonomique qui distingue différents types de « démences » (p. ex., « maladie d’Alzheimer », «  démence vasculaire », etc.) et d’adopter une approche intégrative visant à tenter de comprendre les mécanismes pathophysiologiques spécifiques (et leurs interactions), aux niveaux cellulaire et moléculaire, par lesquels les divers facteurs de risque vasculaires, endocriniens et métaboliques (dyslipidémie, hypertension, dysfonctionnement plaquettaire/hémostatique/endothélial, résistance à l’insuline, inflammation, stress) contribuent aux phénotypes de la « démence » et à leurs manifestations neuropathologiques. Ils en appellent également à une stratégie globale, visant à répondre au besoin urgent qu’il y a de limiter l’impact des troubles cérébrovasculaires sur le fonctionnement cognitif des populations à risque et ce :

1. en traduisant les connaissances existantes concernant la prévention des troubles vasculaires en interventions pouvant réduire le risque de « démence » ou en différer le développement ;

2. en exploitant mieux les informations tirées des études longitudinales en cours afin d’identifier les prédicteurs clés du déclin cognitif lié aux troubles cérébrovasculaires ;

3. en établissant des recommandations pour de nouvelles initiatives de recherche collaboratives, à court et à plus long terme : au vu des interactions importantes entre les systèmes impliqués dans les dysfonctionnements vasculaires et métaboliques, il s’agirait d’adopter une perspective systémique, conduisant au développement de modèles dynamiques et interactifs des processus impliqués dans la progression du déclin cognitif chez la personne âgée.

A titre d’exemple du caractère hautement interactif des mécanismes en jeu, les auteurs rapportent les données ayant montré que l’hypertension et le diabète de type 2 constituent des facteurs de risque de déclin cognitif (de « démence ») en lien avec des troubles vasculaires. Cependant, ils indiquent en quoi l’hypertension est également associée à la résistance à l’insuline, qui à son tour est un facteur de risque de diabète de type 2, ainsi que d’autres formes de troubles vasculaires qui peuvent indépendamment prédisposer à un déclin cognitif. Par ailleurs, l’obésité est un facteur de risque à la fois de la résistance à l’insuline, et donc du diabète de type 2, et de l’hypertension.

Conclusions

Il apparaît de plus en plus évident que la « maladie d’Alzheimer » ne constitue pas une entité homogène (une « maladie essentielle) causée par des facteurs pathogènes (moléculaires) spécifiques, mais qu’elle représente un état hétérogène, déterminé par des facteurs multiples et en interaction (intervenant tout au long de la vie).

Par ailleurs, comme l’indiquent Brayne et Davis (2012), la conception selon laquelle les processus physiopathologiques de la « maladie d’Alzheimer » seraient clairement distincts de ceux impliqués dans le vieillissement semble de plus en plus contestable. Cette conception découlerait de la tendance à réifier les entités diagnostiques (c’est-à-dire, à les considérer comme des entités concrètes, stables), de postulats réducteurs concernant les facteurs étiologiques et du fait que peu d’études longitudinales ont été menées sur des échantillons représentatifs de la population réelle (la plupart des études ayant été menées sur des volontaires, sur des personnes recrutées dans des cliniques de mémoire et sur des personnes âgées de moins de 85 ans, ce qui limite considérablement la généralisation des résultats obtenus). Ainsi, Brayne et Davis plaident pour la mise en place de recherches sur la « démence » davantage ancrée dans la population réelle.

Enfin, il apparaît maintenant essentiel de mettre en place des programmes de prévention, à l’échelle d’une population, dans le but de réduire et/ou de différer les expressions problématiques du vieillissement cérébral/cognitif.

De ce point de vue, dans un essai mené en Allemagne, sur une durée de 8 ans et dans un environnement de soins primaires, Bickel et al. (2013) ont récemment montré qu’un programme visant à l’identification de facteurs de risque vasculaires et à leur traitement par le médecin généraliste (recommandations thérapeutiques pour l’hypertension, la dyslipidémie, le diabète, la fibrillation atriale et la dépression ; changements dans le style vie : tabagisme, consommation d’alcool, activité physique, obésité, nutrition) permettait de réduire significativement, chez des personnes âgées de 55 ans et plus, la dépendance à des soins de longue durée dans les domaines de l’hygiène personnelle, de l’alimentation, de la mobilité et des travaux domestiques. Plus spécifiquement, durant la période d’évaluation de 5 ans, il y a eu 9.8% moins de cas de dépendance aux soins chez les personnes ayant été soumises au programme de prévention (n=3’908) que chez les personnes ayant reçu les soins médicaux habituels (n = 13’301). Cette étude n’a pas spécifiquement exploré les effets du programme de prévention sur le fonctionnement cognitif, mais quelques recherches sont actuellement en cours (en France, aux Pays-Bas et en Finlande), visant à évaluer l’efficacité d’une prévention combinant des changements dans le style de vie et le traitement des facteurs de risque vasculaires classiques sur le développement de troubles cognitifs chez les personnes âgées.

Il s’agirait aussi de réfléchir à la mise en place, au sein de la communauté de vie des personnes, d’autres axes de prévention, focalisés, par exemple, sur le sentiment subjectif de solitude (dont Holwerda et al., 2013, ont récemment montré qu’il était associé à un risque accru de « démence », indépendamment des facteurs de risque vasculaires, de la dépression et de la situation sociale objective), sur la présence de buts dans la vie, sur l’engagement dans des activités mentalement stimulantes, sur les relations intergénérationnelles, etc.

Il importe également de prendre en compte les facteurs psychologiques, sociaux et culturels susceptibles de faciliter ou d’entraver la réalisation des activités de prévention. Dans notre chronique « Repérer et traiter le diabète de type 2 pour différer la démence : L’importance d’une approche globale », nous avons montré qu’une action de prévention visant à diminuer la prévalence du syndrome métabolique et du diabète de type 2 (mais c’est également vrai pour d‘autres états chroniques) et ainsi à avoir un impact sur l’apparition d’un vieillissement cérébral/cognitif problématique, nécessitait « de développer des programmes de prévention transversaux incluant activement tous les secteurs de la société : social, économique, industrie agro-alimentaire, transports, éducation, aménagement du territoire, culture, santé, etc.» (Ruiz & Egli, 2010). Il s’agit aussi de ne pas perdre de vue les repères culturels et identitaires des différentes communautés. Cela implique la mise en place d’équipes pluridisciplinaires incluant non seulement des médecins, mais aussi des psychologues, des sociologues, des médiateurs culturels et des assistants sociaux. Ce type d’intervention de prévention devrait également, selon Ruiz et Egli, se fonder sur des pratiques de recherche mixtes, qualitatives et quantitatives, plus adaptées à l’exploration de problèmes complexes.

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Bickel, H., Ander, K.-H., Brönner, M., Etgen, Th., Gnahn, H., Gotzler, O., …Förstl, H.(2013). Reduction of long-term care dependence after an 8-year primary care prevention program for stroke and dementia: The INVADE trial. Journal of the American Heart Association, sous presse.

Brayne, C., & Davis, D. (2012). Making Alzheimer’s and dementia research fit for populations. Lancet, 380, 1441-1443.

Castellani, R.J., & Perry, G. (2012). Pathogenesis and disease-modifying therapy in Alzheimer’s disease: The flat line of progress. Archives of Medical Research, 43, 694-698.

Holwerda, T.J., Deeg, D.J.H., Beekman, A.T.F., van Tilburg, T.G., Stek, M.L., Jonker, C., & Schoevers, R.A. (2013). Feelings of loneliness, but not social isolation, predict dementia onset: results from the Amsterdam Study of the Elderly (AMSTEL). Journal of Neurology, Neurosurgery & Psychiatry, sous presse.

King, M.A., Trojanowski, J.Q., Wolk, D.A., Lee, V.M.Y., & Arnold, S.E. (2012). Vascular disease and dementias: Paradigm shifts to drive research in new directions. Alzheimer’s & Dementia, sous presse.

Richard, E., Schmand, B., Eikelenboom, P., Westendorp., R.G., & Van Gool, W.A. (2012). The Alzheimer myth and biomarker research in dementia. Journal of Alzheimer’s Disease, 31, S203-S209.

Ruiz, J., & Egli, M. (2010). Syndrome métabolique, diabète sucré et vulnérabilité: une approche «syndémique»de la maladie chronique. Revue Médicale Suisse, 271, 2205-2208.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2012). Penser autrement la maladie d’Alzheimer. In G. Arfeux-Vaucher et L. Ploton (Eds.), Les démences au croisement des non-savoirs. Chemins de la complexité. Paris : Presses de l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (pp. 127-139).

Yarchoan, M., Xie, S.X., Kling, M.A., Toledo, J.B., Wolk, D.A., Lee, E.B., Van Deerlin, V., Lee, V.M.-Y., Trojanowski. J.Q., & Arnold, S.E. (2013). Cerebrovascular atherosclerosis correlates with Alzheimer pathology in neurodegenerative dementias. Brain, sous presse.

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17 octobre 2012 3 17 /10 /octobre /2012 22:35

Résumé

Les données s’accumulent pour mettre en question l’approche biomédicale et réductionniste de la « démence » et pour appuyer des approches qui réintègrent les manifestations de la « maladie d'Alzheimer » (et aussi des autres types de « démence ») dans le cadre plus large du vieillissement, dans ses multiples expressions plus ou moins problématiques, sous l’influence de nombreux facteurs (environnementaux, psychologiques, biologiques, médicaux, sociaux et culturels) intervenant tout au long de la vie.

Dans nos chroniques précédentes, nous avons régulièrement fait mention d’études ayant mis en évidence la contribution de ces différents facteurs au vieillissement cérébral/cognitif problématique (à la « démence »). Ces derniers mois, plusieurs études ont rapporté la contribution d’une série d’autres facteurs et ont précisé l’influence de facteurs précédemment identifiés. Cette chronique vise à faire écho à ces travaux.

Ainsi, certaines de ces études ont confirmé qu’un traumatisme crânien était associé à un risque accru de « démence », avec également des données suggérant un lien plus spécifique avec la « démence fronto-temporale ». D’autres données ont conforté l’idée selon laquelle un état confusionnel était associé à un risque de « démence », mais aussi à une accélération du déclin chez les personnes ayant déjà reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » et qui ont été hospitalisées. Une autre recherche, ayant adopté un suivi de longue durée, a corroboré des données antérieures indiquant que  l’utilisation de benzodiazépines était associée à un risque accru de « démence ». La contribution de la pollution de l’air au déclin cognitif a aussi été mise en évidence, alors que cette question avait été, jusqu’à présent, assez peu explorée. Des éléments supplémentaires ont également été fournis indiquant qu’une maladie rénale chronique et une diminution de la fonction pulmonaire constituaient bien des facteurs de déclin cognitif. Enfin, nous avons rapporté les résultats d’une recherche montrant que l’exposition antérieure à des neuroleptiques contribuait à la survenue d’une « maladie de Parkinson ».

 

Après plusieurs décennies d’échecs, il paraît indispensable de dépasser l’approche biomédicale dominante de la « démence », fondée sur l’exploration de cascades de petites molécules, pour envisager le vieillissement cérébral/cognitif dans une perspective multifactorielle et en termes de continuum, plutôt que sur base de catégories pathologisantes et réductrices (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2012).

Autrement dit, il s’agit de se libérer de la conception réductionniste (essentialiste) de la « maladie d'Alzheimer » (et cela vaut aussi pour d’autres «maladies neurodégénératives» ou «démences»), pour réintégrer les différentes manifestations de ces prétendues maladies spécifiques dans le cadre plus large du vieillissement cérébral, dans ses multiples expressions plus ou moins problématiques, sous l’influence de nombreux facteurs (environnementaux, psychologiques, biologiques, médicaux, sociaux et culturels) intervenant tout au long de la vie.

Dans cette perspective, Chen, Maleski et Sawmiller (2011 ; voir également Herrup, 2010, et de la Torre, 2012) ont suggéré que la racine du vieillissement cérébral/cognitif problématique (la « démence ») se trouverait dans l’accroissement de l’espérance de vie : en d’autres termes, le vieillissement naturel jouerait un rôle important dans les phénomènes neurodégénératifs, lesquels feraient ainsi partie intégrante des modifications du corps qui se produisent dans la dernière étape de la vie. Par ailleurs, le fait que toutes les personnes âgées ne présentent pas de « démence » conduirait à faire appel, non pas à un facteur pathogène spécifique, mais à divers facteurs de risque : à l’âge avancé, la fragilité des cellules cérébrales font qu’elles sont vulnérables à toutes sortes d’influences négatives, telles qu’une absence d’activité physique et cognitive, une nutrition inadéquate, un isolement social, etc.

En agissant de manière additive et durant les dernières étapes d’une longévité étendue, les facteurs de risque déclencheraient la mort cellulaire ou exagèreraient les effets négatifs des phénomènes neurodégénératifs naturels. Du fait de la variabilité des contextes de vie, l’action de ces facteurs de risque aurait un caractère essentiellement probabiliste. Les auteurs ajoutent que d’autres problèmes peuvent affecter le cerveau vieillissant et contribuer à son évolution problématique, en particulier les problèmes vasculaires et infectieux, les effets d’un traumatisme crânien ou des mutations génétiques (qui contribueraient à accélérer la progression du vieillissement cérébral). De façon plus globale, les auteurs envisagent donc la « maladie d’Alzheimer » comme une condition hétérogène, liée à l’âge avancé, sous l’influence de différents facteurs de risque (voir notre chronique « Réintégrer le vieillissement cérébral/cognitif problématique dans le cadre plus général du vieillissement »).

