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A propos des auteurs

  • Martial Van der Linden est docteur en psychologie, professeur honoraire de neuropsychologie et psychopathologie aux Universités de Genève et de Liège. Une partie de ses travaux est consacrée aux effets du vieillissement sur le fonctionnement dans la vie quotidienne, et ce, dans une perspective plurifactorielle et intégrative.
  • Anne-Claude Juillerat Van der Linden est docteure en psychologie, chargée de cours à l'Université de Genève et psychologue clinicienne spécialisée en neuropsychologie. Après 20 ans en tant que responsable à la Consultation mémoire des Hôpitaux universitaires de Genève, elle a créé et dirige la consultation "Vieillir et bien vivre" à la maison de santé Cité Générations.
  • Tous deux ont fondé en 2009 une association du nom de VIVA (Valoriser et intégrer pour vieillir autrement), qui promeut à l'échelle locale des mesures de prévention du vieillissement cérébral problématique.

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10 décembre 2010 5 10 /12 /décembre /2010 23:55

Des progrès importants ont été réalisés dans l’identification des multiples facteurs (médicaux, psychologiques, sociaux, environnementaux, liés au style de vie) qui modulent le risque de présenter un vieillissement cérébral/cognitif problématique (une « démence ») ainsi que son évolution.

 

Dans ce contexte, Langa et al. (2008) ont entrepris une étude visant à examiner dans quelle mesure les modifications observées ces 20 dernières années aux Etats-Unis dans certains facteurs de risque (tels qu’un meilleur traitement des facteurs de risque vasculaires et l’accroissement du niveau d’éducation et de richesse des personnes âgées) pourraient avoir contribué à réduire la prévalence de la démence (voir le site The Tangled Neuron, http://www.tangledneuron.info/ pour la présentation du travail de Kenneth Langa et son interview).


Les auteurs ont utilisé les données de la « Health and Retirement Study » afin d’identifier deux échantillons représentatifs (au plan national) de personnes âgées  (70 ans et plus), qui ont été examinées respectivement en 1993 (7’046 personnes) et en 2002 (7’104 personnes). Le fonctionnement cognitif de ces deux échantillons a été évalué au moyen d’une courte batterie de tests évaluant la mémoire épisodique, la mémoire de travail, la dénomination et l’orientation temporelle, et conduisant à l’établissement d’un score allant de 0 à 35. Pour 10% des participants, la batterie de tests n’a pas été administrée et le fonctionnement cognitif a alors été évalué sur la base d’un bref questionnaire rempli par un proche. Sur la base de ces évaluations, les personnes ont été classées comme présentant un fonctionnement cognitif normal, des difficultés cognitives légères et des difficultés cognitives modérées/sévères. Les participants des deux groupes ont été suivis pendant deux ans afin de déterminer leur taux de mortalité. Les mesures sociodémographiques suivantes ont été incluses dans les analyses en tant que variables indépendantes : l’âge, l’appartenance ethnique, le genre, le nombre d’années d’études, le réseau de proches aidants potentiels et la richesse nette. Au plan médical, les problèmes suivants ont été identifiés (sur base des informations fournies par les participants) : accident vasculaire cérébral, maladie cardiaque, hypertension, maladie pulmonaire, cancer, problèmes psychiatriques, tabagisme et obésité.


Les résultats ont mis en évidence une diminution significative du nombre de personnes âgées présentant un trouble cognitif (léger, modéré ou sévère) de 1993 à 2002 : en 1993, 12.2% des personnes âgées de 70 ans et plus avaient un trouble cognitif contre 8.7% en 2002 (p<.001). De plus, le nombre d’années d’études et la richesse nette expliquent environ 40% de la diminution relative de la prévalence de difficultés cognitives entre 1993 et 2002 (aucune autre variable indépendante ne contribuant à cette diminution).


