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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 21:27

Résumé de la chronique

Les loisirs sont considérés comme un espace idéal permettant aux groupes marginalisés de résister aux structures de pouvoir et aux idéologies. Dans ce contexte, les loisirs fournissent aux personnes âgées un lieu de résistance à la perte de pouvoir et d’indépendance que propagent les stéréotypes sur le vieillissement et qui découlent aussi du processus de vieillissement en tant que tel. Plus spécifiquement, l’engagement dans des activités de loisirs permet aux personnes présentant une « démence » (y compris celles vivant dans une structure d’hébergement à long terme) de mettre en avant leur autonomie, leur indépendance et le maintien de certaines capacités, toutes caractéristiques pouvant leur être déniées par les autres.

Les activités de loisirs permettent ainsi aux personnes présentant une « démence » de contrer les menaces qui pèsent sur leur identité, d’affirmer les aspects de l’identité qu’elles valorisent et d’établir de nouvelles dimensions identitaires. Les loisirs constituent aussi une diversion par rapport aux événements de vie négatifs, amènent à une attitude plus optimiste concernant le futur, aident au développement personnel et contribuent au sentiment de continuité personnelle.

Il apparaît donc essentiel de favoriser l’accès des personnes âgées ayant un vieillissement cérébral/cognitif problématique et, plus généralement, de toutes les personnes âgées, à des activités de loisirs favorisant la continuité et la transformation de l’identité : la continuité en adaptant les activités pour qu’elles puissent être maintenues en dépit des difficultés cognitives, la transformation en offrant des possibilités de nouvelles activités et en suscitant de nouveaux intérêts.

Il ne s’agit donc pas uniquement de proposer des activités de divertissement mais aussi de permettre aux personnes âgées d’exercer et de manifester leurs capacités. Il importe aussi de déterminer les activités qui ont un sens pour chaque personne et, pour ce faire, il faut entendre ce que les personnes âgées ont à dire et en tenir compte.

Par ailleurs, on reconnaît actuellement l’importance qu’il y a à proposer aux personnes âgées des appuis et des activités qui soient intégrés dans leur communauté de vie. Dans cette perspective, les Arts Communautaires Engagés (ACE) ont été promus afin de soutenir l’intégration sociale des personnes âgées. Les projets ACE fournissent un environnement dans lequel des artistes professionnels collaborent avec des personnes (notamment des personnes âgées) afin de créer une œuvre ou un spectacle sur un thème qui est pertinent pour la communauté de vie des participants. L’idée est que cette œuvre ou ce spectacle soient finalement présentés dans un espace public pour que la communauté dans son ensemble puisse y avoir accès et les apprécier. Une étude a montré que les personnes âgées en risque d’isolement social et qui ont participé à ce type de projet ont étendu leurs relations au sein de la communauté, ont été reconnues et valorisées pour leur contribution et, en travaillant ensemble pour un but partagé, ont établi des liens forts avec les autres membres du groupe.

En conclusion, il apparaît que les activités de loisirs (insérées dans la communauté de vie) représentent un espace de liberté apte à procurer du plaisir, ainsi que des moments de diversion face aux tensions de la vie quotidienne. Mais elles contribuent aussi à favoriser le maintien et le développement de l’identité, l’indépendance, le sentiment de continuité personnelle et l’intégration sociale des personnes présentant un vieillissement cérébral et cognitif problématique.

Relevons enfin que mettre l’accent sur les activités de loisirs (dans leur diversité, incluant le bénévolat, les activités associatives et militantes, l’aide à autrui), c’est aussi s’affranchir d’une vision productiviste de la société, qui conduit à associer de façon privilégiée vieillissement actif, travail professionnel des personnes âgées et allongement de l’âge de la retraite.

Il a été montré que les personnes âgées qui participent à des activités de loisirs qu’elles apprécient rapportent une satisfaction de vie plus élevée, développent des réseaux sociaux plus forts et jouissent d’une meilleure santé (voir Genoe, 2010).

