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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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27 mai 2018 7 27 /05 /mai /2018 14:57
Résumé

 

Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) sont encore fréquemment victimes de stigmatisation, de discrimination et de violations des droits humains partout dans le monde. Ces dernières années, un intérêt croissant s’est porté vers la situation des aîné.e.s LGBT. Le constat est clair : les aîné.e.s LGBT sont presque invisibles, le personnel travaillant auprès des aîné.e.s manque de formation et leurs besoins spécifiques sociaux et de santé  semblent être mis de côté, faute de politique inclusive généralisée ou de moyens financiers. Par ailleurs, les personnes âgées LGBT qui ont reçu un diagnostic de « démence » sont confrontées au défi de résister à une double stigmatisation : celle en lien avec le diagnostic de « démence », et celle associée à leur sexualité. Il y a donc urgence à initier des plans d’actions impliquant les pouvoirs publics, les institutions travaillant en lien avec les personnes âgées, le monde associatif et l’économie privée, avec l’objectif d’identifier ou de préciser les besoins sociaux, de soutien et de santé des aîné.e.s LGBT et de mettre en place des actions ciblées, avec suivi, évaluation et ajustement des pistes d’intervention. Il s’agirait aussi de déterminer et d’appliquer différentes recommandations visant à changer de culture dans la manière qu’ont les professionnel.le.s de l’aide ou des soins d’interagir avec ces personnes.

Enfin, il importe de se pencher sur les fréquents problèmes de santé physique et psychologique, ainsi que sur les facteurs de risque des personnes LGBT (jeunes et âgées), en adoptant une démarche de prévention globale et communautaire, qui prenne tout particulièrement en compte les déterminants sociaux, culturels et environnementaux (LGBT-phobies, stigmatisation, discriminations, violences) des problèmes de santé. Cette prise en compte des problèmes de santé des personnes LGBT apparaît d’autant plus importante que, comme nous l’avons montré dans différentes chroniques de ce blog, plusieurs de ces problèmes de santé et facteurs de risque contribuent au développement d’un vieillissement cérébral et cognitif problématique.

 

Le jeudi 17 mai 2018 s’est tenue la Journée Internationale contre les LGTB-phobies. Cette journée du 17 mai a été organisée pour la première fois en 2005, en référence à la décision prise par l’Organisation Mondiale de la Santé, le 17 mai 1990, de retirer l’homosexualité des maladies mentales. Elle a pour vocation de rassembler toutes les personnes concernées par la stigmatisation, les discriminations, les inégalités et les violations des droits humains dont sont victimes les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres (LGBT) partout dans le monde.

 

Les personnes âgées LGBT

Ces dernières années, un intérêt croissant s’est porté sur la situation des aîné.e.s LGBT. Ainsi, dans le contexte de la Journée Internationale contre les LGTB-phobies, la Ville de Genève, sous l’impulsion de Sandrine Salerno (conseillère administrative en charge de l’Egalité et de la Diversité) et d'Esther Alder (conseillère administrative en charge de la Cohésion sociale et de la Solidarité), a souhaité donner la parole aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées* (LGBTI) de plus de 65 ans, et ainsi « sensibiliser le grand public et les professionnel.le.s travaillant auprès des aîné.e.s sur les enjeux spécifiques associés à cette population. Ainsi, du 9 au 30 mai 2018, six portraits d’aîné.e.s LGBTI sont visibles dans les rues, les parcs et places de Genève. Agées de 58 à 80 ans, ces personnes représentent, dans la singularité de leur parcours, la diversité des aîné.e.s LGBTI, la complexité de leurs besoins spécifiques, la multiplicité de leurs craintes vis-à-vis de la vieillesse, mais aussi leur engagement, leur dynamisme et leur amour de la vie » (voir  https://www.ville-ge.ch/17mai-geneve et affiches dans toute la ville, voir ci-dessous). Outre les affiches, diverses activités ont également été prévues, notamment, le 17 mai, de mettre le Jet d’eau genevois aux couleurs arc-en-ciel emblématiques du mouvement.

Il s’agit de rappeler, selon les termes de Sandrine Salerno, que « ce qui est au cœur, c’est le droit d’aimer ».

* L’intersexuation désigne les personnes nées avec des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux définitions typiques d’homme ou de femme.

Affiches de la campagne de la Ville de Genève 2018

Affiches de la campagne de la Ville de Genève 2018

Par ailleurs, la ville de Genève a mandaté l’Association 360 (« Au service de notre diversité » http://association360.ch/) pour étudier les besoins spécifiques des personnes LGBTI de plus de 55 ans dans le contexte genevois. Ce mandat a donné lieu à un rapport de pré-enquête, à visée exploratoire (« Phase préparatoire en vue d’une enquête-actions sur les besoins des aîné.e.s lesbiennes, gays, bi et trans*, LGBT, à Genève », lien).

 

De ce rapport, il apparaît tout d’abord que les personnes âgées LGBT sont nombreuses à Genève. En effet, selon diverses études (notamment françaises), on peut considérer qu’il y a entre 5% et 10% de LGBT en zone urbaine. Comme le canton de Genève compte actuellement 16.4% de personnes âgées de plus de 65 ans et qu’elles représenteront plus de 23% de la population générale en 2040, le rapport estime qu’il y a actuellement entre 4’000 et 8’000 aîné.e.s LGBT dans le canton de Genève (dont un peu moins de la moitié en ville de Genève), et qu’elles seront entre 7'000 et 15'000 dans le canton à l’horizon 2040 (et entre 2'500 et 5'000 en ville de Genève). Il faut par ailleurs relever que les personnes LGBT ne sont pas encore dans les conditions optimales pour s’affirmer et donc apparaître toutes dans les statistiques.

 

Et pourtant, sur base de leur état des lieux à Genève (et, plus largement, en Suisse), les auteur.e.s du rapport concluent que « les aîné.e.s LGBT sont presque invisibles, le personnel manque de formation et les besoins spécifiques sociaux et de santé des aîné.e.s LGBT semblent être mis de côté, faute de politique inclusive généralisée ou de moyens financiers ». Il faut également noter que les professionnel.le.s LGBT sont aussi susceptibles d’être discriminé.e.s, que ce soit par leurs propres collègues ou par les personnes âgées dont elles s’occupent. Cette  situation n’est évidemment pas spécifique au canton de Genève (ou plus largement à la Suisse). Néanmoins, on a vu émerger une prise de conscience dans différentes villes et pays, s’accompagnant de divers types d’interventions visant à un changement de culture et de pratiques. Dans ce contexte, le rapport mentionne, de façon pertinente, que « la levée des tabous, l’amélioration des pratiques à l’égard des aîné.e.s LGBT bénéficiera à l’ensemble des seniors, quelles que soient leur orientation sexuelle et leur identité de genre, notamment pas une meilleure prise en compte de leurs besoins relationnels et sexuels » (voir notre chronique « La sexualité chez les personnes âgées vivant dans une structure d’hébergement à long terme » [lien]).

 

Le rapport reconnaît que plusieurs questions sont restées sans réponse dans cette pré-enquête, notamment faute de données statistiques. Ainsi, par exemple, certaines études menées en France ou aux Etats-Unis ont mis en évidence que la précarité économique toucherait tout particulièrement les personnes âgées LGBT, ce qui n’a pas pu être exploré dans la pré-enquête. Ce rapport plaide dès lors pour la mise en place d’une recherche-action impliquant les pouvoirs publics, les institutions travaillant en lien avec les personnes âgées, le monde associatif, l’économie privée, avec l’objectif d’identifier ou de préciser les besoins sociaux, de soutien et de santé des aîné.e.s LGBT, et de mettre en place des actions ciblées, avec suivi, évaluation et ajustement des pistes d’intervention. Il s’agirait aussi d’évaluer la pertinence et la faisabilité à Genève de certaines initiatives qui ont vu le jour ailleurs, parmi lesquelles le rapport pointe :

 

* La création d’un label « Ami-e des personnes âgées LGTB » et l’établissement de critères d’obtention de ce label pour les structures d’hébergement et les structures d’aide aux personnes (formation du personnel, cadre favorable à l’expression de sa sexualité et de son orientation sexuelle).

* La mise en place, en lien avec les associations, de modules de formation du personnel des structures d’hébergement et d’aide aux personnes dans le domaine de la sexualité des aîné.e.s (y compris des aîné.e.s LGBT).

* La valorisation et la transmission de la mémoire des aîné.e.s LGBT via, par exemple, un centre d’archivage associatif, les archives étant essentielles pour la construction d’une mémoire collective et communautaire (valorisation du passé militant, mémoire des discriminations vécues, reconnaissance et légitimation d’une histoire commune spécifique dont les générations actuelles de LGBT sont les héritières).

* L’organisation d’assises des aîné.e.s LGBT, afin de sensibiliser les institutions à la nécessité d’organiser des formations et de fédérer les employé.e.s LGBT (lesquel.le.s pourraient constituer des ambassadeur.drice.s essentiel.le.s d’espaces où la parole sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et la sexualité est libérée).

* La création de groupes d’aîné.e.s LGBT et le renforcement des groupes existants.

* L’organisation de moments de convivialité dans les clubs ou associations d’aîné.e.s, afin de libérer la parole des éventuelles personnes LGBT présentes ou d’amener de nouvelles personnes à fréquenter ces lieux.

* La création d’un lieu ouvert, de type permanence de jour, destiné aux aîné.e.s LGBT ou d’une permanence dédiée dans un lieu non spécifiquement LGBT

* Le lancement d’une permanence téléphonique de soutien et d’aide et la création d’un réseau d’échanges, éventuellement intergénérationnel, entre personnes LGBT.

Le Jet d'eau aux couleurs LGBT

Le Jet d'eau aux couleurs LGBT

Les personnes âgées LGBT présentant une « démence »

 

Plusieurs études qualitatives récentes se sont plus spécifiquement penchées sur le vécu des personnes âgées LGBT présentant une « démence » (voir p. ex. McGovern, 2014 ; Barrett et al., 2015 ; Fredriksen-Goldsen et al., 2018 ; McParland & Camic, 2018 ; Rosendale & Andrew Josephson, 2015). De façon générale, le défi auquel sont confrontées ces personnes est de résister à une double stigmatisation : celle en lien avec le diagnostic de « démence » et celle associée à leur sexualité. Cette résistance passe par une série de décisions difficiles, impliquant notamment le fait de dévoiler ou non leur sexualité, tout en s’assurant que les meilleurs soins continueront à leur être prodigués, et en tentant de promouvoir leur individualité et celle de leur couple. Dans ce contexte, il apparaît que les partenaires aient un rôle particulièrement important à jouer.

 

Après avoir passé en revue les différentes études consacrées aux personnes âgées LGBT présentant une « démence » (et plus largement aux personnes LGBT ayant eu un problème neurologique), Moreno, Laoch et Zasler (2017) ont proposé différentes recommandations visant à changer de culture dans la manière qu’ont les professionnel.le.s d’interagir avec ces personnes. Nous reprendrons ici celles qui nous apparaissent les plus pertinentes par rapport aux personnes LGBT ayant reçu un diagnostic de « démence » :

 

* L’orientation sexuelle et l’identité de genre ne sont pas des préférences et ne constituent pas une composante du style de vie. Les professionnel.le.s doivent être conscient.e.s du fait que l’orientation sexuelle et l’identité de genre font intrinsèquement partie des caractéristiques de la personne et ils/elles doivent dès lors éviter d’utiliser les termes de « préférence », « style de vie », ou « choix ».

* Explorer, au moyen de questions ouvertes, la manière dont la « démence » affecte la sexualité et demander s’il y a un point que les personnes LGBT souhaiteraient aborder.

* Examiner dans quelle mesure les personnes LGBT souhaitent faire connaître leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, et examiner avec elles les conséquences potentielles de cette révélation.

* Utiliser un langage neutre du point de vue du genre et non hétéronormatif, et ce, afin de transmettre l’acceptation par les professionnel.le.s de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, et ainsi de favoriser le lien avec les personnes LGBT. S’assurer que les supports écrits utilisés dans l’établissement (brochures, textes à des fin d’animation, etc.) adoptent un langage qui reflète l’inclusion des personnes LGBT (p. ex., partenaire ou être cher plutôt que mari ou femme ; parents plutôt que père et mère ; etc.).

* Mettre en question les stéréotypes négatifs que pourraient avoir les professionnel.le.s, en sachant qu’ils/elles peuvent avoir des niveaux variés de compétence culturelle LGBT : accroître la prise de conscience de la diversité sexuelle fait partie intégrante des responsabilités professionnelles et éthiques.

* Réfléchir à la façon dont les valeurs et les perspectives personnelles des professionnel.le.s peuvent avoir un impact sur leur travail auprès de personnes LGTB, et identifier les moyens de modifier ces conceptions et attitudes lorsqu’elles sont préjudiciables.

* Quand un.e partenaire est présent.e (ou tout autre être cher), lui permettre d’être partie prenante du processus de soins (bien entendu avec l’accord des personnes).

* Souvent, les familles biologiques ne constituent pas le groupe de soutien des personnes LGBT et c’est plutôt le cas des familles de choix ou familles sociales. Dans certains cas, les familles biologiques et les familles de choix devront négocier leur implication dans la planification des soins, mais les familles de choix ne devront pas être considérées comme moins importantes ou moins légitimes.

* Fournir aux proches aidants un soutien émotionnel, dénué de tout jugement.

* Fournir des espaces privés dans les structures d’hébergement, afin de permettre aux résidents LGBT d’exprimer librement leur amour, affection et intimité à leur partenaire (ou à tout autre être cher).

* Offrir le choix aux personnes LGBT d’opter pour des soins intimes prodigués par un.e professionnel.le.s du même genre, certaines personnes pouvant en effet considérer les soins intimes comme plus intrusifs s’ils sont prodigués par quelqu’un qui n’est pas du même genre. 

* Fournir des numéros de téléphone ou des aides en ligne permettant aux personnes LGBT et à leurs proches aidants de recevoir un soutien ou des conseils.

* Dans les établissements de soins ou d’hébergement, utiliser des signes permettant d’identifier que ces structures reconnaissent pleinement et acceptent les personnes LGBT (p. ex., un drapeau arc-en-ciel).

* Inclure explicitement la diversité de genre et de l’orientation sexuelle dans les règles et directives institutionnelles ; identifier la manière de dénoncer des pratiques discriminatoires et déterminer une personne ayant la responsabilité de répondre à ces situations, en assurant la confidentialité.  

La santé physique et psychologique des personnes LGBT et le risque de « démence »

 

Les personnes LGTB (qu’elles soient jeunes ou âgées) présentent de façon plus fréquente divers problèmes de santé physique et psychologique. Ainsi, par exemple, plusieurs  enquêtes réalisées entre 2002 et 2011 par l’association genevoise Dialogai (http://www.dialogai.org/), en collaboration avec l’Université de Zurich, montrent que, au-delà des infections sexuellement transmissibles, les hommes gays et bisexuels de Genève sont en plus mauvaise santé physique et psychologique que les hommes de la population générale, et ce, dans la plupart des domaines de la santé (allergies, sinusite, dépression, anxiété, migraine, herpès, tentatives de suicide, etc.). En outre, ils présentent plus souvent divers facteurs de risque, tels que tabagisme, consommation excessive d’alcool, usage de drogues, hypertension artérielle, taux de glucose trop élevé, taux de cholestérol trop élevé (pour une description plus détaillée de ces résultats, voir le pdf Stratégie santé 2030 [lien]). Les auteur.e.s de ces enquêtes en appellent ainsi à une approche holistique et communautaire de la prévention auprès des personnes LGBT, prenant en compte les aspects biologiques, psychologiques, sociaux et spirituels de la santé, et tout particulièrement les déterminants sociaux, culturels et environnementaux (LGBT-phobies, stigmatisation, discriminations, violences) des problèmes de santé.

 

Comme le relèvent Fredriksen et al. (2018), il en va globalement de même pour les personnes âgées LGBT, lesquelles reçoivent fréquemment des soins de santé de moindre qualité du fait de la perception de leur sexualité ou de leur identité de genre. La peur d’accéder à des soins de santé en dehors de leur communauté constitue une autre barrière à des soins adéquats. Elles sont également plus souvent confrontées à l’isolement social et au sentiment de solitude.

 

Cette prise en compte des problèmes de santé physique et psychologique, ainsi que des facteurs de risque, des personnes LGBT (jeunes et âgées), dans une démarche de prévention globale et communautaire, apparaît d’autant plus importante que, comme nous l’avons montré dans différentes chroniques de ce blog, plusieurs de ces problèmes de santé et facteurs de risque contribuent au développement d’un vieillissement cérébral et cognitif problématique (d'une "démence").

Une formidable BD de Thibaut Lambert, qui narre l'histoire d'un couple d'homosexuels dont l'un doit être institutionnalisé en raison de troubles cognitifs. Délicat, tendre, drôle, et très en phase avec le sujet de ce jour !

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Barrett, C., Crameri, P., Lambourne, S., Latham, J. R., & Whyte, C. (2015). Understanding the experiences and need of lesbian, gay, bisexual and trans Australians living with dementia, and their partners. Australasian Journal of Ageing, 34 Supplement, 34-38.

Frediksen-Goldsen, K. I., Jen, S., Bryan, A. E. B., & Goldsen, J. (2018). Cognitive impairment, Alzheimer’s disease, and other dementias in the lives of Lesbians, Gays, Bisexual and Transgender (LGBT) older adults and their caregivers : Needs and competencies. Journal of Applied Gerontology, 37, 545-569.

McGovern, J. (2014). The forgotten : Dementia and the aging LGBT community. Journal of Gerontological Social Work, 57, 845-857.

McParland, J., & Camic, P. M. (2018). How do lesbian and gay people experience dementia ? Dementia, 17, 452-477.

Moreno, A., Laoch, A., & Zasler, N. D. (2017). Changing the culture of neurodisability through language and sensitivity of providers : Creating a safe place for LGTBQIA+. NeuroRehabilitation, 41, 375-393.

Rosendale, N., & Andrew Josephson, S. (2015). The Importance of Lesbian, Gay, Bisexual, and Trasngender Health in Neurology. JAMA Neurology, 72, 855-856.

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17 mars 2018 6 17 /03 /mars /2018 21:27

Résumé

Au début de l’année 2018, deux études ont une fois encore rapporté les résultats négatifs d’importants essais de traitement pharmacologique de la « maladie d’Alzheimer ». Au même moment, le groupe pharmaceutique américain Pfizer annonçait qu’il renonçait à chercher de nouveaux médicaments contre les « maladies d’Alzheimer et de Parkinson ». Durant ces 15 dernières années, 400 essais cliniques visant des traitements médicamenteux de la « maladie d’Alzheimer » ont été enregistrés, avec un taux d’échec avoisinant les 100 % !

Pourtant, on continue à propager l’idée selon laquelle il existe des traitements médicamenteux efficaces et que de nouveaux traitements sont en voie d’être identifiés. Il y a cependant de plus en plus d’éléments amenant à considérer que l’approche consistant à rechercher le traitement « miracle » qui permettrait de traiter toutes les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » avec une même molécule est totalement illusoire, du fait de la  complexité et de l’hétérogénéité de cette « maladie » (ainsi que des autres « maladies neurodégénératives »).

Des recherches récentes indiquent bien que les personnes âgées présentant des manifestations neuropathologiques considérées comme typiques de la « maladie d’Alzheimer » montrent également, de façon fréquente, des pathologies cérébrovasculaires et d’autres lésions neuropathologiques. Ces multiples neuropathologies sont aussi présentes chez des personnes âgées avec des troubles cognitifs légers et même chez des personnes âgées sans trouble cognitif. Par ailleurs, il a également été observé une grande variabilité dans l’impact de chaque neuropathologie sur le déclin cognitif : selon les individus, une même cause ne produit pas les mêmes effets.

De fait, tout traitement ciblant une manifestation neuropathologique isolée de la « maladie d’Alzheimer » est voué à l’échec. Il faut donc urgemment changer de perspective au plan de la recherche (neurobiologique, pharmacologique et préventive), et promouvoir une approche qui prenne réellement en compte la complexité et la variabilité individuelle du vieillissement cérébral et cognitif.

Dans ce contexte, on a vu apparaître le concept de médecine dite « de précision », avec l’idée que cette approche de la médecine serait particulièrement pertinente dans le domaine de la « maladie d’Alzheimer », et plus généralement de la « démence ». La médecine de précision représente une approche du traitement médical et de la prévention qui ne considère plus la population comme homogène, et se donne dès lors pour objectif d’identifier quelles sont les stratégies de traitement et de prévention efficaces pour des sous-groupes particuliers de patients, en se basant sur des facteurs génétiques et épigénétiques, environnementaux et en lien avec le style de vie. Elle se nourrit notamment de connaissances (de données) obtenues via des recherches portant sur d’importantes cohortes de personnes.

La médecine de précision, appliquée à la démence, pourrait paraître bien adaptée à l’étude des multiples mécanismes et facteurs qui sont impliqués dans le vieillissement cérébral et psychologique problématique, et ce, de façon variable selon les personnes. Cependant, ce courant soulève de très nombreuses questions scientifiques, organisationnelles et économiques, cliniques, sociales, juridiques éthiques et philosophiques. En particulier, il se pose la question de la vision déshumanisante à laquelle elle conduit, ainsi que de son coût financier très important. De plus, des doutes ont été émis quant à sa faisabilité et à son utilité, qui restent toutes deux largement à démontrer.

S’il nous apparaît important que la recherche neurobiologique dans le domaine du vieillissement cérébral et cognitif prenne davantage en compte son caractère plurifactoriel et pluri-mécanismes, ainsi que son importante hétérogénéité, en abandonnant l’illusion du « médicament miracle », il ne faudrait pas pour autant que l’essentiel des ressources financières soient désormais consacrées à l’exploration de dysfonctionnements affectant des « systèmes neurobiologiques complexes » et au développement d’une « médecine et pharmacologie de précision », dont les succès à court ou moyen terme sont assez imprévisibles.

En effet, les besoins actuels sont déjà énormes ! Il est indispensable d’allouer ici et maintenant des moyens plus importants pour mettre en place :

- des actions communautaires favorisant l’engagement des personnes présentant une « démence » au sein même de la société, dans des activités qui leur permettent d’interagir avec d’autres, de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant ;

- des interventions psychologiques et psychosociales focalisées sur les difficultés quotidiennes et la souffrance psychologique de ces personnes, ainsi que celles de leurs proches ;

- des interventions de prévention focalisées sur des facteurs intervenant tout au long de la vie et dont les études épidémiologiques ont montré qu’ils étaient susceptibles de réduire ou de différer les expressions les plus problématiques des difficultés.

- des structures insérées dans les collectivités locales, en lien direct avec les services communaux, les associations, les structures d’hébergement à long terme, les médecins de famille, etc. Ce qui suppose aussi l’installation d’équipes multi- et interdisciplinaires.