Dans nos chroniques précédentes, nous avons régulièrement fait mention d’études ayant mis en évidence la contribution au vieillissement cérébral/cognitif problématique (à la « démence ») de facteurs tels que le niveau d’éducation, le statut socio-économique, la personnalité antérieure, une enfance défavorisée, une histoire de problèmes psychiatriques ou psychologiques (y compris de stress), le type d’alimentation, le réseau social, la présence de facteurs de risque vasculaire (hypertension, diabète, etc.), l’activité physique, la consommation de benzodiazépines, l’engagement dans des activités « à défis », les problèmes de sommeil, des problèmes généraux de santé, les stéréotypes négatifs associés au vieillissement, etc.

Ces derniers mois, plusieurs études ont rapporté la contribution d’une série d’autres facteurs et ont confirmé ou précisé l’influence de facteurs précédemment identifiés : il nous a donc paru important, de faire écho à ces travaux dans cette chronique.

« Démence » et traumatisme crânien

Parmi les conseils que Peter Whitehouse et Daniel George (2009) fournissent pour bien vieillir tout au long de la vie (dans leur livre « Le mythe de la maladie d’Alzheimer ; voir le chapitre 9), il en est un qui porte sur la protection contre les traumatismes crâniens, lesquels sont très fréquents dans la population et augmentent le risque de vieillissement cérébral accéléré. Ils indiquent notamment en quoi il importe de porter un casque lorsque l’on pratique un sport ou que l’on roule à bicyclette et aussi d’attacher sa ceinture de sécurité.

Lehman et al. (2012) ont récemment fourni des données appuyant la contribution des traumatismes crâniens à la survenue d’un vieillissement cérébral/cognitif problématique. Dans une étude menée auprès de 3’439 joueurs professionnels de football américain (« National Football League »), les auteurs ont observé un taux trois plus élevé de décès en présence d’une « maladie neurodégénérative » (en combinant « maladie d’Alzheimer », « sclérose latérale amyotrophique » et « maladie de Parkinson ») chez les joueurs de football américain que dans la population générale des Etats-Unis. Si l’on considère les « maladies neurodégénératives » individuellement, le taux de décès avec une « maladie d’Alzheimer » et une « sclérose latérale amyotrophique » est quatre fois plus élevé chez les joueurs de football américain que dans la population générale. Ce taux est également élevé pour la « maladie de Parkinson » mais la différence n’atteint pas le seuil de signification. Enfin, un taux plus élevé de décès en présence d’une « maladie neurodégénérative » a été observé chez les joueurs occupant des postes où la vitesse de déplacement est importante (postes davantage associés à une commotion cérébrale et à un élan plus important avant d’être plaqué ou de plaquer un adversaire) par rapport aux joueurs ayant des postes impliquant moins la vitesse.

Ces données confirment les résultats d’autres études épidémiologiques montrant qu’un traumatisme crânien tôt dans la vie ou au milieu de la vie est associé à un risque accru de « démence » durant la vieillesse et que ce risque serait encore plus élevé en cas de traumatismes crâniens répétés (voir Shively, Scher, & Diaz-Arrastia, 2012). Ainsi, Wang et al. (2012) ont entrepris une étude rétrospective à partir des données de la « Longitudinal Health Insurance Database 2000 » de Taiwan. Cette recherche a porté sur 44’925 patients ayant été victimes d’un traumatisme crânien (et ayant reçu des soins ambulatoires ou hospitaliers) et 224’625 personnes n’ayant pas subi de traumatisme crânien. Les deux groupes étaient appariés selon l’âge (âge moyen de 40.8 ans), le genre et l’année d’utilisation des services de soins de santé. Chaque personne a été suivie pendant 5 ans afin d’identifier la survenue d’une « démence ». Les résultats montrent que, pendant cette période de suivi, la présence d’un traumatisme crânien est associée à un risque 1,68 fois plus élevé de présenter une « démence », après avoir contrôlé l’influence de caractéristiques sociodémographiques (âge, genre et lieu géographique de résidence) et de la présence de co-morbidités lors de la ligne de base (AVC, diabète, hyperlipidémie, hypertension, maladie cardiaque coronarienne, insuffisance cardiaque, fibrillation atriale).

Notons enfin que Kalkonde et al. (2012) ont mis en évidence, dans une étude observationnelle rétrospective menée sur une série consécutive de 845 anciens combattants des Etats-Unis, que la prévalence de traumatismes crâniens était significativement plus élevée chez les personnes ayant reçu un diagnostic de « démence fronto-temporale » que chez les personnes ayant reçu un autre diagnostic de « démence » (« maladie d’Alzheimer », « démence vasculaire », « démence à corps de Lewy », autres). En fait, le risque de présenter une « démence fronto-temporale » était 4,4 fois plus important chez les personnes ayant subi un traumatisme crânien que chez les personnes qui n’en n’ont pas été victimes. Par ailleurs, le risque de « démence fronto-temporale » était marginalement moindre chez les personnes ayant une maladie cardiaque, bien que la prévalence des facteurs de risque vasculaires (hypertension, hyperlipidémie, tabagisme, diabète) fût comparable chez les personnes ayant reçu un diagnostic de « démence fronto-temporale » et chez les personnes ayant reçu un autre diagnostic de « démence ».

Kalkonde et al. reconnaissent cependant les limites de leur étude (données obtenues via un examen du dossier, présence auto-rapportée d’un traumatisme crânien et peu d’informations détaillées sur le traumatisme crânien). Ils en appellent ainsi à des études prospectives visant à explorer l’association causale entre traumatisme crânien et « démence fronto-temporale », et ce en obtenant des informations détaillées sur l’étiologie et la gravité du traumatisme crânien, la durée de la période entre la survenue du traumatisme crânien et le diagnostic de « démence fronto-temporale », ainsi que la nature des dysfonctionnements cérébraux consécutifs au traumatisme crânien.

« Démence » et état confusionnel

 Le syndrome confusionnel (« delirium ») est un état qui s’installe habituellement de façon abrupte (en quelques heures ou quelques jours) et qui se caractérise par l’association d’un trouble de la vigilance, d’une altération globale des fonctions cognitives, d’une désorientation spatio-temporelle et de distorsions de la réalité (productions délirantes, hallucinations, vécus oniriques, avec adhésion de la personne à ses productions, ainsi qu’une peur et une anxiété intenses). Il peut en résulter des comportements inadéquats, voire dangereux, pour la personne et son entourage.

Plusieurs études ont suggéré que l’état confusionnel était associé à un risque de « démence » et aussi à une accélération du déclin chez les personnes ayant déjà reçu un diagnostic de « démence » (voir notamment notre chronique « La confusion mentale chez des personnes âgées hospitalisées pour une fracture de hanche : un prédicteur important de "démence" »). Cependant, la relation observée dans les recherches antérieures pourrait être biaisée par le fait que les études ont réalisé une évaluation incomplète du statut cognitif des personnes âgées lors de la ligne de base.

Dans ce cadre, Davis et al. (2012) ont ré-exploré la relation entre état confusionnel et risque de « démence » en utilisant un échantillon réel de la population des personnes âgées. Plus spécifiquement, la recherche a examiné 553 personnes (représentant 92% des 601 personnes âgées de 85 ans et plus, vivant à Vantaa en Finlande). Ces personnes ont été suivies lors de la ligne de base, et à 3, 5, 8 et 10 ans. Chaque examen de suivi était réalisé par deux neurologues, lesquels  évaluaient la cognition en utilisant le MMSE, le « Short Portable Mental Status Questionnaire » et la « Clinical Dementia Rating Scale » ; le diagnostic de « démence » était établi sur base des critères classiques (avec aussi l’aide des informations recueillies dans les dossiers médicaux et sociaux disponibles). L’examen mené par les neurologues (auprès des personnes âgées et des proches) visait également à identifier la survenue d’un épisode d’état confusionnel (corroboré par les dossiers médicaux disponibles), avec une focalisation sur le niveau de vigilance, le fonctionnement cognitif et la présence de symptômes psychotiques et perceptifs.

Les résultats confirment que l’état confusionnel augmente de 8 fois le risque de développer une « démence », aggrave de 3 fois la sévérité de la « démence » et est associé à une perte d’un point de plus par année au MMSE par rapport aux personnes n’ayant pas présenté d’état confusionnel.

Une autre étude récente (Gross et al., 2012), menée prospectivement sur 263 personnes ayant reçu le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » et ayant été hospitalisées, a montré que 56% de ces personnes ont développé un état confusionnel durant l’hospitalisation. Par ailleurs, l’état confusionnel a été associé à une détérioration cognitive à long terme significativement plus importante, ce résultat étant indépendant de la sévérité de la démence, des caractéristiques démographiques, du nombre de co-morbidités ainsi que du niveau et du taux de détérioration avant l’hospitalisation. Plus spécifiquement, l’état confusionnel a été relié à une augmentation de 2,2 fois du taux de détérioration cognitive dans l’année qui a suivi l’hospitalisation de référence et à une aggravation de 1,7 fois durant la période de suivi d’une durée de 5 ans.

Comme pour d’autres facteurs, il y a là aussi matière à prévention. Cependant, la nature du syndrome confusionnel est encore très mal comprise (voir Kalaria & Mukaetova-Ladinska, 2012 ; Vasilevskis & Elis, 2012) et les moyens de le prévenir sont, dès lors, eux-aussi encore assez mal identifiés. Il apparaît que, tout comme pour la « démence », une meilleure compréhension du syndrome confusionnel passera par une approche prenant en compte la multiplicité des facteurs (biologiques, psychologiques, sociaux et environnementaux) impliqués dans son développement.

« Démence » et benzodiazépines

Il existe différentes données suggérant une relation entre l’utilisation de benzodiazépines et la survenue d’une « démence » ou d’un déclin cognitif chez les personnes âgées (voir notamment notre chronique « Benzodiazépines et risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique »).

Cependant, des résultats contradictoires ont également été obtenus et les études ayant mis en évidence cette relation n’ont pas adopté un suivi suffisamment long permettant de réfuter l’interprétation (de causalité inverse) selon laquelle l’insomnie, la dépression et l’anxiété (les indications principales de prescription des benzodiazépines) seraient en fait les manifestations précoces de la « démence ».

Dans ce contexte, Billioti de Gage et al. (2012) ont suivi, pendant 15 ans (tous les 2 ou 3 ans), 1’063 personnes (âgées en moyenne de 78.2 ans) qui ne présentaient initialement pas de « démence » et qui n’avaient pas commencé à prendre des benzodiazépines jusqu’au moins la troisième année du suivi. Les analyses montrent que l’utilisation nouvelle de benzodiazépines est associée à un accroissement d’environ 50 % du risque de « démence ». Ce résultat demeure robuste après avoir contrôlé l’influence possible de l’âge, du genre, du niveau d’éducation, du statut marital, de la consommation régulière de vin, du changement dans le score au MSSE entre les suivis à T0 et T3 ainsi que de l’utilisation d’agents antidiabétiques, de médicaments antihypertenseurs, de statines et d’inhibiteurs plaquettaires ou d’anticoagulants oraux. Il en va de même quand ont été pris en compte les symptômes cliniques de la dépression.

En conclusion, cette étude, ayant adopté un suivi de longue durée, confirme que l’utilisation de benzodiazépines est associée à un risque accru de « démence ». En considérant la fréquence avec laquelle les benzodiazépines sont prescrites, il s’agirait de mettre en garde les médecins et les organismes de règlementation contre l’utilisation inconsidérée de ces substances.

Déclin cognitif et pollution de l’air

Il existe de nombreuses données suggérant le rôle particulier de l’exposition à diverses substances chimiques toxiques (comme, p. ex., les pesticides) dans l’apparition des maladies dites d'Alzheimer et de Parkinson, ainsi que de nombreuses autres maladies chroniques également susceptibles d'affecter le fonctionnement cognitif, à savoir le diabète, les maladies cardiovasculaires, les maladies métaboliques, etc. (voir notre chronique « Menaces environnementales sur la santé cérébrale » ; voir également le livre « Menaces pour nos neurones » de  Marie Grosman et Roger Lenglet, 2011, que nous avons mentionné dans nos chroniques « La Haute Autorité de Santé en France conclut à l’inefficacité des médicaments contre la maladie d’Alzheimer » et « Si nous tentions une autre approche du vieillissement ? »).

Une étude menée par Weuve et al. (2012) a récemment examiné dans quelle mesure l’exposition chronique à la pollution de l’air pouvait accélérer le déclin cognitif chez les personnes âgées (une question pour laquelle il existe assez peu de données). Pour ce faire, ils ont exploré le fonctionnement cognitif de 19’409 femmes (âgées de 70 ans et plus et sans histoire d’accident vasculaire cérébral), à trois reprises séparées d’environ 2 ans et au moyen d’évaluations téléphoniques validées impliquant : le « Telephone Interview for Cognitive Status » (dans l’entretien initial), un test de rappel différé de 10 mots, un test de rappel immédiat et différé d’un texte, un test de fluence catégorielle et un test d’empan de chiffres à l’envers. Un score composite estimant le fonctionnement cognitif global a notamment été constitué.

Par ailleurs, les auteurs ont estimé l’exposition à des particules (en suspension) de pollution atmosphérique à partir des Systèmes d’Information Géographique (SIG) dans les états contigus des Etats-Unis où vivaient les participantes. Les estimations ont porté sur les grosses particules (entre 2.5 et 10 micromètres ou μm) et les particules fines (< 2.5 μm), et ce pour une exposition récente (un mois avant le premier testing cognitif ou ligne de base) et à long terme (7 à 14 ans avant le premier testing cognitif). Ces particules polluant l’air renvoient à différentes matières incluant des produits chimiques, des métaux et des particules issues du sol. Les sources d’émission des particules fines incluent les véhicules à moteur, les équipements à moteur diesel, la combustion industrielle et domestique et d’autres processus industriels.