De façon plus spécifique, différentes études indiquent que des activités de loisirs riches et stimulantes (activités cognitives, sociales et physiques) peuvent différer la survenue d’un vieillissement cérébral/cognitif problématique (voir p. ex., notre chronique « Maintenir des activités cognitives stimulantes chez les personnes présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique ou une démence »). De même,  d’autres recherches ont mis en évidence que le fait d’avoir des buts dans la vie et de donner une signification à son existence est associé à un risque moindre de déclin cognitif et de handicap (voir notre chronique « Des buts dans la vie et une existence qui a un sens réduisent le risque de vieillissement problématique »).

Par ailleurs, les activités de loisirs semblent constituer un des éléments qui participent à un vieillissement réussi. En effet, comme l’ont montré Reichstadt et al. (2010),  les personnes âgées considèrent que la réussite du vieillissement dépend, d’une part, de la possibilité de se développer (via la sélection d’activités qui participent au développement personnel, au plaisir et à l’épanouissement, ainsi qu’à l’amélioration du bien-être des autres) et, d’autre part, au fait de s’accepter et d’être satisfait de ce que l’on est (à savoir, être à l’aise avec soi-même et ses expériences passées et effectuer une évaluation réaliste de soi).

Il faut ajouter que les activités de loisirs peuvent contribuer à réduire les trois problèmes principaux qui contribuent à la souffrance des personnes âgées vivant dans des structures d’hébergement à long terme, à savoir l’ennui, la solitude et le sentiment d’inutilité et d’impuissance (Clare et al., 2008).

Les loisirs comme un espace de résistance

Les loisirs sont considérés comme un espace idéal permettant aux groupes marginalisés de résister aux structures de pouvoir et aux idéologies (voir, p. ex., l’engagement des femmes dans des activités atypiques, en dépit des stéréotypes de genre).

Dans ce contexte, les loisirs (dans leurs dimensions de satisfaction intrinsèque et de liberté perçue) peuvent fournir aux personnes âgées un espace de résistance à la perte de pouvoir et d’indépendance que propagent les stéréotypes sur le vieillissement (la personne âgée considérée comme malade, fragile, solitaire et incompétente) et qui découle aussi du processus de vieillissement en tant que tel. En d’autres termes, si les activités de loisirs fournissent la possibilité d’exercer sa liberté et son auto-détermination, elles permettent également aux personnes âgées d’accroître leur contrôle personnel et leur liberté de choix, et donc de résister aux contraintes et aux restrictions.

Genoe (2010) a montré en quoi ce constat s’appliquait aussi aux personnes âgées présentant un vieillissement cérébral/cognitif problématique (une « démence), lesquelles sont encore davantage l’objet de stigmatisation et de discrimination.

L’engagement dans des activités de loisirs permet notamment aux personnes présentant une « démence » (y compris celles vivant dans une structure d’hébergement à long terme) de mettre en avant leur autonomie, leur indépendance et le maintien de certaines capacités, toutes caractéristiques pouvant leur être déniées par les autres (le personnel soignant, la famille, les amis, le voisinage).

Quelques travaux (voir Genoe, 2010) portant sur l’expérience subjective des personnes présentant une « démence » ont constaté que ces personnes pouvaient utiliser les activités de loisirs pour maintenir ou établir leur identité (p. ex., jouer de l’accordéon pour marquer son identité de musicien), face aux identités sociales ou institutionnelles (négatives et déficitaires) qui leur sont assignées. Les activités de loisirs permettent également aux personnes âgées avec une « démence » de manifester qu’elles sont bien l’agent autonome de leurs actions et que leurs actions ont un sens. Elles leur permettent aussi d’être confrontées à de nouvelles expériences, d’exprimer et de partager leur sens de l’humour et de contribuer avec d’autres à un but commun (voir p. ex., le programme d’expression créative « TimeSlips » destiné à des personnes présentant un vieillissement cérébral et cognitif très problématique ; voir notre chronique « Un premier atelier de TimeSlips en Suisse Romande »).

Ces observations demeurent cependant encore très limitées et il y a un besoin important de recherches visant à explorer de façon approfondie le potentiel des activités de loisirs en tant qu’espace de résistance dans le contexte de la « démence ». Il s’agirait aussi d’identifier les facteurs pouvant entraver ce potentiel de résistance et d’examiner dans quelle mesure certaines activités de loisirs peuvent même, au contraire, représenter un lieu de reproduction des stéréotypes sur la « démence ».