En outre, il importe aussi de changer de culture dans les structures d’hébergement à long terme, en passant d’une approche centrée sur la sécurité, les questions médicales et l’uniformité à une approche davantage centrée sur la personne (ses aspirations, sa qualité de vie) et sur ses liens avec la société. Enfin, des actions devraient tout particulièrement être entreprises afin d’optimiser le bien-être des personnes âgées présentant une « démence » et qui sont en fin de vie

Des échecs retentissants et répétés dans la recherche pharmacologique

Au début de l’année 2018, un nouvel échec dans le traitement pharmacologique de la « maladie d’Alzheimer » a été rapporté par Atri et ses collaborateurs (2018). Cette étude a en effet montré l’absence d’effet bénéfique de l’idalopirdine (une molécule censée avoir des propriétés cholinergiques, glutamatergiques, dopaminergiques et noradrénergiques) sur le fonctionnement cognitif de personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » légère à modérée. Cet article décrit les résultats négatifs de trois essais cliniques randomisés de phase 3 (étude pivot de comparaison d'efficacité), multicentriques (119 sites dans l’étude 1, 158 sites dans l’étude 2, 126 sites dans l’étude 3) et multinationaux (16 pays impliqués dans l’étude 1, 18 pays dans l’étude 2, et 16 pays dans l’étude 3). En tout, ces essais ont recruté un total de 2525 personnes.

De même, en janvier 2018, Honig et collaborateurs ont décrit les résultats négatifs d’un essai (EXPEDITION 3) concernant le solanezumab, un anticorps monoclonal conçu dans le but de « nettoyer » le peptide amyloïde bêta du cerveau. Cet essai s’inscrivait dans la suite de deux essais précédents, pour lesquels des analyses secondaires avaient montré un modeste effet de ralentissement du déclin cognitif. Ce nouvel essai, qui a uniquement inclus des personnes avec une « maladie d’Alzheimer » légère et présentant des signes avérés de dépôt amyloïde, n’a pas confirmé l’effet bénéfique précédemment observé.

Il est à noter que, à la même période, le groupe pharmaceutique américain Pfizer a annoncé qu’il cesserait de chercher de nouveaux médicaments contre les « maladies d’Alzheimer et de Parkinson » et qu’il allouerait plutôt ses ressources à des domaines dans lesquels « son expertise est la plus forte ».

Comme le relève Bennett (2018), plus de 400 essais cliniques visant des traitements médicamenteux de la « maladie d’Alzheimer » ont été enregistrés durant ces 15 dernières années, avec un taux d’échec d’environ 100 %. Dans ce contexte, rappelons que, en octobre 2016, la Commission de la transparence de la Haute autorité de santé (HAS) en France jugeait inefficaces, et sources d'effets indésirables potentiellement graves et pouvant affecter la qualité de vie, quatre médicaments « anti-Alzheimer » pourtant largement prescrits (Ebixa®, Aricept®, Exelon®, et Reminyl®) et prônait qu’ils ne soient plus remboursés - avis qui n’a cependant pas été suivi par les responsables politiques français (voir nos chroniques « La Haute Autorité de Santé en France conclut à l’inefficacité des médicaments contre la « maladie d’Alzheimer » : cela mènera-t-il à un changement d’approche ? » ; « La France va-t-elle arrêter de rembourser les médicaments "anti-Alzheimer" ? »).

 

Et pourtant, en dépit de ces innombrables échecs thérapeutiques, différents chercheurs et cliniciens continuent à propager l’idée selon laquelle il existe des traitements médicamenteux efficaces et que de nouveaux traitements sont en voie d’être identifiés. Ainsi, par exemple, le Centre de la Mémoire des Hôpitaux Universitaires de Genève (dont nous avions déjà décrit les objectifs réductionnistes et pathologisants dans une chronique précédente « Quand un centre de la mémoire fait des annonces inacceptables sur le diagnostic précoce de la "maladie d’Alzheimer" ») et qui a été inauguré le 6 février 2018, annonce, dans un communiqué de presse (voir le pdf), qu’il « accorde une grande importance à la détection précoce de la maladie afin d’introduire un traitement le plus rapidement possible dans le but d’en freiner, voire stopper, la progression et d’améliorer la qualité de vie ». Par ailleurs, l’un des premiers objectifs affichés de ce centre est de « permettre à des patients de participer à des essais cliniques avec les techniques et les médicaments préventifs expérimentaux les plus innovants, tels qu’anti-amyloïde, anti-tau ou radiothérapie notamment ».

Il existe pourtant de plus en plus d’éléments amenant à considérer que l’approche qui consiste à rechercher le traitement « miracle » qui permettrait de traiter toutes les personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » avec une même molécule est totalement illusoire. Ce constat découle essentiellement de la complexité et de l’hétérogénéité de l’état appelée « maladie d’Alzheimer » (et d’ailleurs aussi des autres « maladies neurodégénératives »).

Quand des « expert.e.s en maladie d’Alzheimer » s'obstinent à nier la réalité !

L’hétérogénéité de la « maladie d’Alzheimer », de la « démence » et, plus généralement, du vieillissement

Les données cliniques et neuropathologiques obtenues par diverses études menées sur des échantillons issus de la population générale et qui ont incorporé une autopsie cérébrale montrent que la démence de type « maladie d’Alzheimer », mais aussi d’autres types de démences, se caractérisent par la présence concomitante de multiples manifestations neuropathologiques (voir Kapasi, DeCarli, & Schneider, 2017). Ainsi, les personnes âgées présentant des pathologies considérées comme typiques de la maladie d’Alzheimer (des plaques séniles et des dégénérescences neurofibrillaires) montrent également, de façon fréquente, des pathologies cérébrovasculaires (macro- et micro-infarctus, athérosclérose, artériosclérose, angiopathie amyloïde cérébrale), ainsi que diverses autres pathologies (corps de Lewy, TDP-43, sclérose hippocampique…). Il faut toutefois relever que ces multiples neuropathologies sont aussi relevées chez des personnes âgées avec des troubles cognitifs légers et chez des personnes âgées sans trouble cognitif...

Dans une étude récente, Boyle et al. (2018) ont examiné dans quelle mesure différentes neuropathologies contribuaient au déclin cognitif à un niveau individuel. Cette exploration a été menée auprès d’un échantillon de 1079 personnes âgées, issues de deux importantes recherches longitudinales, épidémiologiques et clinico-pathologiques consacrées au vieillissement. Ces personnes ont donc été suivies longitudinalement (sur une période allant jusqu’à 22 ans), avec notamment un suivi au plan cognitif (une mesure composite de fonctionnement cognitif établie à partir de 17 tests cognitifs). Par ailleurs, après leur décès (à un âge moyen de 89.7 ans), ces personnes ont fait l’objet d’une autopsie cérébrale et d’examens neuropathologiques, qui ont identifié des neuropathologies « Alzheimer » (plaques séniles, plaques diffuses, dégénérescences neurofibrillaires), des macro-infarctus, l’angiopathie amyloïde cérébrale, la protéine TDP-43, l’athérosclérose, l’artériosclérose, les corps de Lewy et la sclérose hippocampique.

Les résultats ont tout d’abord montré que la présence de neuropathologies est fréquente chez les personnes âgées et que, très souvent, plusieurs neuropathologies sont présentes de manière concomitante : 94% des personnes avaient une neuropathologie ou plus, 78% avaient 2 neuropathologies ou plus, 58% avaient 3 neuropathologies ou plus, 35% avaient 4 neuropathologies ou plus, et 16.8% avaient 5 neuropathologies ou plus. Les pathologies « Alzheimer » (plaques séniles, plaques diffuses et dégénérescences neurofibrillaires) étaient les plus fréquentes (65%), mais apparaissaient rarement de façon isolée (9%). Étonnamment, 236 combinaisons de neuropathologies ont été observées, chacune apparaissant dans moins de 6% de l’échantillon (il s’agit d’un nombre qui pourrait être obtenu sur base du hasard) et 100 combinaisons n’étaient présentes que chez un seul individu.

Par ailleurs, les auteurs ont examiné l’association entre les différentes neuropathologies et le déclin cognitif. A l’exception des micro-infarctus, toutes les neuropathologies étaient indépendamment associées à un niveau cognitif plus bas dans une période proche du décès et à un déclin cognitif plus rapide. Enfin, il est apparu que la contribution relative des neuropathologies spécifiques au déclin cognitif variait considérablement d’une personne à l’autre. Ainsi, par exemple, quand elles étaient présentes, les pathologies « Alzheimer » rendaient compte en moyenne de plus de 55% du déclin cognitif total. Cependant, à un niveau individuel, elles pouvaient rendre compte d’entre 22.3% et 100% du déclin cognitif, selon les autres neuropathologies présentes. Bien que présents dans seulement 10% environ de l’échantillon, les corps de Lewy et la sclérose hippocampique rendaient compte en moyenne, respectivement, de 41% et de 24.9% du déclin cognitif total, mais à nouveau avec des variations importantes dans la contribution au plan individuel (entre 20 et 50%). La protéine TDP-43 rendait compte de 23.8% du déclin cognitif total, avec une contribution au plan individuel allant de 15 à 35%. Les pathologies vasculaires rendaient compte d’environ 20% du déclin cognitif global, avec des variations au plan individuel entre 16 et 20%. Notons également que, sur les 35% des personnes examinées qui ne remplissaient pas les critères neuropathologiques de « maladie d’Alzheimer », 21% avaient pourtant reçu un diagnostic clinique de « maladie d’Alzheimer ». Et, sur les 44% des personnes qui avaient reçu un diagnostic clinique de « maladie d’Alzheimer » peu avant leur décès, 17% n’en avaient pourtant pas les critères neuropathologiques.

En conclusion, ces résultats confirment la présence fréquente de neuropathologies chez les personnes âgées, l’existence d’une importante comorbidité neuropathologique, et une grande variabilité, au plan individuel, dans l’impact de chaque neuropathologie sur le déclin cognitif.  

De façon intéressante, Boyle et al. (2013) ont également constaté que les neuropathologies considérées comme typiques des trois « maladies démentielles » les plus courantes (maladie d’Alzheimer, maladie cérébrovasculaire et maladie à corps de Lewy) expliquent moins de la moitié des différences interindividuelles dans le déclin cognitif.

En d’autres termes, il apparaît qu’une grande partie des problèmes cognitifs liés à l’âge et à la démence n’est pas expliquée et que d’autres mécanismes sont impliqués. Par exemple, parmi ces nouveaux mécanismes explorés, des anomalies dans les fonctions des astrocytes (des cellules gliales qui assurent diverses fonctions centrées sur le support et la protection des neurones) semblent être impliquées dans la pathogenèse des « maladies neurodégénératives » (Gorshkov, Aguisanda, Thorne, & Zheng, 2018).

Dans ce contexte d’une variabilité non expliquée, il s’agirait également de mieux comprendre les interactions entre les neuropathologies et les facteurs de résilience, à savoir les facteurs qui contribuent à préserver le fonctionnement cognitif en dépit de la présence de neuropathologies.

Il importe aussi de rappeler que plusieurs chercheurs (p. ex., Castellani & Perry 2012 ; Drachman, 2014) ont mis en question le fait que les modifications neuropathologiques (et tout particulièrement les plaques séniles/amyloïdes) pussent être la cause de la maladie d’Alzheimer. Castellani et Perry ont émis l’hypothèse selon laquelle ces modifications constitueraient plutôt un mécanisme adaptatif, voire une réponse protectrice du cerveau face à certaines atteintes dont il fait l’objet.  

Relevons enfin que l’hétérogénéité de la « démence », et notamment de la « maladie d’Alzheimer », se manifeste aussi sur le plan de l’atrophie cérébrale. Ainsi, Polakis et al. (2018) ont mis en évidence, chez 299 personnes ayant reçu un diagnostic clinique de « maladie d’Alzheimer probable » (selon les critères NINCDS/ADRDA ; avec un MMSE entre 20 et 26 et un CDR de 0.5 ou 1) et issues de deux cohortes multicentriques, 5 sous-types d’atrophie corticale et sous-corticale :

- un groupe avec une atrophie cérébrale minimale dans le cortex entorhinal gauche ;

- un groupe avec une atrophie dans les régions temporales et limbiques (sous-type « limbique prédominant ») ;

- un groupe avec une atrophie principalement dans les régions pariétales et frontales (sous-type « préservation des régions hippocampiques ») ;

- un groupe avec une atrophie diffuse dans plusieurs régions corticales et sous-corticales à l’exception des régions postcentrale, précentrale, frontale moyenne caudale, paracentrale et du cuneus (sous-type « diffus 1 ») ;

- un groupe avec une atrophie plus sévère et plus étendue dans pratiquement toutes les régions corticales et sous-corticales (sous-type « diffus 2 »).

Par ailleurs, ces différents sous-types diffèrent au niveau de l’âge, du début de la « maladie, du niveau scolaire et de la nature de déficits cognitifs. De plus, les sous-types « préservation des régions hippocampiques », « diffus 1 » et « diffus 2 » montrent un déclin cognitif plus important avec le temps. D’autres données concernant l’hétérogénéité de la « maladie d’Alzheimer (notamment, l’hétérogénéité des problèmes cognitifs et des trajectoires cognitives) peuvent être trouvées dans une de nos chroniques précédentes (« Quand l’hétérogénéité de la maladie d’Alzheimer, et plus généralement du déclin cognitif, s’affirme de plus en plus »).

Implications pour la recherche neurobiologique, pharmacologique et préventive

De façon générale, et comme le relève Bennett (2018 ; voir aussi Murphy, 2018), la comorbidité et l’hétérogénéité neuropathologiques qui caractérisent la « maladie d’Alzheimer » (et plus généralement les « démences ») conduisent à constater qu’un traitement pharmacologique / médical ciblant une manifestation neuropathologique isolée n’est et ne sera, de toute évidence, pas en mesure d’avoir un effet bénéfique significatif. De plus, il faut tenir compte du fait que l’efficacité d’un agent thérapeutique ciblant une manifestation neuropathologique spécifique variera selon la présence d’autres manifestations neuropathologiques.

Il y a donc un urgent besoin d’un changement de paradigme au plan de la recherche (neurobiologique, pharmacologique et préventive), avec une approche systémique qui prenne réellement en compte la complexité et la variabilité interindividuelle du vieillissement cérébral et psychologique (cognitif, socio-émotionnel, motivationnel).

Plus spécifiquement, il s’agirait d’explorer conjointement :

- les multiples mécanismes neurobiologiques impliqués dans la démence et les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres ;

- les différents facteurs de risque et de protection (génétiques, psychologiques, environnementaux, en lien avec le style de vie, culturels) mis en évidence par les études épidémiologiques et les mécanismes par lesquels ils agissent ;

- les capacités compensatoires (la plasticité cérébrale et psychologique) et les facteurs qui modulent cette plasticité et qui contribuent dès lors aux différences interindividuelles.

Dans ce contexte, Ganguli et collaborateurs (2018) ont suggéré de placer la recherche neurobiologique sur la démence dans le contexte de la vie réelle et de la population générale, à savoir mélanger les techniques et les modèles de la neuroscience avec ceux de l’épidémiologie et des biostatistiques. Cette approche que les auteurs ont intitulée « population neuroscience » devrait permettre de minimiser les biais de sélection typiques de la recherche clinique traditionnelle (p. ex., le recrutement au sein des consultations-mémoire), d’identifier des sous-groupes de personnes au sein de la population générale, de mieux comprendre ce qui les différencie (au plan neurobiologique et en termes de facteurs de risque et/ou de protection) et de déterminer ceux qui répondent à différentes stratégies de traitement et de prévention ; d’examiner des manifestations psychologiques (cognitives, socio-émotionnelles, motivationnelles) plus larges et plus variées ; de déterminer, via un suivi à long-terme de cohortes suffisamment importantes, des effets de cohorte (des effets en lien avec les caractéristiques particulières des populations examinées), ainsi que des fenêtres critiques d’exposition à des facteurs de risque et de protection.

Selon Ganguli et collaborateurs, cette approche de « population neuroscience » devrait fournir des informations précieuses pouvant utilement nourrir la médecine de précision (ou, selon un terme plus ancien, la médecine personnalisée) et, plus largement, la santé de la population.  

Quand des « expert.e.s en maladie d’Alzheimer » s'obstinent à nier la réalité !

Médecine de précision ou approche centrée sur la personne ?

La médecine de précision représente une approche émergente du traitement médical et de la prévention, qui prend en compte la variabilité individuelle dans les gènes, l’environnement et le style de vie. De façon plus spécifique, elle ne considère plus la population comme homogène et se donne dès lors pour objectif d’identifier quelles sont les stratégies de traitement et de prévention efficaces pour des sous-groupes particuliers de patients, en se basant sur des facteurs génétiques et épigénétiques, environnementaux et en lien avec le style de vie. La médecine de précision se distingue d’une médecine « à taille unique », selon laquelle les stratégies de traitement et de prévention sont développées pour la personne « moyenne », en considérant moins les différences entre individus (sur plusieurs facteurs). Elle est par ailleurs censée se nourrir de connaissances obtenues via des recherches portant sur d’importantes cohortes de personnes. Il faut relever qu’un groupe de travail s’est formé concernant la médecine de précision dans la « maladie d’Alzheimer » (Alzheimer Precision Medicine Initiative, APMI) et que ce groupe s’est récemment penché sur la question de la pharmacologie de précision (Hampel et al., 2018).

La médecine de précision, appliquée à la démence, apparaît de prime abord bien adaptée aux multiples mécanismes et facteurs qui sont impliqués dans le vieillissement cérébral et psychologique problématique, et ce, de façon variable selon les personnes. Cependant, et de façon générale, ce courant soulève de très nombreuses questions scientifiques, organisationnelles et économiques, cliniques, sociales, juridiques, éthiques et philosophiques (que nous n’aborderons évidemment pas toutes en détails dans cette chronique).

Ainsi, certains l’ont analysée comme un nouveau mythe consistant « […] à faire croire que l’analyse des données va révéler la vérité intime des pathologies, le comportement des structures biologiques. Et même assurer un nouveau bien-être de la population en ouvrant la voie à des vies sans fin et une communication exhaustive. Derrière la révolution annoncée par la médecine fondée sur les données (c’est ce qu’est en réalité la médecine de précision), il y a l’idée que les humains eux-mêmes ne sont que des systèmes de données » (Kiefer, 2015). Comme le relève également Kiefer (2016), « L’humain n’est pas qu’un objet transparent à des systèmes que le décrivent et l’expliquent. Il est aussi acteur, créateur de valeurs, de normes et, à la fin, de lui-même. C’est à nous tous et à chacun d’entre nous de définir à tout moment ce qu’est la santé : en ce sens seulement, on peut parler de médecine ou de santé personnalisée ».

Dans un article du journal Le Temps (https://www.letemps.ch/opinions/medecine-personnalisee-quelques-questions-impertinentes), Anne Sandoz, licenciée en lettres et théologienne, s’interroge aussi sur la vision que la médecine de précision (médecine personnalisée) véhicule : « Envisageons-nous l’humain de manière mécaniste en tant que porteur de multiples défectuosités potentielles qu’il s’agit d’identifier, d’anticiper, de corriger et de réparer en continu? Ou le concevons-nous comme un tout biologique, psychique, social, spirituel, en devenir permanent, avec ses imprévisibilités et ses ressources vitales propres ? Selon la réponse donnée, davantage de fonds seront alloués à la médecine «personnalisée», prédictive, qui engloutit des moyens colossaux tout en se limitant à des domaines spécifiques, ou en amont pour travailler sur ce qui favorise un état de santé global des individus et de la société ». Elle ajoute : « Parler de médecine personnalisée fait en effet rire jaune alors que patients et résidents d’EMS ne peuvent être conduits aux toilettes quand ils en expriment le besoin. Ou que des personnes handicapées à domicile attendent vainement de l’aide toute la matinée par manque de "ressources humaines"… ». Anne Sandoz incite enfin à repenser la notion de santé : « Parallèlement, nous pourrions repenser fondamentalement les notions mêmes de santé, de guérison et de maladie en sortant d’une logique binaire : la santé est-elle uniquement une absence de maladie ? N’y a-t-il guérison, comme le suggèrent les questionnaires des assurances-maladie, que lorsqu’un traitement est terminé avec un succès objectivement mesurable ? De quoi devons-nous en fait « guérir » ? De la non-acceptation de notre finitude ? De notre désir jamais assouvi de maîtrise ? De notre orgueil et de notre incapacité à reconnaître notre dépendance fondamentale les uns par rapport aux autres ? ».

D’autres ont émis des doutes quant à la faisabilité et à l’utilité de la médecine de précison, qui restent toutes deux largement à démontrer. Dans cette perspective, Khoury et Galea (2016) concluent leur analyse critique comme suit (traduit par nos soins) : « Même avec des millions de données biologiques recueillies auprès des individus, il se peut que des interventions au niveau de la population affectant le logement, la nutrition, la pauvreté, l'accès aux ressources et l'éducation aient plus de bénéfices pour la santé que des interventions individualisées. En fait, il est plus probable qu'une combinaison d'approches - allant d'interventions à l'échelle de la population à des interventions spécifiques adaptées à des groupes à risque élevé - sera nécessaire pour améliorer efficacement la santé de la population et réduire les disparités en matière de santé ».

Brave new medicine...

Brave new medicine...

Ainsi, autant il nous apparaît important que la recherche neurobiologique dans le domaine du vieillissement cérébral et cognitif (de la « démence ») prenne davantage en compte son caractère plurifactoriel et pluri-mécanismes - ainsi que son importante hétérogénéité - , en abandonnant l’illusion du « médicament miracle », autant il nous semble crucial de bien veiller à ce que l’essentiel des ressources financières ne soient pas consacrées à l’exploration de dysfonctionnements affectant des « systèmes neurobiologiques complexes » et au développement d’une « pharmacologie de précision », dont les succès à court ou moyen terme sont assez imprévisibles. En effets, les besoins actuels sont déjà énormes !

Dès à présent, il est indispensable d’allouer des moyens plus importants afin de mettre en place :

- des actions communautaires permettant de réduire les obstacles socialement imposés aux personnes âgées présentant une « démence », et de combattre la dévaluation, la stigmatisation et les inégalités de traitement dont elles font l’objet, la non satisfaction de certains de leurs besoins, et même la violation de leurs droits humains. Il s’agit donc de créer des lieux de vie qui « rendent capables les personnes présentant une démence » (dementia enabling communities) et de favoriser leur engagement au sein même de la société et des structures (sportives, culturelles, associatives) destinées à la population générale, dans des activités qui leur permettent d’interagir avec d’autres, de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant ;

- des interventions psychologiques et psychosociales focalisées sur les difficultés quotidiennes et la souffrance psychologique de ces personnes, ainsi que celles de leurs proches, et ce, à partir d’une interprétation psychologique individualisée (une formulation de cas), prenant en compte de façon intégrée différents types de processus psychologiques (cognitifs, affectifs, motivationnels, relationnels, identitaires), tout en tentant aussi d’identifier le rôle des facteurs biologiques, des facteurs socio-culturels et des événements de vie. Ces interventions devraient également être guidées par les composantes de la réappropriation de soi, à partir desquelles une personne peut retrouver - ou trouver - un sens à la vie, un sentiment de bien-être, une place dans la société selon son choix, le pouvoir d’agir, un rôle social, en dépit de difficultés psychologiques ou fonctionnelles. Pour rappel, ces composantes de la réappropriation de soi sont : être en relation et avoir le sentiment d’appartenir à une communauté ; avoir de l’espoir et de l’optimisme concernant le futur, en ayant le sentiment de pouvoir se réapproprier soi-même ; avoir un sentiment d’identité personnelle et s’affranchir de la stigmatisation ; donner un sens à sa vie et avoir des activités signifiantes ; avoir un sentiment de contrôle de son existence.