Les résultats montrent que des niveaux élevés d’exposition à long terme (tels que vécus par beaucoup de personnes aux Etats-Unis) sont associés à un déclin cognitif global plus rapide chez les participantes et ce tant pour les particules fines que grosses et après avoir contrôlé l’influence possible de diverses variables sociodémographiques (âge, scolarité, scolarité du mari) et en lien avec le style de vie (activité physique, consommation d’alcool, tabagisme) et la santé (indice de masse corporelle, diabète, usage d’aspirine et d’ibuprofène). Plus concrètement, les analyses montrent qu’une exposition plus élevée de 10 μg/m3 (microgrammes par mètre cube) de particules polluantes fines et grosses conduit à un déclin cognitif qui est équivalent au fait de vieillir de 2 années.

Par ailleurs, Power et al. (2011) ont montré, dans une étude entreprise auprès de 680 hommes âgés en moyenne de 71 ans, que la pollution de l’air ambiant liée au trafic (évaluée via des estimations de l’exposition au carbone noir au lieu de résidence des participants, en prenant en compte la densité du trafic, les conditions météorologiques, le jour de la semaine, etc.) était associée à un déclin du fonctionnement cognitif global (estimée via la combinaison des scores à 6 tests cognitifs). Plus spécifiquement, un doublement de carbone noir a un effet sur le fonctionnement cognitif qui est équivalent au fait de vieillir de 1,9 années. Il faut noter que le contrôle de l’influence de l’exposition au plomb atténue, mais n’élimine pas complètement, cette relation. Enfin, les analyses suggèrent que les effets de la pollution atmosphérique liée au trafic sur la cognition pourraient être plus importants chez les fumeurs et les personnes en surpoids et obèses. Par contre, la présence d’une hypertension et d’un diabète n’a pas d’influence sur ces effets. Selon les auteurs, dans la mesure où le tabagisme et l’obésité sont pro-inflammatoires, l’influence de ces états sur le lien entre la pollution de l’air et la cognition est biologiquement plausible, mais ils reconnaissent que ces données requièrent confirmation 

Les mécanismes par lesquels ces particules polluantes affectent le fonctionnement cognitif des personnes âgées ne sont pas clairement identifiés, mais pourraient être de nature inflammatoire, vasculaire ou encore en lien avec le stress oxydatif (pour ce dernier mécanisme, voir Moulton & Yang, 2012). Quoi qu’il en soit, il apparaît qu’une réduction de la pollution de l’air constitue un moyen potentiel de réduire le déclin cognitif lié à l’âge et, finalement la « démence », et qu’il y a donc là un enjeu social majeur.

« Démence » et maladie rénale chronique

Etgen et al., (2012) ont réalisé une méta-analyse visant à examiner dans quelle mesure une maladie rénale chronique constituait un facteur de risque de déclin cognitif chez les personnes âgées. Rappelons qu’une méta-analyse consiste à rassembler les données issues d'études comparables et à les ré-analyser au moyen d'outils statistiques adéquats. Elle permet de réunir un nombre important de personnes et d'événements et d'arriver à des conclusions plus solides que ne le permettaient les études individuelles.

Cette méta-analyse a porté sur 6 études transversales et 6 études longitudinales regroupant 54’779 patients (la grande majorité de ces études ayant exploré des patients âgés en moyenne de 60 ans et plus). Les résultats confirment que la présence d’une maladie rénale chronique constitue un facteur significatif et indépendant de déclin cognitif.

Une recherche très récente (Cheng et al., 2012), et donc non incluse dans la méta-analyse de Etgen et al. (2012), a comparé l’incidence de « démence » chez 37’049 patients ayant reçu un nouveau diagnostic de maladie rénale chronique et chez 74’098 personnes sans maladie rénale chronique (les personnes, issues de Taiwan, étaient âgées de 20 à 60 ans et plus; les données étaient obtenues via les déclarations d’assurance). Le diagnostic de maladie rénale chronique a été établi entre 2000 et 2006 (les patients présentant une « démence » durant cette période ayant été exclus de l’étude) et  l’incidence de « démence » a été évaluée à la fin de l’année 2009.

Les résultats suggèrent que les patients avec une maladie rénale chronique ont un risque plus élevé de présenter une « démence » et ce, après avoir contrôlé l’influence du genre, de l’âge, de nombreuses co-morbidités et de différents médicaments. Il est intéressant de noter  que l’impact d’une maladie rénale chronique sur le risque de « démence » apparaît plus important chez les personnes plus jeunes.

Comme l’indiquent Etgen et al. (2012), plusieurs facteurs peuvent contribuer à expliquer la relation entre une maladie rénale chronique et un déclin cognitif, tels que, entre autres, des facteurs vasculaires, des processus inflammatoires, le stress oxydatif, l’anémie, une médication au dosage non optimal ou encore des troubles du sommeil.

« Démence » et réduction de la fonction pulmonaire

Emery, Finkel et Pedersen (2012) ont mis en évidence un autre facteur physique impliqué dans le déclin cognitif, à savoir la fonction pulmonaire. Ces auteurs ont suivi pendant 19 ans (avec jusqu’à 7 évaluations) 832 personnes âgées de 50 à 85 ans lors de la ligne de base. N’ont été analysées que les données concernant les évaluations qui précédaient tout diagnostic de « démence ».

Les résultats montrent qu’une diminution de la fonction pulmonaire (évaluée par les mesures standards de spirométrie) conduit à une diminution du fonctionnement cognitif, tout particulièrement en ce qui concerne les facteurs « vitesse psychomotrice » et « capacités spatiales » (la cognition « fluide »).  La réduction de la fonction pulmonaire n’affecte que de manière modeste le facteur « capacités verbales » et, de façon surprenante, n’affecte pas le facteur « mémoire ». Les auteurs mentionnent cependant que cette absence d’effet sur la mémoire pourrait être liée à la faible consistance interne du facteur « mémoire ».

Enfin, et c’est un résultat important, le déclin du fonctionnement cognitif ne conduit pas à un déclin subséquent de la fonction pulmonaire, ce qui indique l’existence d’une relation unidirectionnelle allant de la fonction pulmonaire vers le déclin cognitif.

Ces données montrent en quoi le maintien d’une bonne fonction pulmonaire est important pour assurer un bon fonctionnement cognitif chez les personnes âgées.

« Maladie de Parkinson » et neuroleptiques

Collier, Kanaan et Kordower (2011 ; voir notre chronique « Réintégrer le vieillissement cérébral/cognitif problématique dans le cadre plus général du vieillissement ») ont aussi défendu l’idée selon laquelle les mécanismes de la « maladie de Parkinson » devaient être envisagés dans le contexte plus global du vieillissement. Selon ces auteurs, les différents événements cellulaires qui contribuent au vieillissement normal des neurones dopaminergiques de la substance noire sont fondamentalement les mêmes que ceux qui sous-tendent le développement et la progression de la « maladie de Parkinson ». Plus spécifiquement, ces événements cellulaires (métabolisme de la dopamine, stress oxydatif et nitrosatif, inflammation, dommage mitochondrial, dysfonctionnement du système ubiquitine-protéasome, etc.) seraient identiques, indépendamment du fait qu’ils sont induits par le vieillissement ou par des toxines environnementales, des infections prénatales, des prédispositions cellulaires, des prédispositions génétiques ou d’autres facteurs.

Ainsi, cette hypothèse suggère que les changements cellulaires existent sur un continuum dans lequel le vieillissement produit activement un état pré-parkinsonien de vulnérabilité, lequel, quand il est aggravé ou accéléré par une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux (pouvant différer selon les individus), conduit au phénotype de la « maladie de Parkinson ». De plus, les mécanismes cellulaires altérés peuvent être inter-reliés de différentes manières et selon des patterns spécifiques à chaque personne. Ce modèle incorpore aussi un caractère aléatoire à la présence de changements cellulaires qui aboutissent aux mêmes conséquences, à savoir un dysfonctionnement et finalement une dégénérescence des neurones dopaminergiques.  En corollaire, ce modèle prédit que les personnes qui survivent au-delà du fonctionnement normal de leur système dopaminergique développeront inévitablement la « maladie de Parkinson ». Cependant, il suggère également que les caractéristiques environnementales et de style de vie, ainsi que les facteurs génétiques qui contribuent à un meilleur vieillissement, diminueront l’incidence de la « maladie de Parkinson » dans la population générale. Une implication de cette conception est qu’il n’y pas de traitement unique pour la maladie de Parkinson et que les traitements les plus efficaces devraient se focaliser sur les multiples mécanismes qui contribuent au dysfonctionnement des neurones dopaminergiques, et ce en élaborant un traitement adapté à chaque personne. Par ailleurs, il s’agirait également de mettre en place des mesures de prévention concernant les différents facteurs qui peuvent contribuer à l’aggravation des problèmes parkinsoniens.

Dans cette perspective, Foubert-Samier et al. (2012) ont récemment montré en quoi l’exposition antérieure à des neuroleptiques contribuait à la survenue d’une « maladie de Parkinson ». Ainsi, dans une étude prospective d’une durée de 15 ans  et menée sur une cohorte de 2’991 personnes âgées (âge moyen lors de la ligne de base : 74.97 ans) issues de la population générale, les auteurs ont constaté que le risque de présenter une « maladie de Parkinson » probable était 3,2 fois plus important suite à l’utilisation de neuroleptiques (après contrôle du genre et de la profession antérieure). En calculant le risque attribuable dans la population, ils ont estimé que l’évitement de toute exposition aux neuroleptiques dans la population générale des personnes âgées conduirait à une réduction de 21.7% du nombre de nouveaux cas de « maladie de Parkinson ».

Ces effets des neuroleptiques ont été observés pour les neuroleptiques de première génération, disponibles au moment où la recherche a été entreprise. Par ailleurs, il faut souligner que, dans cette étude, les neuroleptiques ont essentiellement été prescrits aux personnes âgées, non pas dans leur indication antipsychotique, mais pour des problèmes gastro-intestinaux, des problèmes de sommeil, des vertiges et des problèmes d’anxiété  (des indications qui ont été découragées depuis de nombreuses année,s mais qui semblent persister fréquemment). Le risque de « maladie de Parkinson » associé aux neuroleptiques modernes, dits atypiques, reste à évaluer, mais il pourrait, selon certaines données récentes, être élevé chez les personnes âgées (Lopez-Sendon et al., 2012).

Bien que les mécanismes sous-tendant cette relation entre neuroleptiques et « maladie de Parkinson » se doivent d’être davantage explorés, les résultats obtenus par Foubert-Samier et al. plaident clairement en faveur d’une limitation du recours aux neuroleptiques chez les personnes âgées.

Conclusions

D’une manière générale, l’ensemble des ces études, même si elles comportent certaines limites, convergent pour appuyer une conception selon laquelle le vieillissement cérébral et cognitif problématique dépend de très nombreux facteurs, associés à différents mécanismes (inflammation, atteintes vasculaires diverses, stress oxydatif, etc.).

De plus, ces recherches mettent un accent supplémentaire sur la nécessité de s’affranchir de la conception peu vraisemblable de la « démence » en tant que maladie « curable » et de prendre clairement le tournant de la prévention, dans le but de différer ou réduire les expressions problématiques du vieillissement cérébral et cognitif, et ce en mettant en place des interventions préventives multiples durant la vie entière.

Cela implique de toute évidence des financements adéquats, tant pour la mise en place de ces interventions préventives que pour l’exploration de leur efficacité. Malheureusement, on ne peut que constater le désintérêt flagrant des responsables politiques pour cette question (voir notre chronique « La "maladie d’Alzheimer" et la "démence" : Il est grand temps de changer d’approche »).

 

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29 avril 2012 7 29 /04 /avril /2012 06:33

Résumé de la chronique

Plusieurs auteurs (de la Torre, 2012; Magaliasche et al., 2012; Fotuhi et al., 2012) ont récemment fait entendre leur voix pour, d'une part, appuyer une conception selon laquelle le risque de « démence » chez la personne âgée est déterminé par des facteurs de risque et des facteurs protecteurs multiples (intervenant tout au long de la vie et dont les effets dépendent largement de l'âge) et, d'autre part, pour en appeler à prendre vigoureusement le tournant de la prévention. Dans cette perspective, des études ont fourni de nouvelles données confirmant le rôle bénéfique pour le fonctionnement cognitif de l'engagement dans des activités mentalement stimulantes, ainsi que dans des activités physiques.

Wilson et al. (2012) ont exploré la relation temporelle entre les changements dans la participation à des activités cognitives stimulantes et les changements dans le fonctionnement cognitif chez 1'076 personnes âgées en moyenne de 80.4 ans et ne présentant pas de « démence ». Ces personnes ont été soumises à une moyenne de 5.9 évaluations annuelles, incluant un questionnaire sur la participation à des activités cognitives stimulantes et une batterie de tests cognitifs (évaluant la mémoire épisodique, la mémoire sémantique, la mémoire de travail et la vitesse perceptive). Les résultats montrent qu’un plus haut niveau de participation à des activités cognitivement stimulantes pour une année donnée prédit un meilleur niveau de fonctionnement cognitif global (et aussi plus spécifiquement une meilleure performance en mémoire épisodique et sémantique) pour l’année suivante. Par contre, le niveau de fonctionnement cognitif global (et la performance en mémoire épisodique et sémantique) ne prédisent pas le niveau subséquent de participation à des activités cognitivement stimulantes. Ce dernier résultat va à l'encontre de l'interprétation (de causalité inverse) selon laquelle un niveau moindre d'activités cognitivement stimulantes serait en fait la conséquence du déclin cognitif. Il faut cependant relever que l’association entre la participation à des activités cognitivevement stimulantes et la performance en mémoire de travail est bidirectionnelle, à savoir un plus haut niveau de participation à des activités cognitivement stimulantes prédit une meilleure performance ultérieure en mémoire de travail et une meilleure performance en mémoire de travail prédit un niveau plus élevé de participation à des activités cognitivement stimulantes.