Il faut relever que cette façon de concevoir les loisirs diffère clairement de celle qui attribue une valeur essentiellement « thérapeutique » aux loisirs dans la « démence » (p. ex., art-thérapie, musicothérapie, jardin thérapeutique, etc.) et qui, ce faisant, renforce la pathologisation du vieillissement.

Activités de loisirs et maintien de l’identité

Genoe et Dupuis (2011) ont entrepris une étude visant à explorer le rôle joué par les activités de loisirs dans le maintien de l’identité chez des personnes ayant reçu le diagnostic de « démence » à un stage léger.

Cette étude a porté sur 4 personnes (âgées de 58, 70, 77 et 82 ans)  et a été menée dans une perspective phénoménologique. Les données ont été obtenues sur une période de 8 mois, via différentes méthodes : 4 entretiens pour chaque participant, une méthode (« Photovoice ») dans laquelle les personnes devaient photographier et commenter leur vie quotidienne et l’observation participative des personnes durant leurs activités de loisirs (l’examinateur étant à la fois participant à et observateur de l’activité).

Les résultats ont tout d’abord montré que les personnes âgées étaient confrontées à une série de menaces pour leur identité : perte des rôles, perte de confiance, perte d’indépendance, images et attentes dégradantes.

Néanmoins, ces personnes ont trouvé différents  moyens pour maintenir et réaffirmer leur identité. En particulier, certains participants ont utilisé les activités de loisirs dans le but de changer le point de vue d’autrui et de démontrer les contributions qu’ils pouvaient apporter en dépit de leurs difficultés cognitives (p. ex., une des personnes s’est engagée dans la défense de la cause des personnes ayant une « démence »).

Les personnes âgées ont également exploité les activités de loisirs pour insister sur le fait qu’elles étaient toujours les mêmes personnes et pour appuyer les aspects valorisés de leur identité  (p.ex., le fait de jouer au golf permettait de mettre en avant l’importance de l’activité physique pour l’identité de la personne), ainsi que pour démontrer leurs capacités (p. ex., réaliser un nouveau travail au crochet).

De plus, les personnes âgées ont tenté de maintenir leur identité en s’engageant dans des activités de loisirs leur permettant d’apprendre de nouvelles habiletés  et de maintenir des contacts avec des amis et des membres de leur famille (p. ex., apprendre à utiliser un ordinateur ou à jouer aux cartes, en étant aidé par un membre de sa famille).

Les personnes âgées se sont également engagées dans des activités de loisirs uniquement pour prendre du plaisir aux choses simples de la vie, avec souvent un plaisir plus intense qu’avant le diagnostic de « démence » (p. ex., apprécier davantage une invitation). En outre, les activités de loisirs  représentent pour ces personnes un moment de liberté qui permet de se détendre. Il s’agit aussi d’un moyen de revendiquer son espace privé (avoir son coin à soi), ce qui procure un sentiment de sécurité et de « chez soi ».

Les activités de loisirs contribuent en outre au sentiment d’avoir des buts dans la vie, ainsi qu’au sentiment de les avoir atteints (ce qui suscite et renforce la confiance en soi, la fierté et la valorisation personnelle). Les buts associés aux activités de loisirs sont à la fois généraux (maintenir ses capacités cognitives et son indépendance) et spécifiques (réaliser chaque jour quelque chose, comme, p. ex., appeler un ami au téléphone ou réaliser un puzzle). La réalisation de ces buts encourage les personnes à tenter des choses difficiles en dépit des défis auxquels elles sont confrontées au quotidien et à trouver de nouveaux moyens d’effectuer des activités qui ont un sens.

Enfin, les activités de loisirs participent au maintien de l’identité en favorisant l’installation de souvenirs positifs durables, qui peuvent être partagés avec les personnes aimées (voir notre chronique « Une approche moins réductionniste des difficultés de mémoire épisodique et autobiographique associées au vieillissement »). Par exemple, une participante a réalisé un poème pour chacun de ses petits-enfants : le fait de penser aux rencontres plaisantes avec ses petits-enfants et d’utiliser la poésie comme un moyen de partager ses souvenirs a permis de renforcer son rôle en tant que grand-maman et de résister à la perte possible de son identité future, en garantissant que les membres de sa famille se souviendront d’elle de la façon qu’elle le souhaite, à savoir une grand-mère aimante, et pas comme une « victime de la démence ».