- des interventions de prévention focalisées sur des facteurs intervenant tout au long de la vie et dont les études épidémiologiques ont montré qu’ils étaient susceptibles de réduire ou de différer les expressions les plus problématiques des difficultés. Dans ce contexte, on ne peut que se réjouir du rapport « Prévention de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées » rédigé sous l’égide du Haut Conseil de la Santé Publique en France, publié en décembre 2017, et qui dresse un tableau riche et complet de la question de la prévention dans le domaine du vieillissement cérébral et cognitif problématique (voir le pdf). Il faut cependant prendre conscience du fait qu’un grand nombre d’entre nous rencontrerons, durant le grand âge, des difficultés physiques, cognitives et fonctionnelles, même si des interventions de prévention sont mises en place. De ce point de vue, la conception du « vieillissement réussi » (successful aging), qui met l’accent sur les choix individuels d’un style de vie potentiellement bénéfique et sur la responsabilité personnelle dans l’optimisation du fonctionnement quotidien, conduit de fait à dévaluer, voire à mettre en accusation, les personnes âgées présentant des troubles cognitifs et fonctionnels. En outre, elle néglige le fait que ces choix et cette responsabilité sont aussi fortement contraints par des facteurs socio-économiques et environnementaux (ressources financières, éducation, accès aux soins de santé et aux activités stimulantes). Rappelons également que les interventions de prévention doivent se fonder sur une approche holistique, prenant en compte les facteurs psychologiques, sociaux, culturels, etc., et pas uniquement sur les facteurs médicaux, et qu’elles nécessitent dès lors des équipes pluridisciplinaires.

La mise en place de mesures visant à valoriser et renforcer le potentiel des aînés, à prendre en compte leur point de vue et leurs souhaits, à faciliter leur participation citoyenne, à briser leur isolement et à maintenir le plus longtemps possible leur santé, leur autonomie et leur bien-être, passe par le développement d’interventions et de structures insérées dans les collectivités locales, en lien direct avec les services communaux, les associations, les structures d’hébergement à long terme, les médecins de famille, etc. En d’autres termes, il s’agit d’offrir aux personnes âgées présentant une « démence », ainsi qu’à leurs proches, des possibilités d’évaluation, de conseils, d’interventions et de suivi au sein même de leur milieu de vie, c’est-à-dire dans des structures de soins primaires, et non au sein de consultations ou centres de mémoire spécialisés. Cela suppose aussi la mise en place d’équipes multi- et interdisciplinaires (avec des psychologues, des médecins, des travailleur·se·s sociaux·ales, des infirmier·ère·s, des médiateur·trice·s culturel·le·s, etc., aucune profession n’ayant préséance sur l’autre).

Enfin, il importe également de changer de culture dans les structures d’hébergement à long terme, en passant d’une approche centrée sur la sécurité, les questions médicales et l’uniformité (avec la pathologisation des comportements et la surconsommation médicamenteuse qui en découlent) à une approche davantage centrée sur la personne (ses aspirations, sa qualité de vie) et sur ses liens avec la société. Plus spécifiquement, il s’agit de s’attaquer aux quatre fléaux que sont la solitude, le sentiment d’impuissance, l’ennui, et les activités qui n’ont pas de sens. En outre, des actions devraient tout particulièrement être entreprises afin d’optimiser le bien-être des personnes âgées présentant une démence et qui sont en fin de vie.

Quand des « expert.e.s en maladie d’Alzheimer » s'obstinent à nier la réalité !

Références

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Boyle, P.A., Yu, L., Wilson, R.S., Schneider, J.A., & Bennett, D.A. (2018). Person-specific contribution of neuropathologies to cognitive loss in old age.Annals of Neurology, 83, 74-83.

Castellani, R. J., & Perry, G. (2012). Pathogenesis and disease-modifying therapy in Alzheimer’s disease: The flat line of progress. Archives of Medical Research, 43, 694-698.

Drachman, D. (2014). The amyloid hypothesis, time to move on: Amyloid is the downstream result, not the cause, of Alzheimer’s disease. Alzheimer’s and Dementia, doi:10.1016/j.jalz.2013.11.003.

Ganguli, M., Albanese, E., Seshadri, S., Bennett, D. A., Lyketsos, C., Kukull, W. A., … Hendrie, H. C. (2018). Population neuroscience. Dementia epidemiology serving precision medicine and population health. Alzheimer Disease & Associated Disorders, 42, 1-9.

Gorshkov, K., Aguisanda, F., Thorne, N., & Zheng, W. (2018). Astrocytes as targets for drug discovery. Drug Discovery Today, 17, 30472-30475.

Hampel, H., Vergallo, A., Aguilar, L. F., Benda, N., Broich, K., … Lista, S., for the Alzheimer Precision Medicine Initiative, APMI (2018). Precision pharmacology for Alzheimer’s disease. Pharmacological Research, sous presse.

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Kapasi, A., DeCarli, Ch., & Schneider, J. A. (2017). Impact of multiple pathologies on the threshold for clinically over dementia. Acta Neuropathologica, 134, 171-186.

Kiefer, B. (2015). Médecine de précision, le nouveau mythe. Revue Médicale Suisse, 464, 580.

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Poulakis, K., Pereira, J. B., Mecocci, P., Vellas, B., Tsolaki, M., Kloszewska, I., … Westman, E. (2018). Heterogeneous patterns of brain atrophy in Alzheimer’s disease. Neurobiology of Aging, 67, 98-108.

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27 juin 2017 2 27 /06 /juin /2017 23:17

Diverses expériences sociales ont récemment été menées dans le but de favoriser l’insertion sociale, la qualité de vie et le bien-être des personnes ayant reçu un diagnostic de démence. Ainsi, dans plusieurs pays, de nombreuses initiatives ont vu le jour, visant à développer des lieux de vie « amis des personnes présentant une démence » (dementia-friendly communities). Par ailleurs, on a vu apparaître un autre discours sur la démence, s’éloignant  du discours tragique fait de perte, de déclin et de mort : le discours du « vivre bien avec une démence ». Ces expériences ne sont cependant pas dépourvues d’ambiguïtés. Plus fondamentalement, leur limite majeure est, pour la plupart d’entre elles, de ne pas mettre réellement en question le modèle biomédical de la démence.

En fait, les représentations sociales négatives, voire apocalyptiques, sur la démence sont encore très fortement ancrées dans l’esprit de la population. Il a été maintes fois montré que la conception neurobiologique de la maladie d’Alzheimer (et par extension de la démence) et le langage tragique qu’elle véhicule représentent une construction sociale qui a notamment émergé dans le contexte d’une vision de la société focalisée sur l’efficacité, le rendement, la compétition et l’individualisme, ainsi que de la neuroculture dans laquelle le réductionnisme neurobiologique est devenu une pensée dominante

Une autre conception qui réintègre les manifestations problématiques du vieillissement cérébral et cognitif dans le contexte plus large du vieillissement et qui prend en compte la complexité et la diversité des facteurs et mécanismes en jeu, intervenant tout au long de la vie, peut nous inviter à considérer que nous partageons tous les vulnérabilités liées au vieillissement cérébral et cognitif. Dans cette perspective, Behuniak (2010) propose précisément de considérer les personnes présentant une démence avant tout comme des personnes vulnérables, la vulnérabilité renvoyant à l’incertitude concernant la capacité d’une personne à protéger ses intérêts propres. Ainsi, une personne vulnérable est quelqu’un qui peut, parfois, et pour certaines tâches, avoir besoin de protection ou de soins particuliers, sans que ça la prive de ses droits, de sa dignité, de sa citoyenneté et de son humanité. De plus, cette conception de la vulnérabilité met en avant les liens qui nous relient aux autres, dans la mesure où nous sommes tous susceptibles de devenir vulnérables et nous partageons tous la responsabilité de répondre aux besoins de personnes vulnérables.

Les postulats, concepts et pratiques de l’approche biomédicale dominante de la maladie d’Alzheimer, et plus généralement de la démence, sont de plus en plus mis en doute. Dans un éditorial intitulé Branle-bas (éditorial du numéro de juin 2017 de la revue de presse Actualités Alzheimer réalisée par la Fondation Médéric Alzheimer), Jacques Frémontier souligne les nombreuses incertitudes - ou certitudes ébranlées - qui touchent la « planète Alzheimer » (lien).

Dans ce contexte de « branle-bas généralisé », on voit apparaître une aspiration croissante (que ce soit dans la recherche ou dans la pratique clinique) à une approche qui assume réellement la complexité et les nuances du vieillissement cérébral et cognitif problématique, et qui le réintègre dans le cadre plus général du vieillissement, dans ses multiples expressions, sous l’influence de nombreux facteurs et mécanismes intervenant tout au long de la vie (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, sous presse ; Leblond, Juillerat Van der Linden & Van der Linden, 2017).

On assiste également à une réflexion humaniste concernant les moyens et actions à mettre en œuvre collectivement pour valoriser et renforcer le potentiel des personnes âgées ayant reçu un diagnostic de démence, pour prendre en compte leur point de vue et leurs souhaits, pour leur donner plus de responsabilités dans les décisions, pour faciliter leur participation citoyenne et leur engagement dans des activités (au sein même des structures destinées à la population tout-venant) qui leur permettront d’interagir avec d’autres, de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant.

Dans cette perspective, diverses expériences sociales ont récemment été menées dans le but de favoriser l’insertion sociale, la qualité de vie et le bien-être des personnes ayant reçu un diagnostic de démence. Nous en montrerons l’intérêt mais aussi les limites.    

Une société « amie des personnes présentant une démence » (dementia-friendly community) ou une société « qui rend capables les personnes avec une démence » (dementia enabling community) ?

Dans plusieurs pays (au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Australie, au Japon, aux Pays-Bas, en Belgique), de nombreuses initiatives ont vu le jour visant à développer des lieux de vie « amis des personnes présentant une démence » (dementia-friendly communities ; voir Lin, 2017).

Ainsi, par exemple, l’aéroport de Heathrow, en Angleterre, s’est engagé en août 2016 à devenir le premier aéroport « ami des personnes présentant une démence » (lien). Cette démarche s’est inscrite dans le contexte plus général du Prime Minister’s 2020 Challenge on Dementia incitant, entre autres, les structures publiques et privées à prendre des engagements (sous forme de chartes et de programmes de formation des employé-e-s) dans le but de devenir « amies de la démence » (lien).

Par ailleurs, partant de l’idée que créer une société « amie des personnes avec une démence » implique aussi d’améliorer les connaissances et les attitudes des enfants concernant la démence, Jess Baker a élaboré, en Australie, un programme d’éducation sur la démence destiné aux enfants de 10 à 12 ans, avec des résultats préliminaires positifs (lien). Des programmes d’éducation sur la démence et de soutien à des actions sociales, destinés aux enfants et jeunes adultes (entre 5 et 25 ans), ont également été mis en place par la Société Alzheimer d’Angleterre, d’Irlande du Nord et du Pays de Galles (lien). De plus, aux Etats-Unis, Sun et collaborateurs (2017) ont abordé la question des lieux de vie « amis des personnes avec une démence » en examinant les connaissances des policiers concernant la démence et en insistant sur la nécessité de leur proposer un programme visant à accroître ces connaissances, à réduire leurs stéréotypes et à améliorer leurs compétences dans les interactions avec ces personnes.

Ces expériences, et il y en a bien d’autres, ont clairement le mérite d’amener la société, dans ses différentes composantes, à mieux comprendre, soutenir et respecter les personnes présentant une démence, ainsi qu’à favoriser leur insertion sociale. Cependant, Shakespeare, Zeilig et Mittler (2017) ont indiqué en quoi il ne suffisait pas d’être gentil, compréhensif et accueillant envers les personnes avec une démence, mais qu’il fallait aussi, plus fondamentalement, se pencher sur les obstacles socialement imposés qu’elles rencontrent (et pas uniquement les obstacles en lien avec leurs déficits), sur la dévaluation, la stigmatisation et les inégalités de traitement dont elles font l’objet, sur la non satisfaction de certains de leurs besoins (p. ex., dans le domaine de la santé, des transports, de l’habitat, etc.) et même sur la violation de leurs droits humains. En ce sens, le terme « dementia-friendly communities » leur apparaît inapproprié (et teinté de condescendance charitable), et les auteurs suggèrent de lui préférer celui de « dementia enabling communities » (lieux de vie qui rendent capables les personnes présentant une démence).

Shakespeare, Zeilig et Mittler, ayant chacun vécu l’expérience du handicap (le premier auteur ayant un handicap physique, la deuxième ayant un problème de santé mentale et le troisième ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer ») suggèrent par ailleurs d’envisager la démence dans le contexte du modèle social du handicap, lequel met l’accent sur les obstacles (culturels, sociaux, psychologiques et physiques) érigés par les personnes non handicapées, qui empêchent les personnes handicapées d’être pleinement intégrées à la société, voire même qui les en excluent. Dans ce contexte, les auteurs considèrent que la démence devient aussi une question relevant des droits humains, et plus spécifiquement de la Convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées (tout en reconnaissant que cette convention s’inscrit dans une perspective par trop individualiste, négligeant ainsi la réalité complexe et interdépendante de la vie des personnes handicapées).

Dans cette perspective des droits humains appliqués à la démence, plusieurs démarches militantes (dementia activism) ont été entreprises par des personnes présentant une démence afin de faire entendre leur voix et reconnaître leur identité, de résister au déni de pouvoir dont elles font l’objet et de mettre en avant leur statut de citoyen, avec les droits qui y sont associés (Bartlett, 2014). De façon plus spécifique, Charras, Eynard et Viatour (2016) ont montré tout l’intérêt qu’il y avait à analyser la conception des structures d’hébergement à long terme destinées aux personnes présentant une démence et l’utilisation de l’espace dans ces structures à partir de plusieurs principes des droits humains (le respect, la liberté, la dignité et l’égalité).

Behuniak (2010) considère cependant que l’accent mis sur la citoyenneté des personnes présentant une démence et l’égalité des droits qui y est associée comporte des aspects problématiques. Plus spécifiquement, le problème survient quand il existe des différences tellement significatives entre les individus que des différences de traitement se justifient, comme cela peut être le cas chez des personnes présentant des troubles cognitifs ou socio-émotionnels importants. Dans ce contexte, Bartlett et O’Connor (2007) suggèrent d’adopter une perspective plus large, qui intègre la personne (et son identité individuelle) et le citoyen, mais qui reconnaît aussi la complexité de l’expérience humaine. De même, assumant eux-aussi la complexité des expressions de la démence, Shakespeare, Zelig et Mittler proposent finalement d’adopter un modèle stratifié, dans lequel différents niveaux (biologique, psychologique, environnemental, social, légal) interagissent pour produire l’expérience du handicap chez les personnes présentant une démence.

Vivre bien avec une démence, mais aussi prendre en compte la souffrance !

Ces dernières années, on a vu apparaître un autre discours sur la démence, s’éloignant du discours tragique fait de perte, de déclin et de mort : le discours du « vivre bien avec une démence ». Ainsi, selon Woods (2012), il s’agit d’entrer dans une ère nouvelle, dans laquelle, au-delà des préoccupations médicales et de soins, nous apprendrons à vivre bien avec la démence. Woods considère que le défi le plus important est de favoriser l’engagement des personnes âgées présentant une démence, au sein même de la société et des structures (sportives, culturelles, associatives) destinées à la population générale, dans des activités qui leur permettent d’interagir avec d’autres, de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant. Pour Potts (2013), il importe d’essayer de rendre chaque moment de la vie de ces personnes aussi bon que possible, en facilitant leur créativité, leur expression de soi, leur communication, leur compréhension et en rétablissant leur dignité.

A nouveau, cette approche conduit à contrer la représentation apocalyptique dominante de la démence et à encourager l’intégration sociale des personnes qui ont reçu ce diagnostic. Cependant, un regard critique, issu notamment des sciences sociales (voir, p. ex., McParland, Kelly & Innes, 2017), a été porté sur ce discours positif, en considérant qu’il conduisait à exclure et dévaluer les personnes âgées présentant les problèmes les plus importants, ou celles qui, pour des raisons socio-économiques, géographiques ou environnementales, seraient moins à même de « vivre bien » avec leur démence.

En outre, Bartlett, Windemuth-Wolfson, Oliver et Dening (2017) ont indiqué en quoi ce discours consistant à « vivre bien avec la démence » pouvait conduire à dénier la souffrance des personnes âgées présentant une démence et de leurs proches, ainsi qu’à négliger les moyens à mettre en œuvre pour reconnaître, comprendre et réduire cette souffrance. Il paraît donc essentiel de reconnaître la réalité complexe de la vie des personnes présentant une démence et de celle de leurs proches, avec leurs potentiels et leurs limites, leurs plaisirs et leurs souffrances, leurs compétences et leurs vulnérabilités. De ce point de vue, comme le relève justement Linda Clare (2017), il est essentiel, en parallèle avec les démarches communautaires visant à favoriser l’intégration sociale et le « vivre bien » des personnes présentant une démence, de leur proposer, à un niveau plus individuel, des interventions psychologiques focalisées sur leurs difficultés quotidiennes et leur souffrance psychologique, ainsi que celles de leurs proches (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2016, et Juillerat Van der Linden & Van der Linden, 2016, pour une présentation des différents types d’interventions psychologiques et psychosociales pouvant être proposées aux personnes présentant une démence).

Le chemin sera long et difficile…    

Nous avons vu que les initiatives ayant pour but d’établir des « communautés ou structures amies des personnes présentant une démence » ou de favoriser le « vivre bien avec la démence » ne sont pas dépourvues d’ambiguïtés. Plus fondamentalement, nous pensons que la limite majeure de ces expériences est de ne pas mettre réellement en question le modèle biomédical de la démence ou de la maladie d’Alzheimer (ces initiatives sont d’ailleurs très souvent issues des Associations / Sociétés/ Ligues Alzheimer).

En fait, les représentations sociales négatives, voire apocalyptique, sur la démence sont encore très fortement ancrées dans l’esprit de la population, même si des images plus positives tentent de s’insérer dans ce tableau tragique. Il est utile de rappeler ici le travail effectué en 2011 par les chercheurs belges Van Gorp et Vercruysse sur la façon dont les médias caractérisent la maladie d’Alzheimer (voir notre chronique). Ces chercheurs avaient alors mis en évidence 6 thèmes dominants :

1. La personne présentant une maladie d’Alzheimer est vue comme un zombie : bien que son corps soit encore en vie, l’être humain qui l’habite peut déjà être tenu pour mort puisqu’il a perdu sa personnalité et son identité

2. La maladie d’Alzheimer est présentée comme un ennemi, un monstre, un mal absolu qui doit être combattu, éradiqué à tout prix.

3. La foi dans la science qui laisse entrevoir un espoir de guérison de cette « maladie », pour autant que l’on continue à consacrer suffisamment d’argent à la recherche biomédicale.

4. Le lien avec la mort : le diagnostic est assimilé à une condamnation à mort, le début d’une catastrophe totale.

5. Les rôles inversés : les personnes présentant une maladie d’Alzheimer redeviennent des enfants, ce qui implique une inversion des rôles (les enfants deviennent les parents de leurs parents).

6. L’accent est mis sur le fardeau que représentent les personnes présentant une maladie d’Alzheimer pour leurs proches

Or, il a été maintes fois montré que cette conception neurobiologique de la maladie d’Alzheimer (de la démence) et le langage tragique qui lui est associé représentent une construction sociale, qui a notamment émergé dans le contexte d’une vision de la société focalisée sur l’efficacité, le rendement, la compétition et l’individualisme, un monde où la fragilité et la finitude n’ont pas leur place, ce qui a dès lors contribué à pathologiser et médicaliser le vieillissement (voir Whitehouse & George, 2009). Par ailleurs, cette représentation biomédicale et négative de la maladie d’Alzheimer a été renforcée par la neuroculture qui gouverne ce début de 21e siècle, dans laquelle le réductionnisme cérébral et, plus largement, neurobiologique, est devenu une pensée dominante et a conduit à réduire les comportements, les croyances, les compétences à leurs seuls déterminants biologiques (voir Williams et al., 2012).

Une autre conception qui réintègre les manifestations problématiques du vieillissement cérébral et cognitif dans le contexte plus large du vieillissement et qui prend en compte la complexité et la diversité des facteurs et mécanismes en jeu, intervenant tout au long de la vie, peut nous inviter à une réflexion sur nous-mêmes, et à plus d’humilité concernant les défis liés à l’âge auxquels nous devons ou devrons faire face. Elle devrait aussi nous amener à ne pas considérer le monde comme étant divisé entre celles et ceux qui ont une démence et celles et ceux qui ne l’ont pas, mais plutôt à penser que nous partageons toutes et tous les vulnérabilités liées au vieillissement cérébral et cognitif, et dès lors à ne pas enfermer les personnes dans des catégories diagnostiques réductrices, pathologisantes et stigmatisantes.

Dans cette perspective, Behuniak (2010) propose de considérer les personnes avec une démence comme des personnes vulnérables. Ce concept de vulnérabilité a été utilisé dans de nombreuses acceptions et a fait l’objet de différentes critiques, mais Behuniak suggère de l’adopter pour renvoyer spécifiquement à l’incertitude concernant la capacité d’une personne de protéger ses intérêts propres. Il ne s’agit donc pas de mettre l’accent sur la dépendance, mais sur un questionnement concernant la capacité de prise de décision d’un individu. Cette manière d’envisager la vulnérabilité évite de l’assimiler à la vieillesse, à la fragilité, ce qui saperait de facto l’autonomie et le pouvoir présumés de nombreux individus compétents. Ainsi, une personne vulnérable est quelqu’un qui peut, parfois, et pour certaines tâches, avoir besoin de protection ou de soins particuliers, sans que cela la prive de ses droits, de sa dignité, de sa citoyenneté et de son humanité. De plus, cette conception de la vulnérabilité met en avant les liens qui nous relient aux autres, dans la mesure où nous sommes tous susceptibles de devenir vulnérables et nous partageons tous la responsabilité de répondre aux besoins de personnes vulnérables.

Tel qu’utilisé par Behuniak, le concept de vulnérabilité met l’accent sur la qualité des relations plutôt que sur l’autonomie, sur la responsabilité plutôt que sur les droits. La vulnérabilité est donc une différence qui doit être intégrée à une théorie de l’identité individuelle plutôt qu’être utilisée comme une raison d’exclure la personne ou de la disqualifier.

Ainsi, la question du regard social qui est posé sur la démence – et des pratiques sociales qui en découlent –  renvoie en fait à la question plus générale de la place accordée aux citoyens vulnérables dans notre société.

Défendre une autre manière de penser le vieillissement, c’est dès lors s’engager pour un autre type de société, dans laquelle la vulnérabilité a toute sa place !

 

Références

Bartlett, R. (2014). The emergent modes of dementia activism. Ageing & Society, 34, 623-644.

Bartlett, R., & O’Connor, D. (2007). From personhood to citizen: Broadening the lens for dementia to practice and research. Journal of Aging Studies, 21, 107-118.

Bartlett, R., Windemuth-Wolfson, L., Oliver, K., & Dening, T. (2017). Suffering with dementia: the other side of « living well ». International Psychogeriatrics, 29, 177-179.

Behuniak, S.M. (2010). Toward a political model of dementia: Power as compassionate care. Journal of Aging Studies, 24, 231-240.

Charras, K., Eynard, C., & Viatour, G. (2016). Use of space and human rights: Planning dementia friendly settings. Journal of Gerontological Social Work, 59, 181-204.

Clare, L. (2017), Rehabilitation for people living with dementia: A practical framework of positive support. PLOS Medicine, 14 (3): e1002245.