Globalement, la présence de difficultés cognitives est significativement associée au risque de décès sur la période de suivi de 2 ans, et ce tant en 1993 qu’en 2002. Cependant, pour les personnes ayant un trouble cognitif modéré/sévère, le risque de décès sur 2 ans est plus important en 2002 qu’en 1993. En outre, un plus grand nombre d’années d’études constitue un facteur qui protège des troubles cognitifs. Néanmoins, parmi les personnes ayant un trouble cognitif, un nombre plus élevé d’années d’études est associé à une mortalité accrue sur la période de 2 ans de suivi et cette association est plus forte pour le groupe examiné en 2002.


Cette étude n’est pas sans limite, avec notamment une évaluation assez peu détaillée du fonctionnement cognitif, une évaluation du fonctionnement cognitif par les proches pour une partie des personnes et une identification des problèmes de santé via les informations fournies par les participants.


Néanmoins, les résultats de cette recherche sont globalement compatibles avec l’idée selon laquelle l’augmentation du niveau de scolarité a permis de construite une réserve cognitive/cérébrale, c’est-à-dire une capacité de compenser les aspects problématiques des atteintes cérébrales. Cela aurait permis de différer l’installation de problèmes cognitifs problématiques jusqu’à un moment proche de la fin de vie, réduisant ainsi la période de « morbidité cognitive ».

En d’autres termes, les personnes avec un niveau de scolarité plus élevé auraient été capables de supporter des atteintes cérébrales plus importantes, avant d’atteindre un niveau problématique de troubles cognitifs. Cependant, une fois ce niveau atteint, la pathologie cérébrale, étant plus avancée que chez les personnes avec un nombre moins élevé d’années d’études, aurait conduit à un déclin cognitif plus rapide et à un risque plus élevé de décès. Les mécanismes par lesquels le niveau de scolarité contribue au fonctionnement cognitif des personnes âgées et à leur réserve cognitive/cérébrale ne sont pas clairement identifiés et peuvent impliquer divers processus : un effet bénéfique de la scolarité sur le développement cérébral, des activités professionnelles et de loisirs plus stimulantes, un style de vie plus sain, un accès plus aisé à des soins de santé, etc. De même, la contribution du niveau net de richesse des personnes âgées à leur fonctionnement cognitif peut être sous-tendue par différents facteurs.


Cette étude pourrait engendrer un certain optimisme concernant l’évolution du vieillissement cérébral/cognitif problématique. Il s’agit cependant de confirmer les résultats de cette recherche sur des cohortes plus récentes, aux Etats-Unis et dans d’autres pays. On peut en effet s’interroger sur l’impact négatif qu’aura la crise économique/financière récente (qui laisse un nombre important de personnes dans un état de grande précarité) sur le vieillissement cérébral/cognitif. L’augmentation de la prévalence du diabète de type 2 et du syndrome métabolique (obésité abdominale, hypertriglycéridémie, taux HDL/cholestérol bas, élévation de la glycémie et hypertension) dans le monde, y compris dans les pays émergents, constitue également un élément perturbant (voir notre chronique « Repérer et traiter le diabète de type 2 pour différer la démence: l’importance d’une approche globale »).


On peut néanmoins considérer, avec Peter Whitehouse et Daniel George (voir leur livre « Le mythe de la maladie d’Alzheimer ») et Kenneth Langa (voir son interview dans le site The Tangled Neuron) que des politiques publiques qui favorisent l’accès du plus grand nombre d’enfants à l’éducation, l’engagement des personnes âgées dans des activités qui donnent un sens à leur vie et la réduction des inégalités sociales pourraient être plus bénéfiques pour la santé cérébrale (et la santé plus généralement) que les traitements pharmacologiques actuels et futurs.


Les mesures visant à intervenir efficacement sur l’activité physique, l’obésité ou le tabagisme semblent également à même d’avoir des effets très bénéfiques sur le vieillissement cérébral/cognitif problématique (voir notre chronique « Une modélisation de l’impact de la prévention en lien avec le style de vie sur la prévalence de la démence » ).

 

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Langa, K.M., Larson, E.B., Karlawish, J.H., Cutler, D.M., Kabeto, M.U., Kim, S.Y., & Rosen, A.B. (2008). Trends in the prevalence and mortality of cognitive impairment in the United States: Is there evidence of a compression of cognitive morbidity? Alzheimer’s & Dementia, 4, 134-144.

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