En résumé, les activités de loisirs représentent un lieu idéal pour contrer les menaces sur l’identité, pour affirmer les aspects de l’identité que les personnes valorisent et pour établir de nouvelles dimensions de l’identité. De façon plus spécifique, les loisirs constituent une diversion par rapport aux événements de vie négatifs, amènent à une attitude plus optimiste concernant le futur, aident au développement personnel et à une transformation personnelle (en fournissant un sentiment de normalité, en renforçant des aspects valorisés de la vie et en permettant de découvrir de nouvelles dimensions de soi) et contribuent au sentiment de continuité personnelle et à l’élaboration d’un récit de vie qui relie passé, présent et futur (Kleiber et al., 2002).

Ces observations indiquent en quoi il est essentiel de favoriser l’accès des personnes âgées ayant un vieillissement cérébral/cognitif problématique et, plus généralement, de toutes les personnes âgées, à des activités de loisirs favorisant la continuité et la transformation de l’identité : la continuité en adaptant les activités pour qu’elles puissent être maintenues en dépit des difficultés cognitives (voir, p. ex., le travail d’adaptation de l’activité de tricot que nous avons réalisé auprès d’une personne ayant reçu un diagnostic de « démence » : Adam, Van der Linden, Juillerat, & Salmon, 2000) ; la transformation en offrant des possibilités de nouvelles activités et en suscitant de nouveaux intérêts.

Il ne s’agit pas uniquement de proposer des activités de divertissement, mais aussi de permettre aux personnes âgées d’exercer et de démontrer leurs capacités. Il importe également de déterminer les activités qui ont un sens pour chaque personne et, pour ce faire, il faut entendre ce que les personnes âgées ont à dire et en tenir compte.

Dans cette perspective, Dupuis et al. (2012) ont décrit le programme MAREP (« Murray Alzheimer Research and Education Program » ; http://www.marep.uwaterloo.ca/ )  qui a été développé à l’Université de Waterloo au Canada afin d’établir des « partenariats authentiques » avec les personnes âgées ayant reçu un diagnostic de « démence », les membres de leur famille et les professionnels, dans le but d’accroître le bien-être de ces différents partenaires et de promouvoir les capacités et les contributions des personnes présentant une « démence ». Ce programme (sur lequel nous reviendrons plus en détails dans une prochaine chronique) a notamment conduit à l’élaboration d’une série de guides, issus de la collaboration étroite entre les personnes présentant une « démence », les membres de leur famille et les professionnels, et destinés à fournir des stratégies pratiques visant à améliorer la qualité de vie des partenaires impliqués dans le contexte de la « démence » (« By Us for Us Guide Partnership »).

Un de ces guides (en langue anglaise ; cliquer ici pour une copie pdf de ce guide) concerne précisément le rôle des activités de loisirs personnellement signifiantes. Il aborde de façon concrète différentes questions en lien avec ces activités, du point de vue des personnes âgées avec une « démence ». En particulier, il contient les rubriques suivantes : nous permettre de nous exprimer et d’être nous-mêmes, trouver un équilibre entre relaxation et activités, fournir l’occasion d’avoir du plaisir, de rire et de profiter de la vie, contribuer à notre communauté, fournir un sentiment de liberté face aux tensions de la vie, interagir avec nos amis et notre famille, offrir des opportunités de se sentir confronté à des défis, de croître et de se développer.

Ce guide aborde également les obstacles auxquels peuvent être confrontées les personnes âgées dans la participation à des activités de loisirs, en suggérant des pistes de réflexion : obstacles personnels (changements physiques, motivation, difficultés émotionnelles telles que faible confiance en soi, anxiété, etc.), obstacles sociaux (isolement, manque de soutien, changements dans les relations sociales) et obstacles sociétaux/institutionnels (disponibilité en moyens de transports, stigmatisation et incompréhension, disponibilité en activités signifiantes). Enfin, il propose une série de conseils et stratégies destinées aux personnes âgées elles-mêmes et à leurs proches visant à accroître la participation à des activités de loisirs ayant un sens.