Juillerat Van der Linden, A.-C., & Van der Linden, M. (2016). Les interventions psychologiques et psychosociales chez les personnes présentant une démence sévère. In X. Seron & M. Van der Linden (Eds.), Traité de Neuropsychologie Clinique de l’Adulte (deuxième édition), Tome 2, Revalidation. Paris : De Boeck / Solal.

Leblond, J., Juillerat Van der Linden, A.-C., & Van der Linden, M. (2017). A life-span and plurifactorial approach to Alzheimer’s disease. Journal of Neurology & Neuromedicine, 2, 7-10.

Lin, S.-Y. (2017). ‘Dementia-friendly communities’ and being dementia friendly in healthcare settings. Current Opinion in Psychiatry, 30, 145-150.

Mc Parland, P., Kelly, F., & Innes, A. (2017). Dichotomising dementia: is there another way ? Sociology of Health & Illness, 39, 259-269.

Shakespeare, T., Zelig, H., & Mittler, P. (2017). Rights in mind: Thinking differently about dementia and disability. Dementia, sous presse.

Sun, F., Gao, X., Brown, H., & Winfree Jr, L. Th. (2017). Police officer competencies handling Alzheimer’s cases : The role of knowledge, beliefs, and exposure. Dementia, sous presse.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2016). Les interventions psychologiques et psychosociales chez les personnes présentant une démence légère à modérée. In X. Seron & M. Van der Linden (Eds.), Traité de Neuropsychologie Clinique de l’Adulte (deuxième édition), Tome 2, Revalidation. Paris : De Boeck / Solal.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2017). A life course and multifactorial approach to Alzheimer’s disease: Implications for research, clinical assessment and intervention practices. Dementia, sous presse.

Van Gorp, B., & Vercruysse, T. (2011). Framing et reframing : Communiquer autrement sur la maladie d’Alzheimer. Bruxelles : Fondation Roi Baudouin.

Whitehouse, P., & George, D. (2009). Le mythe de la maladie d’Alzheimer. Ce qu’on ne vous dit pas sur ce diagnostic tant redouté (traduit par A.-C. Juillerat Van der Linden & M. Van der Linden). Paris: DeBoeck/Solal.

Williams, S.J., Higgs, P., & Katz, S. (2012). Neuroculture, active ageing and the “older brain”: problems, promises and prospects. Sociology of Health & Illness, 34, 64-78.

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5 février 2017 7 05 /02 /février /2017 21:31

La conception du vieillissement cérébral et cognitif que nous défendons encourage à assumer la complexité et la diversité des facteurs et mécanismes en jeu, intervenant tout au long de la vie, et conduit à envisager autrement, non seulement l’évaluation des difficultés cognitives et fonctionnelles des personnes âgées, mais aussi la façon d’intervenir sur ces difficultés.

Face au constat d’inefficacité des interventions pharmacologiques et du fait de la multiplicité des mécanismes impliqués, il paraît essentiel d’aboutir à un rééquilibrage des interventions, en faveur des approches psychologiques et psychosociales, ayant pour but d’optimiser la réalisation des activités quotidiennes, le bien-être et la qualité de vie, ainsi que de la prévention, pour différer ou réduire les expressions problématiques du vieillissement cérébral et cognitif.

Dans un chapitre récemment paru (2016) dans le second tome de la nouvelle édition du « Traité de Neuropsychologie clinique » dédié à la revalidation, nous passons en revue et avec un regard critique certaines méthodes d'intervention « classiques » et abordons en détail les avancées que le domaine de la revalidation pour les personnes âgées a connu au cours de ces dernières années. Cette présentation est fréquemment assortie d’exemples pour donner des pistes concrètes aux intervenants.

Parmi les thèmes abordés, citons la stimulation cognitive et l’entraînement cognitif, le développement d’interventions psychologiques individualisées et focalisées sur des buts dans la vie quotidienne, la présentation de stratégies d’intervention pour ces interventions individualisées (facilitation, apprentissage ou réapprentissage de connaissances spécifiques, aides externes et structuration de l’environnement) …

L’attention des lecteurs est aussi portée sur la nécessité de promouvoir des objectifs d’intervention plus directement en lien avec les dimensions d’identité, de qualité de vie et de bien-être. Enfin, plusieurs paragraphes sont accordés aux interventions de prévention à diverses étapes de l’existence.

En conclusion, il apparaît clairement que, comme l’indique Woods (2012), le défi le plus important est de favoriser l’engagement des personnes âgées présentant une démence au sein même de la société et des structures (sportives, culturelles, associatives) destinées à la population générale, dans des activités qui leur permettront d’interagir avec d’autres, de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant.

En effet, toujours selon Woods, « il s’agit d’entrer dans une ère nouvelle, dans laquelle, au-delà des préoccupations médicales et de soins, nous apprendrons à vivre bien avec la démence, pour le bénéfice de tous ». Objectif qui rejoint complétement celui que nous poursuivons au-travers de ce blog et de nos travaux, et le chapitre présenté ici peut clairement permettre de s’engager dans cette démarche.  

 

 

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.C. (2016). Les interventions psychologiques et psychosociales chez les personnes présentant une démence légère à modérée. In X. Seron & M. Van der Linden (Eds.), Traité de Neuropsychologie Clinique de l’Adulte (deuxième édition), Tome 2, Revalidation. Paris : De Boeck / Solal (pp. 411-436).

Woods, B., (2012). Well-being and dementia - how can it be achieved? Quality in Ageing and Older Adults, 13, 205-211.

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16 octobre 2016 7 16 /10 /octobre /2016 18:10

Changer le regard que la société adresse aux personnes âgées et celui que les personnes âgées portent sur elles-mêmes

Un nombre croissant d’études confirme que les stéréotypes négatifs liés à l’âge peuvent affecter le fonctionnement cognitif des personnes âgées ; ils peuvent même conduire à des performances traduisant un vieillissement cognitif problématique et aussi prédire la survenue d’atteintes cérébrales et de caractéristiques (neuro)pathologiques qui y sont associées. Ces travaux indiquent en quoi il importe de ne pas réduire les difficultés cognitives d’une personne âgée à des « maladies » caractérisées par des facteurs pathogènes (moléculaires) isolés et spécifiques, mais de prendre en compte la multiplicité des facteurs et mécanismes (biologiques, psychologiques, environnementaux, sociaux et culturels) qui peuvent moduler son fonctionnement cognitif. De ce point de vue, il paraît essentiel de mettre en place des stratégies préventives, dont l’une d’entre elles devrait, de toute évidence, viser à combattre l’âgisme, et ainsi à changer profondément le regard que la société adresse aux personnes âgées et celui que les personnes âgées portent sur elles-mêmes. Cela devrait non seulement passer par une éducation positive sur le vieillissement, mais aussi par des relations intergénérationnelles permettant aux personnes plus jeunes d’avoir des expériences positives et individualisées avec les personnes âgées, dans un contexte de vie sociale réelle, de statut égal, de coopération et de partage d’informations personnelles. Il s’agirait aussi de tenter de contrecarrer la médicalisation du vieillissement (laquelle est associée à la négativité croissante des stéréotypes liés à l’âge) et de modifier les croyances essentialistes (directement impliquées dans les effets néfastes des stéréotypes liés à l'âge), selon lesquelles le vieillissement est déterminé biologiquement et non modifiable. Des interventions psychologiques et des changements dans les pratiques cliniques visant à atténuer/éliminer les stéréotypes ou, encore, à mieux y faire face, devraient également être envisagés.

 

De nombreuses études ont mis en évidence que les personnes âgées qui possèdent des stéréotypes négatifs ou des attentes négatives en lien avec le vieillissement montrent une réduction de leur performance cognitive (voir nos chroniques « Le rôle des stéréotypes négatifs concernant le vieillissement sur le fonctionnement de la mémoire des personnes âgées » et « Le vieillissement en tant que construction sociale : L’influence des stéréotypes » ; voir également Marquet, Missoten, & Adam, 2016). Par ailleurs, Haslam et collaborateurs (2012) ont montré que des personnes âgées ne présentant pas de « démence », et qui ont été amenées par des consignes particulières à se catégoriser comme plus vieilles que d’autres et à considérer que le vieillissement est associé à un déclin cognitif général, ont une probabilité accrue de 400% de recevoir un diagnostic de « démence» sur base de leur score à une échelle d'évaluation des capacités cognitives générales  (voir notre chronique « Les stéréotypes négatifs concernant le vieillissement et les attentes relatives aux déficits cognitifs liés à l’âge : une source dramatique d’erreur diagnostique !»).  

Les implications cliniques de ces études sont importantes. En particulier, les clinicien(ne)s ne peuvent plus ignorer le risque considérable de diagnostic erroné (de « démence » ou de « trouble cognitif léger ») auquel peuvent conduire la catégorisation de soi basée sur l’âge, les attentes particulières concernant le déclin cognitif et, plus généralement, les stéréotypes négatifs liés à l’âge (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2014 ; Marquet et al., 2016 ; Régner et al., 2016).

 

De nouvelles données concernant l’impact sur le fonctionnement cognitif des stéréotypes, attentes et croyances négatifs associés à l’âge

Plusieurs recherches récentes ont confirmé, voire amplifié, l’influence des attentes/perceptions/ stéréotypes négatifs sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées. Ainsi, Bouazzaoui et collaborateurs (2016) ont montré que des personnes âgées chez lesquelles on avait activé un stéréotype négatif lié à l’âge (en leur administrant un questionnaire sur les stéréotypes associés au vieillissement, et aussi en insistant sur la composante mnésique de la tâche cognitive qui allait leur être soumise) manifestaient davantage de plaintes mnésiques, avaient un sentiment moindre d’efficacité mnésique et obtenaient des performances moins bonnes à une tâche de mémoire que des personnes âgées chez lesquelles le stéréotype négatif n’avait pas été activé. Par ailleurs, l’effet du stéréotype négatif sur la performance mnésique est médiatisé par les plaintes mnésiques et le sentiment d’efficacité mnésique : en d’autres termes, l’activation du stéréotype avait influencé négativement les croyances sur le fonctionnement de la mémoire des personnes âgées, lesquelles avaient à leur tour perturbé la performance mnésique.

Dans une étude réalisée sur un échantillon de 5 896 participants âgés de plus de 50 ans (âge moyen de 63 ans), Robertson et collaborateurs (2016) ont constaté que la présence de perceptions négatives concernant les conséquences attendues du vieillissement et le niveau de contrôle que l’on peut avoir sur ces conséquences était associée, lors d’un suivi à deux ans, à un déclin de la performance à une tâche de fluence verbale et à un déclin auto-évalué de la mémoire, et ce, après avoir contrôlé l’influence de la santé mentale et physique.

En outre, il existe quelques données suggérant que les stéréotypes négatifs associés à l’âge peuvent affecter la performance cognitive des personnes âgées de façon à ce qu’elle corresponde au critère de « pré-démence », et même qu’ils peuvent prédire la survenue d’atteintes cérébrales et (neuro)pathologiques associées au vieillissement cognitif problématique.

Ainsi, Mazerolle et collaborateurs (2016) ont montré que 40% des personnes âgées, sans troubles cognitifs, chez qui on avait activé les stéréotypes négatifs liés à l’âge (en leur indiquant qu’elles allaient être soumises à une tâche de mémoire et que des personnes jeunes participeraient aussi à l’étude) ont obtenu des scores au Montreal Cognitive Assessment (MoCA) et au Mini Mental State Examination (MMSE) qui correspondent au critère de « pré-démence », alors que c’était seulement le cas pour 10% des personnes chez qui les stéréotypes liés à l’âge n’avaient pas été activés (il leur était dit que les performances attendues à la tâche de mémoire qu’elles allaient effectuer n’étaient pas différentes chez les personnes jeunes et âgées).

Levy et collaborateurs (2016) ont, quant à eux, observé que des personnes âgées qui avaient plus de stéréotypes liés à l’âge (identifiés plusieurs décennies auparavant) avaient ultérieurement et progressivement un déclin significativement plus prononcé du volume hippocampique et une accumulation significativement plus importante de plaques séniles et de dégénérescences neurofibrillaires (lesquelles seraient rappelons-le, selon Castellani et Perry [2012], l’expression d’une réponse protectrice du cerveau face à face à certaines atteintes dont il fait l’objet plutôt que la cause de la dégénérescence neuronale ; voir notre chronique « L'année 2015 : Fédérer les forces pour défendre et installer une autre approche du vieillissement cognitif ». 

Dans la même perspective, Pietrzack et collaborateurs (2016) ont constaté, sur deux cohortes différentes de personnes âgées de plus de 60 ans et présentant des indicateurs de santé mentale et physique variés, que la présence de stéréotypes négatifs liés à l’âge prédisait une longueur plus courte des télomères (une région hautement répétitive, donc a priori non codante, d'ADN à l'extrémité d'un chromosome), laquelle est considérée comme un marqueur de vieillissement cellulaire accéléré.

 

Comment faire face aux effets délétères des stéréotypes négatifs sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées

De façon intéressante, Weiss (2016) a observé, dans une première expérience, que les personnes âgées chez qui on a activé les stéréotypes liés à l’âge (via un questionnaire) et qui, en outre, ont des croyances essentialistes sur le vieillissement (c’est-à-dire qu’elles considèrent que le vieillissement est déterminé biologiquement et non modifiable) obtiennent une performance mnésique plus faible (dans une tâche de rappel libre) que les personnes chez qui les stéréotypes n’ont pas été activés. Par contre, chez les personnes qui ne manifestent pas de croyances essentialistes (et qui considèrent que le vieillissement est relativement flexible et modifiable), l’activation  de stéréotypes négatifs conduit à une réactance psychologique (un mécanisme de défense psychologique mis en œuvre pour tenter de maintenir sa liberté d'action) entraînant une meilleure performance mnésique (comparable à la performance des personnes dont les stéréotypes n’ont pas été activés). En outre, dans une deuxième expérience qui a répliqué les résultats précédents, il a également été observé que les personnes qui adoptaient des croyances essentialistes sur le vieillissement manifestaient une pression artérielle systolique accrue quand les stéréotypes négatifs liés à l’âge étaient activés. Ainsi, changer les croyances essentialistes concernant le vieillissement paraît constituer un moyen de permettre aux personnes âgées de faire face aux stéréotypes négatifs liés à l’âge.

Barber et collaborateurs (2016) ont constaté que des personnes âgées ne présentant pas de vieillissement cognitif problématique obtenaient des performances cognitives plus faibles à diverses tâches cognitives (classiquement utilisées pour évaluer cliniquement le déclin cognitif) quand on activait les stéréotypes négatifs liés à l’âge (en leur faisant lire un texte confirmant l’existence d’un déclin de la mémoire avec l’âge), mais uniquement quand les réponses correctes aux tâches étaient suivies d’un gain monétaire, et pas quand les réponses incorrectes ou les oublis étaient suivies de pertes monétaires. Ces données suggèrent donc les personnes âgées répondent à la menace des stéréotypes en devenant plus attentives à éviter les pertes qui les rendraient encore pires. Ainsi, il serait possible de capitaliser sur ce changement motivationnel visant à éviter les pertes pour tenter d’atténuer ou d’éliminer les effets délétères des stéréotypes négatifs liés à l’âge. Au plan clinique, cela conduirait à privilégier des consignes mettant en avant l’évitement des réponses incorrectes plutôt que le gain de réponses correctes. Des recherches futures devraient explorer plus avant cette suggestion.

 

L’effet positif d’un âge subjectif rajeuni sur le fonctionnement cognitif

Il a été montré que les personnes âgées qui rapportaient subjectivement un âge plus jeune que leur âge réel avaient une meilleure santé, étaient plus heureuses, avaient une estime d’elles-mêmes plus haute et vivaient plus longtemps que les personnes âgées dont l’âge subjectif était plus proche de leur âge chronologique (voir Kotter-Grühn, 2016).

Des travaux récents ont confirmé les effets bénéfiques d’un âge subjectif rajeuni, mais cette fois sur le fonctionnement cognitif des personnes âgées. Ainsi, dans une étude prospective menée sur 10 années, Stephan et collaborateurs (2014) ont exploré l’effet de l’âge subjectif (obtenu en soustrayant l’âge ressenti de l’âge chronologique réel) sur le fonctionnement cognitif de 1 352 personnes âgées de 50 à 75 ans lors de la première évaluation et ne présentant pas de vieillissement cognitif problématique. Les résultats ont montré qu’un âge subjectif rajeuni (les personnes se sentant plus jeunes que leur âge réel) prédisait l’existence ultérieure d’un meilleur fonctionnement exécutif et mnésique, et ce, après avoir contrôlé l’influence sur le fonctionnement cognitif de l’âge chronologique, du genre, du niveau scolaire, et du nombre de maladies rapportées par les participants. Par ailleurs, cette relation était médiatisée par un style de vie plus actif et une moindre probabilité d’être en surpoids, mais cette médiation était partielle, ce qui suggère que d’autres médiateurs sont également impliqués, tels qu’un sentiment plus élevé d’efficacité personnelle ou encore une meilleure protection par rapport aux stéréotypes négatifs liés à l’âge.

Plus récemment, dans une recherche menée auprès de 5 809 personnes âgées de plus de 50 ans, Stephan et collaborateurs (2016a) ont observé qu’un âge subjectif rajeuni était associé à de meilleures performances dans des tâches de mémoire (rappel libre et rappel différé) et prédisait un déclin plus lent de la mémoire sur une période de 4 ans. De plus, cette association était médiatisée par la présence de symptômes dépressifs moins nombreux.

Par ailleurs, dans une autre étude entreprise auprès de 5 748 personnes âgées de 65 ans et plus, et ne présentant pas de vieillissement cognitif problématique lors de la première évaluation, Stephan et collaborateurs (2016b) ont montré que les personnes s’attribuant un âge subjectif plus élevé avaient une probabilité plus grande d’être classées comme ayant un « trouble cognitif sans démence » (cognitive impairment without dementia) ou comme ayant une « démence » lors d’un suivi à 2 et 4 ans et ce, après avoir pris en compte l’influence de l’âge chronologique, du sexe, de l’appartenance ethnique, du niveau cognitif de base et de la présence de tabagisme et de diabète. L’inactivité physique et l’existence de symptômes dépressifs rendait partiellement compte de ces associations.

Au plan clinique, ces données suggèrent de prêter une attention particulière aux personnes qui se sentent plus vieilles que leur âge chronologique, du fait d’un risque accru de déclin cognitif et d’un style de vie pouvant amplifier ce déclin. Ces personnes pourraient ainsi bénéficier d’interventions (psychologiques et en lien avec l’activité physique) visant à atténuer la présence de cet âge subjectif plus vieux.

De façon intéressante, Diehl et Wahl (2010) indiquent qu’il est important, pour comprendre les effets de l’âge sur la construction de soi, de prendre en compte le niveau de prise de conscience que les personnes âgées ont des changements liés à l’âge. En effet, plus une personne est consciente des changements fonctionnels liés à l’âge (aux plans cognitif, physique et de la santé), plus la notion de devenir vieux/vieille doit être intégrée dans la construction du soi ( self ) vieillissant.

 

Conclusions

Un nombre croissant d’études confirme que les stéréotypes négatifs liés à l’âge affectent le fonctionnement cognitif des personnes âgées ; ils peuvent même conduire à des performances traduisant un vieillissement cognitif problématique et prédire la survenue d’atteintes cérébrales et de caractéristiques (neuro)pathologiques qui y sont associées.

Ces recherches indiquent en quoi il importe de prendre en compte la multiplicité des facteurs et mécanismes (biologiques, psychologiques, environnementaux, sociaux et culturels) qui peuvent moduler le fonctionnement cognitif des personnes âgées. Plus spécifiquement, il apparaît d’ailleurs de plus en plus évident que l’état appelé « maladie d’Alzheimer » et, plus généralement, les maladies dites démentielles, ne constituent pas des entités homogènes (des maladies essentielles) causées par des facteurs pathogènes (moléculaires) spécifiques, mais qu’elles représentent des états hétérogènes, déterminés par des facteurs multiples, en interaction, et intervenant tout au long de la vie (voir Van der Linden & Juillerat Van der Linden, 2016).

Cette conclusion est aussi une celle qu’ont récemment tirée Pistollato et collaborateurs (2016) dans un article intitulé Alzheimer disease in the 21st century: past and current failures, new perspectives and funding priorities et qui synthétise les échanges d’une table ronde organisée sous l’égide du « Comité des Médecins pour une Médecine Responsable » qui s’est tenue en avril 2015 : « En considérant la nature multidimensionnelle de la pathologie associée à la maladie d’Alzheimer, nous croyons que le temps est venu de réévaluer le vieillissement, la cognition et leurs relations avec les variables biologiques, sociales et environnementales. Au lieu d’examiner une variable unique à la fois, comme cela a souvent fait dans le passé, il serait bon de considérer les implications interconnectées de plusieurs facteurs génétiques, épigénétiques, morphologiques, environnementaux, comportementaux et sociaux dans le développement et la consolidation de la maladie d’Alzheimer ». 

L’article de Pistollato et collaborateurs met aussi en avant l’importance qu’il y a à encourager la mise en place de stratégies préventives (voir aussi nos chroniques « Une modélisation de l’impact de la prévention en lien avec le style de vie sur la prévalence de la démence » et  « Des conclusions par trop négatives concernant la prévention du déclin cognitif  ! »). Parmi ces stratégies de prévention, il en est une qui, de toute évidence, devrait viser les stéréotypes négatifs liés à l’âge, à savoir changer profondément le regard que la société adresse aux personnes âgée et celui que les personnes âgées portent sur elles-mêmes.  

Dans cette perspective, Ng et collaborateurs (2015) ont mis en évidence, via une analyse de linguistique computationnelle réalisée aux Etats-Unis sur une base de données de 400 millions de mots dans des sources imprimées entre 1810 à 2009, que les stéréotypes liés à l’âge sont devenus plus négatifs au fil du temps, et ce, de façon linéaire. Par ailleurs, cet accroissement de la négativité est significativement associé à la médicalisation du vieillissement et au nombre croissant de personnes de plus de 65 ans. Ainsi, les auteurs en appellent clairement à une campagne sociale destinée à combattre l’âgisme exprimé à travers ces stéréotypes.

Cela devrait non seulement passer par une éducation positive sur le vieillissement, mais aussi par des relations intergénérationnelles permettant aux personnes plus jeunes d’avoir des expériences positives et individualisées avec les personnes âgées, dans un contexte de vie sociale réelle, de statut égal, de coopération et de partage d’informations personnelles (voir le modèle PEACE, Positive Education about Aging and Contact Experiences ; Levy, 2016). Cette campagne devrait aussi tenter de contrecarrer la médicalisation du vieillissement (laquelle est associée à la négativité croissante des stéréotypes liés à l’âge) et de modifier les croyances essentialistes (directement impliquées dans les effets néfastes des stéréotypes liés à l’âge) selon lesquelles le vieillissement est déterminé biologiquement et non modifiable. Des interventions psychologiques et une modification dans les pratiques cliniques visant à atténuer/éliminer les stéréotypes, ou encore à mieux y faire face, devraient également être envisagées.

 

Barber, S. J., Mather, M., & Gatz, M. (2015). How stereotypes threat affects healthy older adults’ performance on clinical assessments of cognitive decline: The role of regulatory fit. Journal of Gerontology Series B: Psychological Sciences & Social Sciences, 70, 891-900.

Bouazzaoui, B., Follenfant, A., Ric, F., Fay, S., Croizet, J.-L., Atzeni, Th., & Taconnat, L. (2016). Ageing-related stereotypes in memory: When the beliefs comme true. Memory, 24, 659-668.