Dans une étude menée auprès de 716 personnes âgées en moyenne de 81.6 ans et ne présentant pas de « démence », Buchman et al. (2012) ont mis en évidence qu’un niveau élevé d’activité physique totale quotidienne (évalué objectivement au moyen d’un actigraphe placé sur le poignet dominant) est associé à un risque plus faible de développer ultérieurement une « maladie d’Alzheimer », mais aussi à un taux moindre de déclin cognitif. Cette association subsiste après avoir contrôlé l’influence de l’engagement dans des activités physiques, sociales et cognitivement stimulantes, ce qui indique que l’activité physique totale quotidienne capte des aspects de l’activité physique qui ne sont pas évalués par les questionnaires traditionnels (lesquels évaluent l’activité physique en lien avec des exercices spécifiques). Par contre, le taux de déclin cognitif observé avant la mesure actigraphique n’est pas associé à l’activité physique totale évaluée lors de ligne de base et le fonctionnement cognitif évalué lors de la ligne de base ne prédit pas le déclin ultérieur dans l’activité physique totale quotidienne. Ces résultats appuient donc l’interprétation selon laquelle une faible activité physique totale quotidienne est délétère pour le fonctionnement cognitif plutôt que l’interprétation inverse selon laquelle c’est un fonctionnement cognitif faible qui limite l’activité physique totale.

Ferrari et al. (2012) ont quant à eux entrepris une étude visant à identifier les facteurs pouvant jouer un rôle dans la modification du risque de « démence » du fait de la présence de l’allèle E4 de l’ApoE. Ils ont suivi pendant 9 ans une cohorte de 932 personnes âgées de 75 et plus, issues de la communauté et sans « démence », et ce afin d’identifier les personnes qui allaient développer une « démence ». Lors de la ligne de base, des informations ont été obtenues concernant le niveau scolaire, les activités de loisirs, les facteurs de risque vasculaires et le génotype ApoE. Les résultats montrent qu’un niveau élevé de scolarité, l’absence de facteurs de risque vasculaires ou un score élevé d’activités de loisirs diminuent significativement le risque de « démence et de « maladie d’Alzheimer » associé à la présence de l’allèle E4 de l’ApoE. En fait, le risque relatif de « démence » et de « maladie d’Alzheimer » des porteurs de l’allèle E4 avec niveau scolaire élevé, score élevé d’activités de loisirs ou absence de facteurs de risque vasculaires est similaire à celui des personnes non porteuses de l’allèle E4. Ainsi, cette recherche montre que des facteurs environnementaux peuvent diminuer le risque génétique de « démence » et de « maladie d’Alzheimer ».

 

De nouvelles voix se sont récemment fait entendre pour défendre la nécessité d’un changement d’approche de la « maladie d’Alzheimer » et plus largement de la « démence ». Ainsi, selon Jack de la Torre (2012), on peut affirmer, sans trop s’avancer, que la recherche sur la « maladie d’Alzheimer » est en crise. Ces deux dernières décennies, la « maladie d’Alzheimer » a fait l’objet d’environ 73'000 articles scientifiques, conduisant ainsi à une moyenne phénoménale de 100 articles par jour. La  très grande majorité de ces articles sont d’un très faible intérêt scientifique, ce qui a clairement miné la crédibilité de la recherche dans ce domaine. Par ailleurs, le fait que ces innombrables recherches aient suscité aussi peu de progrès quant à la compréhension et à la prise en charge clinique de cette prétendue « maladie » indique clairement que l’on s’est trompé d’approche.

De façon plus spécifique, et dans la ligne d’autres auteurs (voir, p. ex., notre chronique « Un prix pour un article mettant en question le rôle de la protéine bêta amyloïde dans la soi-disant maladie d’Alzheimer »), de la Torre considère que les tenants de l’hypothèse amyloïde, dans leur intolérance vis-à-vis d’interprétations différentes, ont bloqué les possibilités de trouver des moyens plus efficaces d’aborder les aspects problématiques du vieillissement cérébral et cognitif.

Jack de la Torre en appelle à une approche bayésienne du vieillissement cérébral/cognitif problématique. Selon cette approche, il s’agit de déterminer la plausibilité d’une hypothèse en accumulant le plus de preuves ou de probabilités de preuves susceptibles d’être obtenues dans un avenir pas trop éloigné. Ainsi, le choix d’une interprétation théorique, parmi plusieurs en compétition, se fera en considérant la théorie qui obtient le pourcentage le plus élevé de résultats favorables actuels ou la probabilité la plus grande de résultats favorables futurs.

Adoptant ce mode de pensée, de la Torre considère qu’il est grand temps de s’affranchir de la conception peu vraisemblable de la « maladie d’Alzheimer » en tant que maladie « curable » et que le poids des données suggère plutôt de prendre le tournant de la prévention. La prévention de la « maladie d’Alzheimer » est cependant particulièrement complexe du fait que cet état est hétérogène et  déterminé par des facteurs multiples. Selon de la Torre, des données nombreuses et convaincantes indiquent que la condition multifactorielle étiquetée « maladie d’Alzheimer » est associée à divers facteurs de risque vasculaires (hypertension, hyperlipidémie, diabète de type 2, athérosclérose, déficits cardiovasculaires) qui augmentent l’hypoperfusion cérébrale (déjà normalement présente chez les personnes âgées), et ce jusqu’à atteindre un seuil critique d’apport sanguin. Ce seuil critique peut se produire plusieurs décennies avant que les troubles cognitifs n’apparaissent, mais il est souvent détecté à un âge avancé, quand la délivrance de nutriments vitaux (tels que glucose, oxygène et micronutriments) nécessaires au maintien du métabolisme énergétique cellulaire du cerveau et aux activités neuronales devient clairement déficiente. D’autres biofacteurs (tels que  des toxiques, lipides ou encore pro-oxydants) peuvent aussi intervenir dans le processus. Dans la mesure où le flux sanguin cérébral est intimement couplé aux exigences métaboliques, le développement de l’hypoperfusion cérébrale perturbe ce couplage, ce qui induit un hypométabolisme progressif jusqu’à un stade où le fonctionnement cellulaire cérébral est irrémédiablement compromis.

Dans la même perspective, Mangaliasche et al. (2012) indiquent en quoi la « démence » apparaît de toute évidence comme un état multifactoriel, causé par plusieurs mécanismes inter-reliés dans lesquels les facteurs génétiques et environnementaux jouent le rôle principal.

En d’autres termes, le risque de « démence » chez la personne âgée serait déterminé par l’exposition à de multiples facteurs (de risque et de protection), rencontrés tout au long de la vie et dont les effets dépendraient largement de l'âge. 

De façon plus spécifique, les auteurs relèvent que les recherches multidisciplinaires (d’épidémiologie, de neuropathologie et de neuroimagerie) ont clairement montré que les facteurs de risque vasculaires contribuent de façon significative à l’expression et à la progression du déclin cognitif (y compris la « démence »), mais que l’engagement actif dans des activités sociales, physiques et mentalement stimulantes peuvent différer l’apparition de la « démence ». Selon Mangaliasche et al., ces données justifient amplement la mise en place d’essais randomisés contrôlés de grande ampleur visant à confirmer les effets de stratégies de réduction de risque de « démence » focalisées sur de multiples facteurs de risque.

Par ailleurs, Fotuhi, Do et Jack (2012) ont montré en quoi de nombreux facteurs (obésité, hypertension, arrêt cardiaque, maladie cardiovasculaire, fibrillation atriale, traumatisme crânien, déficience en vitamine B12, dépression, trouble bipolaire, état de stress post-traumatique, traumatisme crânien, abus chronique d’alcool) peuvent conduire à une atrophie des régions hippocampiques durant la vieillesse, via une combinaison de mécanismes en interaction. Ils  indiquent également en quoi des traitements focalisés sur ces facteurs, ainsi que l’exercice physique, l’engagement dans des activités mentalement stimulantes ou encore la pratique de la relaxation et de la pleine conscience semblent avoir un effet protecteur sur l’hippocampe, voire même peuvent contribuer à en augmenter la taille (indiquant ainsi que cette structure a un caractère dynamique et un potentiel de plasticité). Plus généralement, les auteurs ont proposé un modèle (« dynamic polygon hypothesis ; voir Fotuhi, Hachinski, & Whitehouse, 2009) selon lequel l’atrophie cérébrale de la personne âgée et la « démence » sont la conséquence d’une constellation de facteurs de risque environnementaux et génétiques.  

Dans la ligne de cette conception multifactorielle de la « démence », qui en appelle à mettre davantage l’accent sur la prévention à différents niveaux, de nouvelles données viennent appuyer le rôle bénéfique pour le fonctionnement cognitif de l'engagement dans des activités mentalement stimulantes, ainsi que dans des activités physiques (Wilson et al., 2012 ; Buchman et al., 2012).

Le rôle de l'activité cognitive

De façon générale, les études longitudinales ont observé que la participation plus fréquente à des activités mentalement stimulantes est associée à un moindre déclin cognitif et à un risque plus faible de « démence » durant la vieillesse (voir notamment notre chronique «Activités intellectuellement stimulantes et vieillissement cérébral/cognitif problématique : l’importance de la variété dans les activités»). Ces données suggèrent donc que l'engagement dans des activités cognitivement stimulantes peut influencer le fonctionnement cognitif ultérieur. Cependant, il est également possible qu'un niveau moindre d'activités cognitivement stimulantes soit la conséquence d'un déclin cognitif (causalité inverse). Distinguer ces deux interprétations exige de comprendre la séquence temporelle avec laquelle les activités mentalement stimulantes et le fonctionnement cognitif changent avec l’âge. La plupart des études longitudinales qui ont exploré cette question se sont seulement basées sur 2 ou 3 évaluations par personne, ce qui limite fortement la possibilité d’examiner cette séquence temporelle.

Wilson et al. (2012) ont précisément réalisé une étude visant à explorer dans de bonnes conditions méthodologiques et auprès d'un grand échantillon de personnes âgées, la relation temporelle entre les changements dans des activités cognitivement stimulantes et les changements dans le fonctionnement cognitif chez les personnes âgées.

Les participants étaient issus du « Rush Memory and Aging Project » et étaient au nombre de 1’076. Lors de l’établissement de la ligne de base, ils étaient âgés en moyenne de 80.4 ans et ne présentaient pas de « démence »  (leur score moyen au MMSE était de 27.9). Ces personnes ont été soumises à une moyenne de 5.9 évaluations, à raison d’une évaluation par année.

Lors de chaque évaluation annuelle, on demandait aux personnes d’évaluer leur participation à 7 activités durant l’année écoulée, et ce sur une échelle à 5 niveaux allant du niveau 1 (une fois par an ou moins) au niveau 5 (chaque jour ou quasiment). Ont été choisies des activités impliquant un traitement ou une rétention d’information et auxquelles il était possible de participer sans entraves. Elles incluaient la lecture du journal, rédiger des lettres, se rendre dans une bibliothèque et jouer à des jeux tels que les échecs ou les dames. Sur base des items individuels, un score composite de fréquence de participation à des activités stimulantes a été établi.

Le fonctionnement cognitif a été évalué annuellement au moyen de 19 tests cognitifs évaluant la mémoire épisodique, la mémoire sémantique, la mémoire de travail, la vitesse perceptive et les capacités visuo-spatiales. Une mesure composite de cognition globale a été utilisée dans les premières analyses, car tous les tests étaient positivement corrélés, Des analyses ultérieures ont utilisé des mesures composites de mémoire épisodique (7 tests), de mémoire sémantique (3 tests), de mémoire de travail (3 tests) et de vitesse perceptives (4 tests).

Les résultats montrent que, durant la période d’observation (une moyenne de 4.9 années), la participation à des activités cognitivement stimulantes et le fonctionnement cognitif décline à des taux qui sont modérément corrélés (r = .44, p <.001). Par ailleurs, un plus haut niveau d’activités cognitivement stimulantes pour une année donnée prédit un meilleur niveau de fonctionnement cognitif global pour l’année suivante. Par contre, le niveau de fonctionnement cognitif global ne prédit pas le niveau subséquent de participation à des activités cognitivement stimulantes. Une même association unidirectionnelle a été constatée entre activités mentalement stimulantes et mémoire épisodique/sémantique. Globalement, ces résultats appuient l’interprétation selon laquelle c’est bien l’engagement dans des activités cognitivement stimulantes qui influence le fonctionnement cognitif ultérieur et vont à l’encontre de l’interprétation (de causalité inverse) qui voudrait que ce soit le déclin cognitif qui conduise à un niveau moindre d’activités mentalement stimulantes.

Cependant, l’association entre la participation à des activités cognitivement stimulantes et la performance en mémoire de travail est, quant à elle, bidirectionnelle : un plus haut niveau de participation à des activités cognitivement stimulantes prédit une meilleure performance ultérieure en mémoire de travail et une meilleure performance en mémoire de travail prédit un niveau plus élevé de participation à des activités cognitivement stimulantes. Il faut relever que l’association entre vitesse perceptive et participation ultérieure à des activités cognitivement stimulantes est statistiquement proche de la signification.