Activités de loisirs au sein de la communauté

On reconnaît actuellement, et de plus en plus, l’importance qu’il y a à proposer aux personnes âgées des appuis et des activités qui soient intégrés dans leur communauté de vie. En effet, les personnes âgées, et plus encore celles ayant un vieillissement cérébral et cognitif problématique, sont à risque d’être isolées socialement  et de ne pas avoir accès à des activités de loisirs et de soutien social.  Se pose ainsi la question de savoir comment les villes et communes peuvent davantage intégrer les personnes âgées en leur sein.

Dans cette perspective, les Arts Communautaires Engagés (ACE) ont été promus afin de soutenir l’intégration sociale des personnes âgées. De façon générale, les projets ACE fournissent un environnement dans lequel des artistes professionnels collaborent avec des personnes (notamment des personnes âgées) afin de créer une œuvre ou un spectacle sur un thème qui est pertinent pour la communauté de vie des participants. L’idée est que cette œuvre ou ce spectacle soient finalement présentés dans un espace public pour que la communauté dans son ensemble puisse y avoir accès et les apprécier. Tant les capacités et l’expertise de l’artiste que les connaissances individuelles, la créativité et les expériences de vie des participants sont valorisées dans le processus de création artistique.

Dans un travail récent, Moody et Phinney (2012) ont montré (via 16 heures d’observation des participants, 9 entretiens et des analyses de documents) qu’un projet ACE mené à Vancouver a effectivement contribué à l’intégration sociale des 20 personnes âgées qui y ont participé (et qui étaient identifiées comme à risque d’isolement social). Plus spécifiquement, les personnes âgées ont étendu leurs relations au sein de la communauté, elles ont été reconnues et valorisées pour leur contribution et, en travaillant ensemble pour un but partagé, elles ont établi des liens forts avec les autres membres du groupe.

Ces données indiquent que des projets d’Arts Communautaires Engagés peuvent jouer un rôle important dans l’intégration sociale et le soutien identitaire des personnes âgées. Nous menons actuellement une réflexion, dans le cadre de l’Association VIVA que nous animons, sur la possibilité de proposer un tel projet dans le commune de Lancy où nous vivons, projet qui pourrait intégrer des personnes âgées avec et sans vieillissement cognitif problématique, ainsi que des personnes vivant à domicile et dans une structure d’hébergement à long terme.

Dès à présent, l’Association VIVA offre aux personnes âgées différentes possibilités d’activités artistiques, dont certaines intergénérationnelles et intégrant des personnes âgées vivant à domicile et en structure d’hébergement à long terme (visites commentées de galeries d’art contemporain; "café musical" [présentation d’œuvres musicales par des musiciens et participation à des concerts de musique classique ou de jazz donnés dans la commune] ; échanges avec des enfants autour de lectures ayant pour thème la vieillesse, la transmission et la solidarité intergénérationnelle ou encore de textes poétiques ; atelier de peinture dans une structure d'hébergement à long terme autour de la création d’un livre pour enfants ; voir le site de l’association, www.association-viva.org). Cet été, nous profiterons des beaux jours pour proposer aux personnes âgées et aux enfants d'un centre de loisirs une série d'activités organisées autour de créations de "land art" (oeuvres réalisées à l'extérieur à partir de matériaux naturels tels que bois, terre, pierres, etc.). Nous réfléchissons également à la mise en place d’activités intergénérationnelles de jardinage et d’horticulture au sein de la commune. Un pas supplémentaire consisterait à impliquer encore davantage les personnes âgées dans le processus d’élaboration artistique, à y associer plus fortement les personnes à risque d’isolement social et à ouvrir plus largement les productions artistiques à l’ensemble de la communauté.

Plus généralement, l’exploration du potentiel des activités de loisirs insérées dans la communauté de vie sur la qualité de vie et le bien-être des personnes âgées présentant un vieillissement cérébral et cognitif problématique (ainsi que de leurs proches) se prête tout particulièrement à des recherches-action participatives. Ce type de recherche considère les personnes comme des acteurs plutôt que comme des sujets de recherche et vise à identifier des problèmes dans la pratique, à élaborer des solutions, à examiner les processus de changement, tout en tentant de comprendre la signification et les implications des problèmes et de leurs solutions pour la communauté. Les professionnels et les personnes cherchent un terrain d’entente dans la définition du problème et l’identification de l’action qui en découlera, tout en faisant preuve de réalisme dans les attentes, en fonction du contexte (pour une illustration de ce type de recherche, voir notre chronique «Un programme d’intervention participatif et communautaire destiné à des personnes présentant une démence légère et à leurs proches »). 