Castellani, R.J., & Perry, G. (2012). Pathogenesis and disease-modifying therapy in Alzheimer’s disease: The flat line of progress. Archives of Medical Research, 43, 694-698.

Diehl, M. K., & Wahl, H.-W. (2010). Awareness of age-related change: Examination of a (mostly) unexplored concept. Journal of Gerontology Series B: Psychological Sciences & Social Sciences, 65, 340-350.

Haslam, C., Morton, Th., Haslam, A., Varnes, L., Graham, R., & Gamaz, L. (2012). “When the age is in, the wit is out”: Age-related self-categorization and deficit expectations reduce performance on clinical tests used in dementia assessment. Psychology and Aging, 27, 778-784.

Kotter-Grühn, D. (206). Aging self. In S. Kraus Withbourne (Ed.), Encyclopedia of adulthood and aging. New York, NY: Wiley.

Levy, S. R. (2016). Toward reducing ageism: PEACE (Positive Education about Aging and Contact Experiences) model. The Gerontologist, à paraître.

Levy, B. R., Ferrucci, L., Zonderman, A. B., Slade, M. D., Troncoso, J., & Resnick, S. M. (2016). A culture-brain link: Negative age stereotypes predict Alzheimer’s disease biomarkers. Psychology and Aging, 31, 82-88.  

Marquet, M., Missotten, P., & Adam, S. (2016). Âgisme et surestimation des difficultés cognitives des personnes âgées : une revue de la question. Gériatrie et Psychologie Neuropsychiatrie du Vieillissement, 14, 177-186.

Mazerolle, M., Régner, I., Barber, S. J., Paccalin, M., Miazola, A.Ch., Huguet, P., & Rigalleau, F. (2016). Negative aging stereotypes impair performance on brief cognitive tests used to screen for predementia. Journal of Gerontology Series B : Psychological Sciences & Social Sciences, à paraître.  

Ng, R., Allore, H. G., Trentalange, M., Monin, J. K., & Levy, B. R. (2015). Increasing negativity of age stereotypes across 200 years: Evidence from a database of 400 million words. PLoS ONE 10(2): e0117086.

Pietrzack, R. H., Zhu, Y., Slade, M. D., Qiaochu, Q., Krystal.J., H., & Levy, B. R. (2016). Association between negative age stereotypes and accelerated cellular aging: Evidence from two cohorts of older adults. Journal of the American Geriatrics Society, à paraître.

Pistollato, F., Ohayon, E. L., Lam, A., Langley, G. R., Novak, Th. J., Pamies, D., …Chandrasekera, P. Ch. (2016). Alzheimer disease research on the 21st century: past and current failures, new perspectives and funding priorities. Oncotarget, 7, à paraître.

Régner, I., Mazerolle, M., Alescio-Lautier, B., Clarys, D., Michel, B., Paccalin, M., …Huguet, P. (2016). Aging stereotypes must be taken into account for the diagnosis of prodromal and early Alzheimer disease. Alzheimer Disease & Associated Disorders, 30, 77-79.

Robertson, D. A., King-Kallimanis, B. L., & Kenny, R. A. (2016). Negative perceptions of aging predict longitudinal decline in cognitive function. Psychology and Aging, 31, 71-81.

Stephan, Y., Caudroit, J., Jaconelli, A., & Terraciano, A. (2014). Subjective age and cognitive functioning: A 10-year prospective study. American Journal of Geriatric Psychiatry, 22, 1180-1187.

Stephan, Y., Sutin, A. R., Caudroit, J., & Terraciano, A. (2016a). Subjective age and change in memory in older adults. Journals of Gerontology: Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, à paraître.

Stephan, Y., Sutin, A. R., Luchetti, M., & Terraciano, A. (2016b). Feeling older and the development of cognitive impairment and dementia. Journals of Gerontology: Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, à paraître.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2016). A life course and multifactorial approach to Alzheimer’s disease: Implications for research, clinical assessment and intervention practices. Dementia, à paraître.

Weiss, D. (2016). On the inevitability of aging: Essentialist beliefs moderate the impact of negative age stereotypes on older adults’ memory performance and physiological reactivity. Journals of Gerontology: Series B: Psychological Sciences and Social Sciences, à paraître.

 

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15 mars 2015 7 15 /03 /mars /2015 23:27

Résumé

Nous vivons dans un monde qui incite de plus en plus à l’individualisme, au repli sur soi, à la méfiance et même à la peur de l’autre. Or, il a été montré qu’un niveau élevé de méfiance cynique (la croyance selon laquelle les autres sont principalement guidés par des motivations égoïstes) est associé à un risque accru de « démence ». De plus, il semble exister une relation complexe entre les croyances négatives concernant autrui, le sentiment d’isolement social et le déclin cognitif chez les personnes âgées. En effet, le sentiment subjectif d’isolement social constitue un facteur de risque de « démence ». En outre, les personnes qui se perçoivent comme isolées socialement ont tendance à développer des impressions négatives sur les autres et à être moins indulgentes vis-à-vis d’autrui, ces biais contribuant à renforcer leur sentiment d’isolement social.

De façon plus générale, des croyances négatives concernant autrui (en particulier, la méfiance), un sentiment subjectif de solitude ou d’isolement social et un environnement social négatif peuvent, plus ou moins conjointement, amener les personnes âgées à avoir des interactions sociales plus négatives. Dans ce cadre, une étude récente a montré qu’un niveau plus élevé d’interactions sociales négatives était associé, chez les personnes âgées, à une incidence plus élevée de trouble cognitif léger et à un déclin cognitif plus rapide.

Il paraît dès lors indispensable de mettre en place des interventions visant à réduire l’importance des relations sociales négatives que peuvent vivre certaines personnes âgées dans leur quotidien. De ce point de vue, il a été observé que l’engagement social au sein d’un groupe permettait tout particulièrement d’optimiser le fonctionnement cognitif des personnes âgées et ce, de façon nettement plus importante que l’engagement social individuel. Cet engagement au sein d’un groupe ne semble toutefois bénéfique que si la personne se considère comme partageant une identité sociale avec les membres du groupe (un sentiment de « nous ») et si le groupe est important pour la définition de ce qu’elle est.

 

Nous vivons dans un monde qui incite de plus en plus à l’individualisme, au repli sur soi, à la méfiance et, même, à la peur de l’autre, au détriment de la confiance envers les autres, de la compassion, de la solidarité et de l’engagement social (Marzano, 2012).

Or, il a été montré que la méfiance (ou l’hostilité) cynique, à savoir la croyance selon laquelle les autres sont principalement guidés par des motivations égoïstes, est associée à différents problèmes de santé (tels que des problèmes cardio-vasculaires) et ce, notamment, par l’intermédiaire de processus inflammatoires. De façon plus spécifique, dans une de nos chroniques précédentes (« Des facteurs psychologiques influencent le risque de développement de démence : de nouvelles données en témoignent ! »), nous avons décrit l’étude de Neuvonen et al. (2014) ayant montré qu’un niveau élevé de méfiance cynique est associé à un risque accru de « démence » et ce, après avoir pris en compte l’influence des divers facteurs de risque potentiellement confondants (vasculaires, socio-économiques et en lien avec le style de vie). Cette association n’était pas non plus totalement expliquée par la présence de symptômes dépressifs. Bien que ces données nécessitent d’être répliquées sur un échantillon plus important et avec une période de suivi plus longue, elles suggèrent que la conception que les personnes âgées ont du monde et des autres peut influer sur leur déclin cognitif et fonctionnel. Il a par ailleurs été observé qu’un niveau plus élevé de confiance interpersonnelle prédit un meilleur bien-être tout au long de la vie, et en particulier chez les personnes âgées (Poulin & Haase, 2015, sous presse).

Il semble aussi exister une relation complexe entre les croyances négatives concernant autrui, le sentiment d’isolement social et le déclin cognitif chez les personnes âgées. En effet, il a été constaté que le sentiment subjectif d’isolement social constitue un facteur de risque de « démence » et que cette association subsiste quand l’isolement social objectif est pris en compte (Wilson et al., 2007 ; Amieva et al., 2010 ; Holwerda et al., 2014 ; voir notre chronique « La qualité perçue des relations sociales réduit le risque de de démence »). De plus, les personnes qui se perçoivent comme isolées socialement ont tendance à développer des impressions négatives sur les autres et à être moins indulgentes vis-à-vis d’autrui, ces biais contribuant à renforcer leur sentiment d’isolement social (Cacioppo & Hawkley, 2009).

De façon plus générale, des croyances négatives concernant autrui (en particulier, la méfiance), un sentiment subjectif de solitude ou d’isolement social et un environnement social négatif peuvent, plus ou moins conjointement, amener les personnes âgées à avoir des interactions sociales plus négatives. Dans cette perspective, Wilson et al. (2015) ont récemment montré qu’un niveau plus élevé d’interactions sociales négatives était associé, chez les personnes âgées, à une incidence plus élevée de diagnostic de « trouble cognitif léger » (« Mild Cognitive Impairment ») et à un déclin cognitif plus rapide. Plus particulièrement, ils ont suivi annuellement 529 personnes âgées (âge moyen : 81.4 ans) qui, au début du suivi, ne présentaient pas de problèmes cognitifs. Durant une période moyenne de suivi de 4.8 ans, 198 personnes ont développé un trouble cognitif léger. Les analyses ont révélé que le risque de développer un trouble cognitif léger était significativement associé à une fréquence plus élevée - observée lors de la ligne de base (au début de l’étude) - de relations sociales négatives, en particulier le fait d’être rejeté ou négligé par autrui. Cette association subsistait après avoir pris en compte la présence de symptômes dépressifs, la taille du réseau social et la solitude. De plus, un niveau plus élevé d’interactions sociales négatives tout au long du suivi était associé à un déclin cognitif plus rapide (dans tous les domaines explorés : mémoire épisodique, mémoire sémantique, mémoire de travail, et capacités visuo-spatiales). Soulignons que cette étude confirme que les troubles cognitifs de la personne âgée, et notamment ceux qui sont recoupés sous l’appellation de « trouble cognitif léger », résultent d’une combinaison de multiples processus (voir notre chronique « Le "trouble cognitif léger" ou "mild cognitive impairment" : une flagrante myopie intellectuelle »).

Wilson et al. reconnaissent que les facteurs sous-tendant la relation entre troubles/déclin cognitifs et interactions sociales négatives ne sont pas clairs. Ils mentionnent néanmoins les données montrant qu’un stress relationnel quotidien est associé à des modifications physiologiques pouvant affecter le fonctionnement cognitif, comme des niveaux plus élevés de cortisol, des niveaux élevés de cytokines pro-inflammatoires ou une progression plus rapide de l’athérosclérose. Il faut également relever qu’une part du sentiment de solitude et des difficultés relationnelles des personnes âgées pourrait être liée à des difficultés sensorielles (auditives et visuelles). Dans ce contexte, il a été montré que les troubles auditifs liés à l’âge (la presbyacousie) constituaient un facteur de risque de « démence » et de « maladie d’Alzheimer » (Panza, Solfrizzi, & Logroscino, 2015). Cette association pourrait notamment s’expliquer par l’isolement social ou les idées de persécution découlant des difficultés auditives. D’ailleurs, des relations significatives ont été observées, dans la population générale, entre des problèmes auditifs — ainsi que des troubles physiques chroniques (diabète, arthrose) — et la présence d’idées délirantes, notamment d’idées de persécution (Saha, Scott, Varghese, & McGrath, 2011). Quoi qu’il en soit, il paraît indispensable de mettre en place des interventions (aux plans physique, psychologique et social) visant à réduire l’importance des relations sociales négatives que peuvent vivre certaines personnes âgées dans leur quotidien.

Dans un article de synthèse, Jetten, Haslam, Haslam et Dingle (2014) ont montré en quoi l’engagement social au sein d’un groupe et les relations sociales qui en découlent permettent tout particulièrement d’optimiser la santé et le bien-être. Cependant, cet engagement au sein d’un groupe ne semble bénéfique que si la personne se considère comme partageant une identité sociale avec les membres du groupe (un sentiment de « nous ») et si le groupe est important pour la définition de ce qu’elle est.

De façon plus spécifique, Haslam, Cruwys et Haslam (2014) ont exploré les bénéfices respectifs d’un engagement social individuel (participer en tant qu’individu à de nombreuses activités communautaires ou culturelles, en étant membre de différents groupes) versus d’un engagement social au sein d’un groupe (avec une composante identitaire, des relations proches et de qualité, des contacts fréquents). Pour ce faire, ils ont suivi 3’413 personnes âgées de plus de 50 ans pendant une période de 4 ans. Après avoir contrôlé l’influence de l’âge, du genre, de statut socio-économique, de l’appartenance ethnique, de la santé physique, ainsi que du niveau initial de fonctionnement cognitif et d’engagement social (à la fois individuel et en groupe), les analyses ont montré que seul l’engagement social au sein d’un groupe contribue de façon significative, soutenue et unique au fonctionnement cognitif 4 ans plus tard. En outre, cet effet est plus marqué chez les personnes les plus âgées de l’échantillon. Plus concrètement, le fait d’être connecté à un groupe social contribue à réduire de 9.5 ans l’« âge cognitif » d’une personne de 80 ans. Ces résultats ont par ailleurs été répliqués en ne gardant dans les analyses que les personnes qui avaient obtenu des performances cognitives supérieures à la moyenne lors de l’évaluation initiale (T1) et aussi en prenant comme mesure cognitive de contrôle les scores obtenus lors de la deuxième évaluation (ou T2) — ce qui permettait de contrer l’interprétation selon laquelle la probabilité d’un changement dans l’engagement social était la conséquence d’un déclin cognitif entre T1 et T2. Selon Haslam et al., l’engagement social au sein d’un groupe, du fait du sentiment d’identité partagée qu’il suscite, motiverait davantage les personnes âgées à s’engager avec d’autres et à donner et recevoir du soutien. Par ailleurs, il serait plus exigeant au plan cognitif et impliquerait une participation plus active que l’engagement social individuel.

Ainsi, pour optimiser le fonctionnement cognitif des personnes âgées, il apparaît essentiel de développer et maintenir leur engagement social au sein d’un groupe et cela semble d’autant plus important chez les personnes les plus âgées. Cela ne veut pas dire que l’engagement social individuel soit sans intérêt, mais son pouvoir prédictif pour le fonctionnement cognitif des personnes âgées semble clairement moins important. Il importe toutefois aussi de prendre en compte les possibles différences interindividuelles dans le type d’engagement susceptible d’influencer positivement le fonctionnement cognitif.

Favoriser l’engagement social au sein d’un groupe nécessite le développement d’activités et de structures insérées dans les collectivités locales, en lien direct avec les services communaux, les associations, les structures d’hébergement à long terme, etc. (voir Van der Linden & Juillerat, 2014). Dans ce contexte, les résultats obtenus par Haslam et al. apportent un appui empirique important aux activités que nous proposons dans le cadre de l’association VIVA (Valoriser et Intégrer pour Vieillir Autrement ; lien), lesquelles ont pratiquement toutes une dimension importante d’engagement social au sein d’un groupe, avec une forte composante de partage identitaire.

 

Amieva, H., Stoykova, R., Matharan, F., Helmer, C., Antonucci, T.C., & Dartigues, J.-F. (2010). What aspects of social network are protective for dementia? Not the quantity but the quality of social interactions is protective up to 15 years later. Psychosomatic Medicine, 72, 905-911.

Cacioppo, J.T., & Hawkley, L.C. (2009). Perceived social isolation and cognition. Trends on Cognitive Sciences, 13, 447-454.

Haslam, C., Cruwys, T., & Haslam, S. A. (2014). « The we’s have it »: Evidence for the distinctive benefits of group engagement in enhancing cognitive health in aging. Social Science & Medicine, 120, 57-66.

Holwerda, T.J., Deeg, D.J.H., Beekman, A.T.F., van Tilburg, T.G., Stek, M.L., Jonker, C., & Schoevers, R.A. (2014). Feelings of loneliness, but not social isolation, predict dementia onset: results from the Amsterdam Study of the Elderly (AMSTEL). Journal of Neurology, Neurosurgery & Psychiatry, 85, 135-142.

Jetten, J., Haslam, C., Haslam, S. A., & Jones, J. M. (2014). How groups affect our health and well-being: The path from theory to policy. Social Issues and Policy Review, 8, 103-130.

Marzano, M. (2012). Eloge de la confiance. Paris : Fayard/Pluriel.

Neuvonen, E., Rusanen, M., Solomon, A., Ngandu, T., Laatikainen, T., Soininen, H., Kivipelto, M., & Tolppanen, A.-M. (2014). Late-life cynical distrust, risk of incident dementia, and mortality in a population-based cohort. Neurology, 17, 2205-2012.

Panza, F., Solfrizzi, V., & Logroscino, G. (2015). Age-related hearing impairment – a risk factor and frailty marker for dementia and AD. Nature Reviews Neurology, sous presse.

Poulin, M. J. & Haase, C. M. (2015). Growing to trust: Evidence that trust increases and becomes more important for well-being across the life span. Social Psychological and Personality Science, sous presse.

Saha, S., Scott, J., Varghese, D., & McGrath, J. (2011). The association between physical health and delusional-like experiences: A general population study. PLoS ONE, 6, 4, e18566.

Van der Linden, M., & Juillerat Van der Linden, A.-C. (2014). Penser autrement le vieillissement. Bruxelles : Mardaga.

Wilson, R.S., Krueger, K.R., Arnold, S.E., Schneider, J.A., Kelly, J.F., Barnes, L.L. et al. (2007). Loneliness and risk of Alzheimer disease. Archives of General Psychiatry, 64, 234-240.

Wilson, R. S., Boyle, P. A., James, B. D., Leurgans, S. E., Buchman, A. S., & Bennett, D. A. (2015). Negative social interactions and risk of mild cognitive impairment in old age. Neuropsychology, sous presse.

 

 

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10 avril 2013 3 10 /04 /avril /2013 22:17

Résumé

L’amélioration du bien-être et de la qualité de vie des personnes âgées présentant une « démence » ne se résume pas à l’application d’ « interventions thérapeutiques ». Le défi le plus important  est de favoriser l’engagement de ces personnes, au sein même de la société et des structures (sportives, culturelles, associatives) destinées à la population générale, dans des activités qui leur permettront d’interagir avec d’autres (en particulier, dans une perspective intergénérationnelle), de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant. 

Les activités artistiques semblent particulièrement à même de favoriser un meilleur bien-être et une meilleure qualité de vie chez les personne présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique. Cependant, trop souvent, la mise en place d’activités artistiques auprès de ces personnes s’inscrit dans une approche médicale, thérapeutique (« art-thérapie »), avec pour objectif de réduire les symptômes ou les déficits (p. ex, les troubles comportementaux), plutôt que de viser au bien-être, à la joie de vivre, à l’enrichissement personnel, à l’expression de soi, à la communication avec autrui et au sentiment d’identité. Ainsi, les activités artistiques devraient davantage être considérées comme un « art de vivre » ou comme « un art de préserver l’identité personnelle », plutôt que comme une « thérapie » ou un moyen d’occuper les personnes âgées.  

 

Des données de plus en plus nombreuses suggèrent que l’approche biomédicale dominante, réductionniste et pathologisante, de la « maladie d'Alzheimer » (et des autres «maladies neurodégénératives») fait fausse route et qu’il faudrait plutôt réintégrer les différentes manifestations de ces prétendues « maladies spécifiques » dans le cadre plus large du vieillissement cérébral et cognitif, dans ses multiples expressions plus ou moins problématiques, sous l’influence de nombreux facteurs (environnementaux, psychologiques, biologiques, médicaux, sociaux et culturels) intervenant tout au long de la vie.

Ce changement de conception nous conduit à ne plus considérer le monde comme étant divisé entre ceux/celles qui ont la « maladie d’Alzheimer » (ou un autre type de « démence ») et ceux/celles qui ne l’ont pas, mais plutôt à penser que nous partageons, toutes et tous, les vulnérabilités liées au vieillissement cérébral et cognitif (Whitehouse, George, & D’Alton, 2011). Cela devrait contribuer à créer davantage d’unité entre les générations et à la mise en place de structures sociales (de lieux de vie) visant à promouvoir le bien-être et la qualité de vie des personnes âgées, y compris de celles présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique, qu’elles vivent à domicile ou dans une structure d’hébergement à long terme.

Comme l’indique Woods (2012), l’amélioration du bien-être et de la qualité de vie des personnes âgées présentant une « démence » ne se résume pas à l’application d’ « interventions thérapeutiques » (même si certaines interventions, en particulier psychosociales et focalisées sur la vie quotidienne, peuvent contribuer à cette amélioration ; voir notre chronique « L’efficacité clinique de la revalidation cognitive individualisée chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique »).

Le défi le plus important est de favoriser l’engagement des personnes âgées présentant une « démence », au sein même de la société et des structures (sportives, culturelles, associatives) destinées à la population générale, dans des activités qui leur permettront d’interagir avec d’autres (en particulier, dans une perspective intergénérationnelle), de prendre du plaisir, de se développer personnellement et d’avoir un rôle social valorisant. 

Selon Woods, il s’agit d’entrer dans une ère nouvelle, dans laquelle, au-delà des préoccupations médicales et de soins, nous apprendrons à vivre bien avec la « démence », pour le bénéfice de tous.

Une telle approche doit nous inciter à élargir le regard que l’on porte sur les personnes âgées présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique, en mettant l’accent sur leurs capacités préservées, mais aussi sur le sens qu’elles donnent à leur vie et à leurs activités, sur leur sentiment de bien-être, sur leur pouvoir d’agir et leur sentiment de contrôle de leur existence, sur leur sentiment d’identité et de continuité personnelle, sur leurs relations sociales et leur place dans la société, ainsi que sur la stigmatisation dont elles peuvent faire l’objet (voir notre chronique « La réappropriation de soi et du pouvoir d’agir chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique »). 

Il nous paraît également essentiel d’éviter une approche normative de la qualité de vie et du bien-être des personnes âgées (du vieillissement « réussi ») et, dès lors, d’être guidé avant tout par le respect de leurs choix de vie et des moyens de les atteindre, en sachant que les personnes présentant une « démence » sont capables de fournir un compte-rendu valide de leur bien-être et de leur qualité de vie (voir notre chronique « Quel est le vécu des personnes ayant reçu un diagnostic de démence ? »).

Améliorer la qualité de vie et le bien-être des personnes présentant une « démence » : le rôle des activités artistiques

Potts (2013) en appelle lui-aussi à sortir des sentiers battus (à changer de paradigme) dans la façon d’améliorer la qualité de vie des personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer ». Il s’agit, selon lui, d’élargir notre point de vue et d’essayer de rendre chaque moment de la vie de ces personnes aussi bon que possible, en facilitant leur créativité, leur expression de soi, leur communication, leur compréhension et en rétablissant leur dignité. Cette position rejoint celle de J. Cartwright, qui incite, à la manière des alchimistes cherchant à transmuter la pierre en or, «à créer des moments de plaisir et de sens, tant pour la personne aidante que pour la personne aidée, à partir des "métaux  ordinaires " que sont les instants du quotidien» (voir notre chronique « Accompagner une personne dépendante : quel sens pour les proches ? »). Potts considère que l’art, sous ses différentes formes, est particulièrement à même de contribuer à cet objectif. Les activités artistiques peuvent également contribuer à la transmission de récits de vie (un facteur important pour le sentiment d’identité et de continuité personnelle), qui ne pourraient pas être partagés de façon plus conventionnelle. En reprenant le titre de l’article de Potts, l’art peut ainsi être considéré comme  participant à « l’art de préserver la qualité d’être humain ou l’identité personnelle » («The art of preserving personhood »).          