Ainsi, les résultats de cette recherche confirment que l’engagement plus fréquent dans des activités mentalement stimulantes durant la vieillesse conduit à un meilleur fonctionnement cognitif ultérieur. Par ailleurs, ils montrent aussi qu’une participation plus faible à des activités cognitivement stimulantes peut être la conséquence de certains aspects du déclin cognitif (en particulier en mémoire de travail et, tendanciellement, en vitesse perceptive, mais pas en mémoire épisodique et sémantique).

  Le rôle de l'activité physique

L’activité physique a été, de façon consistante, associée à une réduction du risque de déclin cognitif et de « démence ». Cependant, une limite de la plupart des études ayant mis en évidence cet effet bénéfique est d’avoir évalué l’activité physique au moyen de questionnaires d’auto-évaluation, lesquels peuvent susciter des biais de divers types dans le recueil des informations. De plus, ces recherches n’ont pas exploré la contribution des activités physiques de basse intensité, ne dérivant pas d’exercices physiques spécifiques.

Buchman et al. (2012) ont utilisé les données issues du « Rush Memory and Aging Project » afin de tester l’hypothèse selon laquelle l’activité physique quotidienne totale (en lien et non en lien avec des exercices physiques spécifiques) était associée au risque de déclin cognitif et de « maladie d’Alzheimer ».

Los de l’établissement de la ligne de base, l’activité physique a été mesurée de façon continue durant les 24 heures d’une journée, jusqu’à un maximum de 10 jours, au moyen d’une technique d’actigraphie (utilisant un appareil portable, placé sur le poignet dominant, qui enregistre les mouvements sur une longue période de temps), chez  716 personnes âgées en moyenne de 81.6 ans et ne présentant pas de «démence».

Les participants ont ensuite été suivis annuellement, sur une durée moyenne d’environ 3.5 ans, et soumis à un examen clinique incluant une batterie de 19 tests cognitifs (évaluant la mémoire épisodique, la mémoire sémantique, la mémoire de travail, la vitesse perceptive et les capacités visuo-spatiales et à partir desquels a été établi un score cognitif composite). Les résultats de l’examen clinique et de l’évaluation cognitive ont été utilisés afin d’identifier la survenue de « maladie d’Alzheimer », diagnostiquée selon les critères classiques.

Par ailleurs, les participants ont été interrogés quant à leur engagement dans des activités physiques (la marche en tant qu’exercice physique, le jardinage, la gymnastique suédoise ou des exercices physiques généraux, la bicyclette, la natation ou des exercices dans l’eau, avec un score exprimé en nombre d’heures par semaine), dans des activités sociales (fréquence de participation, durant l'année écoulée, à 6 types d'activités impliquant des relations sociales) et dans des activités cognitivement stimulantes (fréquence de participation, durant l'année écoulée, à 7 types d'activités cognitivement stimulantes).

Enfin, plusieurs covariables ont été prises en compte : l’âge, le genre, le niveau scolaire, la fonction motrice (évaluée via 11 tests de performance motrice, ayant conduit à un score composite), l’indice de masse corporelle, les symptômes dépressifs lors de la semaine écoulée, des facteurs de risque vasculaires, des maladies vasculaires et le génotype ApoE (présence ou non d’au moins une copie de l’allèle ε4).

Durant le suivi, d’une durée moyenne de 3.5 ans, 71 personnes (9.9% des 716) ont développé une « maladie d’Alzheimer ». Les analyses (avec contrôle de l’âge, du genre et du niveau scolaire) montrent qu’une personne avec une activité physique totale quotidienne basse (centile 10) a 2.3 fois plus de risque de recevoir le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » qu’un participant avec une activité physique totale quotidienne élevée (centile 90). Cette association subsiste après avoir contrôlé l’influence de l’engagement auto-évalué dans des activités physiques, sociales et cognitivement stimulantes ainsi que l’état actuel de la fonction motrice, les symptômes dépressifs, les facteurs de risque et problèmes vasculaires, l’indice de masse corporelle et le génotype ApoE.

Par ailleurs, afin de s’assurer que les résultats n’ont pas été influencés par des erreurs de diagnostic (le diagnostic de « maladie d’Alzheimer » consistant à placer une césure le long d’un continuum de fonctionnement cognitif), des analyses ont été entreprises afin d’examiner l’association entre l’activité physique totale quotidienne et le déclin cognitif (en utilisant le score cognitif composite). Les résultats montrent également que l’activité physique totale est significativement associée au taux de déclin cognitif (et également, de façon plus spécifique, au taux de déclin de la mémoire épisodique, de la mémoire de travail, de la vitesse perceptive et, tendanciellement, des aptitudes visuo-spatiales).

Comme il se pourrait qu’un fonctionnement cognitif plus bas conduise à une réduction de l’activité physique totale, les auteurs ont également examiné dans quelle mesure le taux de déclin cognitif observé avant la mesure actigraphique était associé à l'activité physique totale évaluée lors de la ligne de base. Aucune association n'a été observée. De même, le fonctionnement cognitif évalué lors de la ligne de base ne prédit pas le déclin ultérieur dans l'activité physique totale quotidienne (chez 595 personnes ayant eu 2 tests actigraphiques ou plus).

Ainsi, un niveau élevé d'activité physique totale quotidienne (évalué objectivement par actigraphie) est associé à un risque plus faible de développer une « maladie d’Alzheimer », mais aussi, plus généralement, à un taux moindre de déclin cognitif. Cette association subsiste après avoir contrôlé l'influence de l'engagement dans des activités physiques, sociales et cognitivement stimulantes, ce qui indique que l'activité physique totale capte des aspects de l'activité physique qui ne sont pas évalués par les questionnaires traditionnels (lesquels évaluent l'activité physique en lien avec des exercices spécifiques). 

Ces résultats indiquent notamment que des personnes âgées qui ne peuvent pas s’engager dans des exercices physiques spécifiques, du fait de problèmes de santé, pourraient néanmoins bénéficier d’un style de vie plus actif via l'augmentation de certaines activités  au sein d’un large spectre d’activités non en lien avec des exercices physiques spécifiques (telles que faire la vaisselle, jouer aux cartes, bricoler, mouvoir une chaise roulante, etc,).

Des études futures devraient s’atteler à délimiter les déterminants des activités physiques associées ou non à des exercices, ainsi que leur contribution relative au fonctionnement cognitif des personnes âgées. Dans un éditorial commentant la recherche de Buchman et al., Schnaider Beery et Middleton (2012) considèrent aussi qu’il serait utile de contrôler de façon précise l’intensité des activités physiques totales quotidienne (évaluées par actigraphie), afin de clarifier le type d’activités qui seraient particulièrement recommandables.

L’étude de Buchman et al. est de type observationnel et, dès lors, toute inférence de causalité doit être établie avec prudence. Cependant, l'absence de relation entre le niveau cognitif préalable et l'activité physique totale évaluée lors de la ligne de base, ainsi qu'entre le fonctionnement cognitif établi lors de la ligne de base et le déclin ultérieur de l'activité physique totale, appuie l'interprétation selon laquelle une faible activité totale quotidienne est délétère pour le fonctionnement cognitif, plutôt que l'interprétation inverse selon laquelle c'est un fonctionnement cognitif faible qui limite l'activité physique totale.

Le rôle combiné de facteurs environnementaux et génétiques

La possession de l’allèle ε4 du gène de l’apolipoprotéine E (ApoE) est considérée comme un facteur de risque de « maladie d’Alzheimer ». Cependant, tous les porteurs de l’allèle ε4 ne développent pas, loin de là, une « démence ».

Ferrari et al. (2012) ont entrepris une étude visant à déterminer les facteurs pouvant jouer un rôle dans la modification du risque de « démence » du fait de l'allèle ε4. Ils ont suivi pendant 9 ans une cohorte de 932 personnes âgées de 75 et plus, issues de la communauté et sans « démence », et ce afin d'identifier les personnes qui allaient développer une « démence ». Lors de la ligne de base, des informations ont été obtenues concernant :

* le niveau scolaire : < 8 années d’études versus ≥ 8 années)

* les activités de loisirs : 29 activités principales ont été rapportées et, pour chaque activité, un score a été établi concernant sa composante mentale, sociale et physique ; les scores des 3 composantes ont été regroupés en une seule variable avec 3 catégories : score élevé dans les trois composantes, score élevé dans un ou deux composantes et score bas dans les trois composantes.

* les facteurs de risque vasculaires : troubles vasculaires (pression systolique élevée et diastolique basse, accident vasculaire cérébral, insuffisance cardiaque), diabète et pré-diabète ; l’indice de masse corporelle a aussi été déterminé.

* le génotype ApoE a été identifié.

Durant la période de suivi, 324 personnes ont développé une « démence » (dont 247 une « maladie d’Alzheimer »). La présence de l’allèle ε4 de l’ApoE et de facteurs de risque vasculaires est significativement associée à un risque accru de « démence » et de « maladie d’Alzheimer ». Par contre, un niveau élevé de scolarité et un haut score d’activités de loisirs sont reliés à un risque moindre.

Par ailleurs, un niveau élevé de scolarité, l'absence de facteurs de risque vasculaire ou un score élevé d'activités de loisirs diminue d’environ 40% le risque de « démence et de « maladie d’Alzheimer » associé à la présence de l’allèle ε4 de l’ApoE. En fait, le risque relatif de « démence » et de « maladie d’Alzheimer » des porteurs de l’allèle ε4 avec un niveau scolaire élevé, un score élevé d’activités de loisirs ou l’absence de facteurs de risque vasculaires est similaire à celui des personnes non porteuses de l’allèle ε4. Plus spécifiquement, d’autres analyses montrent que, chez les porteurs de l’allèle ε4, un niveau élevé de scolarité, l’absence de facteurs de risque vasculaires ou un score élevé d’activités de loisirs diffèrent l’installation d’une « démence » d’une durée médiane de 1.2-2.2 années, en comparaison aux personnes porteuses de l’allèle qui n’ont pas ces caractéristiques : il faut relever que cette durée médiane est proche de celle observée chez les non porteurs de l’allèle ε4.

En dépit de certaines limites (en particulier, l’exploration d’une population très âgée, pas de mesure objective des activités de loisirs et l’absence de contrôle des changements possiblement intervenus dans ces activités avant et après la ligne de base), cette étude indique que des facteurs environnementaux peuvent diminuer le risque de « démence » et de « maladie d'Alzheimer», ce qui contribue encore davantage à appuyer l’importance des stratégies de prévention visant à susciter une vie socialement, physiquement et mentalement active et à prévenir les maladies vasculaires et le diabète.

Conclusions

Les voix se joignent et les données s’accumulent pour défendre une conception selon laquelle le risque de « démence » chez la personne âgée est déterminé par des facteurs multiples (rencontrés tout au long de la vie et dont l’effet dépend largement de l’âge) et pour en appeler à prendre nettement le tournant de la prévention, en mettant en place des interventions préventives multiples durant la vie entière (accroissement du niveau scolaire chez l’enfant et le jeune adulte, contrôle actif des facteurs de risque et troubles vasculaires durant l’âge adulte, maintien d’une vie socialement, physiquement et mentalement active durant le milieu de la vie adulte et la vieillesse).

Dans cette perspective, nous avons décrit de nouvelles données confirmant le rôle bénéfique pour le fonctionnement cognitif de l’engagement dans des activités mentalement stimulantes, ainsi que dans des activités physiques, et montrant aussi que des facteurs environnementaux peuvent atténuer la contribution d’un facteur de risque génétique.

Comme le relève l’économiste Claude Jeanrenaud, professeur à l’Université de Neuchâtel, dans un entretien accordé au journal suisse « Le Temps » (édition du 17 mars 2012), il ne faut pas réfléchir au seul financement des soins de longue durée pour les personnes âgées, « [...] mais aussi aux mesures de prévention parfois simples, qui permettent de réduire le risque de certaines maladie chroniques, telles que Alzheimer ou la démence. On sait que des facteurs tels que l’inactivité, l’obésité, la dépression, le diabète ou l’hypertension jouent un rôle dans le développement de ces affections. Mais en Suisse, la promotion de l’activité physique reste essentiellement ciblée sur les jeunes et non pas sur les publics plus âgés. Et les politiciens ne sont pas intéressés par ces questions ». Manifestement, ce désintérêt n’est pas l’apanage de la Suisse…


actif.jpg©VIVA 2012, "VIVA va à la Villa",un projet qui associe une activité physique (marche)

et la visite guidée d'une exposition d'art contemporain. www.association-viva.org

 

Buchman, A.S., Boyle, P.A., Yu, L., Shah, R.C., Wilson, R.S., & Bennett, D.A. (2012). Total daily physical activity and the risk of AD and cognitive decline in older adults. Neurology, 78, 1323-1329.

de la Torre J.C. (2012). A turning point for Alzheimer’s disease ?. Biofactors, 38, 78-83.

Ferrari, C., Xu, W.-L., Wang, H.-X., Winblad, B., Sorbi, S., Qiu, C., & Fratiglioni, L., (2012). How can elderly apoliprotein E4 carriers remain free from dementia? Neurobiology of Aging, sous presse.

Fotuhi, M., Hachinski, V., & Whitehouse, P. (2009). Changing perspectives regarding late-life dementia. Nature Reviews Neurology, 5, 649-658.

Fotuhi, M., Do, D., & Jack, C. (2012). Modifiable factors that aler the size of hippocampus with ageing. Nature Reviews Neurology, sous presse. (doi:10.1038/nrneurol.2012.27)

Mangialasche, F., Kivipelto, M., Solomon, A., & Fratiglioni, L. (2012). Dementia prevention: current epidemiological evidence and future perspective. Alzheimer’s Research & Therapy, 4:6  

Schnaider Beeri, M., & Middleton, L. (2012). Being physically active may protect the brain from Alzheimer disease. Neurology, 78, 1290-1291.