En conclusion, il apparaît que les activités de loisirs (insérées dans la communauté de vie) représentent un espace de liberté apte à procurer du plaisir et de la joie, ainsi que des moments de diversion face aux tensions de la vie quotidienne, mais aussi à favoriser le maintien et le développement de l’identité des personnes âgées, leur indépendance, leur sentiment de continuité personnelle et leur intégration sociale.

Relevons enfin que mettre l’accent sur les activités de loisirs (dans leur diversité, incluant le bénévolat, les activités associatives et militantes, l’aide à autrui), c’est aussi s’affranchir d’une vision productiviste de la société, qui conduit à associer de façon privilégiée vieillissement actif, travail professionnel des personnes âgées et allongement de l’âge de la retraite.

Comme nous l’avons indiqué dans notre chronique « Quand la résistance et l’engagement viennent des plus âgés ! », en reprenant les écrits de Pascale Fautrier, l’élévation de l’âge de la retraite va d’abord concerner les plus pauvres, les plus usés par un métier pénible et asservissant, ceux qui ont une espérance de vie significativement plus courte, ceux aussi qui sont les plus susceptibles de présenter un vieillissement cérébral/cognitif problématique, comme d’ailleurs les concernerait au premier chef la réduction de la pension ou du minimum vieillesse. Cela préoccupera moins celles ou ceux qui occupent des postes intéressants et qui, en outre, ont souvent aussi un bon statut socio-économique. Pascale Fautrier ajoute que le droit à la retraite, c'est-à-dire « le droit de ne pas vivre la vie entière sous la contrainte du salariat », est attaqué, comme l’est l’Etat- providence et le droit du travail, « par la même logique qui réclame toujours davantage de sacrifices aux salariés et toujours moins aux classes possédantes (les profits des banques continuent pendant la crise : pourquoi ne peut-on faire pour les retraites ce qu'on a fait pour les banques au bord de la faillite par leur propre faute ?) ».

Plus largement, il y a dans cette question de la retraite « le droit à une existence pleine et accomplie», avec notamment la possiblité de s'engager pour un monde différent, tourné autour du vivre ensemble ». 

 

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Aînée d'un EHPAD/EMS travaillant sur le dessin de sa jeune partenaire

dans le cadre d'un atelier de peinture intergénérationnel    ©VIVA 2012


Adam, S., Van der Linden, M., Juillerat, A.C., & Salmon, E. (2000). The cognitive management of daily life activities in patients with mild to moderate Alzheimer’s disease in a day care centre: A case report. Neuropsychological Rehabilitation, 10, 485-509.

Clare, L., Rowlands, J., Bruce, E., Surr, C., & Downs, M. (2008). The experience of living with dementia in residential care: An interpretative phenomenological analysis. The Gerontologist, 48, 711-720.

Dupuis, S.L., Gillies, J., Carson, J., Whyte, C., Genoe, R., Loiselle, L., & Sadler, L. (2012). Moving beyond patients and client approaches : Mobilizing ‘authentic partnerships’ in dementia care, support and services. Dementia, sous presse (DOI: 10.1177/1471301211421063)

Genoe, M.R., & Dupuis, S.R. (2012). « I’m just like I always was »: a phenomenological exploration of leisure, identity and dementia. Leisure / Loisir, 35, 423-452.

Genoe, M.R. (2010). Leisure as resistance within the context of dementia. Leisure Studies, 29, 303-320.

Kleiber, D., Hutchinson, S., & Williams, R. (2002). Leisure as a resource in transcending negative live events: Self-protection, self-restoration, and personal transformation. Leisure Sciences, 24, 219-235.

Moody, E., & Phinney, A. (2012). A community-engaged art program for older people: Fostering social inclusion. Canadian Journal on Aging / La Revue Canadienne du Vieillissement, 31, 55-64.

Reichstadt, J.M.S., Sengtupa, G., Depp, C., Palinkas, L., & Jeste, D. (2010). Older adults’ perspectives on successful aging: Qualitative interviews. American Journal of Geriatric Psychiatry, 18, 567-575.

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