Les activités artistiques dans la « démence » : thérapie ou enrichissement personnel ?

Les recherches consacrées à la réalisation d’activités artistiques chez les personnes présentant une « démence » (en tant que spectateurs ou acteurs) sont assez peu nombreuses et, comme nous le verrons ultérieurement, souvent méthodologiquement critiquables. Elles fournissent néanmoins des données encourageantes suggérant que l’engagement des personnes dans des activités artistiques améliore le bien-être social et psychologique, accroît la confiance en soi, l’enthousiasme, le plaisir et les contacts sociaux et réduit l’anxiété, la dépression ou les comportements agressifs (voir Rousch et al., 2010 ;  Guetin et al., 2013).

Ainsi, par exemple, Camic, Williams et Meeten (2013) rapportent, sur base de données qualitatives,  que la participation de 10 personnes présentant une « démence »  et de 10 proches aidants à un groupe de chant (pendant 10 semaines) a conduit à une amélioration du bien-être de tous les participants. De même, dans une recherche exploratoire,  Petrescu, MacFarlane et Ranzijn (2013) ont montré qu’un atelier d’écriture de poèmes (avec lecture finale des poèmes devant tous les participants et publication d’un livre reprenant les différents poèmes) avait bénéficié aux 4 personnes présentant une « démence » à un stade léger qui y avaient pris part (bénéfices relevés via un entretien avec chaque participant). Ces bénéfices différaient selon les personnes et concernaient des aspects tels que l’augmentation du sentiment d’auto-efficacité (réduction des stéréotypes négatifs), la possibilité de se développer personnellement, la lutte contre le déclin progressif ou la contribution à la mise en place plus générale de ce type d’atelier.

Gregory (2011) a, quant à elle, exploré les effets de séances dans lesquelles les réminiscences de personnes ayant une « démence » (et vivant dans une structure d’hébergement à long terme) sont utilisées pour créer des poèmes, lesquels sont ensuite lus en présence d’autres personnes, puis rendus accessibles à la personne âgée et à ses proches. L’auteure observe, également sur base d’analyses qualitatives, un effet bénéfique de ces séances sur la qualité de vie des personnes âgées, ainsi que sur la perception qu’ont les soignants et les proches de ces personnes (qui sont davantage vues comme ayant une identité propre et pouvant vivre une vie émotionnelle et sociale riche). 

Billington, Carroll, Davis, Healey et Kinderman (2013) ont examiné l’impact de séances de lecture en groupe auprès de personnes présentant une « démence » : lecture à voix haute d’extraits de textes littéraires et de poèmes, avec partage éventuel de réflexions personnelles sur ces textes, mais, en tout cas, avec un encouragement à apprécier la lecture du texte en tant qu’expérience dans le moment présent. Ils constatent, sur base de données quantitatives (limitées) et de données qualitatives, que ces séances de lecture ont contribué à réduire la sévérité (au plan comportemental et cognitif) des symptômes de la « démence ». Par ailleurs, les entretiens avec les soignants indiquent une amélioration du bien-être des personnes âgées. Une description détaillée de la méthode utilisée, des résultats obtenus et des limites/perspectives de ce travail peut être trouvée en cliquant ici. 

Eekelaar, Camic et Springham (2013) ont récemment exploré, auprès de personnes présentant une « démence légère à modérée », les effets de 3 visites de 30 minutes d’une galerie d’art (la «Dulwich Picture Gallery » à Londres, le premier musée d'art public en Europe), conduites par un éducateur en art (qui présentait 2 à 3 tableaux par séance, selon un thème spécifique : portraits, paysages et peintures narratives). Les visites étaient chacune suivies d’une séance d’une heure durant laquelle les personnes âgées étaient encouragées à réaliser une peinture (sous n’importe quelle forme), en étant accompagnées par un art-thérapeute et par l’éducateur en art (les personnes âgées avaient à leur disposition le matériel nécessaire, des reproductions des peintures vues dans la galerie et des livres d’art). Les personnes présentant une « démence » étaient accompagnées d’un proche aidant. Au plan méthodologique, des entretiens semi-structurés (avec des questions ouvertes en lien avec les tableaux de la galerie) ont été menés auprès des personnes présentant une « démence » et des proches aidants et ce, durant les séances de visite de la galerie et de réalisation artistique, ainsi qu’avant et après ces séances. Les entretiens ont été enregistrés et leur contenu analysé, selon différentes dimensions (en particulier en termes de mémoire épisodique et de fluence du langage). Un suivi à 4 semaines a également été réalisé.

Les résultats montrent une amélioration de la mémoire épisodique des personnes présentant une « démence » durant les séances (en termes de souvenirs d’événements de vie passés, de souvenirs des séances précédentes et d’informations descriptives personnelles, de partage d’informations factuelles), en comparaison à l’entretien pré-séance. Les résultats concernant la fluence verbale vont dans le même sens, mais l’amélioration est moins claire. Par ailleurs, ces améliorations subsistent durant l’entretien post-séance, ainsi que lors du suivi à 4 semaines. Les proches aidants ont confirmé ces améliorations, mais ont aussi relevé une augmentation de l’attention et de l’engagement, une amélioration de l’humeur et de la confiance en soi, ainsi qu’une réduction de l’isolement. Ils ont également mis en avant le partage du vécu avec les personnes présentant une « démence ». Les auteurs suggèrent que ces améliorations pourraient être associées aux réponses émotionnelles suscitées par la visite de la galerie d’art (et du cadre architectural impressionnant de cette galerie), lesquelles conduiraient à un engagement plus important des personnes. Ils reconnaissent néanmoins le caractère exploratoire de leur étude et la nécessité d’explorer plus avant l’impact positif de ce type de démarche artistique, ainsi que les mécanismes qui y sont associés. 

Il faut cependant relever qu’une revue systématique des études (publiées entre 1990 et 2010) concernant l’utilisation des activités artistiques (musique, dessin/peinture, théâtre, danse/mouvement) chez les personnes ayant reçu un diagnostic de « démence » a mis en évidence la faiblesse méthodologique de la majorité des recherches (Beard, 2011) : design peu rigoureux, mauvaise spécification des activités et des méthodes utilisées, peu d’hypothèses spécifiques, peu de suivi longitudinal, évaluation souvent lacunaire ou peu valide des effets, pas d’analyse systématique des données, etc. Beard relève aussi que les personnes âgées ont rarement été directement interrogées quant à la manière dont elles ont vécu les activités artistiques. De plus, ces activités ont été peu appliquées aux personnes présentant une « démence à un stade précoce » ou aux personnes vivant à domicile (voir également McDermott, Crellin, Ridder, & Orrell, 2012, et Särkämö et al., 2012,  pour des conclusions globalement analogues concernant plus spécifiquement les activités musicales).

Enfin, Beard indique en quoi la plupart des études se sont inscrites dans une approche médicale ou centrée sur le point de vue du soignant, en évaluant essentiellement les effets bénéfiques des activités artistiques sur des dimensions cliniques (à savoir la réduction des symptômes ou des déficits, comme, p. ex., les troubles comportementaux). Ainsi, très peu de travaux ont exploré de façon détaillée les questions du bien-être, de l’enrichissement personnel, de la signification des activités pour la personne, de la joie que ces activités ont procurée, du partage des expériences artistiques avec autrui (y compris les proches), etc. En fait, même si des « bénéfices » à long terme, tirés des activités artistiques, ne pouvaient pas être démontrés, cela ne devrait pas dissuader l’utilisation de ces activités dans la mesure où l’art devrait être davantage considéré comme une « façon de vivre », plutôt que comme une « thérapie » ou comme une activité qui « occupe » les personnes.

Il y a donc un besoin urgent de recherches visant à explorer de façon approfondie et rigoureuse l’intérêt des activités artistiques pour les personnes présentant une « démence » (y compris les personnes vivant à domicile), en se penchant sur l’enrichissement personnel, en termes de qualité de vie, de bien-être, d’identité, d’expression de soi, de communication, que ces activités pourraient procurer (et ce, en interrogeant  les personnes âgées elles-mêmes), et pas uniquement sur les effets de ces activités sur les symptômes et les déficits. Ces recherches devraient également tenter de mieux comprendre les mécanismes impliqués dans les éventuelles améliorations suscitées par les activités artistiques.

Notons que la mise en place d’activités artistiques chez les personnes présentant une « démence » peut d’autant plus être envisagée qu’une stabilité des jugements esthétiques (après un délai de 2 semaines) a été mise en évidence pour des peintures et photographies de paysages, ainsi que pour des peintures de visages, chez des personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer (stabilité similaire à celle observée chez des participants de contrôle et globalement équivalente chez les personnes présentant une « maladie d’Alzheimer » légère, modérée ou sévère), et ce en dépit de performances se situant au niveau du hasard dans une tâche de reconnaissance explicite des stimuli (Graham, Stockinger, & Leder, 2013). Cette stabilité des préférences esthétiques a également été observée chez des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence fronto-temporale », et ce en dépit de déficits langagiers importants (Halpern & O’Connor, 2013). Des capacités musicales préservées de différents types (p. ex., reconnaissance de musiques familières, perception de la hauteur et de la mélodie, rappel des paroles d’une chanson familière, etc.) ont aussi été observées chez des personnes ayant reçu un diagnostic de « maladie d’Alzheimer » et présentant des déficits cognitifs importants (voir Särkämö et al., 2012).

VIVA et les activités artistiques

Promouvoir les activités artistiques auprès des personnes âgées représente un des objectifs de l’association VIVA (Valoriser et Intégrer pour Vieillir Autrement : http://www.association-viva.org), que nous avons créée dans la ville de Lancy où nous vivons. Ces activités artistiques sont également proposées aux résidant(e)s (avec ou sans problèmes cognitifs) de structures d’hébergement à long terme de Lancy (EMS [Etablissement Médico-Social] de la Vendée et des Mouilles,). Ainsi, VIVA organise :

* un atelier de peinture intergénérationnel « à quatre mains » : des duos personne âgée/enfant (avec des enfants âgés de 6 à 12 ans), se tenant  tous les quinze jours au sein de l’EMS Les Mouilles et se clôturant par un vernissage et l’édition d’un livre en fin d’année ;

* des visites commentées de chacune des expositions de peinture/sculpture des galeries d’art communales de la Ferme de la Chapelle de Lancy (avec le transport sur les lieux pour les personnes à mobilité réduite) et de la Villa Bernasconi (à laquelle les participants se rendent au terme d’une balade en commun) ;

* une chorale intergénérationnelle (incluant des personnes des EMS) organisée dans le cadre de l'école primaire Cérésole de Petit-Lancy, en vue d'une représentation lors de la fête des 50 ans de l'établissement ;

* des ateliers de tricots réunissant des élèves de l'école Cérésole et un groupe d'aînées tricoteuses, dont des résidantes de l’EMS des Mouilles, pour un projet de décoration d'arbres ("Yarnbombing", terme anglais pour "tricot de rue") organisé à l'occasion des 50 ans de l'école Cérésole : l'objectif est de produire une œuvre artistique commune tricotée qui recouvrira quelques-uns des arbres du parc Cérésole ;

* un atelier intergénérationnel de lecture : une semaine sur deux, un goûter et des lectures partagés entre des aînés et des enfants de 7 à 11 ans autour de poésies du monde, de pièces de théâtre ou de livres traitant des relations intergénérationnelles et de la vieillesse ;

* des "apéros musicaux", durant lesquels les aînés ont la possibilité de découvrir ou redécouvrir des œuvres, des musiciens, des instruments, mais aussi de partager leurs souvenirs -musicaux ou autres- en lien avec les œuvres présentées. Les œuvres présentées lors de ces « apéros musicaux » sont ensuite jouées peu de temps après à Lancy et le groupe est invité à assister aux concerts. Les apéros musicaux, organisés en collaboration avec les responsables des Concerts de Lancy et de l'Orchestre de Lancy, sont ouverts à tous et se tiennent dans l'EMS des Mouilles pour permettre aux résidant(e)s intéressé(e)s d'y participer.

* le projet "VENEZ NOUS RACONTER VOTRE HISTOIRE", mené en collaboration avec l'association "Lancy d'Autrefois" : il s’agit de recueillir des récits auprès d'aînés lancéens. Les premiers récits d'enfance recueillis peuvent être consultés en cliquant ici ;

* les ateliers inspirés de la méthode d’expression créative « TimeSlips » destinés aux résidants des EMS présentant des difficultés cognitives modérées : les personnes âgées sont invitées, avec le soutien de « facilitateurs », à laisser libre cours à leur instinct narratif et créatif en produisant des histoires à partir de photographies saugrenues qui sont mises à leur disposition. Toutes les réponses sont validées, le récit est régulièrement relu et l’intervention de chaque participant est soulignée, jusqu’à ce que la narration s’épuise (voir notre chronique « Un premier atelier de TimeSlips en Suisse romande »).

 L’impact de ces différentes interventions fait l’objet d’évaluations qualitatives et/ou quantitatives, menées en collaboration avec des psychologues en stage dans le contexte du MAS (Maîtrise d’Etudes Avancées) en Psychogérontologie Appliquée (Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education de l’Université de Genève).


Capture.JPG

Tableau réalisé par un résident et une enfant à l'atelier

de peinture intergénérationnel de VIVA - ©VIVA

 

Cette chronique est dédiée à notre amie Cathy Morice, à Douarnenez, qui, dans son travail magnifique auprès de personnes âgées confrontées à un vieillissement cérébral problématique, pratique si bien avec elles l'Art... de vivre, dont il est justement question ici.

 

Beard, R. L. (2011). Art therapies and dementia : A systematic review. Dementia, 11, 633-656.

Billington, J., Carroll, J., Davis, Ph., Healey, Ch., & Kinderman, P. (2013). A literature-based intervention for older people living with dementia. Perspectives in Public Health, sous presse.

Camic, P. M., Williams, C. M., & Meeten, F. (2013). Does a « singing together group » improve the quality of life of people with a dementia and their carers ? A pilot evaluation study. Dementia, sous presse.

Eekelaar, C., Camic, P. M., & Springham, N. (2012). Art galleries, episodic memory and verbal fluency in dementia : An exploratory study. Psychology of Aesthetics, Creativity, and the Arts, 6, 262-272.

Graham,D. J., Stockinger, S., & Leder, H. (2013). An island of stability : art images and natural scenes - but not natural faces - show consistent esthetic response in Alzheimer’s-related dementia. Frontiers in Psychology, doi :10.3389/fpsyg.20300107.

Gregory, H. (2011). Using poetry to improve the quality of life and care for people with dementia : A qualitative analysis of the Try to Remember programme. Arts & Health, 3, 160-172.

Guetin, S., Charras, K., Berard, A., Arbus, Ch., Berthelon, P., …Leger, J.-M. (2013). An overview of the use of music therapy in the context of Alzheimer’s disease : a report of a french expert group. Dementia, sous presse.

Halpern, A. R., & O’Connor, M. G. (2013). Stability of art preference in frontotemporal dementia.  Psychology of Aesthetics, Creativity, and the Arts, 7, 95-99.

McDermott, O., Crellin, N., Ridder, & Orrel, M. (2013). Music therapy in dementia : a narrative synthesis systematic review. International Journal of Geriatric Psychiatry, sous presse.

Petrescu, I., MacFarlane, K., & Ranzia, R. (2013). Psychological effects of poetry workshops with people with early stage dementia. An exploratory study. Dementia, sous presse.

Potts, D. C. (2012). The art of preserving personhood. Neurology, 78, 836-837.

Rousch, R. E., Braun, M., Basting, A. D., Winakur, J., Rosenberg, F., & McFadden, S. H. (2010). Using the arts to promore resiliency among persons with dementia and their caregivers. In B. Resnick, L. P. Gwyther, & K. A. Roberto (Eds.), Resilience in ageing: Concepts, research, and outcomes (pp. 105-120): New York, NY: Springer.

Särkämö, T., Laitinen, S., Tervaniemi, M., Numminen, A., Kurki, M., & Rantanen, P. (2012). Music, emotion, and dementia : Insight fron neuroscientific and clinical research. Music and Medicine, 4, 153-162.

Whitehouse, P.J., George, D.R., & D’Alton, S. (2011). Describing the dying days of “Alzheimer’s disease”. Journal of Alzheimer’s Disease, 24, 11-13.

Woods, B., (2012). Well-being and dementia - how can it be achieved? Quality in Ageing and Older Adults, 13, 205-211.

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22 janvier 2013 2 22 /01 /janvier /2013 13:20

 

Résumé

 Plusieurs études récentes ont suggéré que le passage à la retraite constituait un des facteurs pouvant affecter négativement les capacités cognitives des personnes âgées. Cela a conduit certains à suggérer que l’allongement de l’âge de la retraite pourrait non seulement répondre aux problèmes économiques que l’accroissement de l’espérance de vie fait peser sur les systèmes de sécurité sociale, mais qu’il pourrait en outre être bénéfique au fonctionnement cognitif des personnes âgées.

Il apparaît que cette dernière proposition se fonde sur des données empiriques controversées et escamote la complexité des facteurs impliqués dans la relation entre retraite et fonctionnement cognitif. En effet, les conséquences du passage à la retraite sur le fonctionnement cognitif paraissent dépendre de nombreux facteurs psychologiques et liés à l’environnement de vie. De plus, les conditions de travail vont également déterminer l’état dans lequel les personnes se trouveront en fin de carrière. Dans ce contexte, l’allongement de l’âge de la retraite va d’abord concerner les plus pauvres, les plus usés par un métier pénible et asservissant (ceux aussi, d’ailleurs, qui sont les plus susceptibles de présenter un vieillissement cérébral/cognitif problématique).

Enfin, la retraite ne comporte pas que des dimensions économiques et politiques. Le droit à la retraite, c’est aussi le droit de ne pas vivre la vie entière sous la contrainte du salariat et le droit à une existence pleine et accomplie, avec notamment la possibilité de s'engager pour un monde différent, tourné autour du « vivre ensemble ».

De multiples facteurs (biologiques, psychologiques, sociaux, environnementaux et culturels) semblent être impliqués dans la survenue d’un vieillissement cérébral et cognitif problématique. Plusieurs études récentes ont suggéré que le passage à la retraite constituait un des facteurs pouvant affecter négativement le fonctionnement cognitif des personnes âgées.

Ainsi, ayant analysé les données recueillies aux Etats-Unis auprès de 14’710 personnes âgées de 51 à 75 ans et suivies longitudinalement (à 6 moments entre 1998 et 2008 : 54’377 observations), Bonsang, Adam et Perelman (2012) ont montré que le fait d’être à la retraite depuis 1 ans ou plus conduisait à une réduction significative d’un mot dans le rappel d’une liste de 10 mots (en fait, le score mnésique était calculé en sommant le nombre de mots en rappel libre et en rappel différé, ce qui permettait d’obtenir un score allant de 0 à 20). Un effet négatif du passage à la retraite (d’amplitude équivalente) a aussi été observé sur le score à une tâche impliquant la mémoire de travail. Outre le fait que l’impact négatif de la retraite sur le fonctionnement cognitif ne semble pas instantané, mais apparaît après un délai d’un an, les résultats montrent également que l’essentiel de la baisse de performance mnésique se produit au début de la période de retraite, puis tend à se stabiliser ensuite. Enfin, après avoir exploré l’évolution des performances mnésiques en fonction de l’âge minimal permettant de bénéficier de la sécurité sociale (62 ans) et montré une chute significative du score mnésique entre 62 et 63 ans, les auteurs ont considéré comme peu probable une causalité inverse, à savoir un passage à la retraite consécutif à une réduction des capacités cognitives.

Par ailleurs,  dans une étude ayant porté sur des personnes âgées de plus de 50 ans et issues de différents pays européens, Mazzonna et Peracchi (2012) ont confirmé (après avoir examiné la possibilité d’une causalité inverse via la prise en compte de l’âge donnant droit à la retraite normale et à la retraite anticipée), l’existence d’un accroissement du déclin cognitif après la retraite, ce déclin accru étant d’autant plus important que la période de retraite s’allonge.

Sur base de leurs résultats, Bonsang et al. (2012) concluent leur article en indiquant que «… des réformes ayant pour but de promouvoir la participation au marché du travail à un âge avancé peuvent non seulement assurer la pérennité des systèmes de sécurité sociale, mais peuvent aussi avoir un impact positif sur la santé ».

Selon nous, la conclusion (de plus en plus fréquemment énoncée) selon laquelle l’allongement de l’âge de la retraite aurait un effet bénéfique sur la santé, et plus spécifiquement sur le fonctionnement cognitif des personnes, se fonde sur des données scientifiques partielles et s’inscrit dans une vision réductrice des liens entre retraite et fonctionnement cognitif.

La complexité des liens entre retraite et fonctionnement cognitif

D’autres études apportent un éclairage différent sur les relations entre retraite et fonctionnement cognitif. Ainsi, par exemple, dans une recherche exploitant le même type de données que Bonsang et al., mais se focalisant sur la durée de la retraite et prenant en compte les offres de retraite anticipée,  Coe, Von Gaudecker, Lindeboom et Maurer (2012) ne constatent pas de lien clair entre la durée de la retraite et le fonctionnement cognitif durant la vieillesse chez des employés, mais observent par contre un effet bénéfique de la retraite sur le fonctionnement cognitif des ouvriers. Dans ce contexte, les auteurs suggèrent qu’il pourrait être plus facile pour les ouvriers de s’engager dans des activités cognitivement stimulantes (et bénéfiques pour le fonctionnement cognitif) en dehors de leur milieu de travail, alors que le changement dans la stimulation cognitive suite à la retraite des employés serait moindre.

Plus généralement, il apparaît important d’explorer les relations entre le type de travail professionnel, les activités durant la retraite et le fonctionnement cognitif. Coe et al. indiquent en outre que les données divergentes observées entre les études sont vraisemblablement la conséquence de différences dans plusieurs caractéristiques des modèles testés (p. ex., la prise en compte ou non des possibilités de pré-retraite ; l’analyse d’un effet discontinu du passage à la retraite versus d’une relation dose-réponse basée sur la durée de la retraite ; l’influence testée ou non de certaines caractéristiques des échantillons examinés). Ils en appellent ainsi à des travaux futurs prenant en compte ces différentes caractéristiques.

En outre, on peut s’interroger sur la signification fonctionnelle réelle (l’impact dans la vie quotidienne) des effets négatifs de la retraite sur la performance cognitive, se traduisant, par exemple dans l’étude de Bonsang et al., par une réduction d’un mot dans une tâche de rappel.