Wilson, R.S., Segawa, E., Boyle, P.A., & Bennett, D.A. (2012). Influence of late-life cognitive activity on cognitive health. Neurology, 78, 1123-1129.  

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1 avril 2012 7 01 /04 /avril /2012 09:53

Résumé de la chronique

De nombreux facteurs biologiques, médicaux, psychologiques, socio-économiques et environnementaux sont impliqués dans la survenue et l’évolution d’un déclin cognitif et d’une « démence » chez les personnes âgées. Wilson et al. (2012) ont mis en évidence un autre facteur, à savoir l’hospitalisation de la personne âgée. Les résultats de cette étude conduite auprès de 1'870 personnes âgées de plus de 65 ans et suivies longitudinalement ont montré que le fonctionnement cognitif des personnes âgées décline de façon substantielle après une hospitalisation, et ce après avoir contrôlé la gravité de la maladie et le déclin cognitif préalable à l’hospitalisation. Ces données suggèrent la mise en place de stratégies visant à prévenir ou réduire les effets d’une hospitalisation sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées, via une prévention primaire plus efficace des problèmes médicaux menant à une hospitalisation et/ou via des changements dans les politiques et procédures d’hospitalisation des personnes âgées. 

Les études épidémiologiques ont montré que de très nombreux facteurs (intervenant tout au long de la vie ou plus spécifiquement associés à l’âge) sont impliqués dans la survenue et l’évolution d’un déclin cognitif et d’une « démence » (voir Mangaliasche, Kivipelto, Solomon, & Fratiglioni, 2012). Parmi ces facteurs, on peut citer une vie sédentaire, l’isolement, une vie cognitive peu stimulante, l’exposition à des pesticides, et, plus généralement, à des toxiques environnementaux, le tabagisme, des épisodes dépressifs, un faible niveau scolaire, une enfance défavorisée, des facteurs socio-économiques défavorables, l’absence de buts dans la vie, des troubles respiratoires durant le sommeil, des expériences traumatisantes, une vulnérabilité au stress, la consommation de benzodiazépines, une alimentation inadéquate, le diabète, une maladie cardiaque, l’hypertension, des lésions vasculaires cérébrales, un indice de masse corporelle élevé,  etc.

Dans un travail récent, Wilson et al. (2012) ont mis en évidence un autre facteur, à savoir l'hospitalisation de la personne âgée. Des travaux antérieurs avaient déjà exploré la contribution de cet événement (fréquent chez les personnes âgées), mais ces études ne disposaient pas de données longitudinales suffisantes pour détecter, de façon fiable, une association entre une hospitalisation et l’existence d’un changement cognitif.

Dans le cadre d’une étude longitudinale portant sur une cohorte de personnes âgées issue de la population générale, Wilson et al. ont suivi, tous les 3 ans environ et jusqu’à un maximum de 12 ans, 1’870 personnes âgées vivant au sein d’une communauté urbaine et ayant un âge moyen de 72.7 ans lors de la ligne de base. Ces personnes ont été sélectionnées, au sein d’un échantillon de 10'052 personnes, sur base des critères suivants : être âgées de plus de 65 ans, avoir un dossier à Medicare (système d'assurance santé géré par le gouvernement des Etats-Unis au bénéfice des personnes de plus de 65 ans ou répondant à certains critères) et avoir été soumises à au moins deux visites de suivi.

Chaque phase de suivi incluait l’administration de 4 tests cognitifs, évaluant le mémoire épisodique (rappel immédiat et rappel différé d’un récit), le fonctionnement exécutif (« Symbol Digits Modalities Test ») et le fonctionnement cognitif global (MMSE). Un score cognitif composite a été établi à partir des 4 scores individuels et utilisé comme mesure principale pour les analyses. Des analyses secondaires ont également été entreprises en utilisant plus spécifiquement la mesure du fonctionnement exécutif et une mesure composite (rappel immédiat et rappel différé) de mémoire épisodique.

Par ailleurs, les données relatives à la première hospitalisation s’étant produite entre l’examen de ligne de base et le dernier examen cognitif  pour une personne donnée ont été obtenues via le dossier Medicare. La gravité de la maladie durant l’hospitalisation a été établie à partir d’une mesure prenant en compte le nombre et la sévérité des affections, ainsi que la durée du séjour à l’hôpital (« Charlson Comorbidity Index »).

Enfin, les symptômes dépressifs ont été évalués au moyen de la version à 10 items de la « Center for Epidemiologic Studies Depression Scale » et le niveau d’incapacité a été déterminé via la « Katz Scale », une mesure auto-rapportée de la capacité à réaliser 6 activités de base de la vie quotidienne (p. ex., s’habiller, prendre un bain).

Durant une moyenne de plus de 9 ans de suivi, 1'335 personnes sur les 1'870 (71.4%) ont été hospitalisées au moins une fois. La première hospitalisation s’est produite en moyenne 3.8 ans après le début de l’étude, avec une durée médiane de 5 jours (étendue interquartile : 3-8) et un indice de gravité médian de 1 (étendue interquartile : 0-2). Le suivi après l’hospitalisation initiale est d’une durée moyenne de 5.7 ans. Enfin, les personnes qui ont été hospitalisées sont plus âgées, ont un niveau moindre de scolarité et ont des niveaux plus élevés de difficultés cognitives, d’incapacités dans la vie quotidienne et de dépression que celles qui n’ont pas été hospitalisées.

Les analyses, prenant en compte, l’âge, le genre, l’appartenance ethnique et le niveau scolaire, montrent que le score cognitif global (composite) décline en moyenne de 0.031 unités par année avant la première hospitalisation contre 0.075 unités par année après l’hospitalisation, ce qui constitue une augmentation du déclin de plus de 2.4 fois. L’accélération post-hospitalisation du déclin cognitif est également observée sur les mesures plus spécifiques de la mémoire épisodique (augmentation de 3.3 fois) et du fonctionnement exécutif (augmentation de 1.7 fois).

Le taux de déclin cognitif après l’hospitalisation n’est pas relié au niveau de fonctionnement cognitif à l’entrée dans l’étude, mais est modérément associé au taux de déclin cognitif avant l’hospitalisation. Par ailleurs, une gravité plus importante de la maladie, un plus long séjour à l’hôpital et un âge plus avancé sont associés à un déclin cognitif plus rapide après l’hospitalisation, mais ces facteurs n’éliminent pas l’effet de l’hospitalisation.

En conclusion, le fonctionnement cognitif des personnes âgées décline de façon substantielle après une hospitalisation, et ce après avoir contrôlé la gravité de la maladie et le déclin cognitif préalable à l'hospitalisation. 

La nature de ce lien entre hospitalisation et déclin cognitif accéléré reste incertaine. Un dysfonctionnement cognitif a été identifié comme étant une complication d’une maladie critique et d’une procédure chirurgicale. Par ailleurs, un syndrome confusionnel est fréquent chez les personnes âgées qui ont une maladie critique (75%) ou qui subissent une opération chirurgicale (de 25 à 65 %) et ce syndrome a été associé à la survenue ultérieure d’un déclin cognitif et d’une « démence »  (voir notre chronique « La confusion mentale chez les personnes âgées pour une fracture de hanche : un prédicteur important de « démence »). Cependant, dans l’étude de Wilson et al., seuls 3% des hospitalisations impliquaient une maladie critique. Par contre, on estime que, en général, 15 à 20 % des personnes âgées hospitalisées ont les critères d’un syndrome confusionnel et il est probable qu’un nombre plus important présente des signes sous-cliniques de syndrome confusionnel. Ces données suggèrent donc que le syndrome confusionnel consécutif à un dysfonctionnement cérébral aigu pourrait contribuer au déclin cognitif consécutif à l’hospitalisation. Par ailleurs, l’accélération du déclin cognitif suite à une hospitalisation pourrait également être interprétée en considérant l’état de stress que peut générer une hospitalisation (et le changement de contexte de vie qui y est associé) chez des personnes âgées ayant une réactivité particulière au stress (voir notre chronique «Le stress psychologique : un facteur-clé du vieillissement cérébral/cognitif problématique ?»).

De plus, l’étude de Wilson et al. montre qu’il existe des différences entre les personnes âgées quant à l’importance du déclin cognitif qui suit l’hospitalisation. En effet, les personnes qui ont été hospitalisées pour un problème plus grave, qui étaient plus âgées et qui présentaient un déclin cognitif plus important avant l’hospitalisation manifestaient un déclin post-hospitalisation plus rapide. Ces résultats suggèrent que l’hospitalisation peut contribuer à démasquer des problèmes cognitifs chez des personnes âgées vulnérables et peut-être aussi que l’hospitalisation est associée à une compétence cognitive déclinante. En outre, le fait qu’une maladie plus grave, un âge plus avancé et un trouble cognitif préalable à l’hospitalisation soient également des facteurs de risque de syndrome confusionnel appuie l’hypothèse selon laquelle le syndrome confusionnel constitue un médiateur (au moins partiel) de l’association entre hospitalisation et déclin cognitif subséquent.

La limite principale de cette étude tient à l’intervalle de 3 ans entre les différents moments de suivi, ce qui a limité la capacité d’identifier les changements cognitifs à court terme, c’est-à-dire durant la période proche de l’hospitalisation. Par ailleurs, les participants devaient survivre au moins 6 années (2 périodes de suivi) pour être incluses dans l’étude et les informations concernant l’hospitalisation étaient uniquement disponibles pour les hospitalisations Medicare, ce qui a pu conduire à une sous-estimation de l’association entre hospitalisation et déclin cognitif. Enfin, l’absence de données détaillées concernant le décours de l’hospitalisation a rendu difficile l’identification des mécanismes en jeu dans l’association observée.

Néanmoins, cette étude indique en quoi il est essentiel de mieux comprendre le lien qu’entretient le déclin cognitif avec un événement aussi courant que l’hospitalisation de la personne âgée. Des recherches futures devraient conduire à la mise en place de stratégies visant à prévenir ou réduire les effets d’une hospitalisation sur la cognition, possiblement via une prévention primaire plus efficace des problèmes médicaux menant à une hospitalisation et/ou via des changements dans les politiques et procédures d’hospitalisation des personnes âgées (en particulier, celles présentant des problèmes cognitifs).

hospitalisation.jpg©123rf

 

Mangialasche, F., Kivipelto, M., Solomon, A., & Fratiglioni, L. (2012). Dementia prevention: current epidemiological evidence and future perspective. Alzheimer’s Research & Therapy, 4:6 (http://alzres.com/content/4/1/6).

Wilson, R.S., Hebert, L.E., Scherr, P.A., Dong, X., Leurgens, S.E., & Evans, D.A. (2012). Cognitive decline after hospitalization in a community population of older persons. Neurology, 78, 950-956.

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19 février 2012 7 19 /02 /février /2012 17:11

Comme nous l’avons montré dans une de nos précédentes chroniques («Le stress psychologique : un facteur-clé du vieillissement cérébral/cognitif»), il apparaît que le stress psychologique constitue l’un des facteurs-clé du vieillissement cérébral/cognitif problématique et de son évolution, dont la contribution peut se manifester tout au long de la vie.

Une étude récente apporte de nouvelles données en appui du rôle du stress sur le vieillissement cérébral (Johansson et al., 2012). Les mêmes auteurs (Johansson et al., 2010 ; voir notre chronique «Risque de démence et stress psychologique») avaient déjà mis en évidence, auprès d’un échantillon de 1’462 femmes suivies pendant 35 années (de 1968 à 2003), que le risque de développer une « démence » était plus élevé chez les femmes ayant rapporté un stress psychologique fréquent/constant en 1968 (alors qu’elles étaient dans la période du milieu de leur vie). Ce lien avait été constaté après avoir contrôlé l’influence possible de différents facteurs (âge, éducation, statut marital, présence d’enfants, consommation de tabac et de vin, activité physique, problèmes coronariens, hypertension, médicaments antihypertenseurs, rapport taille/hanche).

Dans leur recherche de 2012, les auteurs ont examiné l’effet du stress durant le milieu de la vie sur l’atrophie cérébrale et les lésions de la substance blanche évaluées durant la vieillesse. Un groupe de 344 femmes (issues de l’échantillon de l’étude de 2010) ont été suivies pendant une période de 32 ans (de 1968 à 2000). Les participantes avaient, en 1968, un âge moyen de 44 ans. Par ailleurs, elles ont été soumises en 1968, 1974 et 1980 à une question standardisée évaluant leur niveau de stress. La question posée était : «  Avez-vous vécu une période (un mois ou plus) de stress/détresse, c’est-à-dire des sentiments d’irritabilité, de tension, de nervosité, de peur, d’anxiété ou des troubles du sommeil, en lien avec des situations de la vie quotidienne ». Les réponses étaient évaluées comme suit : 0 = jamais vécu de période de stress, 1 = période de stress voici plus de 5 ans, 2 = une période de stress durant les 5 dernières années, 3 = plusieurs périodes de stress durant les 5 dernières années, 4 = stress constant durant la dernière année, 5 = stress constant durant les 5 dernières années. Les participantes ont ensuite été réparties en trois groupes : pas de stress (réponses 0-1), stress occasionnel (réponses 2), stress fréquent/constant (réponses 3-5). Enfin, l’atrophie corticale, l’atrophie centrale (taille des ventricules) et la présence de lésions de la substance blanche ont été mesurées en 2000 via un CT scan.

Les résultats montrent que, comparées aux femmes ne rapportant pas de stress psychologique, celles décrivant un stress fréquent/constant lors d’une des évaluations ou plus (en 1968, 1974 et 1980) présentaient plus souvent, au CT-scan effectué en 2000, des lésions modérées à sévères de la substance blanche et une atrophie modérée à sévère du lobe temporal. Par ailleurs, ces deux types d’atteintes étaient indépendantes l’une de l’autre. La présence d’un stress constant/fréquent était également associée à l’atrophie cérébrale centrale. Enfin, ces résultats se maintenaient après contrôle de l’âge, du niveau de scolarité, du statut marital, de l’hypertension, du cholestérol, du tabagisme, du rapport taille-hanche, de l’activité physique, de la consommation de vin, du diabète et des maladies cardiaques.

En dépit de certaines limites, notamment l’évaluation du stress (de la détresse) psychologique au moyen d’une auto-évaluation et sur base d’une seule question (dont la validité a néanmoins été montrée dans d’autres études), ainsi qu’un échantillon assez réduit de personnes, cette étude suggère l’existence d’une association entre un stress (une détresse) psychologique et des changements structurels dans le cerveau.

Les auteurs indiquent que les mécanismes impliqués dans cette association sont vraisemblablement très complexes (vasculaires, hormonaux, inflammatoires, etc.). Quoi qu’il en soit, ces données plaident en faveur d’interventions visant à réduire le niveau de stress/détresse psychologique vécu par les personnes, notamment celles qui sont au milieu de leur vie. De ce point de vue, une recherche récente (Head, Singh, & Bugg, 2012) montre que l’exercice physique pourrait constituer un levier efficace d’intervention.   

L’effet du stress sur le vieillissement cérébral/cognitif : le rôle modérateur de l’activité physique

Head et al. (2012) ont entrepris une étude transversale visant à explorer les effets du stress tout au long de la vie sur la mémoire et le volume hippocampique. En outre, les auteures ont également examiné dans quelle mesure l’activité physique modérait les effets négatifs du stress. Les données de 91 personnes âgées, issues de la communauté, âgées en moyenne d’environ 70 ans, ne présentant pas de « démence » et n’ayant pas souffert d’un autre problème neurologique et médical important (p. ex., accident vasculaire, traumatisme crânien, diabète), ont été analysées.

Le stress tout au long de la vie a été évalué au moyen de la « 32-Item Cumulative Trauma Scale », laquelle permet d’identifier une grande variété de stresseurs potentiels tout au long de la vie (p. ex., divorce, abus sexuel, perte d’emploi, accident, catastrophe naturelle, discrimination, maladie). Plus spécifiquement, la fréquence avec laquelle la personne avait vécu un stresseur particulier, ainsi que son impact sur la vie de la personne étaient évalués. Les analyses ont essentiellement porté sur la fréquence des événements vécus tout au long de la vie.

L’engagement dans des activités physiques a été mesuré au moyen d’un questionnaire validé évaluant l’histoire de marche, de course et de jogging durant les 10 dernières années. Les données ont été utilisées pour estimer des valeurs d’équivalents métaboliques, à partir desquelles a été établi un indice d’équivalent métabolique moyen, pendant une heure par semaine, durant les 10 dernières années (ce qui a permis de mesurer l'intensité de l’activité physique et la dépense énergétique). Les participants ont été répartis en deux groupes (niveaux bas et élevé d’activité physique, sur base de la valeur médiane des équivalents métaboliques).

Les participants ont également été soumis à une mesure du volume hippocampique (88 participants), ainsi qu’à une évaluation cognitive (57 participants) focalisée sur la mémoire épisodique (California Verbal Learning Test-II ; score composite) et le niveau de vocabulaire (sous-test de vocabulaire de la forme abrégée de la WAIS). Les symptômes dépressifs ont été explorés via le « Beck Depression Inventory-II » et la « Geriatric Depression Scale ». Le genre, le niveau scolaire, une histoire d’hypertension et les scores de dépression ont été inclus comme co-variables dans toutes les analyses.

Les résultats des analyses de régression hiérarchique ont montré une influence négative significative du stress tout au long de la vie sur le volume hippocampique, mais pas sur le volume du cortex visuel primaire. Par ailleurs, l’effet du stress sur l’hippocampe est modéré par l’engagement dans des activités physiques : plus spécifiquement, la réduction liée au stress du volume hippocampique est plus grande dans le groupe de personnes ayant rapporté un bas niveau d’activité physique que dans le groupe avec un haut niveau.

Les analyses ne montrent pas un effet principal significatif du stress sur la mémoire épisodique. Cependant, on constate une interaction entre le stress et l’engagement dans une activité physique : la réduction liée au stress dans la performance en mémoire épisodique est présente uniquement dans le groupe de personnes ayant rapporté un bas niveau d’activité physique et pas dans le groupe avec un haut niveau. Il n’y a par contre aucun lien entre le stress et le score de vocabulaire.

Notons enfin qu’il n’y a aucune interaction entre le stress et l’âge pour le volume hippocampique et la performance mnésique. En d’autres termes, il n’y a pas d’appui à l’hypothèse selon laquelle les personnes ayant vécu un plus grand stress durant leur vie montreraient un déclin lié à l’âge plus important. Néanmoins, comme l’indiquent les auteures, la plupart des études qui ont montré une relation interactive du stress et de l’âge se sont focalisées sur des sous-régions de l’hippocampe (p. ex., le gyrus dentelé, CA3) et il est donc possible qu’une interaction aurait été mise en évidence si des analyses plus spécifiques avaient été menées. Par ailleurs, il se pourrait également que l’existence de cette relation interactive entre stress et âge dépendent de différences interindividuelles chez les personnes âgées dans les processus d’évaluation et de régulation des émotions négatives, la personnalité, le soutien social ou d’autres facteurs en lien, p. ex., avec la santé physique.

Cette étude comporte quelques limites et notamment le fait que le stress et l’engagement dans une activité physique aient été auto-évalués de façon rétrospective. De plus, la nature transversale de la recherche ne permet pas de rejeter complètement l’hypothèse selon laquelle c’est la réduction du volume hippocampique ou de la mémoire qui influence l’engagement dans une activité physique ou le rapport du stress durant la vie. Néanmoins, un essai randomisé contrôlé entrepris par Erickson et al. (2011) a mis en évidence qu’une intervention à base d’exercice physique (aérobique) était associée à un accroissement du volume hippocampique et à une amélioration de la mémoire. De plus, Erickson et al. (2010 ; voir notre chronique « De nouvelles données appuyant l’intérêt de mesures de prévention du vieillissement cérébral/cognitif problématique, en lien avec le style de vie, 2ème partie ») ont montré, chez des personnes âgées de 65 ans et plus, qu’une activité physique plus importante prédit 9 ans plus tard un volume plus important des régions frontales, occipitales, entorhinales et hippocampiques et aussi qu’un volume plus important du gyrus frontal inférieur, de l’hippocampe et de l’aire motrice supplémentaire est associé à un risque deux fois moindre de développer une vieillissement cérébral/cognitif problématique (« trouble cognitif léger » ou « démence »).

En dépit de certaines limites, la recherche de Head et al. confirme les effets négatifs du stress sur le vieillissement cérébral/cognitif et indique en outre que l’engagement dans une activité physique est à même de réduire l’importance de ces effets. Ces données doivent aussi être examinées en considérant les liens qui ont été établis entre la « maladie d’Alzheimer » et le stress, ainsi que les effets bénéfiques de l’activité physique sur  le risque et l’évolution de cette « maladie » ou, plus généralement, de la « démence » (voir nos chroniques « Le stress psychologique : un facteur-clé du vieillissement cérébral/cognitif problématique ? » ; « L’effet bénéfique d’une activité physique durant la cinquantaine sur le fonctionnement cognitif et la présence d’une démence évalués 26 ans après »; « L’effet bénéfique d’un programme d’exercices réalisé à domicile et sous la supervision d’un proche aidant »).

Des études ultérieures, de nature longitudinale, devraient être conduites afin d’explorer plus avant l’influence du stress et de l’activité physique sur le vieillissement cérébral et cognitif. Il s’agirait, entre autres, de mieux comprendre l’effet spécifique du stress (dans ses relations avec l’activité physique) selon qu’il intervient durant l’enfance, l’adolescence, l’âge adulte (jeune adulte et milieu de la vie) ou la vieillesse.   

Conclusions

Promouvoir l’engagement dans des activités physiques semble donc constituer un axe de prévention intéressant, pouvant notamment intervenir via une réduction des effets délétères du stress sur le vieillissement cérébral et cognitif.

Il s’agit cependant de prendre en compte le fait que l’engagement plus ou moins important des personnes dans des activités physiques semble dépendre de différents facteurs psychologiques.

Ainsi, dans une étude prospective menée sur une période de 18 mois chez des personnes d‘âge moyen et des personnes âgées, White, Wojcicki et Mc Auley (2012) ont montré le rôle (direct et indirect via les conséquences attendues de l’activité physique) du sentiment d’auto-efficacité, à savoir les croyances des personnes dans leurs capacités d’effectuer le programme d’activités physiques. De plus, Stahl et Hicks Patrick (2012) ont mis en évidence, chez des adultes âgés de 20 à 88 ans, que l’engagement dans une activité physique était plus important si les personnes avaient une perspective future plus étendue, c’est-à-dire, si elles considéraient que leur futur comportait beaucoup d’opportunités et qu’elles disposaient d’une période à vivre plus étendue. Il s’agit là de facteurs que toute intervention visant à promouvoir l’engagement dans des activités physiques se devrait de prendre en considération.

Un facteur important limitant l’engagement des personnes âgées dans des activités physiques concerne la perception d’incapacités fonctionnelles, laquelle peut être atténuée en augmentant le sentiment d’auto-efficacité, mais aussi en proposant aux personnes âgées des exercices visant à limiter ces incapacités. Dans cette perspective, au sein de l’Association VIVA (voir http://association-viva.org/programme.html), nous avons mis en place un projet intergénérationnel dans lequel des personnes âgées réaliseront des exercices en duo avec des enfants de 4 ans, dans le but d’optimiser leur équilibre et leur résistance physique. Au-delà du fait que tant les personnes âgées que les enfants sont à même de bénéficier du même type d’exercices d’équilibre et de résistance (voir notre chronique « Les relations entre la marche et le fonctionnement cognitif chez les personnes âgées : Optimiser la marche et l’équilibre par une approche intergénérationnelle »), nous pensons que l’approche intergénérationnelle pourrait aussi avoir des effets bénéfiques aux plans de la qualité de vie, de la capacité d’engagement et du sentiment d'appartenance à une communauté des personnes âgées, ainsi que de la mise en confiance et la motivation des enfants en bas âge (voir notre chronique « Les relations intergénérationnelles ont des effets bénéfiques tant pour les personnes âgées que pour les adolescents »).    

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Erickson, K.I., Raji, C.A., Lopez, O.L., Becker, J.T., Rosano, C., Newman, A.B., et al. (2010). Physical activity predicts gray matter volume in late adulthood. The Cardiovascular Health Study. Neurology, 75, 1415-1422.

Erickson, K.I., Vos, M.W., Prakash, R.S., Basak, C., Szabo, A., Chaddok, L., Kim, J.S.,…., Kramer, A.F. (2011). Exercise training increases size of hippocampus and improves memory. Proceedings of the National Academy of Sciences, 108, 3017-3022. 

Head, D., Singh, T., Bugg, J.M. (2012). The moderating role of exercise on stress-related effects on the hippocampus and memory in later adulthood. Neuropsychology, sous presse.

Johansson, L., Guo, X., Waern, M., Ostling, S., Gustafson, D., Bengtsson, C., & Skoog, I. (2010). Midlife psychological stress and risk of dementia: a 35-year longitudinal study. Brain, 8, 2217-2224.

Johansson, L., Skoog, I., Gustafson, D.R., Olesen, P.J., Waern, M., Bengtsson, C., Björkelund, C., Pantoni, L., Simoni, M., Lissner, L., & Guo, X. (2012). Midlife psychological distress associated with late-life brain atrophy and white matter lesions: A 32-year population study of women. Psychosomatic Medicine, 74, 120-125. 

Stahl, S.T., Hicks Patrick, J. (2012). Adults’ future time perspective predicts engagement in physical activity. The Journal of Gerontology, Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, sous presse.

White, S.M., Wojcicki, T.R., & McAuley, E. (2012). Social cognitive influences on physical activity behavior in middle-aged and older adults. The Journal of Gerontology, Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, 67, 18-26.

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21 janvier 2012 6 21 /01 /janvier /2012 09:30

L’évolution des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » ou plus spécifiquement de « maladie d’Alzheimer » est extrêmement variable : certaines personnes peuvent rester stables pendant une longue période de temps, voire même montrer une amélioration, certaines peuvent évoluer lentement, alors que d’autres peuvent manifester une détérioration rapide  (voir nos chroniques « Trois exemples de diagnostic réversible de maladie d’Alzheimer », « L’hétérogénéité de la soi-disant maladie d’Alzheimer : de nouvelles preuves », « L’hétérogénéité des trajectoires cognitives chez les personnes âgées » et « L’évolution du vieillissement cérébral problématique est très variable tant aux plans cognitif et fonctionnel que psychopathologique »).

Les facteurs qui modulent cette évolution sont encore mal compris, mais ils sont très vraisemblablement multiples et de nature différente (psychologique, sociale, environnementale, biomédicale). Il a ainsi été récemment montré que l’entrée dans une structure d’hébergement à long terme ou le fait d’avoir vécu un tremblement de terre (et un tsunami) et d’avoir été déplacées dans un site d’évacuation pouvaient contribuer à l’exacerbation des problèmes cognitifs et comportementaux chez les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer », suggérant ainsi la contribution d’un facteur de stress psychologique (voir notre chronique précédente « Le stress psychologique: un facteur-clé du vieillissement cérébral cognitif/problématique ? »).