De plus, les diminutions observées dans la performance cognitive suite au passage à la retraite peuvent être déterminées par des facteurs multiples (un point reconnu d’ailleurs par Bonsang et al.). Certains de ces facteurs pourraient être en lien avec la représentation sociale qu’ont les personnes du passage à la retraite, comme, par exemple, une diminution du sentiment d’auto-efficacité ou encore l’activation (favorisée par la mise à la retraite) de stéréotypes négatifs en lien avec le vieillissement (voir notre chronique « Le vieillissement en tant que construction sociale : L’influence des stéréotypes »). En effet, comme l’indiquent Roland-Lévy et Lassarre (2008), la notion de retraite est actuellement presque infailliblement associée par tous à la vieillesse. Ils considèrent en outre, en faisant référence aux écrits de Guillemard, Légaré et Ansart (1995), que la retraite est « une construction sociale, qui ne met pas la retraite en valeur, puisqu’elle n’est considérée qu’en opposition à la vie active. C’est en étant actif que l’on est inséré et inclus dans la société, alors que la retraite est, par contraste, perçue négativement comme un état passif ». Une telle représentation est à même d’affecter l’image que les retraités ont d’eux-mêmes et de conduire ainsi à une baisse de l’estime de soi et du sentiment d’auto-efficacité ou encore à l’activation de stéréotypes négatifs sur le vieillissement, autant de changements psychologiques pouvant influencer négativement la performance cognitive.

Dans un travail récent, Baer et al. (2013) ont montré que les différences interindividuelles dans le fonctionnement cognitif de personnes récemment retraitées dépendaient de plusieurs facteurs, y compris une disposition motivationnelle stable à rechercher et à s’engager dans des activités cognitives exigeantes (disposition appelée « need of cognition » ou « besoin de cognition » ; Cacioppo & Petty, 1982). Les auteurs ont suivi longitudinalement (via 4 évaluations annuelles) 333 personnes récemment retraitées (d’un âge moyen de 59.06 ans). Leur fonctionnement cognitif (évalué lors des années 3 et 4) était mesuré par un score global basé sur les performances à des tests évaluant la mémoire épisodique, la mémoire de travail, les capacités visuo-spatiales, les fonctions exécutives, les capacités d’abstraction verbale, l’attention soutenue, le langage et l’orientation dans le temps et l’espace. Les personnes étaient également soumises à des questionnaires examinant la dépression (évaluée lors des années 2, 3 et 4), le besoin de cognition (évalué lors des années 2 et 4), ainsi que la participation à des activités de loisirs stimulantes (évaluée lors des années 2, 3 et 4 ; les activités évaluées portaient sur la lecture, les jeux de société, les voyages, la formation continue, l’utilisation d’Internet ou autres médias, ainsi que les activités créatives, de culture générale et musicales : le nombre total d’activités différentes pratiquées a été pris en compte dans les analyses).

Après avoir contrôlé l’influence de l’âge, du niveau scolaire, du nombre d’années depuis la retraite et de la profession antérieure, les résultats ont montré que le besoin de cognition (évalué lors de l’année 2) était positivement associé au changement dans le statut cognitif deux après (lors de l’année 4). Par ailleurs, la symptomatologie dépressive et le nombre d’activités de loisirs (évalués lors de l’année 2) étaient associés, respectivement de façon négative et positive, au statut cognitif un an plus tard (lors de l’année 3, mais pas lors de l’année 4).

Sur base des relations (directes et indirectes) observées entre les variables, Baer et al. suggèrent que le besoin de cognition et la participation à des activités de loisir stimulantes agiraient de façon différente sur le fonctionnement cognitif des retraités. Ainsi, un niveau élevé de besoin de cognition pourrait conduire les personnes à poursuivre un grand nombre d’activités cognitivement exigeantes durant leur retraite (ce qui est reflété par la variété des activités de loisirs rapportées et correspond au lien existant entre besoin de cognition et nombre d’activités de loisir). Cependant, indépendamment du choix des activités de loisir, un besoin élevé de cognition pourrait, en plus, pousser la personne  à rechercher des niveaux plus importants de complexité dans chacune des activités choisies (ce qui correspond au lien direct entre besoin de cognition et fonctionnement cognitif).

Par ailleurs, ces deux facteurs influenceraient le fonctionnement cognitif à différents moments. Etant donné que les années qui suivent immédiatement la retraite constituent une période de transition, durant laquelle les personnes retraitées cherchent à établir de nouvelles routines, il se pourrait que le lien entre le niveau d’activités évalué lors de l’année 2 et le fonctionnement cognitif évalué lors de l’année 3  soit le résultat du défi cognitif que représente le fait de réaliser une variété de nouvelles activités. Une fois les routines établies, ce serait la variété des activités qui subsisterait (et pas la nouveauté) pour influencer le fonctionnement cognitif. En outre, le fait que le lien entre le nombre d’activités de loisirs évalué lors de l’année 3 et le fonctionnement cognitif évalué lors de l’année 4 n’est pas significatif suggère que la variété des activités n’est pas suffisamment exigeante pour affecter le fonctionnement cognitif. Dès lors, à cette étape, ce serait l’engagement dans un niveau plus élevé de complexité qui deviendrait plus important (ce qui correspond au lien entre le besoin de cognition évalué lors de l’année 2 et le fonctionnement cognitif évalué lors de l’année 4). Il s’agit clairement d’une interprétation spéculative, mais qui pourrait être testée en évaluant à la fois la nouveauté et la variété des activités de loisirs, ainsi que le niveau d’engagement (défi, effort, durée) dans ces activités.

En dépit de ses limites (et notamment le fait de ne pas avoir évalué les différents facteurs chaque année), cette étude appuie l’importance d’une approche multifactorielle des effets de la retraite sur le fonctionnement cognitif et, de façon plus spécifique, met en avant le rôle d’une disposition motivationnelle.

Un autre facteur pouvant être associé aux liens entre retraite et fonctionnement cognitif est le stress que peuvent occasionner les changements et réajustements induits par la retraite (voir l’interprétation en termes de stress des effets de la retraite sur la santé physique ; Behncke, 2012). Il faut cependant relever que les effets stressants de la retraite dépendront eux aussi de facteurs multiples en lien avec la personnalité et les capacités de coping des personnes, les circonstances du passage à la retraite, le contexte de vie, l’ajustement au sein du couple, etc.

Ainsi, il apparaît que la retraite ne peut pas être considérée, de façon abrupte, comme ayant des effets négatifs ou positifs sur le fonctionnement cognitif et que les conséquences du passage à la retraite sur la personne doivent être envisagées en prenant en compte de nombreux facteurs (individuels et contextuels) et leurs interactions.    

L’importance de l’environnement de vie

Un autre facteur possiblement impliqué dans les effets de la retraite sur le fonctionnement cognitif concerne l’environnement de vie des retraités. En effet, l’engagement des personnes âgées dans des activités bénéfique au fonctionnement cognitif suppose de vivre dans un environnement qui offre les ressources physiques et sociales (p. ex., installations récréatives et sportives, structures associatives, salles de spectacles, bibliothèques, etc.) susceptibles de promouvoir la réalisation de ces activités.

Dans ce cadre, Clarke et al. (2012) ont exploré, via une enquête menée auprès d’un échantillon représentatif de 949 personnes âgées de plus de 50 ans et vivant à Chicago, les liens entre l’environnement de vie (le voisinage / le quartier), la structure socio-économique de cet environnement et le fonctionnement cognitif (évalué au moyen du « Telephone Interview for Cognitive Status »).

Chaque adresse des personnes interrogées a été codée géographiquement selon 200 secteurs de recensement. Trois indices ont été retenus pour caractériser la structure socio-économique de l’environnement de vie: la structure d’âge (proportion de personnes âgées de 65 ans et plus) ; le désavantage socio-économique (en termes de revenu, du nombre de chômeurs, d’assistés sociaux et de familles ayant une femme seule à leur tête) ; la richesse (sur base du nombre d’adultes ayant suivi des études supérieures et ayant une activité professionnelle de direction, ainsi que de la valeur médiane du prix des maisons).

Par ailleurs, une évaluation des ressources disponibles dans l’environnement de vie a été réalisée, en termes de structures récréatives et sportives publiques (telles que des gymnases, piscines, centres sportifs), ainsi que d’institutions (telles que des écoles, églises, bibliothèques, centres communautaires) offrant des opportunités d’interactions sociales et de stimulation intellectuelle. Un indice de problèmes environnementaux pouvant décourager les résidents d’avoir accès aux ressources a aussi été établi. Enfin, une mesure de densité des parcs publics a été calculée.

Deux possibles médiateurs individuels des ressources environnementales ont également été pris en compte : d’une part, l’intégration sociale (fréquence des rencontres avec des amis, voisins et proches) et l’engagement dans des activités civiques et, d’autre part, les habitudes d’activité physique durant une semaine typique sur les 12 derniers mois.

Enfin, différents facteurs pouvant être impliqués dans la relation entre le fonctionnement cognitif et les caractéristiques de l’environnement de vie ont été contrôlés : les facteurs sociodémographiques (âge, genre, statut marital, appartenance ethnique, statut professionnel et socioéconomique), les facteurs de santé et de style de vie (nombre de maladies chroniques, tabagisme, indice de masse corporelle, symptômes dépressifs, conditions de vie et statut d’immigrant).

Les résultats montrent clairement que le fait de vivre dans un environnement de vie riche a un effet positif sur le fonctionnement cognitif, et ce après contrôle des différents facteurs de risque individuels. Cette association opère en partie via une plus grande densité de ressources institutionnelles, comme, p. ex., des centres communautaires. Cette relation entre ressources institutionnelles et fonctionnement cognitif est partiellement expliquée par l’activité physique, mais il faut relever que, contrairement aux attentes, une plus grande densité de centres récréatifs et de parcs n’est pas associée au fonctionnement cognitif.  

Par ailleurs, cet effet bénéfique des ressources institutionnelles ne vaut que pour les personnes blanches : en effet, une plus grande densité de ressources institutionnelles est négativement associée au fonctionnement cognitif chez les personnes afro-américaines et hispaniques. Ces données suggèrent que des ressources institutionnelles pourraient ne pas être bénéfiques dans les groupes minoritaires si le langage ou les barrières culturelles empêchent le plein accès aux possibilités offertes par ces institutions.

Alors que l’intégration sociale est fortement et positivement associée au fonctionnement cognitif, elle ne rend pas compte de l’effet des ressources institutionnelles. Enfin, une résidence stable (> 5 ans) dans un environnement de personnes âgées est associée à un fonctionnement cognitif plus élevé (possiblement du fait de possibilités plus grandes d’interactions sociales). Cependant, l’exposition à long terme (> 10 ans) à un tel environnement de vie est négativement reliée à la cognition.

L’existence de ces relations devrait bien entendu être examinée dans d’autres centres urbains. Néanmoins, ces données indiquent en quoi il importe de prendre en compte l’aménagement urbain pour l’optimisation du fonctionnement cognitif des personnes âgées qui vieillissent dans ce type d’environnement.

Quand le travail accélère le vieillissement cérébral

Quand on s’interroge sur les effets de la retraite sur le fonctionnement cognitif ainsi que sur l’allongement de l’âge de la retraite, on doit impérativement, en parallèle, se pencher sur les conséquences du travail sur la santé cognitive et cérébrale des travailleurs.

En effet, comme l’a montré notamment l’étude VISAT (vieillissement, santé, travail ; www.visat.fr) qui a suivi, en France, une cohorte de 3’000 salariés actifs et retraités, l’organisation du travail (p. ex., le travail posté et la désynchronisation des rythmes biologiques qu’il induit ; un travail qui ne permet pas de réfléchir sur son activité, sur soi-même et sur son propre rapport au monde) et le contenu du travail (p. ex., la pauvreté des activités ; un travail qui exige un effort cognitif stérile, qui ne débouche sur aucune valeur ajoutée pour le travailleur) affectent durablement le fonctionnement cérébral et cognitif (voir Marquié, 2010). Selon Marquié, le préjudice cognitif peut aussi être mis en évidence « sur le long terme, à l’échelle d’une vie de travail, lorsque l’individu constate que beaucoup d’efforts ont été consentis pour un retour sur investissement modeste ou négatif en terme de développement personnel ».

Outre les conséquences cognitives, l’étude VISAT a également montré en quoi  certaines conditions de travail peuvent affecter le sommeil (y compris durant la retraite), la santé mentale, la consommation de produits psychoactifs ou encore les facteurs de risque vasculaires (pression sanguine artérielle, profil lipidique, syndrome métabolique, indice de masse corporelle): il s’agit là d’effets pouvant clairement interagir avec le fonctionnement cognitif. Cette étude a aussi montré que les personnes qui ne se sentait pas capables d’occuper un emploi jusqu’à la retraite avaient un risque presque deux fois et demi supérieur aux autres d’être en arrêt maladie ou au chômage 5 ans plus tard, et un risque de 30% supérieur aux autres d’être à la retraite en ou en pré-retraite à la même période.

Pour reprendre à nouveau les termes de Marquié (2010) : «On ne peut pas vouloir augmenter le taux d’activité des seniors sans poser la question des conditions de travail qu’ils rencontrent actuellement et celles qu’ils ont rencontrées dans le passé. En effet, ce sont elles qui déterminent l’état dans lequel ils se trouvent en fin de carrière. » Dans ce contexte, il importe de rappeler les données d’une autre étude française (Cambois, Laborde & Robine, 2008), qui montrent que, à 35 ans, les cadres ont une espérance de vie de 6 années de plus que les ouvriers. En outre, les ouvriers passent à la fois moins de temps sans incapacité que les cadres et vivent plus longtemps qu’eux avec des incapacités et des handicaps.

Conclusion

De nombreuses études ont montré que la participation à des activités stimulantes et le fait d’avoir des buts dans la vie représentent des facteurs susceptibles de réduire le risque de vieillissement cérébral/cognitif problématique. Il paraît donc essentiel de promouvoir et faciliter l’engagement actif des personnes âgées dans la vie de la société (voir, p. ex., nos chroniques « Des buts dans la vie et une existence qui a un sens réduisent le risque de vieillissement problématique » ; « Maintenir des activités cognitives stimulantes chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique ou une démence »).

Dans ce contexte, certains ont suggéré que l’allongement de l’âge de la retraite pourrait non seulement répondre aux problèmes économiques que l’accroissement de l’espérance de vie fait peser sur les systèmes de sécurité sociale, mais qu’il pourrait en outre être bénéfique au fonctionnement cognitif des personnes âgées. Nous avons vu en quoi cette dernière proposition se fonde sur des données empiriques controversées et escamote la complexité des facteurs impliqués dans la relations entre retraite et fonctionnement cognitif.

Par ailleurs, l’allongement de l’âge de la retraite va d’abord concerner les plus pauvres, les plus usés par un métier pénible et asservissant (ceux aussi d’ailleurs qui sont les plus susceptibles de présenter un vieillissement cérébral/cognitif problématique). Cela préoccupera moins celles ou ceux qui occupent des postes intéressants et qui, en outre, ont souvent aussi un bon statut socio-économique.

Plus généralement, la retraite ne comporte pas que des dimensions économiques et politiques. Le droit à la retraite, c’est aussi le droit de ne pas vivre la vie entière sous la contrainte du salariat et le droit à une existence pleine et accomplie, avec notamment la possibilité de s'engager pour un monde différent, tourné autour du « vivre ensemble » (voir nos chroniques « Quand la résistance et l’engagement viennent des plus âgés ! » ; « L’engagement à tout âge ou la révolution des grand-mères »).


Illustrations--2--2798.JPG Aînée participant à un atelier intergénérationnel de rap organisé par VIVA © 

 

Baer, L.H., Tabri, N., Blair, M., Bye, D., Li, K.Z.H., & Pushkar, D. (2013). Longitudinal associations of need for cognition, cognitive activity, and depressive symptomatology with cognitive function of recent retirees. Journals of Gerontology Series B : Psychological Sciences and Social Sciences, sous presse.

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Cambois, E., Laborde, C., & Robine, J.-M. (2008). La « double peine » des ouvriers : plus d’années d’incapacité au sein d’une vie plus courte. Population & Sociétés, 441, 1-4.

Clarke, Ph.J., Ailshire, J.A., House. J.S., Morenoff, J.D., King, K., Melendez, R., & Langa, K.M. (2012). Cognitive function in the community setting: the neighbourhood as a source of ‘cognitive reserve’. Journal of Epidemiology & Community Health, 66, 730-736.

Coe, N.B., Von Gaudecker, H.-N., Lindenboom, M., & Maurer, J. (2012). The effect of retirement on cognitive functioning. Health Economics, 21, 913-927.

Guillemard, A.M., Légaré, J., & Ansart, P. (1995). Entre travail, retraite et vieillesse : le grand écart. Paris : L’Harmattan.

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Roland-Levy, Ch, & et Lassarre, D. (2008). Psychologie, économie et politique. Les Cahiers de Psychologie Politique [En ligne], numéro 13, Juillet 2008. URL : http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=79

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10 novembre 2012 6 10 /11 /novembre /2012 21:03

Résumé de la chronique

Les études ayant exploré le vécu des personnes présentant une « démence » ont essentiellement adopté des méthodes qualitatives. Dans ce contexte, Dawson et al. (2012) ont tenté de mieux comprendre, via une recherche quantitative, l’impact du vécu de la « démence » sur le bien-être, en se fondant sur le point de vue de la personne ayant reçu ce diagnostic.

Se fondant sur le « Stress Process Model for Individuals with Dementia », les auteures ont examiné dans quelle mesure le bien-être (qualité de vie, anxiété et dépression) de personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » (N=131) pouvait être prédit par différents facteurs de stress (primaires et secondaires), ainsi que par certaines caractéristiques personnelles et contextuelles.

Les résultats de cette étude ont montré que l’anxiété était prédite par la gêne provoquée par les difficultés de mémoire, que la dépression était prédite par les tensions psychologiques en lien avec la santé physique et le fait de se sentir emprisonné(e) dans un rôle et, enfin, que la qualité de vie était prédite par les difficultés perçues dans la réalisation des activités de la vie quotidienne, ainsi que par le sentiment d’efficacité personnelle.

Cette étude montre non seulement en quoi il importe de prendre en compte le point de vue des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence », et pas uniquement celui des proches, mais elle renforce également l’importance d’une approche plurielle et intégrée des interventions psychosociales destinées à ces personnes.

Il nous paraît cependant essentiel de s’affranchir d’une approche (psychologique) normative de la qualité de vie ou du bien-être des personnes âgées (du vieillissement « réussi »).   

 

On connaît assez peu de choses sur le vécu des personnes ayant reçu un diagnostic de « démence », tel que rapporté par les personnes elles-mêmes. Quelques travaux qualitatifs ont permis d’identifier, sur base d’entretiens, certains thèmes considérés comme importants par les personnes : comprendre leur état, maintenir leur identité, conserver leur indépendance fonctionnelle via le maintien de la conduite automobile ou la réalisation d’activités quotidiennes, maintenir leur qualité de vie à travers les relations sociales, la santé et l’adaptation positive (Harman & Clare, 2006 ; Menne et al., 2002 ; Wolverson et al., 2010).

Dawson et al. (2012) ont souhaité faire un pas de plus, en tentant de mieux comprendre, via une recherche quantitative, l’impact du vécu de la « démence » sur le bien-être, en se fondant sur le point de vue de la personne ayant reçu ce diagnostic. En fait, les études quantitatives ayant exploré le vécu des personnes présentant une « démence » se sont essentiellement fondées sur les comptes-rendus effectués par les proches. Or, de nombreuses données indiquent que les personnes ayant reçu un diagnostic de « démence », à un stade léger à modéré, sont capables de fournir un compte-rendu valide de leur bien-être, de leur qualité de vie et de la qualité des soins qui leur sont prodigués, que ce soit via des questionnaires, des entretiens (semi-) structurés, des entretiens ouverts ou encore des groupes de discussion (voir notre chronique « Prendre réellement en compte le point de vue des personnes présentant une démence »).

Par ailleurs, il a également été constaté que les évaluations effectuées par les proches pouvaient être l’objet de différents biais de sur- ou de sous-estimation  (voir, p. ex., notre chronique «Les discordances dans la perception des valeurs et des préférences entre les personnes ayant reçu un diagnostic de "démence" et les proches aidants »). Il apparaît dès lors essentiel de recueillir les évaluations effectuées  par les personnes âgées elles-mêmes concernant leur ressenti et leurs symptômes.

Les auteures ont articulé leur recherche autour du « Stress Process Model for Individuals with Dementia » (Judge, Menne, & Whitlatch, 2010). Ce modèle décrit différents facteurs psychosociaux susceptibles de prédire la manière dont les personnes font l’expérience de la « démence » et, plus particulièrement, leur bien-être  (qualité de vie, dépression, anxiété, réactions physiologiques).

Ces facteurs sont les suivants :

* Les caractéristiques personnelles et contextuelles : âge, genre, niveau d’éducation, statut socio-économique, histoire de santé, réseau familial et amical, environnement de vie.

* Les éléments stressants primaires : les éléments objectifs (le type et la sévérité des difficultés : statut cognitif, statut fonctionnel, problèmes comportementaux) ; les éléments subjectifs (les conséquences psychologiques des difficultés cognitives, fonctionnelles ou comportementales : sentiment d’être enfermé dans un rôle que l’on ne souhaite pas occuper, souffrance psychologique perçue, sentiment de dépendance).

* Les facteurs de stress secondaires : les sources de stress supplémentaires résultant des facteurs de stress primaires (les tensions relatives aux rôles de la personne : rôle familial, rôle dans le couple, rôle professionnel, rôle social et dans les loisirs ; les tensions intrapsychiques impliquant l’estime de soi, le sentiment de maitrise, le sentiment d’efficacité personnelle).

Selon ce modèle, différents médiateurs peuvent affecter les relations entre les facteurs de stress et le bien-être des personnes : des médiateurs internes (personnalité, résistance au stress, optimisme/pessimisme, spiritualité, valeurs…) ou des médiateurs externes (soutien social, connaissances sur la « démence », ressources financières…).

Dans ce contexte théorique, Dawson et al. ont examiné dans quelle mesure le bien-être (anxiété, dépression et qualité de vie) des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » pouvait être prédit par différents facteurs de stress (primaires et secondaires), ainsi que par certaines caractéristiques personnelles et contextuelles.

Les 131 personnes incluses dans l’étude avaient reçu un diagnostic de « démence » ou de problèmes de mémoire et avaient un âge moyen de 77.15 ans (50-95 ans). Elles devaient avoir un score au MMSE supérieur à 7 (score moyen : 22.48, [12-30]), vivre à domicile et avoir un proche aidant au sein de la famille.

Ces personnes ont été soumises à deux entretiens / évaluations (séparés d’environ 15 semaines). Ces entretiens / évaluations étaient conduits par des intervieweurs expérimentés ayant appris à optimiser les capacités des personnes présentant une « démence » à répondre à des questions. Des cartes-réponses contenant les choix de réponse écrits en grands caractères, sur un fond très contrasté, étaient présentées aux personnes afin de les aider dans leur sélection des réponses aux questions qui leur étaient posées. Chaque fois qu’une nouvelle carte-réponse était proposée, les personnes étaient incitées à utiliser l’ensemble des choix de réponses  (p. ex., « pas de difficulté », « quelques difficultés », « un bon nombre de difficultés », « très difficile »). Si, après plusieurs incitations, les personnes s’avéraient incapables de fournir une réponse, un choix de réponses simplifié leur était proposé (p. ex., « non/oui »).

Les facteurs suivants ont été évalués (au moyen de différentes échelles et questionnaires) et pris en compte dans les analyses statistiques :

* niveau scolaire, appartenance ethnique, genre, type de lien avec la personne proche (conjoint ou non) ;

* les facteurs de stress primaires : statut cognitif global (MMSE) ; difficultés à réaliser les activités personnelles et instrumentales de la vie quotidienne (IADL) ; problèmes de comportement (évalués par une personne proche) ; se sentir enfermé dans un rôle non souhaité (« role captivity ») ;

* les facteurs de stress secondaires : tensions psychologiques en lien avec le rôle social (les relations dyadiques, avec le conjoint ou une autre personne) ; tensions psychologiques en lien avec la santé physique ; gêne provoquée par les problèmes de mémoire ; tensions psychologiques en lien avec le sentiment d’efficacité personnelle (possibilité de se développer/force intérieure) ;

* le bien-être : anxiété, dépression, qualité de vie.