Deux publications récentes ont identifié d’autres facteurs en lien avec l’évolution plus ou moins rapide du déclin des personnes âgées : le rôle des inhibiteurs de la cholinestérase (médicaments « anti-Alzheimer » : donézépil/Aricept, rivastigmine/Exelon et galantamine/Reminyl) et celui des emboles cérébraux.

Le rôle des inhibiteurs de la cholinestérase 

Sona et al. (2012) ont entrepris une étude visant identifier les facteurs associés à un déclin cognitif rapide, sur une période de 18 mois, auprès de 156 personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » (probable et possible) selon les critères classiques. Les auteurs ont défini un déclin rapide par une chute de 6 points ou plus au MMSE entre la ligne de base et le suivi à 18 mois : 51 personnes (32.7%) ont été considérées comme présentant un déclin cognitif rapide.

Des analyses de corrélation ont été réalisées afin d’examiner les liens entre un déclin rapide et l’âge, le genre, une histoire familiale de « démence », le niveau de scolarité, le tabagisme, le diabète, l’hypertension, une angine de poitrine ou une crise cardiaque, les niveaux de cholestérol, la protéine C-réactive, une maladie cérébrovasculaire, le génotype ApoE, le facteur neurotrophique dérivé du cerveau (BDNF), un traitement par inhibiteur de la cholinestérase et le fonctionnement cognitif durant la ligne de base (évalué par l’échelle « Clinical Dementia Rating, CDR » et le MMSE).

Les résultats ont montré qu’un statut cognitif et fonctionnel plus déficitaire lors de la ligne de base (évalué par le CDR) et l’utilisation d’inhibiteurs de la cholinestérase étaient associés à un risque plus élevé de présenter un déclin cognitif rapide (ce qui était aussi le cas pour le fait d’être de sexe masculin et d’être plus jeune). L’utilisation d’un seuil de 4, 5, 7 ou 8 au MMSE pour définir un déclin rapide a confirmé les relations entre le déclin rapide et le statut cognitif lors de la ligne de base, ainsi que l’utilisation d’inhibiteurs de la cholinestérase. Il en va de même quand les analyses ont été effectuées en incluant comme personnes avec un déclin rapide les personnes décédées (n=17) et les personnes dont la « démence »  était « trop sévère » (n=9). L’exclusion des personnes avec une « maladie d’Alzheimer possible » (n=31) n’a pas non plus affecté les résultats.

Dans une étude antérieure, Schneider et al. (2011) avaient déjà montré que les personnes ayant reçu un diagnostic de « trouble cognitif léger dû à une maladie d’Alzheimer » (c’est-à-dire un diagnostic de « maladie d’Alzheimer prodromique ») et qui prenaient des inhibiteurs de la cholinestérase depuis 12 à 15 mois avaient des troubles cognitifs légèrement plus importants, montraient un déclin plus grand aux scores cliniques et progressaient vers la « démence » plus rapidement que les personnes qui ne recevaient pas ces médicaments. Il faut par ailleurs noter que les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer légère » (MMSE entre 21 et 26) et qui prenaient à la fois des inhibiteurs de la cholinestérase et de la mémantine (Ebixa) avaient un trouble fonctionnel plus important et montraient un déclin plus grand au MMSE et à l’échelle CDR (mais pas à l’ADAS-Cog) que les personnes qui prenaient seulement des inhibiteurs de la cholinestérase.

Il est utile, comme l’a fait Schneider (2012), de placer les résultats de Sona et al. (2012) dans une perspective plus large. Il faut tout d’abord rappeler que les essais cliniques qui ont appuyé le marketing des inhibiteurs de la cholinestérase ont essentiellement été conduits sur des durées courtes (3 à 6 mois) et que ces essais ont mis en évidence des effets bénéfiques - au mieux - « extrêmement réduits » (voir notre chronique « La Haute Autorité de Santé en France conclut à l’inefficacité des médicaments contre la maladie d’Alzheimer : cela conduira-t-il à un changement d’approche ? »). Dans la même ligne, une revue systématique récente de 15 essais randomisés contrôlés (dont 4 concernaient le donézépil) a montré qu’il n’existait pas actuellement de données consistantes suggérant un effet bénéfique d’un médicament sur la qualité de vie et le bien-être des personnes présentant une « démence » (Cooper et al., 2012).  

Par ailleurs, il n’y a donc pas eu d’essais examinant de façon prospective et randomisée l’effet d’une consommation à long terme d’inhibiteurs de la cholinestérase chez des personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer ». Quelques essais randomisés contrôlés avec placebo ont été menés chez des personnes avec « troubles cognitifs légers » (« mild cognitive impairment ou MCI ») sur une durée allant de 1 à 4 ans, mais ils n’ont pas mis en évidence d’effet bénéfique significatif des inhibiteurs de la cholinestérase en comparaison à un placebo. Il existe aussi quelques études observationnelles ayant suivi à long terme des personnes traitées par inhibiteurs de la cholinestérase et qui ont rapporté des bénéfices tirés de ce traitement. Cependant, comme le relève Schneider (2012), ces études observationnelles sont confrontées à de nombreux biais potentiels non contrôlés. Ainsi, par exemple, elles ne prennent pas en compte les personnes qui ont initialement refusé de prendre le médicament, celles qui ont commencé à le prendre, mais qui ont dû l’arrêter suite à des effets indésirables ou pour des souhaits personnels, ou encore celles qui ont interrompu le traitement parce qu’elles montraient une détérioration rapide.

En outre, les données de Sona et al. (2012) et de Schneider et al. (2011) que nous avons décrites précédemment, indiquent que l’utilisation à long terme des inhibiteurs de la cholinestérase pourrait accroître le déclin des personnes, même si ces études observationnelles (comme celles ayant rapportés des bénéfices d’un traitement à long terme) comportent également divers biais potentiels (p.ex., la décision des médecins d’administrer à la personne un médicament et celle de la personne âgée de s’engager dans un essai pharmacologique pourraient notamment être liées à la présence d’un déclin plus rapide).

Enfin, il faut ajouter que les inhibiteurs de la cholinestérase ont été associés à divers effets indésirables autres qu’un déclin cognitif plus rapide, en particulier un taux accru de bradycardie, de syncopes, d’insertions de pacemaker et de fractures de hanche (voir Schneider, 2012).

Schneider (2012) relève qu’il pourrait y avoir des variations importantes dans l’efficacité des médicaments et que ce qui peut marcher pour une personne peut ne pas marcher pour une autre. Il reconnaît néanmoins qu’une individualisation des traitements s’avérera bien difficile dans l’état actuel des choses.

Personnellement, nous pensons que les données existantes, considérées dans leur ensemble, amènent à sérieusement mettre en question, de façon générale, la pertinence des prescriptions d’inhibiteurs de la cholinestérase aux personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer ou de « MCI » ... 

 

Le rôle des emboles cérébraux

Dans une étude menée en 2006 sur 170 personnes ayant reçu un diagnostic de « démence », Purundare et al. ont mis en évidence, durant un contrôle par Doppler transcrânien d’une durée d’une heure, que 40% des personnes avec une « maladie d’Alzheimer » et 37% des personnes avec une « démence vasculaire » présentaient des emboles cérébraux spontanés dans les artères cérébrales moyennes (lesquelles fournissent le sang aux régions frontales, temporales et pariétales du cerveau), et ce contre 14% seulement des personnes de contrôle, appariées en âge et en genre. Un embole cérébral constitue un corps insoluble (étranger à la circulation normale) qui migre dans le circuit artériel qu’il peut bloquer. Pour les auteurs, la fréquence similaire d’emboles dans les deux types de « démence » suggère l’existence d’une cause commune et d’un mécanisme physiopathologique partagé. Ces données ajoutaient ainsi aux multiples facteurs impliqués dans le vieillissement cérébral/cognitif problématique.

Plus récemment, les mêmes auteurs (Purundare et al., 2012) ont présenté les données d’une étude prospective, dans laquelle ils ont exploré dans quelle mesure les emboles cérébraux spontanés prédisaient une progression plus rapide (cognitive, comportementale et fonctionnelle) sur une période de 2 ans chez des personnes avec « maladie d’Alzheimer » et « démence vasculaire ».

Les emboles cérébraux voyageant dans les artères cérébrales moyennes ont été comptés, lors de la ligne de base et tous les 6 mois durant un suivi de 18 mois, et ce en utilisant l’ultrasonographie par Doppler transcrânien. Cette exploration a été menée auprès de 84 personnes avec « maladie d’Alzheimer » et 60 personnes avec « démence vasculaire » La détérioration cognitive, comportementale et fonctionnelle a été explorée tous les 6 mois pendant une durées de 2 ans, au moyen de l’ « Alzheimer’s Disease Assessment Scale-Cognitive, ADAS-Cog », du MMSE, de l’ « Interview for Deterioration in Daily Living Activities in Dementia » et du « Neuropsychiatric Inventory ». La relation entre les emboles cérébraux et la progression de la « démence » a été analysée par un modèle de régression longitudinale, avec un ajustement pour l’âge, le genre, le sous-type diagnostique, l’âge de début de la « démence » et divers facteurs de risque vasculaires.

Les résultats montrent tout d’abord que des emboles cérébraux spontanés ont été détectés chez 43% des personnes avec « maladie d’Alzheimer » et 45% avec « démence vasculaire ».

Par ailleurs, les scores à l’ADAS-Cog révèlent une détérioration cognitive significativement plus rapide chez les personnes avec des emboles cérébraux, avec une augmentation moyenne du score (indiquant une aggravation) de 15.4 chez ces personnes contre 6 chez les personnes sans emboles cérébraux. Il en va de même pour le MMSE, avec une diminution moyenne du score de 6.9 chez les personnes avec emboles contre 3.4 pour les personnes sans emboles. De plus, les scores à l’ « Interview for Deterioration in Daily Living Activities in Dementia » révèlent une détérioration fonctionnelle plus rapide chez les personnes ayant des emboles cérébraux, avec un accroissement moyen de 59 chez ces personnes comparé à 17.9 chez les personnes sans embols. Enfin, les scores au « Neuropsychiatric Inventory » indiquent aussi un déclin plus rapide au plan comportemental et émotionnel, avec un accroissement moyen du score de 12 chez les personnes avec emboles contre une diminution de 3.8 chez les personnes sans emboles. En conclusion, il apparaît que la présence d’emboles cérébraux spontanés prédit une progression plus rapide, tant de la « maladie d’Alzheimer » que de la « démence vasculaire ». En d’autres termes, les emboles cérébraux semblent expliquer au moins une partie de la variabilité dans la progression de la « démence ».       

Ces emboles cérébraux sont potentiellement évitables et ils pourraient ainsi constituer la cible de stratégies de prévention et d’intervention visant à atténuer les aspects problématiques du vieillissement cérébral/cognitif. Cependant, les mécanismes qui sont à la base de ces emboles chez les personnes avec « démence » restent incertains. Enfin, des études en population générale se devraient d’explorer dans quelle mesure les emboles cérébraux constituent un facteur de risque de développement d’une démence.

En conclusion

Ces données amènent de nouveaux éléments en faveur d’une conception qui assume l’extrême complexité du vieillissement cérébral et cognitif et qui considère que la « démence », et son évolution, sont le résultat d’une combinaison de nombreux facteurs, pouvant intervenir de façon différente chez chaque personne. Elles indiquent également en quoi les catégories diagnostiques de l’approche biomédicale dominante (p. ex., maladie d’Alzheimer, démence vasculaire, etc.) ne permettent pas de capter adéquatement la nature des mécanismes impliqués dans les difficultés cognitives, comportementales et fonctionnelles des personnes âgées (nous reviendrons sur cette question dans une prochaine chronique).

Concernant plus spécifiquement l’évolution de la « démence », il apparaît essentiel de mener d’autres études visant à mieux comprendre la diversité des facteurs impliqués dans la progression des difficultés des personnes, et ce afin de pouvoir mettre en place des mesures de prévention et des interventions visant à en atténuer l’importance ou à la différer.

 

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Cooper, C., Mukadam, N., Katona, C., Lyketsos, C.G., Blazer, D., Rabins, P., Brodaty, H., de Mendonça Lima, C., & Linvingston, G. (2012). Systematic review of the effectiveness of pharmacological interventions to improve quality of life and well-being in people with dementia. American Journal of Geriatric Psychiatry, sous presse.

Purandare, N., Burns, A., Daly, K.J., Hardicre, J., Morris, J., Macfarlane, G., & McCollun, Ch. (2006). Cerebral emboli as a potential cause of Alzheimer’s disease and vascular dementia: case-control study. British Medical Journal, 332, 1119-1124.

Purandare, N., Burns, A., Morris, J., Perry, E.W., Wren, J., & McCollum, Ch. (2012). Association of cerebral emboli with accelerated cognitive deterioration in Alzheimer’s disease and vascular dementia. American Journal of Psychiatry, sous presse.

Schneider, L.S. (2012). Could cholinesterase inhibitors be harmful overt the long term? International Psychogeriatrics, 24, 171-174.

Schneider, L.S., Insel, Ph.S., Weiner, M.W., for the Alzheimer’s Disease Neuroimaging Initiative. (2011). Treatment with cholinesterase inhibitors and memantine of patients in the Alzheimer’s Disease Initiative. Archives of Neurology, 68, 58-66.

Sona, A., Zhang, P., Ames, D., Bush, A.I., Lautenschlager, N.T., Martins, R.N., Masters, C.L., Rowe, Ch.C., Szoeke, C., Taddei, K., Ellis, K.A. and AIBL Research Group. (2012). Predictors of rapid cognitive decline in Alzheimer’s disease: results from the Australian Imaging, Biomarkers and Lifestyle (AIBL) study of ageing. International Psychogeriatrics, 24, 197-204.  

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