Tout d’abord, les analyses ont montré que les questionnaires utilisés avaient une bonne validité structurelle et une consistance interne satisfaisante. Par ailleurs, la recherche avait une puissance statistique suffisante.

Les résultats ont mis en évidence des patterns distincts de prédiction pour chacune des mesures du bien-être :

* la gêne liée aux problèmes de mémoire est l’unique prédicteur de l’anxiété

* les tensions psychologiques en lien avec la santé physique et le fait de se sentir emprisonné dans un rôle prédisent la dépression

* la qualité de vie est prédite par les difficultés perçues dans la réalisation des activités de la vie quotidienne ainsi que par le sentiment d’efficacité personnelle.

Ainsi, il apparaît que l’anxiété des personnes ayant reçu un diagnostic de « démence » est associée, du moins en partie, aux inquiétudes que ces personnes ont par rapport au regard que les autres portent sur leurs difficultés. Comme l’ont montré d’autres études, le score au MMSE ne constitue pas un prédicteur significatif de l’anxiété. Contrairement à d’autres études, aucun lien n’est observé entre l’anxiété et  la présence de troubles du comportement. Selon Dawson et al., cette discordance pourrait être liée au fait que, dans les études ayant identifié une relation entre anxiété et troubles du comportement (voir p. ex., Ferretti et al., 2001), l’anxiété était évaluée par les proches. Or, il a été montré que l’évaluation de l’anxiété par les proches pouvait être biaisée, avec, p. ex., des erreurs consistant à confondre un comportement d’agitation physique (ne pas tenir en place) avec de l’anxiété (Seignourel et al., 2008).

En ce qui concerne la dépression, elle n’est pas non plus prédite par le score au MMSE, mais plutôt par la tension psychologique concernant l’état de santé physique et par le sentiment d’être captif d’un rôle. Ces facteurs peuvent conduire à des sentiments de dépendance ou d’impuissance (« helplessness »), dans la mesure où la tension psychologique en lien avec la santé physique se caractériserait par le sentiment d’avoir moins d’énergie et le fait de se sentir captif d’un rôle inclurait le sentiment d’être « pris au piège » en devant dépendre d’une personne proche.

La relation entre la qualité de vie et la capacité d’effectuer des activités de la vie quotidienne (et des activités de loisirs),  ainsi que le sentiment d’efficacité personnelle (de « force interne »), correspond bien aux thèmes qui ont été identifiés par les personnes présentant une « démence » dans les études qualitatives (Harman & Clare, 2006 ; Menne et al., 2002 ; Wolverson et al., 2010).

Comme le reconnaissent les auteures, cette étude n’est pas sans limites. La limite principale est d’avoir utilisé des outils d’évaluation adaptés de ceux qui ont été élaborés pour les évaluations par les proches. Même si ces outils ont révélé de bonnes qualités psychométriques, il y a un besoin urgent de développer des outils spécifiquement destinés à l’évaluation par les personnes présentant une « démence » de leur ressenti et de leurs difficultés. Il s’agirait également d’appliquer des modèles d’équations structurales afin de mieux préciser les liens directs et indirects entre les différents facteurs identifiés dans le « Stress Process Model for Individuals with Dementia » et les composantes du bien-être. Une exploration de l’influence de différents médiateurs (p. ex., personnalité, soutien social, valeurs, spiritualité) devrait également être entreprise. De ce point de vue, il faudrait tout particulièrement examiner l’influence de la prise de conscience des difficultés. Enfin, il s’agirait aussi d’identifier la présence de personnes âgées présentant des patterns différents de relations entre les facteurs proposés par le modèle,

Cette étude montre non seulement en quoi il importe de prendre en compte le point de vue des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence », et pas uniquement celui des proches, mais elle renforce également l’importance d’une approche plurielle, intégrée et individualisée des interventions psychosociales destinées à ces personnes (voir notre chronique « Quelles interventions psychologiques dans le vieillissement cérébral/cognitif problématique ? »). De façon plus spécifique, elle suggère des interventions psychosociales focalisées à la fois sur la réalisation des activités de la vie quotidienne, les stratégies de coping face aux difficultés et au regard des autres, le sentiment d’efficacité personnelle, le sentiment d’être captif d’un rôle et la santé physique.

Plus généralement, elle nous incite à élargir le regard que l’on porte sur la personne âgée et à mettre davantage l’accent sur le sens qu’elle donne à sa vie et à ses activités, sur son sentiment de bien-être, sur son pouvoir d’agir et son sentiment de contrôle, sur son sentiment d’identité, sur ses relations sociales et sa place dans la société, ainsi que sur la stigmatisation dont elle fait l’objet (voir notre chronique « La réappropriation de soi et du pouvoir d’agir chez les personnes âgées présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique ») .

En fait, la qualité de vie des personnes âgées présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique devrait bénéficier d’une approche qui n’assimile pas leur état à une « maladie dévastatrice » conduisant à la « mort mentale » ou à la « perte d’identité », mais qui mette en avant les capacités préservées et leur exploitation afin d’optimiser leur fonctionnement quotidien, ainsi que l’insertion et la réalisation de buts au sein de la communauté (voir notre chronique « Changer le regard que la personne âgée ayant une démence porte sur elle-même et que les autres lui adressent : un facteur contribuant à la perception d’une meilleure qualité de vie »). 

Il nous paraît cependant essentiel d’éviter une approche normative de la qualité de vie ou du bien-être des personnes âgées (du vieillissement « réussi »). Comme l’indique Pachoud (2012) dans sa présentation du concept de rétablissement ou de réappropriation de soi : « Ni la médecine, ni la psychologie n’ont de légitimité à fixer les normes d’une vie accomplie ». Il importe dès lors d’être guidé au maximum par le respect de l’autodétermination, des choix de vie et des moyens de les atteindre. Il y a dans cette démarche « …une dimension éthique, parce qu’elle requiert ces choix existentiels qui sont l’objet même de la réflexion éthique… ». Il y a là aussi une dimension politique et de pouvoir : la personne doit être à même de disposer de la capacité de choisir, de décider et d’agir, ou de se la réapproprier, et ce tout particulièrement quand elle est en institution (voir notre chronique « Vers une approche politique de la démence : la question du pouvoir »).

Pachoud s’interroge également sur le rôle des connaissances psychologiques relatives au bien-être et à la qualité de vie. Selon lui : « On peut tout à fait reconnaître l’intérêt des théories psychologiques du "bien-être", qui en proposent des définitions et des outils d’évaluation, spécifient ses déterminants et, sur cette base, promeuvent des pratiques de renforcement et de restauration du bien-être. Il n’est pas illégitime, ni sans intérêt de faire appel à ces ressources théoriques et d’y voir un facteur de soutien au processus de rétablissement ; il est en revanche problématique – et selon nous inacceptable – d’adopter ces conceptions du bien-être comme la norme vers laquelle il faudrait tendre ».

Enfin, Pachoud considère que la question des limites de cette exigence d’autodétermination (chez des personnes pouvant avoir des difficultés d’appréciation de la réalité) ou des conflits possibles avec d’autres principes (p. ex., la protection des personnes) ne peut « … que faire l’objet d’une délibération délicate, mais qui reste dans le registre du questionnement éthique ».

 

vecu-demence-dawson.jpg  ©123rf

 

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Seignourel, P.J., Kunik, M.E., Snow, L., Wilson, N., & Stanley, M. (2008). Anxiety in dementia: A critical review. Clinical Psychology Review, 28, 1071-1082.

Wolverson, E.L., Clarke, K.E., & Moniz-Cook, E. (2010). Remaining hopeful in early-stage dementia: A qualitative study. Aging & Mental Health, 14, 450-460.

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2 septembre 2012 7 02 /09 /septembre /2012 21:31

Résumé

Il existe une très grande hétérogénéité dans l’évolution des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » et cette hétérogénéité semble dépendre de multiples facteurs (biologiques, psychologiques, environnementaux et sociaux). Un de ces facteurs paraît être les stratégies de « coping » mises en place par les proches aidant(e)s face aux difficultés qu’ils rencontrent.

En effet, Tschanz et al. (2012) ont récemment montré que le déclin cognitif et fonctionnel des personnes présentant une démence » pouvait être modulé par l’adoption par les proches aidant(e)s de certaines stratégies de « coping », et en particulier, de la stratégie focalisée sur le problème et sa solution.

Cette étude suggère que des interventions visant à favoriser auprès des proches aidant(e)s l’adoption de stratégies de « coping » fonctionnelles (comme la focalisation sur le problème et sa solution ou la recherche de soutien social/émotionnel) plutôt que dysfonctionnelles (comme le déni, le blâme de soi ou d’autrui ou encore l’évitement) pourraient être bénéfiques, non seulement aux proches aidant(e)s eux-mêmes, mais aussi aux personnes ayant reçu un diagnostic de « démence ».

 

Comme nous l’avons maintes fois mentionné, il existe une très grande hétérogénéité dans l’évolution des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » avec, en particulier, un pourcentage important de personnes qui restent longtemps stables ou qui évoluent très lentement (voir p. ex., notre chronique « L’évolution de la démence est très variable tant aux plans cognitif et fonctionnel que psychopathologique »). Par ailleurs, cette hétérogénéité constitue un phénomène très complexe et semble dépendre de multiples facteurs (biologiques, psychologiques, environnementaux et sociaux). 

Dans une recherche récente, Tschanz et al. (2012) ont montré que le type de stratégies de « coping » mises en place par les proches aidant(e)s face aux difficultés qu’ils rencontrent représente un des nombreux facteurs pouvant influer sur le devenir cognitif et fonctionnel des personnes présentant une « démence ».

 Les stratégies de coping

Les stratégies de « coping » renvoient à l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux que déploie une personne afin de maîtriser une situation difficile (exigeante, éprouvante) ou d’en diminuer l’impact sur son bien-être physique et psychologique.

Différents types de stratégies peuvent être distingués : des stratégies focalisées sur le problème (et sa solution) et visant à gérer la source du stress; des stratégies focalisées sur les émotions et dont le but est de réguler la souffrance psychologique ; des stratégies focalisées sur la signification et qui ont pour but de maintenir la motivation afin de pouvoir recruter des ressources en cas d’échec dans la gestion d’un problème (il s’agit de stratégies qui vont se fonder sur les valeurs personnelles et les croyances de type spirituel, religieux ou existentiel).

Les stratégies de coping peuvent également être caractérisées selon trois dimensions : active/cognitive (p. ex., redéfinir un problème, voir le côté positif, réévaluer positivement la situation) ; active/comportementale (p. ex.. chercher un soutien émotionnel, se focaliser sur la résolution du problème) ; évitement (p. ex., ignorer le problème).

Une méta-analyse récente (Li et al., 2012) a mis en évidence que l’utilisation, par les proches aidant(e)s de personnes présentant une « démence », de stratégies de « coping » dysfonctionnelles (comme le déni, se blâmer ou l’évitement) était corrélée (dans les études transversales) à la dépression et à l’anxiété et prédisait (dans 2 études longitudinales) la dépression 6 et 12 mois plus tard. Par ailleurs, les stratégies d’acceptation et de recherche de soutien émotionnel étaient associées (dans les études transversales) à moins d’anxiété et de dépression et prédisaient (dans une étude longitudinale) moins d’anxiété et de dépression une année plus tard.

Contrairement à ce qui était observé dans d’autres domaines que le vieillissement cérébral/cognitif problématique, les stratégies centrées sur la résolution de problèmes n’étaient pas associées de façon positive à la santé psychologique des proches aidant(e)s. Une étude longitudinale a d’ailleurs montré que les proches aidant(e)s qui rapportaient utiliser davantage ce type de stratégies tendaient à avoir plus de dépression et d’anxiété un an plus tard. Les auteurs suggèrent que cela pourrait être lié au caractère progressif de la « démence » et au fait que le stress généré par la « démence » serait moins susceptible de bénéficier, avec le temps, de stratégies de résolution de problèmes. Ils reconnaissent cependant que les stratégies focalisées sur la résolution de problèmes pourraient être bénéfiques pour d’autres dimensions que l’anxiété et la dépression. Par ailleurs, il se pourrait également que ce type de stratégies de « coping » ne soit bénéfique que si une aide est apportée aux proches aidant(e)s pour la formulation et la mise en place de solutions efficaces.

Influence des stratégies de « coping » chez les proches aidant(e)s sur l’évolution de la « démence »

Dans le cadre de la « Cache County Study on Memory in Aging » (CCSMA), Tschanz et al., (2012) ont examiné dans quelle mesure les stratégies de « coping » des proches aidant(e)s prédisaient la progression de la « démence » . Pour ce faire, ils ont suivi, deux fois par an et jusqu’à un maximum de 6 ans, 226 personnes (issues de la population générale) avec une « démence » et leur proche aidant(e).

Les stratégies de « coping » des proches aidant(e)s ont été évaluées au moyen du « Ways of Coping Checklist – Revised ». Dans ce questionnaire composé de 57 items, on demande aux proches aidant(e)s de penser à un problème et d’évaluer la fréquence (jamais, rarement, parfois, régulièrement) avec laquelle ils utilisent diverses stratégies de « coping ». Les items se regroupent en 8 catégories de stratégies : focalisation sur le problème (chercher une solution et établir un plan d’action), recherche de soutien émotionnel/social, évitement, prendre ses désirs pour des réalités (« wishful thinking »), se faire des reproches, blâmer autrui, s’estimer heureux avec ce que l’on a (« counting blessings ») et « coping » religieux.

L’évaluation de la progression de la « démence » a été réalisée au moyen du MMSE (en ajustant le score en fonctions des items échoués du fait de problèmes sensoriels ou moteurs) et de l’échelle « Clinical Dementia Rating » (CDR).

Différents facteurs sociodémographiques (co-variables) pouvant affecter l’association entre les stratégies de « coping » des proches aidant(e)s et le déclin des personnes présentant une « démence » ont été contrôlés : le genre et le niveau scolaire du es proches aidant(e)s, leur lien de parenté avec la personne âgée, l’âge de début de la « démence » et sa durée au moment de la ligne de base.

L’âge moyen de l’installation de la « démence » chez les personnes ayant reçu ce diagnostic était de 82.11 (±5.84) ans et l’âge moyen des proches aidant(e)s était de 67.41 (±13.95) ans. La durée moyenne du suivi des participants était de 1.65 (±1.63) ans.

Les résultats montrent que l’utilisation plus importante de stratégies consistant à se focaliser sur le problème et à s’estimer heureux avec ce que l’on a est associée à un déclin plus lent au MMSE. Par ailleurs, l’adoption de stratégies consistant à se focaliser sur le problème, à chercher un soutien social et à prendre ses désirs pour des réalités est associée à un déclin plus lent à l’échelle CDR (somme des cases).

En prenant en compte les co-variables sélectionnées, il apparaît que l’utilisation plus importante de la stratégie consistant à se focaliser sur le problème est associée à un déclin moindre de 0.70 points par année au MMSE et de 0.55 points par année à l’échelle CDR. Enfin, en comparaison avec l’absence d’utilisation (« Jamais »), l’utilisation fréquente (« Régulièrement ») de cette stratégie est associée à un déclin moindre de 2 points par année au MMSE et de 1.65 points par année à l’échelle CDR.

Cette étude suggère donc que le déclin cognitif et fonctionnel des personnes présentant une « démence » pourrait être modulé, en partie du moins, par l’adoption par les proches aidant(e)s de certaines stratégies de « coping » (en particulier, la stratégie focalisée sur le problème), même  si  les résultats ne permettent pas d’attribuer de façon certaine un rôle causal à ces stratégies

Incontestablement, cette recherche en appelle d’autres, visant à confirmer les résultats obtenus, mais aussi à mieux comprendre les facteurs qui conduisent à l’adoption de tel ou tel type de stratégie de « coping » (p. ex., la perception et l’interprétation qu’ont les proches aidant(e)s des problèmes rencontrés). Il serait également intéressant d’examiner dans quelle mesure la combinaison de certaines stratégies pourrait être encore plus bénéfique.

Intervenir auprès des proches aidant(e)s

Le travail de Tschanz et al., (2012) suggère que des interventions visant à favoriser auprès des proches aidant(e)s l’adoption de stratégies de « coping » fonctionnelles pourrait être bénéfique, non seulement aux proches aidant(e)s eux-mêmes, mais aussi aux personnes ayant reçu un diagnostic de « démence ».

Dans cette perspective, Rodriguez-Sanchez et al. (2012) ont testé, dans le cadre de Centres de Soins de Santé Primaire en Espagne, l’efficacité d’une intervention de thérapie cognitivo-comportementale (TCC) destinée aux proches aidant(e)s de personnes âgées présentant une « démence » ou manifestant un autre type de problème (musculo-squelettique, cardiaque, etc.). Pour ce faire, ils ont réalisé un essai randomisé contrôlé dans lequel 125 proches aidant(e)s ont été alloués à un groupe d’intervention TCC ou à un groupe de contrôle (soins habituels).

L’intervention de TCC avait pour objectif d’améliorer la gestion des pensées dysfonctionnelles et d‘apprendre des techniques d’auto-assistance (« self-help »). Elle consistait en 8 sessions de 90 minutes, menées en groupes de 8 à 12 proches aidant(e)s pendant 8 semaines consécutives dans les Centres de Soins de Santé Primaire.

Le contenu des différentes sessions était le suivant :

* Explication du contenu de l’intervention, ainsi que du modèle du stress sur laquelle elle se fonde.

* Mise en avant de l’importance qu’il y a à prendre soin de soi

* Explication des différences entre situation, pensée et émotion et focalisation sur l’importance qu’il y a à analyser les pensées automatiques.

* Explication des erreurs de pensée.

* Focalisation sur les facteurs qui affectent l’état d’humeur : valoriser le temps libre, entreprendre des activités plaisantes, apprendre à ajuster ses pensées à la réalité.

* En apprendre plus sur le sentiment « je devrais » (culpabilité) : d’où il vient, comment il se forme et les stratégies pour l’identifier.

* Analyser les droits des proches aidant(e)s et les difficultés pour les faire valoir.

* Apprendre comment demander de l’aide.     

Les résultats de cet essai randomisé contrôlé ont mis en évidence une amélioration significative de la santé psychologique (auto-évaluée au moyen du « General Health Questionnaire » ; GHQ-12) chez les proches aidant(e)s ayant reçu l’intervention TCC. De plus, une amélioration significative a également été observée chez les participants aux groupes d’intervention TCC au niveau des pensées dysfonctionnelles pouvant agir en tant qu’obstacles à un style de « coping » adapté chez les proches aidant(e)s. Les deux effets bénéfiques de l’intervention étaient de taille modérée.

Il s’agirait cependant d’examiner dans quelle mesure les contacts sociaux suscités par les groupes d’intervention TCC ont pu contribuer aux effets bénéfiques, et ce en incluant des groupes de contrôle avec contacts sociaux.

Par ailleurs, il faut relever qu’aucune amélioration n’a été observée dans la qualité de vie et le fardeau perçus par les proches suite à l’intervention TCC, ce qui indique la nécessité d’adopter une perspective d’intervention plurielle (visant plusieurs facteurs), intégrée et individualisée (voir notre chronique « Quelles interventions psychologiques dans le vieillissement cérébral/cognitif problématique ? »).

Ainsi, un des autres axes d’intervention pourrait se focaliser sur l’engagement concret dans des activités plaisantes, ainsi que sur le sentiment de restriction des activités (l’évaluation cognitive de ne pas être capable de s’engager dans le nombre souhaité d’activités plaisantes). Il a en effet été observé que la combinaison d’un engagement moindre dans des activités plaisantes et du sentiment de restriction des activités plaisantes était plus prédictif des perturbations de l’humeur, de l’utilisation de stratégies de « coping » dysfonctionnelles et d’une évaluation négative de la santé chez les proches aidant(e)s de personnes avec une « démence » que chaque facteur pris isolément (Mausbach et al., 2011 ; modèle « PEAR » : « Pleasant Events and Activity Restriction »).

Récemment, Chatillion et al. (2012) ont montré que la combinaison d’un engagement élevé dans des activités plaisantes et d’une perception faible de restriction des activités plaisantes était associée à une tension artérielle plus basse chez des proches aidant(e)s de personnes avec une « démence », par comparaison à la combinaison d’un engagement bas dans des activités plaisantes et d’une perception forte de restriction des activités plaisantes.

Notons enfin que la qualité de vie des proches aidant(e)s semble être associée à la perception que ces proches aidant(e)s ont de l’importance qu’accordent les personnes avec une « démence » à certaines valeurs et préférences (Reamy et al., 2012). Cette perception était évaluée comme suit : « Dites-moi si vous pensez qu’il est très important, moyennement important ou pas du tout important pour XXX (la personne avec une « démence ») d’avoir une vie privée, d’aller et venir comme il/elle lui plaît, d’éviter de devenir un fardeau physique pour sa famille, d’être avec des amis ou sa famille, de se sentir en sécurité dans sa propre maison ».

En suivant longitudinalement 198 dyades (personne avec une « démence » et proche aidant(e)), les auteurs ont montré que la perception que les proches aidant(e)s avaient de l’importance accordée par les personnes avec une « démence » à certaines valeurs et préférences diminuait avec le temps, sur une période de 4 ans. De plus, les changements dans l’importance perçue par les proches co-variaient avec les changements dans leur propre qualité de vie avec le temps.

Ces données indiquent en quoi les proches aidant(e)s peuvent être progressivement moins capables de prendre des décisions qui représentent réellement les valeurs et préférences des personnes avec une « démence ». Cependant, elles montrent également en quoi cette incapacité progressive pourrait être freinée par des interventions permettant d’accroître la qualité de vie des proches aidant(e)s.  

 

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Chatillion, E.A., Ceglowski, J., Roepke, S.K., von Känel, R., Losada, A., Mills, P.J., Romero-Moreno, R., Grant, I., Patterson, T.L., & Mausbach, B.T. (2012). Pleasant events, activity restriction, and blood pressure in dementia caregivers. Health Psychology, sous presse.

Li, R., Cooper, C., Bradley, J., Shulman, A., & Livingston, G. (2012). Coping strategies and psychological morbidity in family carers of people with dementia: A systematic review and meta-analysis. Journal of Affective Disorders, 139, 1-11.

Reamy, A. M., Kyungmin Kim, M.A., Zarit, S.H., & Whitlach, C.J. (2012). Values and preferences in individual with dementia: Perceptions of family caregivers over time. The Gerontologist, sous presse.

Rodriguez-Sanchez, E., Patino-Alonso, M.C., Mora-Simon, S., Gomez-Marcos, M.A., Pérez-Penaranda, A., Losada-Baltar, A., & Garcia-Ortiz, L. (2012). Effects of a psychological intervention in a primary care center for caregivers of dependent relatives : A randomized trial. The Gerontologist, sous presse.

Tschanz, J.T., Piercy, K., Corcoran, Ch., Fauth, E., Norton, M.C., Rabins, P.V., … Lyketsos, C.G. (2012). Caregiver coping strategies predict cognitive and functional decline in dementia: The Cache County dementia progression study. American Journal of Geriatric Psychiatry, sous presse.

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